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Jean-Pierre Sergent

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Influences III - De l'art pariétal à l'art contemporain

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INFLUENCES / RENCONTRES / ŒUVRES D'ART IMPORTANTES

L'ART PARIÉTAL

Lascaux
Tout a déjà été dit à propos de cette grotte magique, mais j'eusLascaux, scène du puits la chance de la visiter avec ma sœur Marie-Paule, lors d'un voyage en Dordogne, et je dois dire, que même si nous visitions la réplique moderne, c'est toutefois une expérience envoûtante au milieu de ce monde enfoui, enveloppé de présence animale. Dans mon travail, j'ai utilisé la scène du puits qui montre le chaman en transe avec le bison éventré et l'oiseau sur un pôle. Georges Bataille parle bien de cette grotte dans son livre Lascaux, il nous raconte ce que disent Les Navajos à propos des animaux : Les animaux sont comme les hommes, seulement plus saint.

Pech Merle
Ce fut une surprise plus étonnante, car je ne la connaissait pas tracé digitaux au plafond de la grotte de Pech Merleet la découverte de ce plafond aux tracés digitaux surimposés et enchevêtrés durant plusieurs millénaires, m'interloqua énormément. En effet, ce plafond était surchargé de dessins successifs, se détruisant les uns les autres, mais qui donnaient au dessin final une énergie plus puissante encore qu'un seul des dessins regardés séparément. C'était le fruit d'une intelligence collective, transcendant le temps et l'espace, une surcharge informative comme celle qui donne leurs présences aux statues sacrificielles Dogon, éclaboussées de sang et de matières sacrificielles. Ce fut grâce à ce déclic esthétique que je commençais à superposer des images les unes au dessus des autres, sans me soucier du lien qui les unissait ou qui les opposait, et grâce à ce modèle préhistorique créatif communautaire, je pus entrer dans un processus de création contemporain.

Tracés digitaux préhistoire, France Cette débauche iconographique existe également dans d'autres sites rituels comme sur les parois utilisées par les aborigènes d'Australie ou du Zimbabwe, et cela réactive la continuité des individus au travers de leurs tracés artistiques déposés, dans un espace commun sacré et intemporel.

"L'enchevêtrement signifie que les décorations existantes étaient négligeables au moment du tracé d'une nouvelle image". G. Bataille, Lascaux.

J'ai été également influencé par beaucoup de pétroglyphes de tous horizons culturels, mais le plafond de Pech Merle reste ma plus grande surprise.

 

 

 

MANUSCRITS DU MOYEN AGE & CODICE MEXICAINS : CONFLITS MOTS-IMAGES
 

Vénus de Hohle Fels, - 40 000-AVJCKudurru (stèle) babylonienne XIe siècle av. J.-CVénus de Willendorf, - 23 000 ans av.JCTablet sculptured with a scene representing the worship of the Sun-god in the Temple of Sippar -870 av.JC


Les codices m'interpellent de par la mise en page des aplats colorés des dessins et des images à la gouache avec le mélange intriqué des textes enluminés. Ces manuscrits m'ont toujours attiré de par leur pureté d'exécution mais aussi de par la volonté inébranlable des moines copistes à démontrer, expliquer, éduquer et à faire comprendre le monde, un concept, un événement mythologique, religieux ou un fait historique. J'ai utilisé par ailleurs pour mon travail beaucoup d'images provenant des codices Aztèques et Mayas.

Ces manuscrits eurent en général une grande importance aux moments sensibles et cruciaux de l'évolution des civilisations. Au départ, n'était pas le Verbe mais l'Image ! Puis longtemps après, vint l'invention de l'écriture, cunéiforme Sumérienne, -3400 av. JC, par exemple, le premier livre historique apres le livre des morts Egytiens : L'Épopée de Gilgamesh de Gilgamesh date de -2650 av. JC ce qui n'est pas si vieux par rapport aux premières sculptures figuratives comme La Vénus de Hohle Fels, qui date d'd'approximativement -35 000 av. JC et pour les grottes ornées comme la Grotte Chauvet -30 000 av. JC.

