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Jean-Pierre Sergent

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Cette page est consacrée aux transcriptions de différents entretiens vidéos filmés à l'atelier de Besançon durant les années 2017 et 2018

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"Sexe, spiritualités, chamanisme & energies", interview entre l'artiste peintre Jean-Pierre Sergent & le journaliste Jean-Luc Gantner | 4 parties | atelier de Besançon, le 27 novembre 2018
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Caméras: Christine Chatelet et Louise Gantner.


1/4 : SEXE, SPIRITUALITÉS, CHAMANISME & ENERGIES - Voir la vidéo

Jean-Luc Gantner : Jean-Pierre, moi ce qui m’a toujours intéressé dans ton travail, c’est ce que tu appelles toi, les énergies, les energies cosmiques. Ça m’intéresse, parce que si on va jusqu’au bout de ce que tu dis à propos de ces énergies, on peut y voir plein de choses différentes. L’énergie dans une culture occidentale ça nous renvoie à une certaine philosophie et j’ai l’impression que c’est pas exactement ce dont tu nous parles d’énergie dans ton travail, d’énergie dans la vie ! Qu’est-ce que tu entends particulièrement par ces energies cosmiques ?

Jean-Pierre Sergent : Pour moi c’est plus ce qu’on appellerait : l’énergie vitale, plus qu’une énergie de force technologique. Souvent on pense à l’énergie, on dit les gens ont de l’énergie parce qu’ils courent vite ou qu’ils montent le Mont Blanc, mais ce n’est pas forcément de cette énergie dont je parle. En fait c’est plus une énergie qui est en rapport avec justement l’Univers ou la pensée animale.

JLG : Quelque chose de spirituel ?

JPS : Oui, dès l’instant où l’on se sent connecté à quelque chose, on peut parler de spiritualité.

JLG : Il y a une certaine forme d’ambiguïté justement quand tu parles de spiritualité, d’énergie cosmique donc pourquoi pas de spiritualité, un rapport avec l’au-delà ?

JPS : Pas forcément ! Ça peut-être un rapport au présent tout simplement. La spiritualité ne parle pas forcément de l’au-delà. Ce sont les religions monothéistes qui parlent toujours de l’au-delà, de l’après, mais ce n’est pas nécessaire.

JLG : Les cultures archaïques, les cultures anciennes ont tout de même un vrai rapport avec ses mondes irréels, ces mondes imaginaires, ces au-delà.

JPS : Ils parlent d’une autre réalité qui est la leur et qui est la réalité de la mécanique quantique. Quand tu regardes comment est décrite une transe chamanique, c’est à peu près la même chose que ce qui se passe avec les particules élémentaires. Donc c’est leur réalité, qu’ils ont appris par expérience et nous, on a perdu cette réalité. Justement en grande partie à cause des doxas imposées par les sciences.

JLG : C’est un peu paradoxal parce qu’aujourd’hui tout se remélange.

JPS : On redécouvre qu’il y a des univers et des énergies qu’on ne soupçonnait pas et qu’on a méprisés pendant des siècles. Moi j’essaye de réintégrer ces énergies, avec mes biens modestes moyens.

JLG : Tu penses que la science finalement a pu être un frein en particulier cette science moderne, cette science occidentale en particulier, elle a pu être un frein justement à ce rapport simple aux choses de la vie. Les choses qu’on a oubliées, donc on aurait oublié ces choses simples à cause de la science.

JPS : Oui, la science occidentale, mais la science hindou connaissait ces énergies cosmiques et les cycles cosmiques. Nous, on l’a découvert que beaucoup plus tard. Donc il faut se replacer, il faut changer de culture. Et moi je pense que la science a détruit beaucoup de choses. Et c’est pour cela qu’on a pu tuer les indiens, pourquoi, pace que c’était des animaux, ni plus ni moins. ils n’avaient pas plus de valeur qu’un objet.

JLG : Donc c’est la science et la religion. Pourtant la science a permis de nous dépasser !

JPS : Oui, mais en attendant la technologie en accord avec la science sont en train de… (Je ne veux pas faire l’avocat du diable mais)... Aujourd’hui tu vois bien qu’il y a 60% des espèces d’animaux sauvages qui ont disparu ! C’est l’industrie, c’est tout ça... Et moi ce qui me fait peur c’est que l’énergie humaine personnelle disparaisse. Le simple fait de pouvoir passer un peu de temps avec quelqu’un, de sourire, c’est en train de disparaitre. Parce qu’on est complètement névrosé.

JLG : Pour toi c’est ça finalement l’énergie, ce sont ces petites choses finalement qui passent entre la terre et nous, entre les animaux et nous, entre les humains et les autres humains, c’est de ça dont tu parles quand tu parles d’énergie ?

JPS : Oui tout-à-fait, c’est un flux !

JLG : Parce qu’on pourrait se tromper. On pourrait penser que tu délires avec le cosmos de manière ésotérique, en fait c’est beaucoup plus simple que ça !

JPS : Oui, les gens qui pensent que je délire je les emmerde, j’ai passé l’âge de faire des compromis. Mon travail est là et il parle de lui même ! Après on peut en discuter mais on ne peut pas expliquer des choses aux gens qui ne comprennent rien, ça c’est un gros problème.

JLG : Qui ne veulent pas comprendre ?

JPS : Ils ne peuvent pas, ce n'est pas qu’ils ne veulent pas, il n’ont pas les outils.

JLG : C’est quoi les outils pour comprendre justement ces choses simples de la vie de tous les jours selon toi ? Et ton expérience ? Selon ce que tu dis dans ta peinture depuis des décennies maintenant ?

JPS : Il faut déjà être humble face à la couleur, face à la forme et puis surtout il faut être curieux et il faut être attentif aux choses et bienveillant ! C’est quelque chose qui manque énormément de nos jours.

JLG : C’est ce que tu essayes de transmettre à travers tes peintures, c’est ça, c’est de la bienveillance ?

JPS : Oui ! La vie est fragile et elle mérite qu’on s’y attarde.

JLG : Je me souvient qu’un jour tu m’avais dit dans une interview, il y avait beaucoup d’émotion chez toi quand tu le disais pendant une exposition en Suisse : "Dites vous toujours qu’un artiste quand il crée, il le fait pour les autres, il le fait pour transmettre quelque chose qu’il a en lui !", c’est de la bienveillance justement ?

JPS : Oui.

JLG : C’est quelque chose de bon !

JPS : Exactement, oui, je pense. Tous les artistes ne travaillent pas dans ce sens là mais pour ma part, c’est ce que je ressens, oui je sens une bienveillance…! Vis-à-vis de la Terre, et puis c’est d'avir une gratitude face à la vie.

JLG : C’est pas une défense aussi ? De dire je vais vous faire du bien, je vais vous envoyer du bien. Parce que peut-être toi tu n’as pas toujours reçu ce bien là ?

JPS : Ah non mais peut-être…?

JLG : Qu’est-ce qui crée chez toi le besoin de dire aux autres par ton art : Regardez, je vous aime ?

JPS : Non ça ne veut pas dire : "Regardez je vous aime." mais : "Regardez, j’aime la vie !" Donc je ne veux pas aller jusque là ! Je ne suis pas Jésus moi, non, non ! Chacun a sa propre destinée. Je ne suis pas un sauveur et je déteste les gens qui veulent sauver le monde ! Je parle de mon expérience, point-barre.

JLG : Il y a aussi quelque chose d’intéressant là, tu viens de dire Jésus non, moi je mets ça de côté etc…Donc justement ton rapport à la religion. Si on reprend ton travail il utilise tout de même beaucoup des codes qui ont été utilisés par des peuples qui sont leur rapport au cosmos. Donc des rapports à des esprits, des rapports y compris à Dieu, à ce qu’on appelle des Dieux, et toi quelque part tu le contestes ? Non pas ce que je viens de dire, tu contestes cette société, cette histoire, cette culture… Qui a Dieu pour repère finalement. Alors ?

JPS : Mais il vaut mieux avoir mille Dieux qu’un seul ! Je pense que c’est plus, intelligent, (ce n'est pas vraiment le bon mot !), c’est plus sensible par rapport à la multiplicité des choses ! Les choses se créent dans un ensemble, une collaboration et c’est un peu ce qu’on ressent dans mon travail. Parce ce que je veux vraiment sortir de l’œuvre unique pour arriver à une espèce de collaboration, oui ! Et je trouve que les sociétés polythéistes ou les sociétés animistes ont une vision de la vie plus intéressante. Pour moi et iconographiquement parlant aussi… parce que quand on peint, ou qu’on ne peut pas peindre un seul dieu, on est quand même limité iconographiquement parlant.

