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Jean-Pierre Sergent

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TRANSCRIPTION DE LA CONFÉRENCE DE L'ARTISTE JEAN-PIERRE SERGENT

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MUSEÉ CHARLES DE BRUYÈRES REMIREMONT | FRANCE | 28 AVRIL 2019 - Télécharger le PDF


- 1/4 : HISTORIQUE DE MON PARCOURS ARTISTIQUE : FRANCE, CANADA, USA & RÉVÉLATIONS COSMIQUES - Voir la vidéo 1/4

- Aurélien Vacheret : Bonsoir, l'intervention d'un artiste dans le cadre de l'exposition "Charles de Bruyères invite" quinze artistes au musée, qui est une confrontation entre l'art ancien, certains tableaux choisis par les artistes d'œuvres anciennes du Musée et une œuvre créée par ces artistes qui correspond à leur univers confronté aux collections du collectionneur Charles de Bruyères. Alors, je vais vous présenter Jean-Pierre Sergent, qui vient de Besançon et qui a voyagé, exposé aux États-Unis, et dans différents endroits en France et en Franche-Comté.

- Annie Tremsal : Que vous allez découvrir, parce qu'il vous a retracé en images son parcours et j'avais envie de vous dire l'intérêt de ce genre de conférence, parce que découvrir l'univers d'un artiste, ça ne tombe pas sous le sens ! Et vous allez voir qu'il y a tout un parcours extrêmement personnel et une transposition contemporaine de toutes ces œuvres qu'il va nous montrer ! Voilà.

- AV : Donc l'exposition et à découvrir jusqu'au 19 mai et je laisse la parole à Jean-Pierre Sergent.

