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Jean-Pierre Sergent

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À propos II - Par Gilbert Estève

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ECRITS DE GILBERT ESTEVE À PROPOS DU TRAVAIL DE JEAN-PIERRE SERGENT

2013-2014                                                                                              Télécharger l'intégralité du texte


Correspondances par émail avec M. Gilbert Estève de Nîmes, qui, bien qu’étranger au domaine de l’Art, navigue sur le site en tentant de capter l’émotion induite par la découverte des œuvres de Jean-Pierre Sergent. M. Estève était instituteur, aujourd’hui retraité. Il n’a aucune formation littéraire, philosophique ou artistique particulière, mais comme la plupart des gens, il est porté par la curiosité, par le mystère de la rencontre, il est également fasciné par la présence indomptable du désir que dégagent et provoquent les œuvres de l'artiste. Pour lui, l'Art est presque toujours une rencontre bouleversante :

- "J’avance l’hypothèse selon laquelle le regard que nous portons sur chacune de vos œuvres nous amène immanquablement à se dévoiler à soi-même. D’où, peut-être, certaines réactions de personnes bousculées dans leurs certitudes. Pour ma part j’éprouve spontanément un sentiment de gratitude pour votre œuvre, de voir des pans obscurs de ma propre humanité émerger à la conscience grâce à votre art. À la fois dans l’émotion conflictuelle du plaisir et du trouble à contempler l’abîme de nos failles intimes."

Gilbert Estève, Nîmes le 2 novembre 2013

 

> Date: 27 mars 2013 11:43:28 HNEC


J’ai découvert votre art grâce à votre site. Je suis toujours sous le choc de mon premier regard sur vos créations. J’en suis frappé de mutisme ; ainsi, dans un tel cas, l’intelligence est comme tenue en échec par l’émotion, son trouble. Je vous cite : « Toute création implique surabondance de réalité, autrement dit, irruption du sacré dans le monde ».  (Mircea Eliade)

J’ai parcouru les liens que vous m’avez si opportunément transmis et commencé à m’immerger dans cette approche différée. J’adore Sex & Rituals / Bondage & freedom  pour la vérité éclatante du désir et la jubilation libératoire qui nous frappe directement. Vos plexis sont d’une beauté sidérante, et j’imagine le choc qu’ils provoquent de visu. Qu’attendre du plasticien, de l’artiste, sinon donner (sa) forme à la beauté ? Votre mural pour la Traviata m’a renversé comme axe de la mise en scène.

J’arrête là ce genre de discours dont on vous sature. Vos textes sont d’une importance capitale pour le non-spécialiste que je suis : « (L’artiste) s’il trouve autrui, ce ne sera que comme son être vu ». (Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible). Il se pourrait bien que vous réussissiez à vous projeter au-delà.

Dans mon regard, il y a la reconnaissance de votre travail et l’admiration émerveillée pour votre art entremetteur de la vie, du monde et de l’origine : « Il arrive que je fixe mon rêve, je le transpose sur une toile, dans un écrit. Ainsi je m’entremets entre la finalité sans fin qui me paraît dans les spectacles naturels et le regard des autres hommes » (Sartre, L’imaginaire).

Gilbert Estève

 

> Date :1 mai 2013 23:23:42 HAECÀ PROPOS DES PREMIERES ŒUVRES NEW YORKAISES

Les œuvres plus anciennes de Jean-Pierre Sergent sont, pour la plupart (pour moi), très puissantes et esthétiquement magnifiquement réussies. C’est génial. On peut bien sûr y voir bien des thèmes ou influences qu’il développera par la suite avec plus de subtilité et sous des formes plus élaborées. Mais j’adore ces œuvres – peut-être moins raffinées – qui expriment la spontanéité d’une recherche à jet continu.
Merci de me les faire partager.

Gilbert Estève

Jean-Pierre Sergent, Hommage à Matisse, New York, 1996

 

Pienture sur Pleciglas, New York, 1993

 

> Date : 22 août 2013 15:28:55 HAEC À PROPOS DES ENTRETIENS AVEC MARIE-MADELEINE VARET

Entretien qui synthétise admirablement les divers textes précédents de J-P. S. tout en approfondissant sa démarche.