JLG : Tu disais qu'ici en occident, on peignait la mort, parce que les icônes, parce que les images qui nous ont forgés sont des images de mort, morbides. Le monde judéo-chrétien, chrétien en particulier est morbide, c’est ça, tu le vois comme ça ?

JPS : Oui, peindre systématiquement un Christ en croix, c’est peindre un dieu mort ! Et quand on voit les artistes aztèques qui peignaient des dieux vivants, qui éjaculent, qui touchent des serpents, qui touchent des crânes de mort, qui boivent du sang… Ce sont des rituels de la Vie ! Et je suis plutôt pour honorer la vie ! Une fois que les choses et les gens sont morts, c’est mort !

JLG : Pourtant ça fait peur ce que tu viens de dire là aux gens en général, ici chez nous ! Tu leur parles de gens qui boivent du sang, de gens à plusieurs bras, à plusieurs yeux, plusieurs bouches ! C’est des choses qui font peur qui mettent mal à l’aise éventuellement. Qui sont des tabous, qui sont des choses dont on ne parle pas ?

JPS : Mais l’occidental est peureux par nature. Et puis je ne peins pas pour ces gens là ! S'ils ne rentrent pas dans mon travail tant pis pour eux, je ne veux pas me battre. Je n’ai pas à me battre à ce sujet là. Moi, je réfléchis souvent à cette chose là... qui est que : pourquoi je continue à travailler ? Parce que c’est quand même une vie difficile ici, d’être artiste ! C’est que je me sens être non pas dans une voie... mais un cheminement et je continue, voilà c’est tout ! Et bien sûr c’est dur, parce qu’on en a souvent discuté ensemble : ce sont des énergies que peu de gens acceptent. Même si des fois, le public trouve un peu que la couleur est belle, l’harmonie des couleurs est belle ! Mais ça reste toujours en superficie des choses. Parce que les gens ne savent plus être au centre d’eux-mêmes, ils n’ont plus cette énergie vitale donc c’est très difficile de parler à ce public inculte, très difficile !

JLG : Comment ce cheminement là a commencé chez toi ? D’où il vient ? Tu te souviens comment ça a commencé ? Cette histoire de t’interroger sur ces énergies, sur le fait que des peuples avaient pu exister, certains même existent encore aujourd’hui, qui ont des rapports aux choses différents, comment c’est venu ?

JPS : Parce qu’il me manquait quelque chose dans cette société et dans cette peinture, la peinture occidentale. À part Les demoiselles d’Avignon de Picasso et quelques peintures comme ça dans l’histoire de l’art, mais sinon la peinture occidentale m’ennuie énormément ! Parce que justement, c’est quelque chose qui est tourné… J’ai écrit cette petite phrase l’autre jour, je me permets de vous la lire, en marchant dans la rue, je pensais à notre entretien et j’ai pensé à ça :

"Contrairement à la peinture traditionnelle dite de chevalet (C’est souvent la peintre fenêtre qu’on voit dans les musées), qui est presque toujours une fenêtre ouverte de l’intérieur de soi vers l’extérieur, vers le monde…! Inversement, ma peinture est plutôt une peinture intimiste et sacrée, posée sur l’intérieur de l’être comme une nouvelle projection d’images inversées tranquillement dans la matrice des rêves."

Je revendique un peu ce côté onirique, parce que justement le rêve a ce rapport direct avec la mort, avec la sexualité. On peut parler d’au-delà parce que quand on rêve on est au-delà du corps, bon c’est l’au-delà du corps, je ne parle pas de l’au-delà de la mort, on n’en sait rien !

JLG : C’est aussi les paradis artificiels ?

JPS : Si on veut, oui ! Peut-être, oui ! C’est aussi la question de la māyā (monde de l’illusion dans la philosophie Hindoue) la philosophie de la māyā pense que la réalité est une illusion. C’est à dire, que l’on vit devant un écran de cinéma (une pièce de théâtre) et tout se développe comme si on vivait notre vie dans une illusion. Mais où est la réalité ultime, on n’en sait rien, personne n’en sait rien ? On ne sait pas !

JLG : Je reviens donc à ma question sur l’origine, sur le commencement.

JPS : Oui, excuse moi.

JLG : Toi-même justement, c’était intéressant, tu dévies forcément sur des questions du rêve, sur des questions oniriques sur les sociétés archaïques, les sociétés anciennes. Les sociétés précolombiennes, les Mayas, sur les Esquimaux, les Inuits etc… Donc on est sur ce terrain là quand on parle de l’onirisme. C’est étonnant puisque ce n’est pas toujours nos références quand on parle du rêve. Je citais Les paradis artificiels, de Baudelaire, Rimbaud… On a ce type de référence là dans notre culture et dans l’art. Mais toi tu vas déplacer le terrain spirituel, onirique, toujours sur ces sociétés archaïques… D’où ça vient, pourquoi ?

JPS : C’est très difficile de répondre à ta question. Comme j’en parle souvent, en Egypte, j’ai eu une espèce de révélation cosmique. C’est à dire que jusqu’à présent en Europe, j’étais dans une relation, on peut dire, linéaire à la réalité (horizontale). Or, quand tu entres dans une tombe égyptienne, tu as cette expérience verticale et avec l'infini. Et c’est exactement ce qui se passe dans les trances chamaniques. C’est à dire que tu peux entrer dans le monde souterrain, ou le monde des esprits. Et ce voyage vertical, c’est ce voyage dont parlent toutes les sociétés archaïques (entre guillemet). Et donc ce voyage vertical, je travaillais déjà dessus en peignant de grandes colonnes verticales que je peignais par terre (un peu à la Barnett Newman), Parce que je pense que les peintres américains comme Rothko, Newman ou Pollock ont compris cette énergie cosmique, qu’ils ont apprise des amérindiens. Et c’est de cette énergie là dont je veux parler.

JLG : Pollock avait effectivement commencé de travailler en s’inspirant, parce qu’il avait vu de ces propres yeux, ressenti dans sa propre chair avec les indiens.

JPS : Oui

JLG : C’est presque une petite partie de ton histoire. Tu as plus ou moins aux États-Unis vécu un cheminement comme celui-là. C’est là où je voulais en venir, est-ce que ça a commencé comme ça ? Est-ce que c’est en cherchant que finalement tu es tombé sur des gens qui avaient déjà vécu ce genre d’histoire et qui te passionnait toi, qui t’intéressait ?

JPS : Oui, ce sont les coincidences de la vie ! Bien sûr, d’où ça vient ? Est-ce qu’on est vraiment comme on dit en anglais : des old souls, des vieilles âmes et que les vieilles âmes se rencontrent ? Peut-être ? Oui !

JLG : "Il est des vieux temps qui nous croisent !" disait André Gide…

JPS : Voilà, oui c’est ça ! Oui, oui, oui.

JLG : Sans qu’on comprenne vraiment pourquoi ? Qu'on le sache.

JPS : Tout à fait !

JLG : Sans qu’on sache d’où ça vient ?

JPS : Oui, oui, oui. Il y a un temps archaïque, un temps profond. Et il y a certaines personnes qui en ont conscience, d’autres non, on ne sait pas pourquoi ?


2/4 : SEXE, SPIRITUALITÉS, CHAMANISME & ENERGIES - Voir la vidéo

JLG : Est-ce que quelque part tu n’es pas comme ça, tu ne réfléchis pas comme ça, tu ne commets pas cet art là parce que finalement cette vie matérielle (entre guillemets) t’ennuie ? Cette vie de tout le monde, de tous les jours, industrieuse t’ennuie ?

JPS : Je vais te répondre très clairement : non ! La vie ne m’ennuie pas, c’est une superbe aventure ! Ce qui m’ennuie, c’est de vivre peut-être dans des lieux où justement ces énergies ne sont pas honorées. Oui, ça ça me dérange ! Je préfère largement être dans un lieu comme New York, où justement ces énergies sont prises en compte, plus facilement. Et non, le quotidien ne m’ennuie pas du tout, mais alors pas du tout ! J’adore la vie, je prends beaucoup de plaisir à travailler, à lire des livre, à rencontrer des amis. Mais non pas du tout, je n’ai pas un côté dépressif comme ça ! J’aime bien ça, et puis j’aime la couleur ! C’est vrai que parfois ma vie manque de rencontres importantes, essentielles. Voilà, oui, tout à fait, c’est vrai ! Et l’art contemporain français m’ennuie énormément !