- JPS : Bonsoir, merci beaucoup à tout le monde ici d'être venu malgré cette journée un peu pluvieuse, mais vous êtes venus malgré tout jusqu'ici de loin, donc merci beaucoup. Je vais essayer de parler un peu fort parce que le micro est au bout de la salle, et on va commencer par cette première partie qui est l'historique de mon parcours artistique. Je suis né en France et je suis resté ici jusqu'à l'âge de trente-trois ans, et après, j'ai eu la chance de déménager à Montréal et c'est là où j'ai vraiment commencé ma carrière artistique. Parce qu'en France j'exposais un peu, mais je n'ai pas atteint ce niveau professionnel et j'ai pu apprendre vraiment ce métier à Montréal en étant confronté à des artistes professionnels provenant de tous les univers. Et puis à Montréal, j'y suis resté un an et demi et j'avais un ami artiste qui m'a dit : "Montréal c'est pas terrible, il faut qu'on aille à New York !" J'ai dit bon New York ok, mais finalement je l'ai un peu suivi et il se trouve donc qu'au bout d'un an et demi à Montréal, je suis parti à New York, où j'y suis resté dix ans ! J'ai passé dix ans de ma vie là-bas en ayant trois ateliers successifs : premièrement à DUMBO, c'est à Brooklyn et puis après à Chelsea, là où sont toutes les galeries maintenant !  Et puis après à Long Island City, là où est  PS1 qui dépend du MOMA. À New York, j'y ai rencontré vraiment une grande énergie, une grande multiplicité, une diversité de voir les choses ! C'est à dire qu'en France, on est un peu restreint, on a un passé énorme, on le voit bien dans ce musée. Avec toute l'histoire de la peinture, la peinture européenne et donc ce qui m'a plu aux États-Unis, c'est que c'est un pays ouvert vers d'autres cultures. On en parlera plus en détail quand je vous montrerai les diapositives des œuvres qui m'ont influencées et des œuvres que j'ai faites en relation avec ces œuvres là. Mais je voulais parler auparavant de l'Égypte, parce que j'ai fait un voyage aussi en Égypte, quand j'étais en France, aux Beaux-Arts et là, j'ai eu comme une espèce de révélation verticale. C'est à dire que dans les temples égyptiens, on peut ressentir ce qu'on ressent dans les cathédrales en France quand on est croyant. C'est à dire qu'à un moment donné j'étais dans une cellule de prêtre qui était cubique avec une petite fenêtre au plafond et j'étais tout seul dans cette chambre et il m'est venu comme une espèce de révélation, une révélation cosmique. C'est à dire que c'est ce qu'on appelle l'axis mundi, avec lequel on peut acquérir une dimension spirituelle. Que tous les peuples pré-industriels connaissaient ou (connaissent encore aujourd'hui). Ils utilisent cet axe pour rencontrer les esprits et pour, on ne peut pas dire dialoguer avec les morts, mais pour pouvoir faire un voyage cosmique. Et donc, à cette époque là j'étais encore au Beaux-Arts à Besançon, je suis rentré d'Égypte et je me suis dit : l'art ça ne se passe pas ni dans les musées, ni dans les écoles, c'est vraiment une expérience physique. C'est une révélation spirituelle. Donc à partir de là, je me suis intéressé à ce que pouvait être une démarche spirituelle. Et j'ai aussi eu cette sorte de révélation en voyageant au Mexique dans les grands musées comme dans le musée d'anthropologie de Mexico, où on voit ces œuvres aztèque et mayas, qui ont ces forces telluriques et spirituelles. Energies que personnellement, je ne ressens pas dans les peintures européennes. Il y a bien sûr de très rares peintures, par exemple on peut sentir une dimension spirituelle très forte chez les primitifs italiens, parce qu'ils avaient une foi inconditionnelle en Dieu et ce qui m'intéresse, c'est la foi en quelque chose d'autre. C'est vraiment ce qui me nourrit ! Donc là on va voir quelques œuvres qui m'ont nourri, par exemple cette Vénus préhistorique, la Vénus de Hôhle Fels, Allemagne -35 000, elles sont toutes belles ! La Vénus de l'Espuge est magnifique aussi ! Elles sont très féminisées, les organes génitaux sont exagérés, parce que ce sont des statues de fertilité. Il faut régénérer le monde et assurer sa descendance. Donc d'après  cette vénus préhistorique j'ai fait un petit dessin avec une autre vénus préhistorique, c'est tiré d'une autre statue ! Ce sont mes premières sérigraphies faites à New York. Et j'ai eu la chance d'aller visiter la Grotte  préhistorique du Perch Merle, au plafond de cette grotte, il y a des tracés digitaux et ce qui m'intéresse particulièrement dans l'art pariétal, c'est que ce sont presque toujours des œuvres collectives. Ce dessin a été réalisé durant deux, trois ou dix mille ans, on ne sait pas ! C'est comme les peintures des aborigènes d'Australie, c'était des grottes qui étaient utilisées pour les rituels, donc ils initiaient les jeunes et chacun mettait un peu son dessin propre. Donc ce qui m'intéresse, c'est cette compression temporelle. Disons que l'origine de ce dessin date de moins de dix-sept mille ans et peut-être que c'est de moins dix-sept mille à moins treize mille, on ne sait pas ? Les artistes venaient visiter les grottes, elles se refermaient étaient redécouvertes et ils revenaient, c'est comme Lascaux ! Et ce qui m'intéresse dans ces œuvres c'est quelles sortent de l'œuvre unique pour entrer dans une œuvre collective, parce que forcément, ça a plus de force ! Pour moi, c'est mon humble avis ! Donc voilà, c'est un peu ma démarche. Et j'ai utilisé ce dessin de Perch Merle, pour faire cette œuvre qui s'appelle Supended Time qui a été présenté à l'Alliance Française de New York en 1998. Et j'aime bien cette confrontation entre l'œuvre, de moins vingt mille ans dans les lieux contemporains. Ce qui reste en commun, c'est toujours le désir, c'est la vie, c'est la régénération de la vie, l'envie de vivre ! Durant ma carrière, j'ai beaucoup pris de photos dans les musées, ça c'est une petite statue égyptienne qui est au Louvre, qui n'est pas très grande, on voit que c'est du cuivre qui est enchâssé dans du plomb, et je trouvais la robe de cette femme vraiment tellement contemporaine, magnifique design ! Donc j'ai fait une œuvre sur papier que l'on voit ici ! Et sur cette œuvre, on voit cette statue égyptienne, j'ai passé beaucoup de temps à retravailler cette image sur ordinateur, ce n'est pas : on scanne une photo et puis c'est tout, Il faut vraiment que le dessin colle parfaitement avec mon idée et avec l'idée que l'artiste avait de l'œuvre. Et c'est en ce sens que je me sens en grande connexion avec tous ces artistes, ces artisans, qui ont réalisé ces œuvres. Derrière la statue on voit un dessin de kimono japonais, qui forme des vagues comme ça, et ces vagues représentent pour moi l'infini et les ondes du cerveau. Il se trouve que quand on passe d'un état de conscience et d'éveil de zone Alpha ou Beta, les ondes du cerveau changent, Et j'ai vu l'autre jour sur internet qu'ils pouvaient enregistrer le bruit que font les ondes du cerveau et c'est fabuleux, ça fait un bruit comme de la musique électronique. Et nous sommes construits de bruits et de vibrations (mécanique quantique). C'est un peu ce qu'on peut voir dans cette œuvre ! Donc en Égypte, j'ai eu la chance d'aller découvrir la tombe de Néfertari avec mon grand-père et ma sœur et d'entrer dans cet univers, c'est un univers qui accompagne le mort dans une autre vie, parce que les couleurs sont tellement vibrantes et il y a aussi ce somptueux ciel étoilé au-dessus de nous. J'ai aussi fait une œuvre avec ces étoiles, mais c'est vraiment comme une cosmogonie inversée, c'est à dire que c'est la matrice de la vie  ! Et d'avoir eu la chance d'être allé voir cette tombe, cela m'a aussi donné un grand choc et aussi une grande joie. Parce que contrairement à d'autres civilisations, la civilisation égyptienne est plus angoissée par la mort et la survie dans l'autre monde, mais les artistes ont un très bon sens de la couleur et ils peuvent nous sortir un peu de cette angoisse mortifère. Regardez ça, c'est vraiment Isis qui nous accueille avec ces ailes de vautour, comme cela. Et ça me fait pensé aux tibétains qui quand quelqu'un décède au Tibet, ils le donne à manger aux vautours. C'est important de garder ce rapport avec la nature. D'être enveloppé par l'esprit animal. Ça c'est une déesse égyptienne dont j'avais pris la photo au Louvre également, et bien sûr j'étais à New York au 11 septembre 2001 et c'était tellement catastrophique qu'avec beaucoup d'artistes, on n'a pas pu travailler pendant longtemps. C'était tellement horrible… mais au bout d'un certain temps, j'ai pu recommencer à travailler, peut-être deux à trois mois plus tard après cet événement. J'ai commencé à travailler sur la beauté. Pour moi cette déesse égyptienne, elle porte à la fois de l'eau, elle peut porter de l'eau, mais également des urnes funéraires, on ne sait pas ? C'est quelqu'un qui guérit, et tout mon travail est un peu axé sur la guérison de l'âme et du corps. Aussi elle est très sensuelle, j'ai également travaillé longtemps sur ce dessin  pour qu'il soit parfait comme cela. Et à l'époque (c'est entre nous), j'étais très amoureux d'une amie africaine, c'est vrai que son corps m'a donné l'idée de dessiner ce qu'on appelle l'anima, c'est la partie féminine qui nous accompagne. Et j'ai aussi travaillé sur cette statue égyptienne qui est au Louvre, c'est en argile et piquées dedans, il y a neuf aiguilles qui sont insérées dans tous les points vitaux. Là on voit le cœur, le sexe, les oreilles, les yeux. C'est en fait une statue fétiche et ils racontent son histoire dans la vitrine dans laquelle elle est présentée (enveloppée dans une feuille de plomb). Donc c'est un amant qui voulait l'amour éternel de sa femme, ou de son amante, sur la feuille de plomb sont écrites des formules d'amour magiques et le mode d'emploi de cette statue qui devait être enterrée avec quelqu'un qui était mort d'une mort soudaine et violente, afin que le charme face son effet ! Donc là on est vraiment dans la fonction première de l'art : c'est à dire de nous sortir de notre dimension humaine et de nous faire entrer dans un autre univers multidimensionnel. Et pour moi, c'est le plus important, il faut absolument que l'art ait une fonction ! J'ai fait cette petite sérigraphie à New York et j'y ai écrit le texte magique, mais c'est à l'envers car je l'avais imprimé sur Plexiglas. Alors, je voulais parler, on est devant mon œuvre avec l'Adam et Ève, j'en parlerai plus tard, on a quand même un grand problème en occident avec la représentation du sexe qu'il soit masculin ou féminin et donc de voir à Rome ce  dessin d’homme priapique romain, je trouve ça génial, ça nous fait rire ! Mais pour eux c'était normal (ou satirique), d'augmenter démesurément la taille du sexe. De parler de la vie de manière simple, humble, humoristique et donc souvent, on retrouve ça dans mon travail. Voici l'œuvre qui est présentée ici au musée, et j'ai largement utilisé ce dessin phallique dans mon travail. À New York, j'allais souvent, presque tous les dimanches au Metropolitan Museum et dans une grande salle, il y a les grands totems Asmat de Papouasie présentés comme cela. Malheureusement ils ont changé un peu la salle (ici, ce n'est pas une photo du Met, c'est en Nouvelle Guinée), mais ces totems m'ont beaucoup influencé et m'ont fait réfléchir à une chose : à l'époque je me disais, il y a peut-être cent mille artistes travaillant à New York immigrés comme moi venant d'Allemagne de Corée du Japon ou du Mexique pour faire de l'art et aucun d'entre nous n'est capable de faire une œuvre aussi forte. Les Asmat étaient cannibales, je vais vous parler un peu de ces poles, ils montaient la succession des générations si vous voulez. Donc là, on voit par exemple le grand-père ou la grand-mère, des fois c'est des hommes ou des femmes et après au-dessus on voit le père et la mère et au-dessus encore on voit le sperme qui sort du sexe de l'homme (comme une éjaculation cosmique à la Pollock!) et le bébé est tout au-dessus ! Donc ça décrit tellement bien ce qui se passe dans la vie réelle. Là on n'a pas de code, on a des codes moraux bien sûr,  mais ils parlent de la régénération de l'espèce, au travers de l'esthétique, c'est quand même magnifique ces poles, je connais peu d'œuvres qui ont cette force là. Personnellement, ça m'impressionne beaucoup. Et ici de même, c'est aussi une statue, une tête de mort et ils gardaient ces crânes (empilés en rangée) chez eux pour vivre avec, c'étaient les totems des ancêtres et ils vivaient dans des cases où toute la famille était là ! J'en reparlerai un peu plus loin en parlant des Indiens d'Amérique du Nord. Ce crâne est embellit avec des plumes, c'est l'esprit du mort qui est présent, qui nous habite et qui n'a pas disparu ! Donc j'ai fait aussi ces œuvres à New York en rapport avec cette tête Asmat. J'ai fait une des premières œuvres sur Plexiglas, on voit l'image un peu en surimposition, elle est un peu plus lointaine et il faut passer du temps pour la voir et il y a en superposition des symboles de vulves qui proviennent aussi de sociétés premières. Maintenant, il faut que je vous parle des transes chamaniques, parce qu'à New York, j'ai eu la chance de faire des transes chamaniques sous hypnose et donc dans ces transes, c'est un peu un voyage cosmique, on est présent, mais on n'est pas là, c'est ambiguë et ubiquitaire. C'est à dire qu'on voyage un peu autour du monde et dans le cosmos. On peut se retrouver en Afrique, en Sibérie, dans la mer, c'est ce que racontent tous les chamanes (et se métamorphoser en animaux). Très souvent dans les transes, on meurt, donc forcément quand on meurt, il faut que l'on se réveille et il y a des esprits qui vous reconstruisent le corps. Donc là on voit qu'il y a quatre esprits féminins qui sont venus reconstruire mon corps : une femme jaune, une femme noire, une femme rouge, une femme bleu. Ces transes m'on beaucoup impressionné et marquent mon travail profondément. De même là c'est une autre transe chamanique, où je suis rentré au centre de la Terre et Gérard de Nerval en parle très bien dans Le Voyage en Orient, où le grand architecte Adoniram se brule lors de la construction du Grand Temple d'Israel, il rentre en transe et il rencontre ces ancêtres. C'est un peu ça, quand on fusionne avec le centre de la Terre, on rencontre nos ancêtres. Je pense que nous sommes tous des mémoires vivantes de l'Univers. Donc forcément, on a ces mémoires en nous, et les transes chamaniques permettent d'y accéder. Ça c'est une autre transe également !