L'image et le verbe coexistèrent pacifiquement pendant des millénaires, à voir par exemple la tombe de Nefertari, l'art Mexicain, Assyrien, les cathédrales etc. Puis l'écriture s'imposa grâce à la littérature mais surtout la dictée des codes de lois et des contrats commerciaux, pour prendre finalement le dessus grâce à l'invention de l'imprimerie. L'image fut alors reléguée uniquement et presque exclusivement à la pratique de l'art ! Personnellement, je préfère ces moments anciens, plus équilibrés où le texte et l'image cohabitaient harmonieusement, comme dans un langage enfantin innocent, mi-paroles mi-gestes.



Manuscrit, Moyen-age, EspagneUn livre important à lire à ce sujet est L'Alphabet Versus the Goddess, de Leonard Shlain, un neurochirurgien qui a réfléchi aux conflits entre les deux principales zones du cerveau : l'hémisphère droit, associé à l'image, l'intuition, la compassion et à l'amour ; et l'hémisphère gauche plus rationnel, associé au langage et à l'écriture, à la formulation des lois et à l'organisation de l'ordre. L'auteur retrace et démontre que tout au cours de notre histoire, lors des périodes successives et alternatives quand le texte prenait plus d'importance que l'image, les femmes ont toujours été maltraitées, martyrisées et réprimées, comme pendant la période de l'impression de la bible et de la réforme où se déclenchèrent les chasses aux sorcières et l'inquisition. Alors que pendant les périodes où les sociétés utilisaient principalement la diffusion du savoir par l'image, il semblait qu'il y avait un apaisement dans le conflit masculin-féminin et que les femmes bénéficiaient alors de plus de pouvoir et de libertés; comme par exemple dans l'Antiquité grecque, le Moyen-âge et notre époque contemporaine occidentale !



LES PEINTRES

Giotto

J'eus la chance de voir une exposition de ses peintures au MET, en hiver àl'époque de Noël, et vraiment la somptuosité de ses harmonies colorées provoque l'émerveillement et le respect ! J'ai  travaillé sur une reproduction de la fresque de Giotto : Le Songe d'Innocent III pour ma série : Le Rêve de l'Homme emprisonné. J'aime ce moment du rêve, en suspension, là où tout bascule hors de la gravité terrestre, toutes les architectures et les certitudes du quotidien diurne se renversent, tremblent, échappant à la logique et la rationalité. Cette image est une belle métaphore de notre propre monde contemporain qui s'écroule ou semble s'écrouler, mais également une métaphore de l'ensemble de tous les mondes et de toutes les conditions humaines réunies, puisque rien n'est permanent et que l'inconscient collectif se reconstruit sans cesse.

 



Fra Angélico
L'Annonciation de Fra Angélico est vraiment l'apogée de la peinture religieuseet sacrée. Les couleurs, malgré les années écoulées, sont encore aujourd'hui d'une luminosité diaphane incroyable, comme si chaque tonalité avait gardé un sens propre symbolique et sacré. On sent très bien la volonté de l'artiste de transcender la condition humaine, pour entrer, au travers de la pratique religieuse et artistique, dans un monde unitaire, d'une beauté paradisiaque et éternelle. Toutes ces œuvres rayonnent également de ce superbe halo spirituel coloré, où l'immatériel nous apparaît mystique et tangible grâce à sa foi et son génie de peintre Dominicain.

 

 




Paolo Uccello

PAOLO UCCELLO Niccolo da Tolentino à la tête des Florentins (National Gallery, London)Cette belle bataille de San Romano, dont un des panneaux du triptyque est au British Museum, est une peinture de grand format et elle est également une peinture du mouvement et de l'action. Bien que je ne sois pas très féru de la perspective, ni de la guerre, je me rappelle cependant que cette toile me fît une très grande impression lorsque je l'ai découverte pour la première fois à Londres.

 

 

Filippino Lippi
Filippino Lippi, Le triomphe de Mardochée, MBA, OttawaJ'apprécie particulièrement son petit tableau, Le Triomphe de Mardochée, qui est au Musée des Beaux-Arts d'Ottawa et que j'ai longtemps considéré comme " le plus beau tableau du monde" ! Je ne sais pas trop pourquoi, mais peut-être est-ce ce chevalier Christique vêtus de drapés roses, messager de la paix ou vainqueur de la guerre, en mouvement, triomphateur et sortant d'une ville assiégée, inconsciente, ou endormie; forteresse imprenable aux remparts presque sexuels et féminins comme dans le Roman de la Rose,  pour aller découvrir et conquérir, à l'aurore aux doigts de rose, le monde et sa splendeur ! Guidé ainsi par Haman, son ennemi vaincu et âgé, arborant cependant les couleurs de la sagesse et de l'automne, l'ocre jaune et le gris ! Et le rouge du harnachement du cheval est sanguin, érotique, sensuel, ressemblant à de la dentelle, placée sur ce cheval à la musculature d'étalon arabe surpuissant et enjoué et à la tête fine et intelligente. Cet ensemble dégage une puissance érotico-spirituelle torride et insurpassable. C'est une peinture de mouvement et d'action, contrairement à La Joconde qui attend, assise et passive, avec sa face au sourire simiesque que les touristes viennent lui baiser les pieds et lui jeter quelques cacahuètes !