JLG : Tu as des choses en toi que tu portes, que tu as envies de transmettre ?

JPS : oui.

JLG : Finalement c’est pas toujours très simple d’avoir des échanges, de pouvoir communiquer ? Échanger ces choses ? Et toi tu en as besoin ?

JPS : Oui, mais je communique par mon travail.

JLG : Donc ça vient dans ton travail, ça devient ton art ! C’est un manque peut-être ?

JPS : Non, on ne peut pas dire cela. C’est ma vie, c’est en parallèle, ma vie est en parallèle à ma vie d’artiste, oui.

JLG : Je ne t’ai jamais vu le faire réellement, mais j’ai vu des photos où tu le fais… Chez toi, là où tu es né, dans le Haut-Doubs, sur un lac... Avec un bateau, une barque, un canoë.

JPS : Oui !

JLG : Tu pagaies, tu fais des photos, tu regardes la nature autour de toi ! Et j’ai vu, que tu as des photographies qui représentent des morceaux de falaises, des morceaux d’arbres, des morceaux d’écorces, des morceaux de nature... Et ces morceaux de nature sont des formes, comme si tu identifiais quelque chose de particulier dans ces formes. Ça explique pas mal de choses sur ton travail sur ta vie, sur ton histoire, sur ta manière de ressentir le monde ? De voir ces formes du monde, est-ce qu'il n’y a pas quelque chose de…?

JPS : Oui, c’est moi qui pose un symbole, bien évidemment !

JLG : C’est les symboles que tu cherches ?

JPS : Oui, la signification des choses, leur intériorité, oui ! Je ne prétends pas de connaitre la signification des choses, mais oui, il faut que cela soit signifiant ! oui !

JLG : Tu veux comprendre par les signes par les symboles ?

JPS : Oui, la beauté du monde, tout simplement, oui !

JLG : Tu crois que tout ce monde là est codé donc quelque part ?

JPS : Non !

JLG : C’est un code spirituel ?

JPS : Oui, mais peu importe, ce que ça peut-être… c’est surtout les codes de la beauté ! Bon, je trouve ça beau, point-barre. On ne peut pas désarticuler les choses comme ça, essayer de tout comprendre ! Il y a des choses qui m’interpellent plus que d’autres, oui.

JLG : On reste sur ce terrain là. Ces formes que tu identifies toi et dans lesquelles tu vois des symboles, des signes, des choses qui te parlent... Et puis, si on regarde ton travail, ce ne sont que des signes, mais des signes, pas n’importe quels signes ! Des signes qui viennent de civilisations, de groupes humains, qui font sens entre eux.

JPS : Oui.

JLG : Ils regardent le monde, ils l’interprètent, ils en font des codes culturels. Ce sont des signes de culture. Toi, ces signes de culture, tu les récupères, tu les mélanges, tu les superposes et tu les malaxes !

JPS : Oui !

JLG : C’est quoi cette histoire, tu peux prendre toutes les cultures du monde quelque soit le temps ? Quellle que soit la géographie et en faire quoi : ton propre monde, ton propre univers à toi, ta propre culture !

JPS : Oui, on peut dire ça comme ça ! Oui on peut dire que c’est une invention picturale. Oui, c’est un autre langage !

JLG : Tu inventes ton propre langage ?

JPS : Oui, enfin ça semble très prétentieux de dire ça, mais quelque part c'est ça, oui !

JLG : Non, mais l’artiste peut-être ?

JPS : Oui, voilà, je suis artiste, j’invente mon propre langage ! Je me sens à l’aise dans ce langage là.

JLG : Ça peut provoquer une certaine solitude. Quand tu dis que les autres ne te comprennent pas, effectivement au bout d’un moment ça peut causer ces problèmes !

JPS : Non, mais c’est juste une superposition d’informations. Après, c’est peut-être plus difficile à comprendre ! Il faut peut-être déchiffrer, il faut trouver La pierre de Rosette !

JLG : Qu’est-ce qui fait que tu choisis ce signe plutôt qu’un autre ? Pourquoi tu vas puiser plutôt un signe dans une culture aztèque par exemple, plutôt qu’un signe effectivement du monde de consommation actuel comme Warhol pouvait le faire dans le PopArt ? Ou y compris dans une grande filiation de la culture occidentale, ou les signes chrétiens. Pourquoi choisir spécifiquement ces signes là, de ces cultures archaïques ?

JPS : Parce qu’ils sont, ou ont été, sacrés, tout simplement ! Pour la plupart d'entre eux. Enfin sacrés, on n’en sait rien ?

JLG : Aussi dans la culture judéo-chrétienne c’est sacré !

JPS : Oui mais, sacré… différemment… Je ne me verrais pas mettre des croix dans mon travail. Pour moi, à cet instant T, ça n’aurait pas de sens. Peut-être que quand j’aurai quatre-vingts ans, je peindrai des croix ? Je n’en sais rien ? Des croix chrétiennes, oui !

JLG : Moi, j’ai l’impression que tu dis que tu ne peux pas mettre de croix, quand tu parles de la mort, finalement c’est parce que ça renvoie à l’immobilité ? Cette religion judéo-chrétienne, cette culture judéo-chrétienne, elle renvoie : on est mort, c’est fini, c’est immobile, c’est figé tout ça ! Toi, ton travail il a une particularité, on parle d’énergie, c’est qu’il est explosif !

JPS : Oui.

JLG : C’est une explosion d’énergie ! Même dans la mort, qu’on pourrait imaginer dans des société archaïques, qu'il y a une énergie très forte !

JPS : Bien sûr, oui !

JLG : Aussi forte que la vie elle-même ?

JPS : Bien sûr et quand on lit le Livre des morts Tibétains, pour que l’âme du mort passe dans l’autre monde, ça prend trois mois, ou je ne sais plus exactement ! Et ce sont des aventures incroyables, donc forcément pour ces peuplades là, la mort est une énergie, c’est une suite d’énergies, un voyage fabuleux. Déjà quand tu rentres dans le tunnel ; moi j’ai fait cette expérience dans une transe chamanique, cette énergie est incroyable bien sûr ! Oui, oui.

JLG : On parle en ce moment d’une phrase de Victor Hugo, elle est dans l’actualité c’est : "La force qui va !", c’est Hernani : "Je suis la force qui va !" Ça fait aussi penser à Nietzsche : l'amor fati, la volonté de puissance. Voilà c’est de tout ça dont on parle. Toi, je pense qu’à regarder ton travail, tu es dans ce rapport là aux choses. Ressentir cette force, la laisser s’épanouir en toi, la laisser exister et en faire quelque chose... La transmettre, la faire passer dans ton travail.

JPS : Oui.

JLG : C’est quand même quelque chose de particulier, c’est quelque chose pour un artiste, un individu particulier, de passer sa vie à essayer de faire passer cette énergie là, la transmettre comme ça ! Encore une fois, je reviens au point de départ, d’où ça vient, pourquoi tu as, toi spécifiquement ce besoin très fort de parler de cette énergie, de la prendre en toi et d’en faire quelque chose, d’en faire un art ? Tu n’as plus de réponses ?

JPS : Non, je n’ai pas la réponse à ta question !

JLG : Mais tu le ressens cette énergie vitale ? Tu ne sais pas pourquoi mais tu le ressens très fort ? Ou comment tu expliquerais ça ?

JPS : J’ai cette énergie vitale en moi, oui bien sûr, oui, oui ! Mais après d’où ça vient ? Ce n’est pas quelque chose qui a été construit, c’est ma destinée !

JG : Cette énergie : elle renvoie nécessairement à la sexualité. Pour parler un moment de ton travail, il utilise beaucoup des codes qui renvoient à la sexualité... Y compris même si on reste en occident avec nos codes des valeurs et des tabous, quasiment pornographique !

JPS : Oui.

JLG : Les gens disent que ton travail est pornographique. On voit des sexes, on les voit vraiment. On voit des actes sexuels ! C’est pornographique ?

JPS : Oui.

JLG : Toi tu dis, mais pas du tout, ça n’a rien à voir avec la pornographie ?

JPS : Non, mais je n’ai pas de commentaires à faire là-dessus. Justement, je parle de l’énergie, mais je n’ai pas de commentaires. Je prends des images pornographiques pour parler de cette énergie, bien évidemment. C’est sûr que la copulation c’est… Surtout ce qui m’impressionne aussi dans l'acte sexuel, c’est le cri des femmes qui jouissent. Alors je prends toujours des vidéos et je récupère la bande son. Parce que c’est le premier bruit qu’on a entendu. Si tant est que l’on soit né d’un acte de copulation où les gens ont joui. C’est la première mémoire de l’humanité la copulation.