- 2/4 : VOYAGES INITIATIQUES & INFLUENCES : AMÉRIQUE CENTRALE, ART INDIEN - Voir la vidéo

- JPS : Là je voulais parler de mes voyages mexicains, j'ai trouvé que c'était sympa cette inscription "Guatemala" sur un cactus ! J'aime bien l'art populaire, l'art de tout le monde. Cette statue est au musée d'histoire naturelle de New York, c'est une terracota qui fait à peu près un mètre vingt, elle représente un prêtre qui a réalisé un sacrifie humain qui a écorché sa victime et qui a revêtu sa peau sur lui. Lors de ce rituel, il gardait la peau sur lui jusqu'à ce qu'elle tombe en lambeaux, des fois un mois ou plus. Bien sûr que nous, nous jugeons ça avec notre morale, avec la façon dont on pense, mais pour avoir beaucoup lu à ce sujet et avoir voyagé souvent au Mexique, je ne défends pas du tout le sacrifice humain, mais je pense que c'est important de garder des rituels parce que c'est ce qui nous permet de garder un rapport avec la terre, avec la vie tout simplement, avec le soleil. Parce qu'ils avaient par exemple le mois du sel il y avait une fête pour honorer le sel ! Le mois de la pluie, la célébration de la pluie, la célébration des arbres, des fleurs…! Et nous, on ne célèbre ni n'honorons plus rien. J'en suis très triste, j'en suis très triste. Ça c'est l'œuvre que j'ai réalisé d'après cette photo ! Et chaque fois que je vais au musée d'histoire naturelle, je vais voir cette statue et je me dis : Whaou, ça dégage une grande énergie ! J'ai eu la chance d'aller avec mon amie Olga, qui est d'origine colombienne et on a beaucoup voyagé au Mexique et au Guatemala ; lors de ces voyages on est allé voir la pyramide d'Uxmal. À cette époque là, on pouvait encore monter sur cette pyramide : maintenant, c'est interdit afin de la protéger ! C'est vrai qu'au-dessus, on a aussi cette espèce de révélation cosmique, en ressentant cet axis mundi, d'être au centre, pas de l'univers, mais d'un monde quelque part qui nous permet de communiquer, comme les anciens disaient : de communiquer avec les Dieux ! Cette pyramide est fabuleuse car elle n'est pas carrée (comme d'autres pyramides), elle est ovale. Et c'est une forme assez particulière, j'aime beaucoup ce site, c'est vraiment fabuleux ! Ça c'est Chichén Itzá, vous connaissez tous cette pyramide, aux équinoxes en voit le dieu serpent à plume Quetzalcoatl descendre  lorsque le soleil descend les escaliers de la pyramide, c'est comme si elle s'animait, aux équinoxes, on voit le serpent descendre et les gens vont là-bas le 21mars et le 21 septembre. C'est aussi une pyramide impressionnante ! À l'intérieur il y a le trône du jaguar de jade, c'est aussi impressionnant que les grottes préhistoriques. C'est un petit jaguar et il a une très grande force. Là, ce sont des crânes mayas ! Ils avaient un rapport à la mort différent. Nous aussi, dans cette salle du Musée on voit un Christ en croix, une descente de croix, c'est pareil ! Chaque civilisation à son iconographie propre en rapport à la mort ! Mais ça c'est plus violent, c'est moins édulcoré que nos peintures. Et on sent l'énergie qui reste, on sent la réminiscence de l'énergie vitale, la transgression vie-mort. Ça c'est une peinture de vase maya ! Je trouve ça vraiment magnifique, les costumes avec du jade, des plumes de l'oiseau quetzal et  des fleurs. Bien sûr c'était des nobles ou d'importants guerriers qui portaient ça, malgré tout c'est impressionnant, les couturiers français peuvent se rhabiller ! Là devant un costume comme ça, c'est vraiment autre chose ! On est dans une autre dimension ! On est vraiment pris dans une dimension cosmico-magique surnaturelle. Ça, c'est une peinture murale dont j'admire les couleurs… Inspiré par toutes ces œuvres mayas, j'ai commencé à New York ma série intitulée Mayan Diary. Ici c'est un prêtre qui incarne le Dieu du maïs Wak-Chan-Ahaw et l'ambiguïté de cette image, c'est qu'on ne sait pas si il est en train d'être habillé ou déshabillé et puis les femmes sont nues ; donc les hommes sont habillés et les femmes sont nues, peut-être que c'est partout pareil dans toutes les civilisations ? Mais j'ai trouvé ça assez marrant, très symbolique et je trouve qu'il y a une belle énergie dans ce rituel ! Ici on voit une proposition d'installation murale, que je n'ai pas réalisée, avec neuf peintures sur Plexiglas (4,20 x 4,20 m). On voit le dieu maya au milieu et on voit aussi des dessins de transes chamaniques. 

- A. T. : Très grand format !

- JPS : Oui très grand format : 4,20 x 4,20 m. Et souvent je prends des photos dans les musées ; ça ça s'appelle des patterns, c'est à dire des motifs répétitifs. C'est important de savoir que beaucoup de motifs que l'on pense décoratifs avaient une signification.

(à lire : Patterns That Connect: Social Symbolism in Ancient & Tribal Art de Carl Schuster). Nous on ne la connait plus, Claude Lévis-Strauss en a beaucoup parlé aussi. Ils savaient et connaissaient très bien ce qu'ils faisaient et je vais vous raconter une anecdote : j'ai lu dans un livre sur l'art maya que la femme journaliste qui a écrit le livre se baladait dans le Yucatan ou le Chiapas. Elle avait vu une femme maya qui brodait des tuniques et elle lui dit : - "mais votre dessin est tellement compliqué, petit et minutieux que personne ne peut comprendre ce que vous faites !" La tisseuse lui répond simplement : "Si dieu peut le voir comprendre !" C'est à dire qu'aujourd'hui, l'art a perdu cette fonction de parler aux dieux comme je l'ai dit précédemment. Hors, dans les sociétés traditionnelles, ce n'est pas de l'art qu'ils faisaient, ce n'est pas du folklore, ils parlaient vraiment à quelque chose qui les mettaient en connexion avec l'univers ! Et c'est une pensée très importante. Voici un grand papier avec ce dessin (pattern), que j'ai retravaillé sur ordinateur.

-3. L'ART AMÉRINDIEN

Je voulais vous parler de l'art amérindien, bien que j'en ai pris peu de photos, mais quand on voit par exemple cette œuvre là, ça vaut toutes les œuvres contemporaines. Ils ont une culture, c'est un peu stupide de dire cela, mais si, une culture un culte inné de la beauté. Les femmes et les hommes peuvent faire des choses magnifiques ; pour nous et pour eux la beauté est une valeur universelle à ce niveau là et les couleurs sont fabuleuses. Donc, j'en viens à parler de Georges Catlin qui est un peintre américain qui a voyagé chez les Indiens des plaines au début des années 1830 (Les Indiens d'Amérique du Nord), il est parti avec son chevalet et son matériel de peinture et il peignait les amérindiens, parce que leurs cultures le fascinaient et qu'ils étaient en train de disparaitre ! Bien sûr on connait Edward Curtis qui a pris beaucoup de photos d'indiens, mais lui, on le connaît assez peu et j'avais vu à New York une rétrospective de ses peintures (George Catlin and His Indian Gallery, National Museum of the American Indian). Ce qui est intéressant dans cette peinture ci, il y décrit comment étaient pratiqués les rites funéraires des Mandan (tribus des Sioux). Premièrement les dépouilles des morts étaient placées sur des espèces de plateformes, qu'on a déjà vues dans les films comme Little Big Man, ou d'autres films ! Et le corps se décomposait ainsi pendant deux ou trois ans. C'est ce qu'on fait encore aujourd'hui au Japon où on enterre les morts et puis  après un certain temps on les déterre pour mettre les cendres dans une urne plus petite. Donc là, une fois que le squelette s'est désintégré, ils mettent les crânes de tous les gens de la tribu en cercle. C'est un concept diffèrent de chez nous, où nous avons souvent des caveaux familiaux, mais ici, il y a le concept de la tribu, de la communauté et c'est un concept plus ouvert ; on est un peu moins seul et réintégré dans l'univers. Je vous conseille donc de lire ce livre de George Catlin parce qu'il y a des illustrations de ces œuvres et il raconte également plein d'anecdotes, ainsi les que les rituels indiens auxquels il a assisté (La dance du Soleil) ; c'est fabuleux, c'est un livre important ! Voici mon atelier à Besançon où j'ai repeint ces crânes mis en ensemble, parce que j'aime beaucoup cette idée du cercle, de la continuité. D'après ça, j'ai réalisé cette œuvre là sur papier.  