 

 

 

 

 

 

 

Pieter Bruegel
Bruegel, the harvesterLe tableau The Hervester, du MET, à toujours cette même heureuse présence d'une scène de vie agricole traditionnelle villageoise. Il s'en dégage le sentiment du bonheur d'avoir accompli la tâche quotidienne  rythmée d'action, de repos et de repas réparateurs pris ensemble. Chacun de nous ayant vécu à la campagne, peut se remémorer ces moments communautaires joyeux, remplis de sourires, de simplicité et de complicité, lors du ramassage du foin ou des vendanges. La peinture est superbe avec ce grand frêne la coupant au tiers droit en insistant sur l'importance de la vie terrestre horizontale, parfois lourde, pesante, humiliante, mais nous appartenant en propre.

Bruegel, Icarus

Une autre peinture de Bruegel au contenu philosophique important est La chute d'Icare. Son interprétation géniale et humaniste du mythe grec, montrant Icare s'écrasant tragiquement dans la mer, pour n'avoir pas suivi les sages conseils de son père Dédale, en se sauvant du labyrinthe du roi Minos, et s'étant brûlé les ailes collées à la cire d'abeille qui fondirent au soleil, alors qu'il monta trop haut dans le ciel !
Au delà de la beauté narcissique du tableau où tout le monde vaque à ses occupations : le pâtre gardant ses brebis, le laboureur labourant sa terre, le pêcheur pêchant ses poissons et le marin naviguant sur son bateau : c'est la parfaite métaphore de la condition humaine où tout le monde est egocentré, et ne voit plus le monde dans son ensemble, dans sa diversité et sa complexité. Pieter Brueghel, The Hunters in the Snow, 1565, Kunsthistorisches Museum, Vienna Car dans cette scène d'apparence bucolique, personne ne regarde Icare plongeant dans la mer, alors qu'ils sont juste à coté de lui ! De même qu'aujourd'hui personne ne voit le monde s'effondrer, sauf qu'aujourd'hui, ce n'est plus maintenant seulement Icare l'intrépide qui plonge, mais l'humanité toute entière !
Ceci est une grande leçon d'humilité et de sagesse : il ne faut pas vouloir dépasser ses limites au delà du possible permis par l'ordre des choses établies.



El Greco

El Greco, Vue de Tolède, METJ'aime toujours aller voir au MET cette magnifique Vue de Tolède, qui est un paysage dramatiquement surchargé où tout est traité avec la même intensité, la même lourdeur, le même tragique. Les nuages ont le même poids que les arbres et que les architectures, tout est sur le même plan de la toile et la perspective, permettant la différenciation de l'importance des sujets est abolie. La scène éclairée par une lumière divine et colérique ; c'est l'Antéchrist où même les frêles églises et les palais ne résisteront pas à la violence de la nature. C'est un dialogue de sourds entre la terre et le ciel, entre l'ordre et le chaos, la nature et la culture et tout va éclater, se mélanger grâce à l'eau purificatrice et unifiante et ce sera la fureur des dieux, l'apocalypse wagnérien ! Puis tout se calmera et la vie recommencera à nouveau, avec ses éternels affrontements de la ville et de la campagne, de l'homme et de la femme, du nomade et du sédentaire et de la culture envers la nature !

 

 

Le Caravage
CaravagioJe n'ai malheureusement jamais vu cette œuvre Judith décapitant Holopherne, où Judith tranche la gorge de son ennemi avec une épée. C'est également une œuvre d'une puissance féroce et tragique. Cette décapitation peut éventuellement se lire comme un scène de castration, presque comme l'incarnation de l'instinct de mort et de la barbarie, si on ne connaît pas la scène mythologique référante. En Fait Judith assassine cet homme, Holopherne, tyran assyrien qui opprimait son peuple, après avoir couché avec lui. C'est un peu comme La Liberté guidant le peuple, femme aux seins nus sur les barricades de Delacroix. Mais Il faut avoir le cœur bien accroché pour pouvoir regarder longtemps ce tableau, ainsi que tous les tableaux de Le Caravage qui ont toujours cette présence évocatrice du corps sensuel en action et parfois provocateur.  