« Moi, j'aime les paradis terrestres simples et joyeux. »

« Définir le sacré n'est donc pas chose facile, cependant pour moi, j'ai l'impression que c'est un être, un lieu ou un objet, dont émane non pas du Divin, mais de la Présence. Mais quelle est la nature de cette présence, je n'en sais trop rien ? C'est peut-être un Espace-Lieu, ou un Lieu-Espace intemporel, qui serait comme le mélange subtile des bruits de fond de l'Univers, avec le bruit de fond de notre propre corps, les vibrations du corps social et celui de notre Terre, un lieu donc d'Harmonie Céleste, Cosmique – un Axis-Mundi trans-temporel et trans-spatial ! »
--> "La Présence" mot-clé de son œuvre. Les diverses déclinaisons qu'il nous en proposent sont apparentes dans son art.

« Le geste zen ou les graffiti obscènes m'intéressent en ce sens qu'ils n'obéissent à aucun code esthétique, à aucune règle, et qu'ils montrent simplement, dans un état d'urgence, de pureté et de grâce – le désir, la colère, la violence, la jouissance, l'énergie : "ceci est une femme avec deux seins, une bouche, une grosse chatte juteuse et un trou du cul que j'ai envie de pénétrer avec cette grosse bite surdimensionnée"... »
--> J-P S. offre cette singularité de mettre en évidence le désir dans sa forme la plus spontanément inscrite chez le mâle, (auto)prédatrice d’une immense tendresse à l’égard des femmes, qui nous renvoie à notre destination de nous abandonner à la loi animale de l’espèce. Seul(e)s les bigot(e)s du puritanisme contemporain – qui foisonne dans tous les prêts-à-penser idéologiques  – n’y voient que le reflet cinglant de leurs propres censures.

« Travailler sur le matériau du Plexiglas, qui est un matériau froid, réfléchissant, industriel, pour y peindre des scènes révélant du domaine de l'intime comme l'extase sexuelle ou les rituels sacrés, c'est déjà créer un message paradoxal, une distanciation, une interrogation. Le message est donc dual et pas forcement évident à déchiffrer. » (…) « Je travaille aussi également avec une volonté d'abolir la dualité pour entrer dans une représentation de l'Unité, qui ne peut être représentée, ni par la figuration, ni par l'abstraction, mais par une autre réalité ultime, indéfinissable mais immanente ». (…) « Je travaille de manière spontanée dans un flux jubilatoire. »
--> La superposition par couches sérigraphiques d’univers formels emplis de paroles fracassantes s’entremêlant aux rites sacrés, crée un effet d’écho visuel qui porte autant de vibrations saturant nos sens. Cette œuvre jubilatoire, éjaculatoire trouve son esthétique dans la juxtaposition et l’opposition obligeant le public à s’abstraire des catégories prédéfinies pour prendre de plein fouet les images d’un imaginaire unifiant. C’est par cet effet de distanciation que le sens peut s’approcher.

« Mon art est un peu un art magique, intercesseur, incantatoire et transubstantiateur, comme peut l'être l'art des artistes de l'Art brut ou des obsédés sexuels, chez qui il a vocation d'échappatoire devant une réalité blessante, une souffrance, une solitude ou une humiliation. »
--> Nous sommes au cœur du mystère. « Échappatoire » certes, mais rédemptrice assurément – cette œuvre nous « sauve »…

« Malheureusement, l'art occidental souffre aujourd'hui d'une trop grande dépendance à son marché et il pâtit donc d'un manque de souffle, de liberté créatrice, de diversité, ceci étant imposé de facto et de manière intrinsèque par toute loi commerciale qui se respecte. »
--> Dans l’œuvre de S-P S. j’y vois une proximité avec les formes les plus artistiquement avancées de la publicité. D’où son effet subversif, car cette œuvre est irréductible à l’univers marchand qui sature les représentations sociales contemporaines. Le marché de l’Art ne fabrique pas de l’Art ; il ne peut fabriquer que de l’argent. Il revient donc aux artistes de témoigner de leur misère.
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ELLE : « Les fils de ma mère se sont enflammés contre moi, ils m’ont mise à garder les vignes. Ma vigne à moi, je ne l’ai pas gardée ! ». Cantique des cantiques

 

Marc Chagall, Cantique des Cantiques

 