- 4. L'ART HINDOU

Voici l'art hindou qui me fascine énormément : on voit une statue indienne, avec cette sensualité, cette lascivité, on n'a pas ça en occident, on ne peut pas opposer les deux choses, mais c'est malgré tout très rare de voir : "Cette sensualité profuse qui s’étale comme un fleuve sans pente." comme le dit Marguerite Yourcenar, que je citerai tout à l'heure. Il n'y a pas d'angoisse dans leur art érotique. Là, on voit le lingam, le phallus représentant le dieu Shiva. Donc en Inde, on peut voir ça avec le yoni qui est le sexe féminin en se promenant dans les rues. Encore une autre statue hindoue : on voit ces seins qui sont comme les seins des actrices porno d'aujourd'hui, c'est incroyable qu'aux douzième ou quinzième siècles, les artistes aient déjà cette vision idéalisée du corps de la femme. Mais c'est une vision généreuse et un peu provocatrice malgré tout et ce corps (d'une déité) a cette flexibilité des gens qui font du yoga et qui pratiquent un éveil spirituel, parce que je ne pense pas qu'il y ait en occident beaucoup de femmes qui aient cette flexibilité et cette sensualité aujourd'hui ! C'est important la façon dont on construit l'image du son corps et dont on l'utilise. Je vais parler d'une gouache érotique du Kamasutra ! Vous vous rendez bien compte qu'en Occident, une œuvre comme celle-là serait très difficile à présenter dans un musée ! Ça pose quand même problème…! Ces gouaches étaient faites pour l'élite Mogol, peut-être qu'ils se passaient ces images sous le coude, comme ça, mais les temples avec leurs myriade de sculptures érotiques, étaient visibles par tout le monde ! Donc il n'y avait sans doute pas de censure vis à vis de l'art érotique en Inde, à cette époque en tout cas. Ici, on voit la déesse Kali se décapitant lors d'un coït pour régénérer le monde et l'univers (Kali de la grande sagesse nourrissant la nouvelle vie de son sang-nectar jaillissant de son cou décapité). Cette image est quelque part ultra violente car on y voit Krishna et Kali faisant l'amour, on voit bien les sexes en action et au-dessus, il y a le corps bleu subtil de Kali qui se décapite, son sang coule et ses servantes récupèrent ce sang dans des bols et le boivent pour régénérer le monde. Tout ça se passe sur une fleur de lotus, symbole de la grande sagesse et de l'éveil spirituel. C'est quand même des images ayant une force évocatrice incroyable, ça décoiffe ! C'est fabuleux ! L'imaginaire de ces artistes hindous est quand même illimité. Même dans nos rêves les plus fous, on ne peut pas rêver de cette scène. (l'imaginaire collectif indien est beaucoup plus fort et riche que celui de l'occident, sauf dans notre période du moyen-âge et chez Jérôme Bosch), bravo à eux ! Ce qui m'intéresse aussi beaucoup dans la culture hindou, ce sont leurs yantras, ce sont des assemblages de figures géométriques, ici des triangles. Ce yantra là représente un peu ce que chez nous on appelle le Big Bang (le Nava-Yoni Chakra flottant dans la soupe originale cosmique). C'est le début du commencement de l'origine du monde, voilà ! Les triangles pointés vers le bas sont féminins et ceux vers le haut sont masculins. C'est une intrication comme des deux principes qui créent la vie et le monde. J'ai fait cette œuvre là sur papier et sur Plexiglas, c'est un grand format : 1,20 x 1,07 m. Ce dessin indien là  représente des graines d'arbres et l'évolution des niveaux de la conscience. C'est à dire que pour les hindous, on n'a pas seulement une conscience, on en a plusieurs, de même que chez les bouddhistes, il n'y a pas qu'un seul vide, il y en a dix-neuf ! Donc ça interpelle, même si on ne peut pas tout comprendre ces différents niveaux de conscience. J'ai  reproduis ce petit dessin dans cette œuvre. Je me nourris vraiment de ces œuvres inspirées de la métaphysique indienne, parce qu'elles représentent quelque chose que je ne connais pas, dont je sens intuitivement proche au très profond de moi, mais qu'il me faut aller chercher quand même. Voici aussi une œuvre représentant un yantra (le point sacré bindu des origines et du retour, avec des cercles concentriques représentant les cycles éternels de l'évolution et l'involution cosmiques) qui représente un niveau de conscience qui se répand dans l'Univers comme quand  on jette une pierre dans l'eau ; et cercle après cercle, notre niveau de conscience s'agrandit. J'aurais dû citer un livre de Jodorowski qui parle de l'éveil de la conscience, mais on ne peut pas parler de tout ! Et j'adore cette petite gouache indienne du dix-huitième siècle, ça m'a toujours bluffé de voir ça, car elle représente "Le vide métacosmique ou la pure conscience" (le titre est tellement beau et évocateur !). On a parlé de conscience et de vide tout à l'heure et sans doute qu'en occident, il faut attendre la moitié du vingtième siècle pour parler enfin du concept du vide avec des artistes comme Yves Klein (Le Saut dans le vide), Barnett Newman (Shining Forth, to George) ou  Morris Louis (Delta-theta), des artistes américains, enfin Yves Klein était français, mais Morris Louis peignait des verticales de couleur et le centre de la peinture restait vide ! Et le vide a autant d'importance que le plein ! Parfois, je récupère cette idée du cadre pour définir le vide. Cette œuvre fait partie de la série sur laquelle je suis en train de travailler qui s'appelle : Shakti-Yoni: Ecstatic Cosmic Dances. Dans cette peinture sur Plexiglas, ce sont des dessins de fleurs de cerisiers japonais (sakura), mises ensemble pour provoquer, comme j'en ai déjà parlé, une modification de l'état de conscience du cerveau. C'est à dire que quand on est devant cette œuvre, on ne voit plus l'œuvre, on sent que ça nous titille un peu les neurones et c'est ça qui est important pour moi, c'est de provoquer une révélation mystique. Je veux créer quelque chose qui vibre et qui soit vivant. 

- 5. LES SHUNGA JAPONAIS & D'AUTRES ŒUVRES ÉROTIQUES

Je voulais évoquer brièvement les shungas japonais, où l'on voit le sexe de la femme très bien représenté (la vulve avec les lèvres petites et grandes, ainsi que le clitoris). Il y a toute une école d'estampes japonaises érotiques surtout au dix-neuvième siècle. Dans l'œuvre suivante également, où on voit même une scène de sodomie, c'est assez rare, c'est en gros plan, le format est étiré en quatre parties, c'est une œuvre de Torii Kiyonaga, Sode no maki, 1785, qui pourrait être et qui est contemporaine dans son esprit. C'est magnifique ! Et le plaisir partagé est très bien montré. Je vais finir avec "L'origine du monde" de Gustave Courbet, parce malheureusement en Occident, on ne possède à peu près que cette toile là ! Quelques artistes contemporains travaillent un peu sur la sexualité, mais il faut bien penser que pendant des siècles, on n'a pas pu monter de sexes ni d'actes sexuels… Au moyen-âge, on pouvait décrire des sexes, mais après c'était bien interdit et les œuvres érotiques se vendaient sous le manteau. Donc je voulais rendre hommage à cette toile et à mon ami Thierry Savatier qui a écrit une gros livre très intéressant sur cette œuvre : L'origine du monde et avec lequel j'ai déjà fait plusieurs entretiens filmés. 