 

 

Rembrandt
RembrantLe Philosophe en Méditation, est un concentré de vide et de métaphysique. L'espace est habité par la présence humaine d'un vieux couple vieillissant, hors du temps, comme déjà en train de voyager dans le future proche de leur départ de cette terre. C'est l'image de la sagesse aux gestes lents et de la méditation dans l'ancrage de l'esprit à l'intérieur de la spirale cosmique. Ultimement ce tableau représente vraiment le vortex bilatéral, Yin-Yang, qu'utilisera l'âme pour son voyage éternel. C'est sans doute une des œuvres les plus touchantes et spirituellement puissantes de l'art occidental.

 

 

Johannes Vermeer
La Dentellière, exposée au Louvre, est un des tableaux les plus intimistes, c'est leVermeer, La Dentelière, Louvre quotidien du travail de broderie féminin, sublimé par le peintre dans un halo de lumière métaphysico-sensuel. On aimerait retrouvé ce temps infini de l'"Amour", de la bienveillance et de l'attention, ce temps de la présence de l'être au sein de son état d'éveil radieux. Et de presque toutes les œuvres Vermeerienes sourdent cet intemporel état de grâce divin, sublime.

 

 

 

 

 

 

Gustave Courbet
J'ai bien sûr beaucoup d'affinités avec l'art de Gustave Courbet, L'Origine du mmonde, Gustave Courbet, musée d'Orsaycar je suis né à seulement 50 km de sa ville natale Ornans. Je partage avec lui l'amour des corps de femmes, et de la nature qui, dans la région est majestueuse ! Son Origine du monde est également un tableau qui fît date dans l'histoire de l'art occidentale et que j'ai toujours grand plaisir à revoir, la dernière fois ce fût au MET, où les américains l'avaient un peu excentré du passage principal de l'exposition. Jamais, je crois, on n'avait osé, avant lui, peindre un sexe de femme comme sujet principal d'un tableau et ça a créé une onde de choc salutaire et libératrice dans le monde de l'art. Merci beaucoup M. Courbet ! Il faut rappeler également que de nombreux paysages de Courbet représentaient en fait des grottes vulvaires et ruisselantes.

Gustave Courbet, La Femme au perroquet, 1866, New York, The Metropolitan Museum of Art[ J'ajouterais ici un petit dialogue extrait d'un scène mythique où un jeune peintre libidineux reçoit deux belles femmes dans son atelier dans le film d'Antonioni, l'Avventura et qui explique la fascination de l'artiste pour le corps de la femme :
- La visiteuse : Pourquoi ne peignez-vous que des femmes ?
- L'artiste : Je n'ai jamais vu aucun paysage aussi beau qu'un corps de femme ! ]

 

 



Paul Gauguin

Paul GauginIl est peut-être l'artiste dont humainement je me sens le plus proche. Comme lui, je me suis exilé non pas dans les îles lointaines ou le Panama mais à New York. Comme lui j'exècre la société bourgeoise française totalement inacceptable dans toute sa dimension moralisatrice, athéiste, rationaliste, destructrice de talents et d'énergies créatrices. Comme lui je suis fasciné par la beauté et la sensualité des femmes. Comme lui j'ai cherché dans d'autres cultures une raison de vivre que je ne trouvais pas dans ma propre patrie. Et j'ai préféré le voyage et les rencontres à l'embourgeoisement parisien et enfin grace à lui je m'intéresse aux cultures "archaïques" et à l'état paradisiaque originel de l'homme.

Paul Gaugin, ThaitienneSes peintures de la maturité dont D'où venons-nous? Que sommes-nous? Où allons-nous?, dégagent toujours une sensualité à fleur de peau, comme la peau d'une femme métisse, sensuelle, allongée et offerte. Sa Maison du jouir est quand même une belle invention et une énorme provocation ! C'est un peintre original, fou de la vie, merci cher Gauguin de nous avoir rapporté de ces pays lointains tant d'images (d'Épinal peut-être), mais malgré tout, du bonheur édénique universel. Il fallait oser aller les chercher ces images dans ces paradis perdus !