JLG : Le premier bruit du monde !

JPS : Oui, le premier bruit du monde, voilà, c’est notre big bang à nous. Donc pourquoi ne pas en parler ? Je suis content d’être en vie et j’ai envie de parler de ce plaisir.

JLG : Quand on parle d’énergie finalement, y compris des choses simples, comme on disait au début, ça renvoie aussi à ça, l'énergie c’est peut-être d’abord ça pour toi ?

JPS : Oui, bien sûr peut-être !

JLG : Cette première chose, ce premier son du monde c’est l’énergie sexuelle !

JPS : Bien évidement, oui, tout à fait !

JLG : Et tu penses que dans notre société, dans notre culture, on a un problème avec cela ?

JPS : Mais je n’ai pas à juger notre société. Je rencontre beaucoup de gens, la plupart sont déprimés (voir suicidaires). Contrairement à New York, les gens ont perdu cette énergie… cette intuition de la vie. Et aussi cette intelligence collective ! Il y a quelque chose qui manque, mais bon, on ne peut pas critiquer les choses comme ça !

JLG : Ah mais si ! On peut toujours les commenter en tout cas !

JPS : On peut les commenter, oui on peut.

JLG : Et tu les commentes beaucoup, justement parce que je sais que ça te met au minimum mal à l’aise de sentir que les gens, en tout cas vis à vis de ton travail, n’ont pas la capacité quelques fois de le ressentir simplement les choses, le monde, les choses simples ; donc ton travail, le travail d’un artiste ? Je sais que c’est un problème chez toi, tu en parles souvent, C’est au moins embêtant ?

JPS : Oui c’est embêtant, oui, parce que même les gens travaillant dans la culture ne rentrent pas dans mon travail, donc c’est qu'on ne parle pas des mêmes cultures, point-barre, c'est tout ! Mais tu sais l’autre jour j’avais une exposition avec des artistes chinois, ils parlaient chinois et je ne comprends pas le chinois mais il faut écouter cela comme de la musique. Donc si les gens viennent ici et qu’ils regardent ou écoutent mon travail comme de la musique, peut-être qu’ils comprendront mieux que si ils le regardent comme une peinture si tu veux. Tout est une question d’échelle dans la vie, ou d’angle d’attaque.

JLG : L’énergie et puis la poésie, tu adores la poésie. Comment tu inscris cette poésie là dans ce travail qui est de l’énergie pure au départ ? Où, à quel moment intervient cette poésie ?

JPS : Oui, la peinture c’est de l’énergie : PEINTURE = POÉSIE = ÉNERGIE !

JLG : La poésie et l’énergie pour toi c’est synonyme donc ?

JPS : Oui, dès qu’une œuvre d’art nous fait accéder à une autre dimension à un autre niveau de conscience, c’est une énergie transcendante.

JLG : La poésie c’est vrai peut nous transporter au delà de nous, nous faire sortir de nous mêmes, ou au contraire nous faire rentrer très profondément en nous-mêmes. Nous questionner par la beauté ?

JPS : Par la beauté, oui voilà. Dans la poésie il y a la même chose, il y a la beauté aussi, oui.

JLG : D'accord, donc l’énergie c’est beau ?

JPS : L’énergie c’est beau !

JLG : C’est beau et poétique !

JPS : Oui il se trouve que l’Univers est beau et poétique ! Pourquoi…? On n’en sait rien ? C'est comme cela !


3/4 : SEXE, SPIRITUALITÉS, CHAMANISME & ENERGIES #3 - Voir la vidéo

JLG : Sur ce travail, lié aux énergies, il y a une chose fondamentale qui te caractérise : c’est finalement ce qu’on peut appeler le chamanisme, le rapport au chamanisme. C’est dans tout ton travail depuis longtemps maintenant, quelque chose qui presque le gouverne, c’est l’essence même de ce travail. Essaye de me décrire ce chamanisme, qu’est-ce qu’il est pour toi, où tu te situes par rapport à ça et d’où il t’est venu ?

JPS : Pour moi, c’est comme une réalité augmentée, et ce sont des énergies différentes. On parlait de forces d’énergies, tout à l’heure au début de l’entretien et c’est vrai que dans ces expériences, j’ai rencontré des énergies beaucoup plus fortes que ce qu’on vit dans notre quotidien. Même dans les rêves c’est même plus fort que le rêve ! Donc, c’est à dire que notre cerveau, ou notre inconscient collectif, ou notre esprit ? peut aller dans des endroits où on peut voyager géographiquement. C’est à dire : un moment donné on est en Sibérie et l’autre moment on est en Afrique, l'autre, on est au milieu de l’océan.

JLG : Et jamais à Paris, jamais à Biarritz, jamais à ? C’est plutôt toujours en Afrique…!

JPS : Je pense que Beigbeder, penserait être au sommet de la Tour Eiffel ! Si tu vois ce que je veux dire !

JLG : Et toi tu te retrouves plutôt dans des jungles indiennes, népalaises…

JPS : On est plutôt avec notre Animal Spirit, donc forcément, on est plutôt au dessus de l’Himalaya, voilà…

JLG : Pourquoi, parce que c’est plus beau ? Ou les énergies sont là-bas ?

JPS : Les énergies sont là-bas. Les énergies sont là-bas bien sûr.

JLG : Donc elles sont là où finalement l’occident, l’industrie, la science n’est pas ?

JPS : Oui, oui. Quoi que bon, peut-être qu'en volant dans le Concorde on peut ressentir l’énergie, ça je ne dis pas le contraire, je n’ai pas fait cette expérience. Il ne faut pas tout dévaloriser non-plus ! Et prendre un avion à Genève pour aller à New York, c’est magnifique ! Et puis pouvoir parler avec des gens à l’autre bout du monde, c’est bien. Mais bon, il y a aussi d’autres énergies et moi j’aime les cultiver.

JLG : Comment ça t’est arrivé, comment ça t’est venu, est-ce que tu te souviens à quel moment tu as commencé de te rendre compte, de comprendre qu’il y avait quelque chose d'intéressant, une connaissance peut-être à acquérir de ce côté là ? Qu’est-ce qui t’as séduit ? Quand c’est arrivé ?

JPS : La plupart d'œuvres faites par les artistes de ces sociétés anciennes ont cette dimension chamanique. C’est à dire que c’est toujours une transformation en quelque chose d’autre. Le chamanisme c’est la transformation ! La transformation, le don d’ubiquité et c’est un peu comme, oui, passer d’un état à l’autre, voilà ! Transmutation, c’est de l’alchimie !

JLG : C’est ce que tu aimes ? Tu aimes bien te transformer ? Tu voudrais être quelqu’un d’autre ?

JPS : Non, pas pour mon propre corps mais dans mes voyages cosmiques, oui j’adore ça oui ! Pourquoi ne pas être une pierre une fois ? Ou la rivière, oui ! C’est beau !

JLG : C’est beau ! Et c’est ce que tu essayes de nous expliquer dans ton œuvre ?

JPS : Oui, cette transmutation ! Oui, ce mouvement !

JLG : C’est un témoignage ?

JPS : C’est un témoignage, oui !

JLG : De ce que tu vis dans ces séances, on pourrait dire, dans ce questionnement…?

JPS : Mais également on rencontre souvent des esprits, donc on sort un peu de notre solitude (corporelle), parce que notre corps est assez seul quelque part, sauf dans la sexualité ; donc on trouve quelque part des guides spirituels. C’est un peu bandant de trouver des gens qui nous accompagnent !

JLG : Même si ça n’existe pas ?

JPS : Moi je pense que l’inconscient collectif, comme dirait Jung, c’est quelque chose qui existe. On peut dire que quand l’humanité n’existera plus ça n’existera plus. Mais tant que l’humanité existe, ça existera !

JLG : Tu es un idéaliste au sens philosophique !

JPS : Oui, peut-être ?

JLG : C’est à dire que tu peux être quelque chose d’autre que ce que tu es là matériellement ?

JPS : Bien évidement ! Oui !

JLG : Tu peux être plein d’autres choses, tu peux finalement être ce que tu veux être ?

JPS : Oui c’est vrai, mais c’est le don (le privilège) de l’artiste, de pouvoir être presque schizophrène. Parce que bon, on peut être et devenir n’importe quoi. Il y a même des peintres qui décident de peindre tout en noir, toute leur vie ? C’est un choix !

JLG : Soulages dit que c’est la lumière !

JPS : Oui ! Et Robert Ryman a peint du blanc toute sa vie ! C’est un choix aussi ! C’est une transformation !