- 6. JOHN CAGE, LE BUDDHISME ET LA NATURE

Je vouais finir cette partie avec John Cage (1912-1992), musicien et plasticien américain, il était très influent dans les années soixante-dix et à cette époque là les artistes américains étaient très influencés par le bouddhisme zen japonais. Ils avaient tous rencontrés ou lus (y compris Kerouac, à lire ses Clochards Célestes) le grand maitre zen japonais D. T. Zuzuki, qui a écrit un très gros pavé intitulé Essais sur le bouddhisme zen  (la bible du bouddhisme), qui fait au moins dix centimètres d'épaisseur, que j'ai lu passionnément et qui est très intéressant ! Et tous ces artistes ont été beaucoup influencés par le vide (grand principe du zen) : qu'est ce que le vide où est la présence, où est l'absence, qui est présent ? Et ici on le voit qui prend son immense pinceau trempé dans l'encre, puis marché sur sa grande feuille de papier… et la vie passe ainsi comme ça et à la fin, il n'y a plus d'encre, il n'y a plus de trace, il n'y a plus de vie, il n'y a plus d'énergie, on s'évapore et se dissout dans l'univers. C'est un artiste que je respecte beaucoup. Il m'arrive souvent de prendre des photos de la nature et ça c'est un nénuphar qui était dans la marre japonaise (un peu zen) chez mon grand-père, c'est pour parler de lui et rendre hommage à la beauté de la nature. J'en suis toujours ébloui et subjugué chaque fois que je vais à sa rencontre… Je pense que c'est une beauté qui me touche et qui m'apaise. Il faut regarder plus en profondeur les choses mais je m'aperçois souvent que quand on est stressé et que notre cerveau n'est pas disponible, on ne peut plus voir cette beauté et je pense que c'est important de faire un gros travail sur soi-même, c'est la  même chose pour les œuvres d'art, c'est la même chose pour l'amour et pour l'amitié. C'est important et essentiel de se vider la tête de toutes les choses qui nous embarrassent et qui nous empêchent d'aimer le monde.  


3/4 : LE DÉVELOPPEMENT DE LA FORME ET DE LA STRUCTURE DE MA PEINTURE - Voir la vidéo

- 7. LES PEINTURES EN FRANCE (1984-1991)

Donc là on part sur autre chose, je voulais vous présenter un peu comment mon travail s'est développé au cours du temps. Je vivais dans une ferme à Charquemont dans le Jura à faire de l'élevage de chevaux américains et j'ai commencé la peinture en faisant de l'abstraction. J'étais alors beaucoup influencé par la peinture américaine de Barnett Newman ou Mark Rothko, parce que ces peintres parlaient de quelque chose que je ne connaissais pas, surtout pour Barnett Newman : la verticalité et pour Rothko : la couleur et les échanges d'énergies. C'est à dire que si vous allez à Beaubourg et que vous voyez la grande toile de Barnett Newman avec les zips noirs, on sent qu'il veut parler de la position verticale de l'homme et de la femme et de Dieu au centre, c'est un peu prétentieux ! Mais j'aime beaucoup cette relation verticale aux choses. Donc j'ai commencé à peindre des verticales comme ça, c'est très influencé par cette peinture américaine et j'ai également commencé à travailler sur le carré et a entourer le carré avec un périmètre comme ça ! Et on verra par la suite que mes peintures sur Plexiglas sont actuellement construites de la même manière ! C'était en 1987 et maintenant je travaille toujours sur cette forme carrée, la dimension a un peu changée, j'étais à 1.30 x 1.30 m et maintenant je suis à 1.40 x 1.40 m, donc ça a vraiment très peu changé. Je travaillais aussi sur les polyptyques, parce que j'aime peu l'idée de l'œuvre unique, on voit donc là trois panneaux côte à côte et ça fait 1.30 de haut par 2.57 m de long. Voici avec un bleu transparent au centre, j'ai aussi fait des colonnes comme ça en cinq parties et j'ai commencé aussi à intégrer des coupures de journaux, avec des chiffres et des symboles. 

- 8. LES PEINTURES À MONTRÉAL (1991-1993)

Là on passe aux œuvres de Montréal, donc j'ai déménagé à Montréal en 1991 et j'ai continué le travail sur les colonnes, mais j'avais rencontré une galerie à Toronto et les colonnes que j'avais faites en France étaient peintes sur Isorel, bien sûr l'Isorel n'est pas un matériau assez stable et ils ne voulaient pas travailler avec moi si je continuais de travailler sur ce support. Ça m'a posé un gros problème, parce que quand on vous demande de changer le support sur lequel vous travaillez depuis des années, ce n'est pas facile ! Donc j'ai réfléchi pendant assez longtemps et je me suis dit pourquoi pas essayer sur le Plexiglas, mais au début je peignais dessus. Après, je me suis mis à peindre à l'arrière pour utiliser son effet de transparence. Donc j'ai continué la série des colonnes en les peignant sur Plexiglas. J'ai aussi travaillé sur du carton, avec des matériaux comme de la cire d'abeille du scotch, en intégrant aussi des coupures de presse. Ce qui est bien quand on vit à Montréal ou à New York, c'est que tous les dimanches vous pouvez acheter le New York Times, alors vous achetez ça, ça fait quatre centimètre d'épaisseur et vous trouvez toujours des images qui vous interpellent ! Ça ce sont des grands formats qui font : 2.79 par 2.24 m, en quatre parties, et j'ai continué à travailler sur cette idée du polyptyque. Toujours avec le centre et les côtés, j'ai ajouté des chiffres car j'ai été influencé par le livre de Jung : L'homme et ses symboles, où il disait que chez les êtres humains, il y avait quatre stades de développement spirituels : le sportif, le poète, l'homme politique et le saint. Je trouvais que c'était important d'être tous ces hommes là  à la fois dans une vie ! Parce qu'on ne peut pas être une seule chose, ce serait triste et pour Jung, l'évolution finale, c'était Gandhi ! Je pense que l'on peut être tout à la fois en même temps mais le développement spirituel est important. Je travaillais également avec les confrontations entre les surfaces lisses et plates sur les panneaux extérieurs et la matière exubérante, débordante sur le panneau central. Çà, c'est vraiment ma dernière toile abstraite : c'est une grande toile en quatre parties qui fait 276 x 2.76 m et je suis resté dans mon atelier à regarder cette toile sans travailler, car j'avais beaucoup travaillé à Montréal et je me suis dit :  bon, je peux faire des variations à l'infini comme beaucoup d'autres peintres abstraits l'ont fait ! Mais il me manquait quelque chose ! Donc j'ai décidé de réintégrer des images dans mon travail. Dans cette peinture on voit les images qui apparaissent dans la matière de la peinture et de manière plus évidente qu'avant ! Là on voit la fabrication d'une autre série de peintures. Je sérigraphiais mes images sur des bandes de cuivre ou de zinc et je collais également des images sérigraphiées sur du papier ou du carton dans les peintures. Donc là, on voit cette peinture avec une bande d'aluminium sertie dans des filets de chantiers en plastique. Je voulais vraiment avoir une matière et une présence très physique de mes peintures à cette époque là ! On verra par la suite la grande dimension de ces toiles ! Et quand on est plus jeune, on veut vraiment habiter la peinture avec son corps, après ça change. Me voici devant une grande peinture carrée de 276 m. À partir de ce moment-là, j'ai aussi commencé à faire des assemblages avec des petites plaques de Plexiglas (35 x 17.5 cm). J'ai pris les photos des oiseaux et des arbres en France durant mes vacances d'été et je suis allé les sérigraphier au Canada. 