 


 

Claude Monet
Monet, Les Nymphéas, musée de l"orangerie, ParisJ'aime toujours aller revoir Les Nympheas à l'Orangerie et être entourépar ces nénuphars, ces saules pleureurs, de l'eau, de la brume et du vent... ses peintures murales enveloppant les espaces ovales, nous plongent également comme les œuvres de Klein, dans des états méditatifs inspirés du Bouddhisme. J'apprécie aussi ses grandes toiles du MOMA Le pont japonais, et les Agapanthes. Il est rare qu'un artiste français ait eu une telle renommée aux États-Unis !

 


 

Pablo Picasso
Picasso, Les Demoiselles d'Avignon, MOMA, NYLes Demoiselles d'Avignon, au MOMA, est une œuvre de Picasso incontournable, car il s'en dégage cette présence surnaturelle "primale" qu'ont tous les arts indigènes à savoir : l'ubiquité, la présence du corps nu sans voile ni tabou, la force vitale et la magie ostentatoire  interpellant les forces de la terre ! Le format presque carré est rempli partout d'images féminines surchargées de sensualité, de désir et d'odeurs sexuelles ; semblant presque envoûtantes et parfois dérangeantes, cruelles et effrayantes comme l'était le chant des sirènes qui attira Ulysse. Un personnage au masque masturbatoire est retourné vers le spectateur, le prenant à témoin de l'orgie bacchanale et dionysiaque en l'invitant ou le repoussant dans le tableau. On ne peut imaginer le choc qu'a reçu le public lors de la première présentation de ce tableau, et encore aujourd'hui, où le corps, la nudité et la sexualité sont toujours un peu réprimés collectivement par les tabous socio-religieux, ce tableau doit encore déranger pas mal de monde !
Picasso, dessin préparatoire pour les Demoiselles d'AvignonJ'ai également vu tous ses dessins préparatoires au Musée de Barcelone, et après avoir tant travaillé sur des centaines d'esquisses, pouvoir peindre finalement une toile de cette fraîcheur, comme sortie d'un rêve érotique nocturne, c'est vraiment dû à l'immense génie de Picasso !

[ Je raconterai juste ici une petite anecdote pour mieux illustrer le rapport compliqué entre les esquisses et l'œuvre peinte terminée. J'avais visité à Beaubourg une rétrospective Kandinsky, où il y avait, placé là sur un mur, une toile peinte à l'huile et à sa gauche, son esquisse préparatoire dessinée au crayon de couleur et à la gouache. Assez étonnamment, l'esquisse respirait de vie, d'intelligence et de vivacité, mais une fois transposée sur la toile, l'idée avait perdu toute sa substance, son éclat, et sa splendeur; tout était englué par la pratique laborieuse de la technique de la peinture à l'huile dans un tableau iconographique décoratif. J'essaye toujours de me remémorer cette leçon quand je travaille et j'évite, la plupart du temps, de faire des esquisses de ce que je souhaite réaliser. Car, comme le dit si bien un moine peintre dans le Décaméron de Pasolini : - “Pourquoi peindre les choses, quand elles apparaissent tellement plus belles en rêve.” Donc puisqu'il faut peindre, autant que ce soit fait tout de suite, une bonne fois pour toutes et sans trop y réfléchir, dans l'instant ! ]

 


Henri Matisse
Matisse, Le roi triste, Beaubourg, ParisLe travail de Matisse est bien sûr incontournable et j'aime beaucoup ces grands papiers découpés qui sont à Beaubourg, en particulier, La Tristesse du Roi. Mais, vivre dans la couleur, la sensualité et le plaisir comme il a essayé de le faire n'est pas très évident dans un pays à la tonalité générale aussi grise et morose que la France. Je pense qu'il a fait preuve de beaucoup de courage pour présenter au public ses derniers travaux, qui ouvrent vraiment la porte vers un ailleurs, tant artistiquement que poétiquement, dans un lieu mythologique hors des mythologies classiques, un lieu au bonheur de vivre simplement et de communiquer en harmonie au travers de la danse et de la musique, tranquillement, juste pour le plaisir d'être ensemble. C'est la représentation parfaite de l'âge d'or de l'humanité décrit par Ovide. Tout le travail de Matisse sur la couleur est d'une haute qualité, percutant et cohérent, et parfois quelques unes de ses harmonies de couleurs me viennent à l'esprit, bravo Matisse !