JLG : Tu as fait toi-même ces expériences à New York, en tout cas aux États-Unis quand tu étais à New York, tu es parti, tu as rencontré des gens qui ont pu te permettre ça. Est-ce que c’était un hasard, c’était des rencontres que tu as faites à l’époque, tu es tombé dedans comme on dit ? Ou est-ce que finalement, tu parlais de Pollock etc… Ce sont des gens qui sont passés par là… Et puis même à la fin du dix-neuvième siècle, il y a des écrivains français, des peintres, des poètes etc, qui ont vécu aussi des choses de cet ordre là. Qu’est-ce qui t’as donc conduit toi, dans cette direction là, sur ce chemin là ? Est-ce que ce sont plutôt des lectures ? Est-ce que ce sont des gens qui t’on fasciné, des artistes ? Comme Pollock. Ou est-ce que c’est le hasard, finalement étant aux États-Unis, tu te souviens de ça ?

JPS : Oui, d’abord j’ai beaucoup lu l’œuvre de Mircea Eliade, il a écrit son gros pavé sur l’histoire du chamanisme : Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase et j’aime beaucoup aussi le livre de Georges Bataille: L'érotisme, où il parle beaucoup de la transe. Et bien sûr cet état de transe m’intéresse. Personnellement je n’ai jamais pris de drogue, ça ne m’intéresse absolument pas.

JLG : Donc pas de paradis artificiels chez toi ?

JPS : Non, non ! Parce que ça m’est arrivé comme ça ! C’est hasard et coïncidences ! Ce sont plutôt les coïncidences de la vie. Car devant des œuvres chamaniques, on sent qu’il se passe quelque chose, qui ne se passe pas dans une peinture européenne. Bon il y a des exemples de peintures européennes qui peuvent nous emmener dans un état de transe mais jamais à ce point-là.

JLG : Parce que ça a un rapport plus direct avec la nature ?

JPS : Oui !

JLG : C’est quelque chose de plus simple encore une fois. La nature elle-même, les animaux, l’air le soleil…

JPS : Le corps surtout !

JLG : Les choses fondamentales !

JPS : Oui, bien sûr, oui.

JLG : Alors que nous, on est très, très loin, en occident aujourd’hui !

JPS : Très éloignés, oui !

JLG : Tu es l’antithèse de ce que décrit Hegel par exemple, il dit qu'il ne peut pas y avoir de beau dans la nature, ça n’existe pas le beau dans la nature !

JPS : Oui, je suis l’antithèse de Hegel ! Absolument !

JLG : Il faut qu’il y ait un homme pour qu’il y ait du beau en fait ? Il faut qu’il y ait une nature humaine pour qu’il y ait du beau, parce que ça n’existe pas le beau dans la nature ?

JPS : Peut-être qu’il a raison, je n’en sais rien ? Je ne sais pas ? Il faut une conscience pour voir la beauté peut-être ou peut-être pas. Çà ce n’est pas une question à laquelle j’ai envie de répondre.

JLG : Tu t’en fous en fait de ça ?

JPS : Oui, oui !

JLG : En fait ça, ça ne t’a jamais intéressé et d’ailleurs ça renvoie… c’est-a-dire de trop intellectualiser la vie ou l’art ! En fait, ça te fait chier !

JPS : C’est bien vrai !

JLG : Et ça se retrouve dans le fait, comment on pourrait dire, de ce problème auquel tu te confrontes : qui sont des spectateurs de ton art, dont tu sens bien qu’ils ne sont pas en train de ressentir quoi que ce soit. Alors que c’est ça ton travail, c’est de leur faire ressentir quelque chose de fort ! Par le corps quasiment ! Alors qu’ils vont essayer de déchiffrer, de comprendre pourquoi on a éventuellement un sexe en érection devant une fleur de lotus, qui elle même est plutôt bleue que jaune ? À quoi ça renvoie, à quoi ça fait référence ? On va parler crûment : ça t’emmerde !

JPS : Oui parce qu’il n’y a pas de grille de lecture de mon travail ! On ne peut pas le déchiffrer comme ça, non. Ce n’est pas que ça m’embête mais chacun fait dans la mesure de son possible ! On ne peut pas systématiquement critiquer les choses ! C’est comme ça !

JLG : Et pourtant tu adores les grands textes intellectuels. On parle souvent de la littérature, de la belle, la grande littérature, Salammbô ou La Tentation de Saint Antoine de Flaubert, ça t’inspire beaucoup, alors que pour le coup, pour adhérer à ces textes là, il faut quand même faire fonctionner quelque chose de très intellectuel plutôt que de très corporel !

JPS : J’ai la chance d’être français et américain, c’est à dire que je suis à la fois intellectuel et à la fois pragmatique. On ne peut peut-être pas utiliser vraiment le mot pragmatique pour les américains mais ils sont plus en accord avec la vie ; oui, je suis les deux !

JLG : Plus en accord avec la nature, simple !

JPS : Oui, oui.

JLG : Toi, tu as vraiment ressenti cette différence entre ces deux cultures ?

JPS : Bien sûr ! Oui je pense.

JLG : Et tu préfères laquelle ?

JPS : J'aime bien les deux mais mon corps est beaucoup plus à l'aise aux États-Unis ! Mon corps, oui ! Et peut-être que mon intellect est plus à l'aise en France ? Peut-être, oui !

JLG : Alors tu devais laisser ton corps aux États-Unis !

JPS : Oui, ce serait pas mal !

JLG : Et tu rentrerais en Europe de temps en temps pour nous voir !

JPS : Oui, pourquoi pas !

JLG : Pour nous proposer des choses !

JPS : Mais les deux manières de vivre me passionnent bien sûr, mais je ne veux pas me forcer l'intellect à réfléchir à des choses dont on n'a pas les solutions.


4/4 : SEXE, SPIRITUALITÉS, CHAMANISME & ENERGIES #4 - Voir la vidéo

JLG : Tes sources d'inspirations, on en a parlé, mais je vais y revenir un moment. Elles ne sont pas nécessairement d'abord la source d'inspiration habituelle des artistes qu'on côtoie en général aujourd'hui, qui travaillent plus par filiation justement. Avec cette grande histoire des artistes européens en particulier évidement le Grand Art classique, la Renaissance etc... Alors tu ne la nies pas, tu ne nies surtout pas cet art là ; mais toi, ta source d'inspiration encore une fois c'est d'aller chercher ailleurs ? C'est d'aller chercher dans une imagerie comme ça : magique, archaïque, tribale ! C'est ça, ta source d'inspiration ?

JPS : Oui !

JLG : Pourquoi ça ne t'intéresse pas, finalement d'aller puiser au-delà des problèmes de religions, de renvoi à la mort, d'une culture judéo-chrétienne. Pourquoi ça ne t'intéresse pas d'aller chercher plutôt chez Le Caravage, le Titien, chez Michel-Ange, chez Raphaël, chez Piero della Francesca... des signes, des symboles, des... Voilà, tu ne te sens pas de cette filiation là, ou c'est plus compliqué ?