> Date : 3 octobre 2013 20:35:47 HAEC : À PROPOS DE LA BIENNALE DE BESANÇON 2013

Cher Jean-Pierre Sergent,

Merci. Je vais bien et j’espère que pour vous il en va de même.
Je vous autorise à ajouter ce qui dans nos échanges vous paraîtra utile à alimenter votre page de commentaires – fort bien faite au demeurant, sachant qu’il s’agit de l’expression d’un visiteur ignorant de l’art attiré par son éclatant mystère.
A ce propos, les entretiens et la vidéo avec Marie-Madeleine Varet sont fort intéressants pour un public dans mon genre, car y aiguisant notre regard au-delà de notre naïveté première afin de déceler les axes et points cardinaux qui sous-tendent toute navigation dans votre Œuvre-Monde.

J’ai parcouru votre sélection pour la biennale. C’est de toute beauté ; subjectivement j’ai retenu :

- Exemple 1 : Ces oiseaux comme éclatement du cadre… ou nos pensées s'évadant de nos propres limites.

J-P Sergent, Mangas, Yantras Y Otras Cosas, 2011


- Exemple 2 : Eros / Thanatos : splendide.



J-P Sergent, Bondage & Freedom, NY, 1993


- Exemple 3 : Notre vérité [ou Ta vérité] mise à nue.

J-P Sergent, Mangas, Yantras Y Otras Cosas, 2011


- Exemple 4 : « Ce n'est pas Jésus Christ que je suis allé chercher chez les Taharumaras mais moi-même hors d'un utérus que je n'avais que faire » (...) « je suis venu au Mexique prendre contact avec les terres rouges » (...)  « détacher la dernière petite fibre rouge de la chair » (...) « je ferai du con sans la mère une âme obscure, totale, obtuse, absolue » . Antonin Artaud, Les Tarahumaras (Folio)

Jean-Pierre Sergent, Suite Entropique, 2011


- Exemple 5 : Enchaîné l’animal, encagé notre sauvage ancêtre. L’Arctique s’échappe aux 4 coins du calcul glacé.

Jean-Pierre Sergent, Painting-Sculture, New York, 1993



Lors de cette biennale je vous souhaite un franc succès et un plaisir toujours renouvelé.

Bien amicalement,

Gilbert Estève

 

> Date : 30 octobre 2013 19:53:05 HNEC : À PROPOS DES CROQUIS DE NEW YORK


Cher Jean-Pierre Sergent,

J’espère que la biennale vous a procuré des rencontres et des contacts très satisfaisants et qu’un public éveillé a découvert en gourmande attraction vos œuvres exposées, vous récompensant de vos efforts.
Je n’ai pu résister à la curiosité de retourner à vos croquis anciens. En effet, votre fonds mérite le détour car ces « ébauches » et « projets » sont en parfaite cohérence avec les diverses palettes de votre œuvre. Nous voyons s’esquisser les projections futures, tant par les figures stylistiques que la thématiques imaginante. Cela désigne, me semble-t-il, une persistance ô combien émouvante de laisser libre cours à ce qui apparait comme l’entreprise d’une vie. Une telle fidélité et constance ont de quoi secouer les plus endurcis d’entre-nous.
Certains de vos croquis m’ont inspiré quelques éclats d'enthousiasme et autres télescopages. N’y voyez que le reflet sans prétention de ma reconnaissance.

Bien amicalement,

Gilbert Estève 

« INTERDIT <––> TRANSGRESSION »

Jean-Pierre Sergent Sketches de New York

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




« Conscient

Inconscient
Femme sans yeux
Moment entre éveil et sommeil
INTERDIT <––> TRANSGRESSION »

L’œuvre de Jean-Pierre Sergent est transgression (« marche à travers, au-delà »), non pas comme opposable à l’interdit mais en tant que réintroduction de la dimension mythique dans l’inconscient « moderne ». À l’instar du cinéma de Pier Paolo Pasolini avec Médée , L'Évangile selon saint Matthieu, Salò ou les 120 Journées de Sodome – et surtout Théorème, Jean-Pierre Sergent fait du corps désiré à la fois l’origine et le lieu de convergence de notre vie. Son œuvre investit notre corps, c’est de notre abime magmatique dont il s’agit. Cette plongée a pour nom Plaisir.
« Amor est titillatio, concomitante idea causæ externæ. » [L'amour est un chatouillement, accompagné de la représentation d'une cause extérieure], Spinoza, Éthique, IV, proposit. XLIV. Cette affirmation paraît quelque peu puérile à notre époque de grande glaciation du rapport social, mais c’est bien cette « cause extérieure » – la femme comme objet du désir et expression du plaisir – qui, sous ses représentations variées, nous chatouille l’œil… et le reste.
Nous devons l’admettre et nous y soumettre car, que nous soyons mâle et/ou femelle (mais naturellement humain), c’est nous-même que nous contemplons dans cette plongée abyssale où le temps et l’espace prennent le corps [NOTRE corps] pour axe(s) où ils se croisent.