 

Frida Kahlo
Frid Kahlo, MOMA, NYL'art libérateur et fondamentalement vrai de Frida Kahlo, a une puissance symbolique qui puise ses racines dans le Mexique traditionnel profond, celui des rouges, de la vie et de la mort, des Aztèques et des Toltèques, du polo mole et des bleus mayas. C'est un art libérateur en ce sens qu'elle est le sujet qui peint l'objet (son corps et sa souffrance), et qu'elle ose se mettre en scène dans ses tableaux en montrant son corps mutilé et meurtri. Sa manière de peindre est directement inspirée des retablos mexicains, ces petites peintures sur tôle qui sont des ex-voto placés dans les églises et qui narrent la façon dont la personne est décédée. J'aime son autoportait Self-Portrait with Cropped Hair, où on la voit s'être coupé les cheveux après son divorce d'avec Diego Rivera. Cet acte d'automutilation et de dépit nous interroge face à notre destinée et nous rend sensibles à son immense souffrance. Je crois que tous les artistes en général lui doivent beaucoup et en particulier les artistes féministes américaines, car elle sut montrer sa condition de femme, autrement que représentée jusqu'alors avec des corps de rêve en des poses lascives, mythologiques et sensuellement suggestives uniquement pour satisfaire les désirs cachés  libidineux des hommes.

 

Barnett Newmann
Barnett Newman, Shining Forth (to George), 1961, BeaubourgDepuis les débuts de mes travaux abstraits, j'ai toujours regardé ses œuvres avec beaucoup d'attention, on peut d'ailleurs dire sans trop se tromper, que pendant mes années de formation, je faisais du sous Barnett Newman, jusqu'à ce que je réintègre des images dans mon travail. J'aime sa volonté ferme et son parti pris de peindre au sol avec des rouleaux de peinture, des formats verticaux gigantesques tout en protégeant avec ces bandes zips, les zones qu'il souhaitait réserver et ne pas peindre ! C'est une réflexion sur le peint et le non-peint, le plein et le vide, Le cru et le cuit, en particulier dans cette grande toile qui est à Beaubourg : Shining Forth (to George), où l'on peut ressentir pleinement le lien vertical de l'homme à Dieu et peut-être aussi la dualité sexuelle du couple masculin féminin tournant autour de l'axe dans ce vide presque sidéral. C'est presque l'âme ultime et dépouillée de l'homme et de son destin devant l'immensité du monde. À part les artistes hindous dont je parlerai plus en avant dans ce texte, peu d'artistes ont eu cette réflexion sur le sacré, hors tous les tableaux religieux des Christ en croix, et on peut dire que Barnett Newman à forcé la porte de la conscience humaine pour faire entrer le spectateur dans un monde où la présence du divin semble tangible.

Barnett Newman "vir heroicus sublimis" 1950-1951La même chose est vraie pour une autre de ses toiles que je revois toujours avec bonheur : Vir heroicus sublimis, qui est au MOMA et qui dégage également une forte présence mystico-spirituelle enveloppante. Newman à beaucoup écrit sur son travail et voici une de ses citations : Le peintre actuel n'est pas intéressé par ses propres sentiments ni par le mystère de sa propre personnalité, il cherche à pénétrer le mystère du monde. Son imagination essaie de percer les secrets métaphysiques[…]. L’artiste essaie de forcer la vérité à surgir du vide.



Mark Rothko
Mark Rothko. Untitled. 1953, National Gallery of ArtDans mon travail, quand je choisis une couleur, je pense souvent aux harmonies colorées de Rothko, c'était un très grand coloriste, il travaillait des couleurs chaudes et sensuelles. J'ai vu sa rétrospective au Whitney et j'ai préféré malgré ses belles harmonies, ses dernières toiles, bicolores brun-foncé et gris-bleu, qui étaient sorties de la peinture (on fait toujours de la peinture pour se prouver à soi même que l'on a raison par rapport aux travaux d'autres artistes), pour entrer dans la vie et la lumière ! Dans le combat intérieur, son dernier combat entre la vie et la mort, là où le ciel et la terre s'affrontent dans une confrontation titanesque, fragile et ultime. Vraiment ses œuvres sur papier marouflé sur toile sont très humaines et très émouvantes, très spirituelles aussi, elles sont vraiment aussi puissantes que l'Enfer de Dante.