JPS : Je me suis senti appartenir à cette filiation avant de partir aux États-Unis mais maintenant il y a une rupture qui s’est créée, entre l'Europe et moi. Cette rupture, elle m'a permis d'aller vers d'autres horizons... Et d'ailleurs, tous les peintres américains voulaient se défaire de la culture européenne. Ils en sont sortis par le format, premièrement, le grand format. Et le problème de l'Europe, c'est aussi Picasso parce que beaucoup de peintres (ont été annihilés) par Picasso. Il y a deux problèmes (pour les artistes) dans l'art contemporain du XX siècle : c'est Picasso et Duchamp ! Alors soit les uns font des copies de Duchamp, ils font... (des readymade). Ils prennent un objet, ils prennent cette table par exemple, ils la fabrique dix fois plus grande, et c'est une œuvre d'art ! Bon, tant mieux pour eux ! À New York, j'ai vu présenter dans des galeries des moulages de baignoires, il y avait trois moulages de baignoires qui faisaient 4 mètres de long mis en scène... Ok, mais personnellement, ça ne m'apporte rien. Et le deuxième problème c'est Picasso parce qu'il a justement et heureusement retrouvé cette énergie première (après des siècles de disparition), que l'on voit et retrouve dans Les Demoiselles d'Avignon, pour la première fois pratiquement. Donc il faut vraiment se défaire de l'histoire de l'art... Et les artistes européens ont beaucoup de mal, surtout les français d'ailleurs, qui ont été complètement assommés par Picasso, c'est normal puisque c'est un travail d'une grande énergie ! Donc, heureusement en vivant aux États-Unis, j'ai eu la chance de ne pas être assommé par ces vieilles cultures. Et par exemple, on parlait de Michel-Ange etc. Donc moi, j'ai été assommé par les cultures amérindiennes ! Parce que ça m'a subjugué ! Ainsi que les cultures Asmat de Nouvelle-Guinée... Ces œuvres m'ont interpellé en ce sens que, souvent je raconte cette anecdote, quand je vais au Met et que je vois les statues Asmat, les pôles Asmat ! Je me disais à cette époque, il y avait peut-être 100 000 artistes à New York et qu'aucun artiste n'était capable de faire une chose aussi forte ! Donc, il y a un problème ! Parce que moi j'aime la force dans l'art ! On en a parlé : l'énergie, la force c'est ce que j'aime...! Après, on retrouve cette énergie chez Basquiat, tu vois par exemple ! Mais un art sans énergie, ça ne me parle pas ! Mais chacun a son propre vécu et fait ce qu'il peut. Je ne discute pas des gens qui s'extasient devant des toiles de Soulages par exemple. Il y a des choses que j'aime et d'autres choses que j'aime moins. Parce que je suis passé par là, j'ai été satisfait de voir ça et puis après, on passe à autre chose. Parce qu'il me semble qu'il y a une dimension de plus, pour moi. Mais pour d'autres personnes, il y aura une dimension de moins ! Car je vous emmerde moi, avec votre culture européenne ! Je pense que d'autres cultures sont beaucoup plus fortes iconographiquement parlant et de loin ! Mais peut-être que le public a raison ? Peut-être que Jeff koons c'est le nouveau... grand chamane de l'art contemporain ? Peut-être ?

JLG : Va savoir ?

JPS : Mais le jour où vous serez devant un vrai chamane d'Amazonie, il ne fera pas le poids ! Parce que ces gens là possédent quand même un savoir plurimillénaire. Et c'est ce savoir plurimillénaire qui disparait dans notre art quotidien ! Et c'est ce que je veux réintégrer absolument.

JLG : À force tu acquiers une véritable connaissance anthropologique, on pourrait dire quasiment de ces pratiques, de ces peuples qu'on connait donc assez peu, ou très mal. Est-ce que finalement, on peut lire ton œuvre aussi comme une forme de travail anthropologique sur la question des énergies, de la beauté, de la vie de ces peuples, de ces cultures là ? Est-ce qu'on peut y voir une forme d'anthropologie ?

JPS : Oui, une curiosité plutôt ! C'est un cabinet de curiosité. Mais pas au mauvais sens du terme, parce que je ne veux pas être européo-centré. Dire que moi artiste européen, je pense que ça c'est bien, non. Si cette image me plait, si elle me parle donc je l'utilise, même si je ne connais pas sa signification profonde.

JLG : Tu ne cherches pas nécessairement la signification ?

JPS : Je ne la connais pas, je ne la connais pas !

JLG : Ça t'intéresse ou pas ?

JPS : Ça m'intéresse, j'ai des pistes mais personne ne peut avoir l'expérience d'un chamane, tant que l'on n'a pas vécu la transe. On peut en parler, mais ça reste toujours superficiel. Je vais citer l'exemple de George Catlin (1896-1872), c'est un peintre américain et grâce à lui, on a des écrits et des lettres (Les Indiens d'Amérique du Nord). Il a écrit son livre sur ses expériences lors de ses voyages dans les Plaines dans les années (1830-1840). Et donc il peignait ses peintures mais le plus important sont (pour moi) ses textes qui décrivent les rituels indiens (La danse Sioux du Soleil etc...), certains activistes amérindiens disent de Catlin : "Il nous fait chier, il n'a rien compris à la transe, bien qu'il les ait vus ! Mais il a rien compris !" Forcément il n'a rien compris, il n'est pas de la même culture ! Mais malgré tout et grâce à lui, on a des traces, des témoignages. Parce que si il n'était pas passé, on en saurait rien aujourd'hui ! Je lui rends hommage car il a pris ses chevalets, il a failli se faire tuer... Parce qu'à un moment donné, il avait peint un chef indien de profil, avec juste la moitié de son visage et les autres indiens ont vu ça et ils voulaient le tuer parce que l'indien n'était pas complet (de face et de profil) ! Il y a donc tout un rapport à l'image qui est complètement différent ! Je lui suis reconnaissant car il a dit en sorte : j'ai vécu ça et j'en parle, je témoigne !

JLG : Ils auraient détesté le cinéma, parce qu'on découpe des corps etc...

JPS : Oui, voilà, mais ce sont des anecdotes qui montrent bien que chaque culture est particulière et on ne peut pas partager les expériences fortes. Comme l'expérience de la mort, on ne peut pas en parler. Même les moines tibétains qui passent soixante ans à réfléchir là-dessus ; on n’en sait rien tant qu'on n’est pas mort !

JLG : Un dernier terrain peut-être où on peut essayer de voir ton travail c'est peut-être quelque chose qui a à voir avec l'identité. J'essaye de m'expliquer. Puisque tu utilises des signes dans ton travail, qui sont en fait des signes sacrés pour des peuples. Qui correspondent à des cultures précises : des fleurs de lotus c'est précis pour un peuple. Et que tu les superposes, les imbriques, les malaxes... avec d'autres signes sacrés d'autres cultures, on pourrait peut-être appeler ça du postmodernisme ?

JPS : Oui, si tu veux ?

JLG : Finalement, ils n'ont pas de valeur en eux-mêmes ces signes, pour nous en tout cas qui les utilisons aujourd'hui !

JPS : Oui !

JLG : Et puis tu en fais ton propre langage comme tu disais, ta propre forme, ta propre histoire, tu racontes ta propre histoire !

JPS : Oui !

JLG : Je parle d'identité du coup, parce que quelque part ça peux poser un problème ? Quand tu dis, on ne comprend pas nécessairement ce que ces gens pensaient, leur rapport à la beauté, c'était magnifique etc... Donc eux, ces peuples là avaient un rapport précis, qui faisait sens dans leur culture. Et la question que j'ai envie de te poser c'est en superposant tout ça, en créant un nouveau langage de tout ça ! Est-ce que ça ne te gêne pas ? Est-ce que tu cautionnes finalement l'idée de ce monde post-moderne dans lequel finalement le passé n'a pas trop d'intérêt, il vaudrait mieux le mettre de côté. Et puis faire quelque chose de nouveau, de neuf. Utiliser ce qui était bien un peu comme ça et en faire chacun autre chose... C'est quoi c'est l'idée... ça peut-être du nihilisme quelque part ? Ça peut-être de la liberté folle ? On fait ce qu'on veut des signes, on fait ce qu'on veut des histoires, on fait ce qu'on veut des cultures ?

JPS : Non, ça dépend de la manière de le faire !

JLG : Et on fait un art, un langage, un nouveau truc, un nouveau monde... personnel ?

JPS : Ça dépend de la manière dont tu travailles. Je pense et j'espère travailler de manière respectueuse mais bon après, on ne sait jamais comment on est perçu ? On peut avoir cette impression vis à vis de mon travail, je te l'accorde !

JLG : En tout cas toi, comment tu vois ce monde aujourd'hui, qui refuse presque ces rapports aux racines, au passé, au sacré etc. pour en faire un nouveau monde ? Est-ce que tu te sens dans ce flux là ? Est-ce que tu trouves qu'il y a un sens positif, intéressant, révolutionnaire, dont ton art peut s'inspirer ? Ou en être un objet ? Comment tu perçois ça ?

JPS : Non, je ne sais pas ?

JLG : Comment tu perçois ce monde dans lequel les signes ne font plus signe finalement, alors que toi tu utilises des signes, tous les jours dans ton travail ? À ta manière mais tu utilises ces signes ! Il n'y aurait pas de signes, ton travail n'existerait pas ! La fleur de lotus, elle ne serait pas là !

JPS : Oui, mais je l'utilise justement parce qu'elle a une signification précise. Moi je suis un peu le gardien du temple quelque part. Oui, c'est ça et c'est tout ! Je pense qu'il faut garder ces savoirs. Et de savoir qu'il y a des millions de langages... enfin, des centaines de langues qui disparaissent, des centaines d'artistes qui disparaissent, Ça me rend triste ! Parce que ce qui est beau dans la vie c'est la diversité, bien évidemment ! Oui !

JLG : Continuer de faire exister ces signes !

JPS : Bien sûr !

JLG : Même si on les utilise différemment, il faut les faire exister, c'est ça qui est important !