MAÂT et VÉNUS

Jean-Pierre Sergent Sketches de New York, 1993   


La grâce érotique de la déesse Maât (« maât » signifie la vérité ou la connaissance juste de soi).
L’autre croquis m’a fait penser à la « Vénus de Brassempouy », statuette de 29 000 ans.

PLEASURE

Jean-Pierre Sergent Sketches de New York, 1993


Éros Thanatos, mais avant tout l’extraordinaire beauté de ce croquis. Plaisir renversant :  « Toute passion, (...) quelque apparence éthérée qu'elle se donne, a sa racine dans l'instinct sexuel, ou même n'est pas autre chose qu'un instinct sexuel plus nettement déterminé, spécialisé ou, au sens exact du mot, individualisé ». Arthur Schopenhauer, Métaphysique de l'amour.

DÉLICIEUX MARTYRES


DUALITY  1999, New York  Duality, monotype and 6 editions of 6 prints, acrylic silkscreened on Serishi paper, 1999, 0,28 x 0,25 m.Le martyre de saint Sébastien de Niccolo Renieri (17e siècle)martyre de sainte Agathe (1520) de Sebastiano Del Piombo


Le martyre de saint Sébastien de Niccolo Renieri (17e siècle) me semble paradoxalement plus proche de l’œuvre de Jean-Pierre Sergent que Le martyre de sainte Agathe (1520) de Sebastiano Del Piombo. Encore que notre sainte ne manque pas d’allure sous les outrages et dans l’extase.

Chez Sade, Bataille, Aragon, Miller, etc., etc., nous sommes amenés à faire corps avec la femme « rabaissée » afin que faire l’amour soit placé sous le signe de la plénitude et que nous puissions nous dédier au libre déploiement du plaisir :
«  Pour être dans la vie amoureuse vraiment libre et par-là heureux, il faut avoir surmonté le respect pour la femme et s’être familiarisé avec la représentation de l’inceste avec la mère ou la sœur. » (Freud) // « Cet objet d’amour est donc investi de tendresse, alors que l’objet « désiré » est investi de sensualité. Les deux voies du percement du tunnel ne se rejoignent pas. L’objet désiré ainsi privé de tendresse subit un rabaissement (Erniedrigung), un ravalement dans la traduction qu’utilise Lacan. » (L. Cantonnet)

PROJET NEW YORK

Jean-Pierre Sergent Sketches de New York, 1993



L’œuvre de Jean-Pierre Sergent nous ramène aux mythes des origines révélant nos mythes contemporains. La matérialité même de son travail d’artiste, opérant par couches superposées et oppositions se jouxtant, nous livre les divers axes et plans d’intersection synchroniques et diachroniques. Ainsi les figures mythiques des civilisations préhistoriques, égyptiennes, précolombiennes, hindoues, etc., revisitent les rêves et cauchemars du présent déraciné où il n’est plus possible de se dire « modernes ». Cette œuvre est saturée de vie, consacrée à la manifestation du désir sexuel. Et qu’aurions-nous de plus « vrai » à (s’)offrir ?
– Le « vrai » et le « beau », mon cher Boileau, car « Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable. »

 

>  Date : 29 novembre 2013 23:16:14 HNEC, À PROPOS DE L'EXPOSITION LINKS

Cher Jean-Pierre Sergent,



Merci pour les liens précieux que vous me communiquez.
J’ai consulté la page de l’exposition « Links » avec grand intérêt. Je crois comprendre pourquoi votre région connait autant d’artistes et de lieux de création. Le cadre et le bâtiment sont renversants de pure beauté. Quand on voit l’une des fermes musée à Grand’Combe-Châteleu, on devine que ce pays est inspiré. Mêler arts contemporains & traditions populaires a priori me paraît fort courageux. Je suis curieux de connaitre les réactions du public : je parie que l’œil des gens de cette terre est aussi avide d’émotions vivantes, premières, comme l’est la page blanche des pentes enneigées.