 


Jackson Pollock
Pollock, The Deep, Beaubourg, ParisLa première toile de Pollock que je découvris, ce fut The Deep, au Centre Pompidou. Regarder cette toile est comme être devant une faille, une grotte dans la nature, un trou, un sexe féminin recouvert de sperme, le climax du plaisir ! Il fallait oser comme Courbet l'avait fait avant lui, réaliser cet acte gesticulatoire et éjaculatoire ! Cette toile est aussi plus métaphoriquement parlante, le combat et la victoire du blanc, donc de la conscience, de la lumière et du savoir, sur le noir, donc de l'ignorance, de l'inconnu, de la nuit, de l'inconscient et de la peur.
La deuxième toile de Pollock que j'admire chaque fois au MOMA, est Autumn Rhythm, toile immense, où le corps du spectateur est embarqué, comme dans un vortex d'énergies omniprésentes sur toute la surface de la toile, par fractales ascendantes et descendantes, voyageant dans le sol, à gauche, à droite dans l'espace et le cosmos. Cette toile à vraiment la force énergétique transcendantale d'une peinture rituelle, où se sont déroulés successivement plusieurs événements sacrificateurs et sexuels, des combats mythologiques titanesques... c'est la quintessence assemblée des énergies primaires, archaïques, bestiales et spirituelles à l'état pure !

 

Pollock, Autumn Rythm, MOMA, NY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jasper Johns
Jasper Johns, Flag, MOMA, NYJ'apprécie beaucoup les premiers travaux à l'encaustique de Johns, où l'on perçoit les journaux, donc l'actualité, qui transparaîssent au travers de ses couches de cire chaude appliquée patiemment et méthodiquement. The Flag, le drapeaux américain peint, est une de ses œuvres les plus représentatives ainsi que la Target with plaster casts. Cette cible, objet du quotidien publicitaire, prends ici une dimension artistique du fait de son traitement en surface peinte, mais surtout de par l'ajout au dessus de cette cible d'une sculpture en bois de neuf casiers, dont chacun possède un clapet pouvant s'ouvrir et se refermer et dans lesquels sont placés un moulage de différentes parties du corps humain : nez, oreille, sexe etc. Jasper Johns, Target, private collection NYL'association improbable mais cependant logique de la sculpture et de cette peinture crée toujours un état de surprise chez les spectateurs, et si j'osais ( je ne suis pas très sûr que c'était initialement l'intention de Johns), je dirais que cet objet possède une certaine dimension ludique mais surtout magique !

 

 

 

 

 

 

 

Joseph Beuys
Joseph Beuys, MOMA, NYLe travail de Beuys est un peu ésotérique et inaccessible, mais comme tout ce qu'il utilise dans son travail à un rapport étroit avec le chamanisme, je dispose de quelques clefs pour comprendre ses œuvres. J'ai beaucoup aimé sa rétrospective à Beaubourg, en particulier ses dessins d'animaux et son installation avec son piano  silencieux entouré de feutre. J'aime également son œuvre Eurasia Siberian Symphony qui est au MOMA. Il y a un lièvre sur des échasses  (on peut penser à la scène du puits de Lascaux) et des dessins explicatifs tracés à la craie sur un tableau d'école. C'est sans doute la trace d'un rituel chamanique qu'il a réalisé lors d'une de ses nombreuses performances. C'était un grand guérisseur et un grand activiste qui, comme Dessin Joseph Beuysbeaucoup d'artistes allemands de sa génération, souhaitait guérir le monde par sa base sociale et de façon égalitaire pour ainsi régénérer les atrocités de la deuxième guerre mondiale en un art fédérateur. Son utilisation systématique et symbolique du feutre, de la graisse et des batteries est un langage simple avec des matériaux du quotidien utilisés pour guérir les blessures et c'est un langage qui lui appartient en propre et qu'il a su imposer au monde de l'art.

 

 

Sol Lewitt 
Sol Lewit, MBA OttawaJ'aime toujours regarder la fresque du Dessin mural n° 623 Paire de pyramides asymétriques, du Musée des Beaux-Arts d'Ottawa. Il s'en dégage une pureté architecturale post-renaissance, un peu mystique et mystérieuse, et presque comme une opération alchimique quintessentielle avec des états de transmutations successifs des couleurs pastels du Quattrocento. Sa dimension imposante de six mètres de hauteur par onze mètres de longueur, en fait une œuvre d'un grand dynamisme serein, doux et apaisant à la fois.