JPS : Après, le problème c'est que la culture se transforme en folklore dans toutes ces sociétés. Est-ce que ça a encore du sens ? Oui !

JLG : Le kitsch !

JPS : Le kitsch, voilà oui ! Mais avec la manière dans laquelle je travaille, j'ai toujours ce sentiment de faire un rituel sacré. Peut-être que ça fait kitsch pour certaines personnes, que mon travail est juste du kitsch, comme tu le dis ? Je ne sais pas ? On ne sais pas !

JLG : Mais pas pour toi en tout cas ?

JPS : Non, parce que j'y mets beaucoup d'intégrité et beaucoup de respect !

JLG : Merci Jean-Pierre.

JPS : Merci Jean-Luc.


"Entretiens impromptus" entre l'artiste peintre Jean-Pierre Sergent & la philosophe Marie-Madeleine Varet | 3 parties | atelier de Besançon le 27 septembre 2018 - Télécharger le PDF


1/3 : À PROPOS DE LA SÉRIE DES SHAKTI-YONI 2018 - Voir la vidéo

JPS : Bonjour Marie-Madeleine, merci d’être venue me voir à l’atelier.

MMV : Jeudi 27, une date à marquer ! Bienheureuse !

MMV :  L’atelier de Jean-Pierre est un sanctuaire !

JPS : Oui, tu passais à Besançon et j’ai dit tiens, on va peut-être tourner cette petite vidéo.

JPS : Les nouveaux travaux sur papier Les nouveaux travaux imprimés sur deux papiers différents

MMV : Expliques un peu cet intitulé magnifique ?

JPS : Shakti est en Inde l’énergie féminine, tout ce qui recrée le monde.

JPS : Le Yoni est le sexe sexe féminin, l’ouverture, la grotte, le lieu où jaillit la Vie tout simplement. Et le lieu de toutes les rencontres. Naissance, vie, mort. Dans le Livre des morts tibétain, il faut choisir la nouvelle vulve par laquelle on réintègre sa prochaine vie.

MMV : Et pour la continuité.Tous les thèmes qui sont dans tes travaux récents, tu les as puisés dans ? L’iconographie, tu l’as trouvée où…? Des réservoirs d'images ?

JPS : Je récupère beaucoup d’images sur internet, des images pornographiques ou érotiques. Mais également des  images de fleurs, d’oiseaux, de pierres… des yantras hindous

MMV : Ça c'est pour l'image et par rapport à l'inspiration ? L’inspiration est liée à toutes tes lectures ? Cette envie de promouvoir cette philosophie..., cet art de vivre... Parce que tu puises ton inspiration dans le texte !

JPS : Oui, c'est vrai, souvent.

MMV : Afin d'alimenter, de nourrir ton art.

JPS : Oui, c'est plus un art de vivre que de philosophie. C’est la philosophie de beaucoup de sociétés préindustrielles.

MMV : Donc il y ces deux aspects qui sont intéressants. Puis, tu as cet élan, ce mouvement vers l’image. Afin d'alimenter ton art.

JPS : C’est peut-être un commentaire, c’est la mémoire de tout ce qui est en train de disparaitre. Mais quelque part, le désir de l’être humain d’être en vie ça disparait. On parlait juste à l’instant du désir et on sent que dans nos sociétés le désir est exacerbé par la société de consommation. Comme si on était washout !

MMV : Lessivés…

JPS : Comme si notre énergie vitale était partie.

MMV : Tu as le sentiment que c’est propre à l’Occident ?

JPS : Tout le monde l'a dit, il y a beaucoup de livres qui ont été écrits sur le déclin de l'Occident. Nietzsche en parlait bien évidement ! Il faut retrouver Dionysos, la force vitale.

MMV : Tu as une idée de ce qui est à l’origine de ce déclin ?

JPS : Sans doute L’industrialisation, la surproduction de matériaux, de voitures… C’est compliqué, c'est multiple. On puise dans toutes les ressources naturelles, mais les ressources humaines également. Les homes sont épuisés aujourd’hui. Et le corps également ? C'est ça qui est quand même...

MMV : Parce que tout ce travail Shakti, est une espèce de glorification, d’apologie du corps dans toute sa gloire.

JPS : Oui dans son extase, dans sa trance, dans son accès à un autre monde dans le plaisir et dans le Tout.

JPS : Une manière d’atteindre la transcendance par le corps et non par les idées, par l'intellect.

MMV : Il y a cette espèce de ramification

MMV : Je pense quand même, depuis que je te connais, tu as en toi cette volonté d’exprimer la richesse et la pérennité de l’être à travers le corps ! À travers le désir, à travers le plaisir, à travers la jouissance, tous ces éléments…

JPS : Le corps c'est la seule chose que l'on puisse "maitriser".

JPS : Comme les amérindiens respectaient la Nature, il nous faut respecter notre corps. Et après, on peut vivre en harmonie. Encore faut-il avoir l'intelligence de comprendre ces mécanismes, on ne peut pas tout comprendre. De respecter, je crois que c'est une question de respect ! Parce que beaucoup de gens qui ne respectent pas leur corps, ne sont pas en harmonie avec leur entourage.

MMV : Et tu crois qu'il y a cette crainte, une sorte de désaveux du plaisir physique.
qui peut être lié à ce non respect du corps? Cette espèce de crainte qui fait que...  Dans tout ce que tu montres, il y a une exaltation du plaisir. J’ai le sentiment qu’aujourd’hui on est en deçà, en retrait, en recul par rapport à cet immense domaine qui atteint un au-delà. Comme tu l'as dit immédiatement. J'ai l'impression qu'aujourd’hui,  la réalisation de soi se fait par le matériel et non plus par notre corps.

JPS : On ne peut pas appeler ça un objet !

MMV : C’est un objet-sujet, évidement ! J'ai l'impression qu'il est mis un peu entre parenthèses. Par, à la fois une grande liberté sexuelle, qui, par un phénomène étrange se traduit par une régression du plaisir et du désir.

JPS : Oui, c’est paradoxal. C’est surtout une régression de l’amour. C’est une non acceptation de l’autre également. Moi, Je ne prône pas le plaisir hédoniste, je prône le plaisir dans la fusion.

MMV : Dans la fusion bien sûr…! Et c’est ça qui irradie à travers toute ton œuvre ! Cette fusion là, parce qu'on ne peut pas prendre un morceau, on est irradié !


2/3 : À PROPOS DE LA SÉRIE DES SHAKTI-YONI 2018 SUR PAPIER JAUNE WANG 80 g - Voir la vidéo

MMV : Alors, si tu veux bien nous présenter ces merveilles. Il y a deux types de support ?

JPS : Oui, il y a deux types de support parce qu'il se trouve que les couleurs réagissent complètement différemment. Sur ce papier jaune, j’arrive à avoir une espèce de tonalité comme on retrouve sur des poteries. En ajoutant plusieurs couches de peinture. Les peintures faites sur des poteries, c’est ce qui m’impressionne le plus. J’aime bien la terre cuite parce que forcément c’est la Terre ! J'aime beaucoup les peintures réalisée comme ça. Parce qu'il y a une subtilité.

MMV : Magnifique, tu les commentes un tout petit peu au niveau des... Tu travailles toujours sur les Patterns ?

JPS : Oui, oui, oui...! C’est une image préhistorique celle-là. C’est peut-être un dessin hindou, c'est la présence d’une déesse, ou d’une divinité. C’est vrai que beaucoup d’images sont des images érotiques, sexuelles. Elles montrent la trance, le corps en trance, le corps qui exulte, le corps qui jouit. Avant que tu viennes, j'en ai choisi.

MMV : Magnifique, Des couleurs très saturées, on a l’impression de voir des pierres précieuses en transparence. Regarde ces bleus ! Je suis fascinée par le bleu mystique qui est quand même à chaque fois présent dans ton travail.

JPS : Mais c’est la première année où j’utilise des encres de couleur.

MMV : Sublime, ça !

JPS : Là c’est de l’encre de Chine, en général, je fais un ou deux passages d'images. Et puis après le soir je mets un peu d'encre de Chine ou d'encre verte. C’est un travail de construction.

MMV De construction et de métamorphose aussi ! Moi j'aime cet aspect là, qui a une sorte d’évolution en fonction de ton état mental, ce qui est rituel.

JPS : C’est la stratification des éléments, ça s’accumule comme cela au fil du temps. Par exemple, ces petites fleurs récupérées sur un manga japonais. Ça c’est un dessin péruvien, tu vois ! textile. Voilà, on le retrouve là à peu près...