Les douze œuvres que vous exposez sont issues de cette matière puissante où se déploie sans cesse notre stupéfaction et par où se perdent et se recréent les multiples impressions signifiantes. Alors nous saute littéralement à la figure la force esthétique de chacune des pièces : cet intense plaisir littéralement charnel, en deçà du rationnel, surgit des profondeurs de notre substrat mythologique, jusque-là  occulté par les divers cadenas de nos censures et de notre cécité talmudique, met au jour les représentations de la fécondation comme expression dionysiaque de la nature.
La terre comme la femme renouvellent le cycle de la vie ; l’homme est le jardinier destiné à l’arrosage de la fleur primordiale. Le mâle comme instrument – tel « le moucheron enivré à la pissotière de l'auberge, amoureux de la bourrache, et que dissout un rayon » (Rimbaud) – dans le jaillissement surgissant du lieu de l’être où réside le mystère quand se rejoignent l’origine de sa vie et sa destinée fatale. La parole peinant à dire l’Avant et l’Après de notre existence, seule l’image-imaginante, dans une courbure toute féminine, joint les deux inaccessibles. La déesse-mère et la déesse-terre sont rassemblées en la femme mythique de Jean-Pierre Sergent, grande-ouverte exactement dans l’axe de la dynamique féconde.



La fabuleuse luxuriance de vos œuvres nouvellement mise en ligne – « Dionysos, orgie perpétuelle - organes de vie », « Dragon Lady », « Bondage & Freedom », « Lady of the ants - Déesse Maya »  – révèle le désir dans sa persistance indomptable, celle de l’instinct. Si le sexe dans l’imaginaire, tel que vous le dévoilez, s’exprime d’abord par son exposition jubilatoire – plaisir du sexe et plaisir de l’œuvre indissociablement liés – l’entrelacement des figures mythiques ou allégoriques hantées du visage de la Mort, bouclent l’arrière-plan tragique sur lequel s’inscrit toute vie, car :

« Pour [Nietzsche], la tragédie grecque ne fait pas de morale, elle réconcilie dans une vision esthétique deux forces fondamentales qui traversent les hommes et le monde, Dionysos et Apollon. Dionysos incarne la vie comme devenir, démesure, excès, transe, ivresse, cruauté, métamorphose, tout ce qui soulève l'homme, le supra-individuel. 
Apollon, un autre dieu cruel, représente la limite, la mesure, la belle forme, la régulation. Dans le monde grec des débuts, la destinée humaine mise en scène dans la tragédie exprime le dialogue entre les deux dieux. Car l'homme est multiple, chez lui l'apollinien contient la puissance dionysiaque, qui à son tour déborde la retenue et la raison. » – Dorian Astor (cité par Frédéric Joignot in Le Monde, 01/07/2011, p. 21).



Je vous souhaite, de belles rencontres ainsi qu’un beau succès pour l’exposition.



« Celui qui a perdu la faculté de s'émerveiller et qui juge, c'est comme s'il était mort, son regard s'est éteint », disait Einstein.


Permettez à mon regard émerveillé de vous exprimer sa reconnaissance.

Gilbert Estève

 

>  Date : 7 juin 2014 00:45:15 HAEC À PROPOS DE : LE DÉSIR, LA MATRICE, LA GROTTE & LE LOTUS BLANC


Cher Jean-Pierre,

J’avais bien reçu votre invitation pour l’exposition « Le désir, la matrice, la grotte et le lotus blanc » ; je vous en remercie très sincèrement et vous prie de me pardonner mon retard à y répondre. En ce moment je suis pris par des travaux (jardin, maçonnerie et autres joyeusetés) qui ne me permettent pas de me déplacer jusqu’à Ornans admirer votre installation ainsi que l’œuvre de Gustave Courbet. À ce sujet, rien n’est plus évident que cette confrontation entre L’Origine du Monde et vos dernières œuvres sur le désir. Que Courbet ait pu scandaliser la bonne société de son temps doit, je pense, vous conforter dans la poursuite inlassable de votre action créatrice grâce à sa cohésion sans cesse maintenue.
Vos dernières œuvres sur papier sont sublimes. Le désir à fleur de peau.