- 9. LES PEINTURES À NEW YORK 1993-2003

Je suis arrivé à New York en avril 1993. c'était mon atelier à DUMBO, juste à côté du pont de Manhattan On peut voir tous les pots de peintures etc… sur cette peinture, on retrouve le graffiti obscène qui est exposé ici. J'ai alors commencé à assembler ces formats en carrés qui font 1.05 par 1.05 m et depuis lors c'est le module que j'utilise toujours. Là on voit des images de girafe, de raies manta, de femmes, c'est tout un ensemble de choses. On découvre ici un format plus grand qui fait 2.10 par 2.10 m, on y voit un sacrifice humain mexicain, une peinture de Fra Angelico, ainsi  qu'un rituel de fertilité "primitif" avec des femmes portant un gros phallus comme ça ! J'aime bien utiliser les images de rituels, parce qu'elles montrent une communauté humaine qui se rassemble pour partager quelque chose (le rituel crée le lien). Voici assemblés trois carrés de dimension totale 2.10 par 6.30 m dans une exposition de groupe que j'avais organisée en 1995 avec d'autres amis artistes de Brooklyn. Ça commence à faire des œuvres de grande dimension : cette installation ci fait : 3.50 par 3.50 m, réalisée spécialement pour une autre exposition dans une galerie de SoHo. Ça c'est un peu plus érotique, c'est une œuvre qui fait 1.40 par 2.80 m et qui me fait marrer, parce qu'à un moment donné j'ai commencé à travailler avec une galerie de SoHo et le galeriste Eric Allouche est venu dans mon atelier pour choisir des œuvres et il a éclaté de rire en voyant celle-ci : "Ah, tu me fais bien rire Jean-Pierre, je pense que si Matisse était encore vivant, il ferait un travail comme ça !". Je lui ai dit merci ! "Mais on ne peut pas montrer ça dans notre galerie !" (rapport à la double pénétration). On a toujours le même problème avec les œuvres traitant de la sexualité : c'est  l'endroit où on peut le présenter ! C'est une très belle pièce ! Là on retrouve l'axis mundi, qui est maya celui-ci, avec le centre du monde et les quatre directions et ça s'appelle : Le rêve de l’homme emprisonné, avec l'axis mundi et la vulve provenant d'un dessin de shunga japonais. Celle-ci est de la même série, avec un texte du Marquis de Sade (Les 120 journées de Sodome). J'ai en effet commencé à partir de ce moment, à intégrer dans mon travail des images avec des textes très érotiques, provocateurs, voire même obscènes ! J'ai été pris en photo devant cette grande installation murale (Mayan Diary, 2.80 x 4.20 m, 2002, photo Charles Esheleman) que j'avais faite au Taller Bouricua, qui est un Centre Culturel Portoricain situé à East Harem. J'étais ami avec les directeurs du Centre et l'architecte Miguel Baltierra qui travaillait là-bas. J'ai donc eu la chance de présenter ce beau travail là à New York ! 

- 10. LES INSTALLATIONS MURALES EN FRANCE DEPUIS 2004

Ici, on me voit installer mes peintures sur plexiglas pour le décor de l'Opéra la Traviata à l'Opéra Théâtre de Besançon en 2007 (photos par Yves Petit). Les techniciens de l'Opéra ont construit un grand panneau qui faisait six mètre trente par trois mètres quinze, en contre-plaqué renforcé par des structures d'aluminium au dos et sur lequel j'ai accroché mes peintures au sol. Puis après, ils ont soulevé toute la structure monumentale et l'ont suspendu au dessus de la scène ! C'était vraiment une expérience un peu mystique, élévatrice, magnifique ! Ici je pose devant le panneau. C'était vraiment une superbe réalisation et les chanteurs étaient contents d'avoir chanté devant cette fresque colorée et j'ai également été très heureux de les avoir accompagnés dans ce délire érotico-mystique ! Ça c'était aux Musée des Beaux-Arts de Mulhouse (Mayan Diary 20), ce mur faisait dix mètres cinquante de long, par deux mètres dix de haut et les techniciens ont construit un mur spécialement pour supporter les peintures. Cette peinture ci s'appelle : Indian Names, je l'avais réalisée pour une exposition à New York en 1999 et j'aime tellement les cultures amérindiennes que j'y ai intégré toute une liste de noms de chefs indiens et medicin men  emblématiques et célèbres tel que : Geronimo, Sitting Bull, Cuathemos, Black Elk, Chief Joseph etc… J'avais choisi tous ces noms d'indiens célèbres qui résonnaient dans ma mémoire et auxquels je voulais rendre hommage avec cette peinture. Me voici devant cette grande installation murale. Ici on est à la Ferme de Flagey (qui dépend du Musée Courbet d'Ornans), C'est la maison où est né Gustave Courbet et j'ai eu la chance d'y présenter une grande installation murale : Nature, Cultures, L’Origine Des Mondes, 18 peintures, 3,15 x 6,30 m en 2012. On me voit fixer les peintures sur le mur avec des bandes Velcro. J'y ai donné deux conférences filmées avec mes amis Thierry Savatier et Laurent Devèze, (Directeur de l'École des Beaux-Arts de Besançon). Ça c'est à Narbonne j'y ai exposé en 2016. C'est l'École des Beaux-Arts de Besançon qui a y présenté et organisé cette exposition, c'est une exposition collective s'intitulant : L'artiste est-il un chamane ? On voit les techniciens de l'École installer les panneaux de bois mélaminé sur le mur. Cette installation : Shamanic Ecstasies And Flowers fait 3.15 par 6.30 m. On installe ici le dernier panneau ! Exposition sur le thème du chamanisme. Vous vous rendez compte de l'échelle sur cette photo avec mon ami Laurent Devèze.

- 11. LA TECHNIQUE SÉRIGAPHIQUE

Je voulais vous évoquer brièvement de la technique sérigraphique (que j'utilise quotidiennement pour réaliser mon travail). C'est une technique qui me satisfait, parce que c'est une technique assez sensuelle et qui demande beaucoup d'étapes différentes. Par exemple on voit ici un film positif. Je travaille déjà l'image sur l'ordinateur puis j'imprime l'image avec mon imprimante sur un film transparent. On voit donc quelques films positifs, on retrouve les patterns. Ici on voit les films que je suis en train d'assembler sur la table de l'atelier. C'est mon assistante Christine Chatelet qui a pris ces photos ; ici je suis en train de scotcher deux films ensemble pour les rendre plus opaques et qu'ils  bloquent bien la lumière lors de l'exposition dans la table lumineuse. Voyez, c'est un travail très sensuel, la sérigraphie… Le nom sérigraphie vient de la soie, c'est du nylon maintenant, ce n'est plus de la soie, mais toucher ces écrans est vraiment très sensuel ! En plus de ça les images sont très érotiques…! Là je vérifie si les écrans sont bien nettoyés car une fois que l'image a été exposée (la colle ayant durcit à la lumière) on nettoie à l'eau tout ce qui a été protégé par l'opacité du film, pour révéler l'image ! Je regarde donc si l'image est bien nettoyée. C'est un travail un peu fastidieux, mais ç'est intéressant ! Ici je colle les films sur les écrans avant de les exposer. Voici les écrans que je place après dans la table lumineuse où je les expose à la lumière forte pendant trois minutes. Des fois, je prend des photos parce que c'est un peu comme des images d'extase ! Voici une photo prise par une autre amie Sonia Oysel, qui est venue prendre des photos en 2018. Voici une vue d'atelier quand j'imprime mes sérigraphies, je travaille systématiquement sur un petit format : 25,5 x 25,5 cm. Je travaille également de manière sérielle, avec une répétition d'images. J'imprime douze sérigraphies sur papier blanc BFK et sur papier jaune Wang en faisant des éditions de cinq ou des tirages uniques. Ici on me voit passer l'encre avec la raclette. J'utilise de la peinture acrylique pour artiste. Non ce n'est pas de l'encre, c'est de la peinture de marque Golden ou Lascaux et c'est ce qui donne une grande densité à mes œuvres ! On voit bien ici comment la peinture passe au travers de la soie, en général, je mets deux à trois couches suivant la densité de couleur dont j'ai besoin ! 

- 12. LA SÉRIE DES SHAKTI-YONI : 2016 - PRÉSENT

Voici maintenant la série sur laquelle je travaille actuellement, je vais vous lire cette phrase mise en exergue du texte que j'ai écrit à son sujet : 

"C’est la jouissance qui est la substance du monde. C’est elle qui nous rapproche de l’état divin."

C'est tiré du livre : Shiva et Dionysos d'Alain Daniélou. Comme je l'ai dit précédemment, c'est intéressant de parler de la jouissance, quelque part pour dire que c'est nécessaire, indispensable et consubstantiel à la vie ! Point barre ! J'ai imprimé presque neuf cents tirages  différents de cette série en été 2018! C'est d'un contenu très érotique, et le problème, c'est que c'est difficile à montrer. Ma galeriste zurichoise Heidi s'arrache les chevaux parce quelle ne peut pas les vendre ! Déjà être artiste c'est un peu difficile ! Mais alors avec un travail érotique comme  celui-ci, c'est encore plus difficile ! Voire Mission Impossible ! Mais c'est ce que j'aime faire et je pense que mon travail est important ! J'utilise aussi des textes érotiques récupérés parmi des images de manga japonais ! Et cet été, j'ai une amie Rose, qui est venue me rendre visite à l'atelier d'Australie et les textes l'on fait marrer ! Car c'est très rare que les français rigolent devant une œuvre d'art ! Ça fait marrer car c'est un truc hyper trash quoi, drôle ! Elle m'a dit : "Ah Jean-Pierre, you know women so well!" (elle a emmené des sérigraphies avec elle pour être mon agent en Australie et en Asie !) C'était vraiment sympa (comme à New York !), je pense qu'en France (pays essentiellement sérieux et uniquement intellectuel) on est vraiment très, très coincés avec ces histoires d'art et de sexe ! Tout est tellement pris au sérieux ! Mais on verra ! On fera peut-être bientôt une exposition au Musée Charles de Bruyères sur le thème de l'érotisme ?