 

 

Jean-Michel Basquiat
Jean-Michel Basquiat, Philistines 1982. Acrylic and oil paintstick on canvasParfois les gens voient quelques similarités entre son travail et le mien, cela est simplement dû au fait que Basquiat travaillait beaucoup sous l'influence de la cocaïne et les états de consciences altérées induits sont similaires à ceux expérimentés dans les transes chamaniques. En tout cas j'ai toujours beaucoup aimé et respecté son travail, je ne saurais citer ici une œuvre en particulier, mais j'étais allé voir une exposition monographique de ses œuvres à Lausanne et j'en suis vraiment ressorti plein d'énergie vitale. J'aime son Imaginaire débridé sans code éthique, sans code moral, sans code social et il exprime très exactement aux travers de ses graffitis, la haine que lui inspirait notre société de consommation. Malheureusement l'immense paradoxe inévitable du marché de l'art fait que ses œuvres sont actuellement achetées pour des sommes astronomiques par tous ces industriels et grands magnats de la presse qu'il exécrait comme son ami Miles Davis, quand ils étaient encore vivants... !

 

Yves Klein
A une époque, il y avait une salle Yves Klein à Beaubourg : un grand espace où flottaient comme en suspension des grands monochromes de son fameux bleu IKB (International Klein Blue). Cette mise en abîme me plongea dans un état de transe méditative, comme si les vibrations colorées entraient en résonance avec certaines ondes alpha de mon cerveau, créant ainsi un moment où les deux hémisphères arrivent à fonctionner en harmonie parfaite. J'adore également ses happenings ou l'on voit seulement les traces des silhouettes féminines en transes, sexuées avec des gros seins et la toison du sexe bien visible. J'aime également ses travaux avec le feu et le vide, j'en parlerai plus profondément quand il sera question de l'art Hindou.

Yves Klein, Anthropométrie, 1960[ Voici une autre petite anecdote qu'il est peut-être pertinent de placer ici : nous étions allés avec mon ami Pierre dans un party au fin fond de Brooklyn, dans un grand loft industriel. Parmi les invités je remarquais immédiatement une très belle femme d'origine indienne, je suis allé lui parler et lui ai dit qu'elle dégageait une incroyable énergie spirituelle, elle me répondit qu'il fallait être deux pour pouvoir ressentir cette énergie un peu spéciale. En fait elle s'appelait Vennilla, était maître Yogi et en discutant un peu avec elle je lui ai proposé d'échanger quelques leçons de yoga contre une œuvre d'art. Elle vint donc à l'atelier et je lui montrai plusieurs petites sérigraphies, soudain elle eut comme un flash devant la Dragon Lady bleu monochrome et me dit : C'est exactement ce que je ressens quand j'entre en transe en pratiquant le yoga ! Je suis très heureux d'avoir eu la chance de rencontrer Vennilla qui vit maintenant en Inde, et de pouvoir utiliser ici son témoignage. Peut-être que les ondes alpha du cerveau sont très sensibles à ces bleus ultimes et profonds ? ]

 

Nancy Spero
Nancy Spero, Codex ArtaudJ'ai découvert l'exposition de son Codex Artaud dans une galerie New Yorkaise, et depuis j'ai toujours respecté et apprécié son travail. Elle travaillait principalement sur papier et ses dessins sur un matériau très féminin et délicat, un support qui n'est pas très souvent associé à l'énergie du désespoir et de la révolte sociale justifiée des femmes, comme dans la célèbre pièce de théâtre Lysistrata d'Aristophane. Elle a toujours travaillé sur la représentation du corps de la femme au cours de l'histoire, de la mythologie et dans l'art en particulier. Je suis un peu triste de finir cette liste non exhaustive d'artistes en n'ayant pas intégré plus de femmes artistes, mais malheureusement, ce n'est pas de mon fait et il se trouve factuellement qu'environNancy Spero, Codex Artaud 98% de la production artistique dans les musées officiels européen est de production masculine, ce qui ne serait sans doute pas le cas des musées d'art brut ni des musées ethnographiques, car dans de nombreuses sociétés traditionnelles et chez les "fous" la pratique de l'"art" est répartie plus égalitairement !

 



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