Je suis ému de voir que vous avez inséré un extrait d’un de mes mails dans votre invitation et de côtoyer le génie – « Il est l'amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue, et l'éternité : machine aimée des qualités fatales » (Rimbaud) – de Marie-Madeleine Varet.
Je vous souhaite très fort un bel accueil du public et des ventes grâce aux amateurs subjugués par tant de beauté désirante.

J’ai été passionné par les 5 vidéos où vous êtes filmé tout au long de votre travail dans votre atelier. Ces vidéos sont très éclairantes, nous invitant à nous insérer physiquement dans la matière même de votre art. La chaîne conjuguée de l’appareillage (ordinateur, photo, typon, film, trame, raclette…) et des matières (vernis photosensible, insolation, encres, papier…), constitue une unité à laquelle chacune des séquences contribue, donnant un rythme envoutant à l’accomplissement de cette « sérigraphie matricielle » par quoi le génie enfante. La sureté du geste, la maîtrise du processus, le rythme surtout, tout montre que l’œuvre était déjà accomplie en vous bien avant qu’elle ne voit le jour. Dans votre acte créateur, c’est vous-même que vous offrez – sacrifiant ainsi la part la plus noble de l’artiste afin que nous accédions sans masques ni détours à la nôtre.

J’ai commencé à parcourir votre réflexion théorique se déployant autour du concept de Beauté. Impressionnant. L’iconographie est saisissante. Il faut que je trouve le temps de m’y pencher sérieusement. Dans le prolongement de votre propos sur le film de Nagisa Ōshima, L’Empire des sens, je vous joins un document d’époque. Le 18 mai 1936, Sada Abe étrangle son amant à mort et lui tranche le sexe afin de l’emporter comme une relique. Sur la photo lors de son arrestation on devine la « relique » sous la ceinture de son kimono :




Très cordialement, Gilbert

 

>  Date : 15 octobre 2014 22:01:14 HAEC À PROPOS DU : MAG 2014


Cher Jean-Pierre Sergent,

Je suis heureux de voir que vous débordez d’activité, qu’elle touche aussi bien à la création, à la poursuite de votre œuvre autant qu’à son exposition à travers les diverses manifestations en cours.
Les œuvres que vous avez sélectionnées pour la foire de Montreux sont très signifiantes des diverses faces – et phases – de votre jaillissement artistique dans sa cohérence et sa vitalité profondes.

Je vous remercie pour l’invitation concernant l’exposition A3F. Je ne pourrai – hélas ! – me libérer de mes obligations de cette fin de semaine, le délai trop serré m’ayant pris de court. J’espère que les Plexiglas exposés susciteront une franche adhésion et permettront d’élargir votre public.

Votre exposition à la foire de Montreux fera date, j’en suis persuadé, auprès des visiteurs qui ne manqueront pas d’être marqués par l’authenticité et la force de votre art.

J’espère surtout, qu’au final, vous aurez convaincu de nouveaux acheteurs. Nous sommes nombreux à nous préoccuper de votre existence et de la poursuite de votre œuvre ; les conditions concrètes du libre exercice de votre travail d’artiste ne nous laissent pas indifférents.
Je suis heureux de vous savoir dans une activité aussi intense, sur tous les fronts, et dans cette trajectoire conduisant à l’avènement de nouvelles œuvres.

Pour ma part – pour répondre à votre question – je vais bien, du moins autant que l’on peut aller dans un monde dont le spectacle ne nous ramène pas nécessairement à la Beauté. Heureusement, il nous reste vos œuvres pour ne jamais perdre de vue l'essentiel : la vie.

Merci pour tous les liens que vous me transmettez ; je les explorerai volontiers et tenterai de vous faire part de mes réactions si, toutefois, elles offraient à mes yeux quelque intérêt.