4/4 : "ÈVE, ADAM & LES GRAFFITTIS" & QUESTIONS RÉPONSES - Voir la vidéo


- 13. "ÈVE, ADAM & LES GRAFFITTIS"

On va maintenant parler de l'œuvre qui est là, donc le peintre s'était inspiré, c'est ce que tu m'as dit Aurélien, de cette gravure de Dürer de 1504.

- Aurélien Vacheret : Oui, oui et ce qui est amusant c'est qu'en fait en voyant le tableau, cela faisait un moment que je ne l'avais pas vu de très très près, mais quand je l'ai inventorié il y a quelques années, j'ai noté quels étaient les animaux que l'on voyait dessus. Donc il y a : un rat, un chat, un lièvre, un bœuf et je me dis ça c'est bizarre, ils n'y sont pas tous ! Il y a une petite chèvre qui est tout là haut perchée sur un rocher et en fait quand je l'ai regardé de très très près pour essayer de comprendre, et bien ils étaient quasiment tous là, sauf que le vernis, la peinture s'opacifie avec le temps et du coup, ça la rend moins visible. Donc parfois avec une gravure, cela permet de mieux regarder une œuvre que l'on a sous les yeux mais qu'on ne voit pas nécessairement. 

- JPS : Oui, donc là, je voulais évoquer quand même en occident ce problème que l'on a avec la représentation du sexe, non seulement dans …parce que mon ami Thierry Savatier c'est aperçu que depuis la Grèce antique il y a très peu de représentations du sexe féminin et masculin. Ou si le sexe féminin était représenté, il l'était sans la fente ni les poils. Donc on vit…, notre inconscient collectif est construit de manière schizophrénique, parce que personne n'a une feuille de vigne sur le sexe ! Ça pose quand même problème à la façon dont nous sommes entiers (complets) et dont nous vivons notre présence au corps.

"Écoute-moi cher Sadhu ! Du sommet de la tête à la plante des pieds, l’homme est empoisonné par l’intelligence. [...] Sur cet arbre est un oiseau, il danse dans la joie de la vie." La flûte de l’Infini, Kabîr, traduit par André Gide

Voici donc mon œuvre exposée : Ève, Adan et les graffitis, en fait c'est une œuvre que j'avais faite il y a longtemps. Annie m'a envoyé la photo de l'Adam et Ève, j'ai dit tient, ça a fait click dans ma tête, je l'avais faite à New york en 1995. J'avais pris la photo d'Adam et Ève sans doute sur le parvis de Notre-Dame de Paris ou d'une autre cathédrale, toujours sur le thème de la feuille et d'Adam et Ève, sur la représentation du désir. Et puis à New York, j'avais imprimé dessus un graffitis érotique japonais et moi-même, j'ai dessiné comme ça un graffitis, un gros sexe bleu comme ça ! Pour m'amuser quoi ! Il faut être un peu subversif, provocateur ! Désolé ! 

14. QUELQUES CITATIONS DE TEXTES D’ARTISTES

Voici quelques citations d'artistes. Je suis en train de lire un livre de Marguerite Yourcenar ou elle parle de la Gîta-Govinda, j'ai déjà lu le livre de Yourcenar et j'ai lu ensuite cette Gîta-Govinda traduite par Jean Varenne, c'est un livre hindou du douzième siècle dont voici le passage : 

"Ses cheveux se hérissent et son corps tremble tout entier quand elle atteint le paroxysme, et le dieu de l’Amour se manifeste dans ses cris, cette fille inconnue, sensuelle et jolie, qui s’amuse avec Murâri ! […] Elle recèle entre ses hanches un sanctuaire où est placé le trône de l’Amour ; Il y dépose une guirlande de pierreries pour en marquer la Porte Triomphale !"

Donc on est toujours dans cette espèce d'érotisme joyeux et dans son livre, Marguerite Yourcenar dit :  

"Par moments, il semble bien que l’humour se glisse dans ces scènes sacrées de la statuaire hindoue comme dans l’œuvre de nos imagiers du Moyen Age, y mette l’équivalent de ce petit rire étouffé, qui est non moins que le soupir, un des bruits de l’amour. Mais nulle part la crispation nerveuse quasi insoutenable de certains dessins licencieux japonais, ou l’énoncé intelligent, presque sec, de tel vase grec à sujet obscène. Cette sensualité profuse s’étale comme un fleuve sans pente."

Je trouve que c'est très bien de dire ça, parce que souvent dans les représentations érotiques, il y a toujours cette angoisse, qui est très présente envers la procréation et là on sent en Inde que la procréation est joyeuse. Il y a aussi une civilisation pré-inca qui s'appelle Moche, au Pérou et qui a créé de multiple séries de poteries érotiques ! Elles sont fabuleuses également. Je continue avec Marguerite Yourcenar :

"Ce que l’Inde ajoute à cette immense pastorale cosmique, c’est le sens profond de l’un dans le multiple, la pulsation d’une joie qui traverse la plante, la bête, la déité, l’homme. Le sang et les sèves obéissent aux sons du flûtiste sacré ; les poses de l’amour sont pour lui des figures de danse." Sur quelques thèmes érotiques et mystiques de la Gîta-Govinda.

Donc il ya cette danse, cette joie, ce plaisir… C'est un peu comme Dionysos chez nous en Grèce. Je vais citer Andreï Tarkovski, parce que je suis sur Twitter et souvent ils passent des interviews d'artistes et j'ai trouvé que ce qu'il disait était très important à propos de l'art : 

"Aussi longtemps que l’homme se sentira homme, il essayera de créer quelque chose. La création qu’est-ce que ça veut dire en fait la création? À quoi sert l’art ? Pourquoi ? Est-ce bien, est-ce mal ? Est-ce constructif ou est-ce simplement de l’art ? Mais il est clair que l’art, c’est une prière, et cela veut tout dire ! À travers l’art l’homme exprime son espoir et le reste n’a aucune importance. Et tout ce qui n’exprime pas l’espoir, ce qui n’a pas de fondement spirituel, n’a aucun rapport à l’art !" Interview sur l’art

On peut réfléchir un peu là-dessus ! J'ai vu également une belle interview de Joseph Beuys, qui est un artiste allemand que beaucoup d'entre-nous connaissent, dans ce film, il semblait en peu bourré et il parlait de l'art avec véhémence :

"L’art remonte donc au processus (créateur) lui-même. Au fond de soi, chacun sait que l’homme ne peut vivre sans art. Sans éducation artistique l’homme dépérirait probablement et après 2000 ans sans art, il perdrait probablement son cerveau !" L’art est une nourriture pour l'homme.

Et c'est une réalité, on n'a plus conscience de ce que nous ont apporté les artistes au travers de l'histoire. Parce que cela fait des millénaires que nous sommes là (nous autres artistes) et qu'on pense que c'est un bien acquis, mais si l'art disparaissait, l'être humain disparaitrait aussi ! C'est important d'en prendre conscience ! 

J'aime bien cette phrase d'Anaïs Nin :

"La grande beauté de ma vie, c'est que je vis ce que les autres ne font que rêver, discuter, analyser. Je veux continuer à vivre le rêve non censuré, l'inconscient libre."

Et c'est vrai que beaucoup de gens que je rencontre autour de moi, j'arrive à un âge où les gens font un peu le bilan, beaucoup de gens ont du mal avec leur vie, ils se sentent un peu frustrés et je crois qu'il nous faudrait allez au fond des choses et au fond de soi et pouvoir vivre ses rêves comme disait Brel ! Et Anaïs Nin l'a fait et Henry Miller aussi ! Je vais citer Barnett Newman :

"Repartir à lʼorigine de lʼart comme si la peinture nʼavait jamais existé."