J’espère que vous êtes en bonne forme.
Très cordialement à vous,

Gilbert Estève



>  Date : 25 novembre 2014 21:22:55 HNEC À PROPOS DU RÉQUISITOIRE POUR L'ACHAT D'ŒUVRES D'ARTS AUX ARTISTES VIVANTS PAR LES COLLECTIVITÉS LOCALES


Cher Jean-Pierre,

Merci pour votre mail qui m’a vivement intéressé. En effet je suis très heureux d’apprendre que l’exposition de Montreux vous a « revigoré » et que les ventes vous permettent de voir l’avenir avec sérénité. Même s’il s’agit de « petites » pièces (comme vous dites), cela dénote incontestablement de l’attachement d’un public qui vous est acquis. Cela est fort encourageant et ouvre de nouvelles perspectives, notamment du côté de Düsseldorf où votre ami de Bâle fera tout pour vous y introduire. Merci pour le texte de J.-P. Gavard-Perret pour l’Art helvétique contemporain, toujours aussi brillant et savant, ainsi que pour les photos éloquentes du Montreux Art Gallery 2014.

Votre « Réquisitoire » m’a touché de par votre allusion à l’action de l’historienne de l’art et résistante, Rose Valland, qui fut à l’origine de l’épisode héroïque mis en scène par John Frankenheimer et Bernard Farrel dans « Le Train ». N’oublions pas ce qu’écrivait Ernst Hans Gombrich : «  Des artistes, il en naîtra toujours, mais que l'art continue d'exister, cela dépend aussi, dans une mesure qui n'est pas négligeable, du public, de nous-mêmes. Notre indifférence ou notre intérêt, nos préjugés ou notre compréhension, pèsent sur l'issue de l'aventure. » (Histoire de l’art).

On peut aujourd’hui y voir une sorte d’allégorie. Le peuple insurgé incarné par ces chemineaux voués aux supplices, sauvant les œuvres d’art de la rapacité sans frein des gangsters en vert-de-gris et de leurs comparses parisiens, font qu’il nous appartient à tous de faire de votre vision prémonition. L’artiste aux yeux fertiles témoigne du présent de l’Homme et lui décille la vue, la voie.

Concernant le refus de certains élus d’investir dans votre œuvre, il s’agit bien d’un choix – nous dirons un « choix comptable » – où la règle à calcul se trouve érigée en argument apodictique. N’ayant pas qualité pour cela, je me garderai d’en juger. Comme nous approchons les sables mouvants de la gestion des deniers publics par les collectivité locales, il m’est revenu en mémoire l’exemple de la construction des ronds-points ponctuant l’horizon de nos campagnes et de nos villes. Je cite :

–  La Voix du Nord du 29/12/2012, titre à la Une : « Ronds-points : Autant en France que dans tout le reste de l'Europe »,

– Les Dossiers du Contribuable, avril 2013 : « Plus de 40 000 ronds-points ont été construits en France, un record mondial. Coût moyen d’une installation « ornementée » : 1 million d’euros. »,

– Christian Deruy, directeur du pôle infrastructures au conseil général du Pas-de-Calais : « Un giratoire, en moyenne, coûte un million d'euros, éclairage public compris. Vous en avez de 600 000 à deux millions d'euros. »

– Parmi tant d’autres, un exemple fort plaisant d’investissement mettant en valeur l’œuvre d’Alain Jacquet « Hommage à Confucius » dans la bonne ville de Montpellier :

Alain Jacquet hommage à Confucius, Ville de Monpellier

Voici ce qu’en dit le Rapport final, Juillet 2011, du Ministère de l’Équipement : « Appelée par la plupart « la grande saucisse », elle symbolise la prépondérance de l’intelligence et du savoir. « S’inspirant à la fois du langage binaire, [...] du Yin et du Yang, l’artiste a choisi d’investir un lieu d’échange où se croisent étudiants et chercheurs en référence à la grande tradition universitaire de la ville ».

Avouez, mon cher Jean-Pierre Sergent, que c’est peine perdue de vouloir rivaliser avec ce sommet de « prépondérance de l’intelligence et du savoir ». Au royaume d’Ubu roi la folie seule est intelligible, car « Il vaudrait mieux s'efforcer d'oublier tout ce que nous croyons savoir et de voir le monde comme s'il s'offrait pour la première fois à nos regards. » (Ernst Hans Gombrich, Histoire de l’art). C’est exactement à cet état d’éternité que votre œuvre nous élève.

Bien amicalement,
Gilbert

 

>  Date : 1 février 2015 18:35:28 HNEC / À PROPOS DES NOUVELLES VIDÉOS AU TRAVAIL II, DES PHOTOS & DES MAYAS


Je vous remercie pour vos magnifiques photographies (WATER, TREES & SNOW) prises lors de vos promenades le long des rives du Doubs du côté de Morteau. Quel bonheur ! L’œil de l’artiste a su capter la pureté des lignes et l’harmonie des couleurs. Chaque cliché est un miracle d’équilibre qui me ramène aux paysagistes japonais ou chinois de la période classique. Je ne saurais trop, compte tenu de mon inculture, vous suggérer de penser à exposer votre œuvre de photographe, cela mérite d’y réfléchir. J’ai adoré notamment certaines vues hivernales renversantes de sereine beauté.

Merci pour vos liens vers « L’artiste au travail ». Je vous ai déjà dit combien j’étais fasciné par votre art de la sérigraphie, votre étonnante maîtrise d’une technique fort complexe avec laquelle vous jouez d’une précision absolue. À vous regarder travailler je ressens comme une symbiose de l’artiste et de l’artisan : vos gestes créateurs magnifiant la matérialité prise dans son ensemble. Cela m’a fait rêver à une nouvelle approche de votre Œuvre où un découpage en plans-séquences resserrés des diverses étapes serait doublé par votre voix, votre parole, non pour expliciter le geste technique – l’image se suffisant à elle-même – mais pour dire votre inspiration, ses sources singulières ainsi que les influences, bref, pour amener le public à dépasser la première émotion et s’ouvrir à la complexité des significations profondes se révélant couche après couche. Faire œuvre de poésie par le verbe autant que par l’image. Ceci n’est pas une suggestion – venant de moi ce serait le comble du ridicule – mais un rêve enfantin. J’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur.

Grâce à vous et à la vidéo de Arte, j’ai été littéralement subjugué par la narration des découvertes à propos de l’écriture des Mayas. Ainsi pendant des siècles les savants vont s’acharner à décoder les glyphes à l’aide de l' « alphabet » de Diego de Landa (Relación de las Cosas de Yucatán, 1566). Ils vont même proposer une quantité considérable d’interprétations des écrits mayas, fort contradictoires au fil du temps, jusqu’à ce que l’on découvre que ce n’était nullement un alphabet mais un syllabaire (Youri Knorozov, 1952). L’autre découverte décisive a consisté à attribuer à chaque syllabe une grande variété de représentations combinant idéogrammes et syllabogrammes ; on la doit en 1980 à David Stuart, alors âgé de 15 ans. À partir de là on pouvait retrouver la signification des écrits en les confrontant avec les langues mayas parlées actuellement – comme Champollion avait procédé à partir du copte concernant la langue des hiéroglyphes.

Civilisation maya - glyphe du jaguar, musée de Palenque (Mexique) :

Quant aux connaissances mathématiques et astronomiques des Mayas c’est absolument saisissant. Leur calendrier divinatoire – servant à noter la chronologie des évènements historiques et à prévoir les moissons ou les guerres – est une merveille de mécanique temporelle. Nous sommes dans des sociétés qui se pensent comme régies par le mouvement de l’Histoire. Au cœur du sacré : arracher le cœur du sacrifié et le projeter vers le Soleil afin que l’unité des hommes et du dieu (la Nature, l’Univers, les forces créatrices/destructrices) soit maintenue. Nous ne sommes pas dans le meilleur des Mondes mais bien dans la jungle tropicale hostile où le danger est présent en permanence. Il n’y a pas place pour le Bien et le Mal – notions qui relèvent de l’impensable – quand les cités sont en guerre afin que les vaincus s’offrent en sacrifices aux vainqueurs.

Par contre les conquistadors espagnols, qui étaient confis de l’idée du Bien et du Mal, vont réduire les populations précolombiennes en moins d’un demi siècle à environ 10% de ce qu’elles comptaient avant 1492, par l’épée et le feu mais surtout par le travail forcé et les épidémies. Les indiennes iront même jusqu’à avorter systématiquement. À travers cette tragédie préfigurant bien des horreurs futures, nous constatons combien l’éthique demeure au cœur de la problématique de la vie. Et l’Art – le vôtre – offre l’accès direct, immédiat, à l’humain inscrit en nous.

Ce que je peux être casse-pieds avec mon bavardage !
Bien amicalement,
Gilbert