Je pense que pour nous artistes, c'est très important, parce que la culture, c'est comme une espèce de building, mais c'est un building qui n'a pas deux mille ans, mais cent mille ans, deux cents ou un million d'années. Bien sûr, nous sommes au dessus du building, au top, puisque nous sommes en vie ! Tous les gens qui ont disparus avant nous, ils ont tous participé à construire cet édifice. Et pour ma part, j'essaye toujours de revenir dans mon travail à ce qu'est l'énergie primaire (les fondations du building), ainsi qu'à notre réalité présente : le corps. Et donc ce que dit Barnett Newman est très intéressant ! : Repartir à lʼorigine de lʼart comme si la peinture nʼavait jamais existé.

Et Pier Paolo Pasolini, qui est un grand penseur dont les films sont magnifiques dit :

"La culture est une résistance à la distraction."

Or, on voit bien aujourd'hui que la distraction est la culture. Et ça pose problème pour les artistes dont le travail à un contenu, c'est que l'on n'est plus du tout entendu. Ça pose vraiment un grand problème ! Puisque l'art devient uniquement cette distraction. Je finis par cette phrase de Charles Bukowski que j'ai trouvé l'autre jour sur Twitter :

"There is only one lesson life is trying to teach us: shut the fuck up and enjoy the view!"

En clair : Wake up and smell the coffee! Comme on le dit si bien à New York ! C'est à dire qu'il ne faut pas se poser trop de questions et puis apprécier la vie comme elle est, voilà ! 

15. QUESTIONS & RÉPONSES

- JPS : Donc on va passer maintenant aux questions-réponse, si jamais vous avez des questions à poser, je serai ravi d'y répondre, si tant est que je puisse le faire. Donc avez-vous  quelques questions ? Oui ? 

- Le public : Je ne sais pas si c'est une question vraiment, mais ça m'interpellait quand au début de votre conférence vous parlez à la fois des expériences physiques et spirituelles, c'est comme si… je ne sais pas, moi dans ma culture on oppose assez le physique et le spirituel et chez vous c'est en même temps ?

- JPS : Oui tout à fait oui, on ne peut pas avoir d'expérience en dehors du corps ! Il ne faut pas oublier ça ! Je pense que c'est une grave erreur métaphysique, c'est une erreur complète. Pour moi, parce que sans corps, il n'y a pas de véhicule. Je réfléchis souvent à ça et je sais par expérience que les êtres humains sont connectés entre eux. Je ne sais pas si vous avez vu ce film : Avatar (2009) de James Cameron, où les gens sont reliés plus ou moins par des espèces de fibres-systèmes d'énergies et je sais donc pour l'avoir vécu, que nous sommes reliés comme cela. Après au-delà de la mort, ça je n'en sais rien ! Je sais qu'il y a l'inconscient collectif qui survit, mais quand il n'y aura plus d'hommes, il n'y aura sans doute plus d'inconscient collectif ! Il faut quand même q'il y ait de la vie, donc la vie, c'est le corps ! Je ne pense pas que l'on puisse penser la spiritualité en dehors du corps ! Je pense que beaucoup de cultures et de religions ont fait cette erreur, mais je ne suis pas là pour juger. 

- Le public : Ma question est toute simple : Pourquoi vous êtes revenu en France et est-ce que vous y êtes épanoui (j'ai vécu la même chose) ? 

- JPS : AH, ah ! Être pleinement épanoui en France, c'est beaucoup plus difficile qu'à New York, bien sûr ! Mais on ne peut pas tout avoir dans la vie, c'est ça, il y a des choix à faire ! J'étais content de faire ce choix de vivre à New York où je suis resté dix ans, mais c'est vrai qu'étant artiste, c'est beaucoup plus dur en France qu'à New York, parce que les artistes sont considérés de manière différente. Comme par exemple, à New York, j'ai pu rencontrer le plus grand galeristes au monde de l'époque (M. Leo Castelli), je l'ai appelé et il m'a reçu. Et en France, la situation est totalement inversée, ce ne sont pas les artistes qui sont importants, c'est les galeriste, c'est les directeurs de musée. Enfin on a ici avec nous une exception comme Aurélien Vacheret, mais j'ai déjà eu deux expositions qui ont été annulées en France parce que mon travail était trop érotique par exemple. Je ne pense pas que si quelqu'un s'était engagé à New york, ça aurait été annulé pour ces raisons là ! Mais il y a beaucoup d'autres choses en France qui me conviennent : il y a la beauté de la nature dont j'ai déjà parlé, bien évidement. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de nature à New York. Mais ce qu'il me manque bien sûr, c'est le contact avec d'autres cultures, d'autres civilisations. Mais j'ai fait le plein de ces énergies là, donc je n'ai pas à me plaindre, dix ans, c'est long… Il y a beaucoup d'artistes qui vont à New York pour six mois et qui repartent, parce que ce n'est pas une ville facile à vivre non plus ! Mais j'y ai appris beaucoup de choses, c'est vrai que je suis moins épanoui en France, mais tant que je peux y travailler, c'est bien !

- Aurélien Vacheret : Une petite précision sur le tableau d'Adam et Ève du musée ou de la gravure, il y a un chat et une souris, il y a beaucoup de symboliques, Dürer a mis beaucoup de choses dans ses gravures, c'est des images qui sont très, très riches. Oui, il y a le chat et la souris, donc avec Adam et Ève ça peut être assez explicite et puis le perroquet est symboliquement relié avec la luxure, enfin c'est un symbole ambivalent. Donc même dans cette œuvre là, l'érotisme est là malgré les feuilles de vigne. Et puis aussi, quelqu'un qui a représenté les corps avec le sexe masculin, c'est Michel-Ange. Après le Vatican était bien embêté donc il les ont fait repeindre par un artiste quelque temps après et on lui a donné le surnom de Braghettone, c'est le surnom qu'il a acquis comme ça !

- Le public : Je pensais aussi à un autre peintre : Egon Schiele, qui a aussi peint beaucoup d'œuvres érotiques et qui a bousculé aussi beaucoup les choses et Picasso aussi !

- Le public : J'ai une question : Dans votre œuvre, vous parlez beaucoup de la spiritualité, mais vous vous arrêtez sur un format ? Vous avez l'air d'être très ancré sur ce format là, quel est le lien, je n'arrive pas à comprendre ?

- JPS : Je travaille sur ce format carré pour des raisons pratiques ! Et bien oui, chacun a le droit de faire ce qu'il veut (surtout les artistes) et pour moi c'est pratique parce que je peux assembler des œuvres et construire de grandes installations murales. C'est une décision formelle que j'ai prise, c'est un parti pris, c'est un choix de travail ! Parce que je veux que l'Unité s'imbrique dans le Tout dans la globalité, je veux construire un ensemble cohérent.

- A. V. : Ça fonctionne comme un module !

- JPS : Un module, oui, tout à fait !  Et donc je vous invite à aller sur mon site internet : j-psergent.com, où il y a des vidéos, j'ai fait énormément d'entretiens vidéos avec mon amie Marie-Madeleine Varet, qui est philosophe et chercheuse au C.N.R.S., et on s'entend vraiment très bien. Vous pouvez aller sur mon site internet dont voici la page d'accueil. Il y a beaucoup de textes, les textes sont importants ! Et justement dans le texte De la beauté etc, je parle de la beauté, du rapport au corps et des rapports que j'entretiens avec d'autres civilisations, d'autres cultures. Ici, vous avez toutes les informations pour me contacter, je suis sur les réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Instagram, YouTube.

16. REMERCIEMENTS

- JPS : Écoutez, je vous remercie vraiment beaucoup d'être venus si nombreux ce soir. Je voulais remercier : Annie Tremsal la commissaire d'exposition bien sûr, qui a monté cette exposition de main de maître et qui a fait un travail vraiment fantastique avec les quinze artistes présents dans cette exposition, Aurélien Vacheret qui est là, merci beaucoup à toute l’équipe du musée, à Géraldine Couget, qui s'est occupée de la communication et l’équipe de tournage (Michel Renard) ainsi que la Ville de Remiremont. Merci beaucoup à tous, bonne soirée et rentrez bien chez vous !

- Le public : Merci à vous !