MMV : Et voilà, l’effet n’est pas du tout le même ! C'est très étrange, il faudrait les confronter ! Magnifique, oui, oui, oui, vraiment intéressant comme rendu !

JPS : Il y a cette espèce de fragilité, d’éphémérité dans les travaux sur papier Wang, que j’aime beaucoup.

MMV : On voit presque la trame, c’est très curieux. Tu parles du côté éphémère ?

JPS : Bien sûr notre vie est totalement éphémère, donc il faut aussi parler de l’éphémère.

MMV : Tout en sachant que la beauté nous survit c’est très rassurant !

JPS : Au moins la beauté a existé ! Il y a tellement de choses qui n'existent plus aujourd'hui !

MMV : Oui, c’est vrai, la pérennité quand même, il y a des substrats comme ça qui sont… C’est magnifique dans les tons de vert également.

JPS : C’est blanc. Là j'ai voulu peindre à l'encre de Chine blanche, mais ça ne marchait pas donc je l'ai imprimé le blanc, carrément.

MMV : Et là tu arrives à prolonger, à enrichir, à trouver des choses très, très, novatrices dans ta technique de travail ?

JPS : C’est quand même maitrisé, la technique. C’est depuis que j’ai travaillé avec l’encre de Chine.

MMV : Il y a toujours derrière, cette inventivité, dont tu parlais à l’instant. À partir du moment tu vois un travail, tu peux le prolonger, tu peux le transformer... C’est pour ça que je parlais de métamorphose, je trouve que c'est magnifique.

JPS : Oui, c'est un beau mot !

MMV : Par rapport à la technique, ça l’anoblie !

JPS : Le gris est beau !

MMV : Ah oui ! très, très beau !

JPS : En fait, je veux parler de la présence : que ce soit une fleur, un arbre ou une femme. Peut-être que c’est une des notions que l’on oublie le plus, la présence au monde ?

MMV : Être présent au Monde. C’est un thème philosophique très important ! Même par rapport aux objets, pas seulement au vivant.

JPS : Mais ce qui est paradoxal, c’est que je parle de l’extase, et l’extase, c’est le seul moment où l’on n’est plus présent au monde !

MMV : C’est très paradoxal.

JPS : C’est très paradoxal. De même que dans la mort ou dans la naissance. C’est un peu la présence divine.

MMV : En même temps, c’est peut-être une présence au monde augmentée, comme la conscience augmentée. Je crois beaucoup à ça au contraire. Ce n'est pas, ce sentiment d’avoir passé un stade supérieur, ça n’est pas une absence, au contraire, c’est un renforcement de l’être. J’y crois fermement.

JPS : Oui tu as raison. Tu vois, avec de l’encre jaune !

MMV : Ah c’est magnifique ! On a l’impression que ça fait jaillir ! Quel est le regard de nos contemporains sur une telle iconographie ?

JPS : Une dame est venue me voir à la foire de Wopart à Lugano, et elle m’a dit que mes images de bondage la dérangeaient.

MMV : Tout récemment ?

JPS : Mais ça je comprends parce qu'on appréhende la sexualité avec son histoire personnelle, forcément, quelqu’un qui a eu des souffrances dans sa vie sexuelle ou qui n’a jamais connu le plaisir, ne peut guère comprendre ces images d’extases. Ça se comprends !

MMV : Moi, j’ai du mal à le comprendre. Parce qu'il y a un refus, presque de... C'est à dire une personne qui se contente à son propre cadre, c’est quand même très dangereux. Pour moi c’est une forme de refus d’ouverture à…

JPS : Oui, mais on ne peut pas demander à tout le monde d’être ouvert à l’art !

MMV : Comme c’est la chose la plus naturelle et la plus primitive, c’est pour ça, je suis toujours étonnée qu’il y ait ce recul intellectuel.

JPS : La sexualité peut être blessure.

MMV : Je n'en doute pas, comme la vie elle-même est blessure. C’est un fait d’expérience la blessure. Le corps humain c'est une..., et le sexe féminin, c’est la blessure primitive ! On ne peut pas reculer devant... Que tu montres si bien d’ailleurs ! C’est magnifique !

JPS : C’est un dessin d’un chamane qui porte des ailes comme ça !

MMV : Très, très, très beau ! Ça a occupé tout ton été ? Avec joie ? Il ya cette espèce de partage entre l’artiste et son œuvre, cette circulation d’énergie.

JPS : On se nourrit mutuellement. C’est très gratifiant !

JPS : Je vais te montrer maintenant les petits travaux sur papier BFK, c’est assez différent…


3/3 : À PROPOS DE LA SÉRIE DES SHAKTI-YONI 2018 SUR PAPIER RIVES BFK 250g - Voir la vidéo

MMV : On parlait du support. Les deux types de support que tu as sélectionnés.

JPS : Le rouge est beau aussi !

MMV : Le rouge est très, très beau ! Il a une intensité, un velours.

JPS : Presque Cardinal.

MMV : Oui, c’est ça, je n’osais pas en parler par rapport aux thématiques.

JPS : Mais en fait l’église a bien compris la valeur des couleurs. Comme le bleu lapis-lazuli. Les travaux de Giotto sont quand même fabuleux… tous les primitifs italiens. C’est beau aussi ça !

MMV : C’est très, très beau ! Et toujours ce côté… comme une pièce de tissus précieux posée comme ça négligemment… Avec tous les bords, l’irrégularité. Le hasard. Une forme de fragilité, comme tu disais tout à l’heure.

JPS : Oui, c’est très important, on ne peut pas peindre de fleurs sans savoir que c’est éphémère, c’est ce qui fait leur importance ! Et de même pour la beauté féminine. C’est un yantra hindou aussi. Oui, je veux vraiment qu’on ait l’impression que ça coule de source, il ne faut pas qu’on sente le labeur, comme on dit.

MMV : Exactement, oui, oui, oui. Ça c’est très juste ce que tu viens de dire, ça m’impressionne. Comme dans tout ton travail, comme la première fois que je suis entrée et que j’ai vu ce mural. À la fois il y a la coexistence, la cohabitation de tous ces Plexis, et en même temps, il y a cette unité incroyable qui coule de source. Que je trouve fascinant chez toi. C’est un tour de force, de magie !

JPS : Le bleu est beau aussi !

MMV : Le bleu est beau. On a l’impression d’une peau d’animal, d’une écorce d’arbre… Ce touché sensuel, c’est très physique. La main se porte naturellement ! Même sans gants !

JPS : Oui c’est vrai, il faut que mon œuvre soit sensuelle.

MMV : Des écailles, c’est très, très beau !

JPS : Ça fait un peu penser aux Cariatides.

MMV : Les silhouettes, ah oui, c'est très grec ! Le Parthénon !

JPS : C'est un peu plus sombre, mais c'est beau aussi ! C’est presque la présence dans un rêve.

MMV : Oui, clair-obscur.

JPS : Quelque chose qui revient nous habiter, un peu comme dans les Rembrandt.
D’ailleurs j’ai vendu à Lugano une œuvre noir sur noir, une image d’un bondage.

MMV : Magnifique aussi ! J'adore, Ces positions… d’une grâce !

JPS : Mais, je récupère des images érotiques que beaucoup de gens considèrent comme trash.

MMV : Voilà, Trash, c’est le cas de le dire : poubelle !

JPS : Alors que je trouve dans certaines d’entre-elles, pas toutes, une certaine sérénité.

MMV : Les poses de ces femmes sont… C’est pour ça que j’avais été tellement fascinée par le “Grand bleu” ! Le grand nu bleu qui est une pure merveille, à la fois d’érotisme et de grandeur. Il y a quelque chose de vraiment très spirituel et de très élevé dans cette façon dont tu as traité cette œuvre, magnifique.

JPS : "Humain, trop humain", Nietzsche au rendez-vous ! C’est beau ce bleu, le bleu Klein un peu.

MMV : Je suis fascinée.

JPS : Souvent quand je travaille les images sur l’ordinateur, je mélange l’image érotique avec des patterns directement. Pour que le corps soit intégré dans une espèce de matrice.

MMV : En fait c’est un long travail de préparation ce que tu fais !

JPS : Beaucoup de préparations sur les écrans…

MMV : C’est bien, je suis très reconnaissante, comme toujours et de plus en plus. De découvrir pas à pas, je pense qu’on te découvre pas à pas. C'est quelque chose de très... Il y a à la fois une lenteur et en même temps une profondeur. Des dimensions comme ça que tu parcours comme ça avec beaucoup d’aisance et de bonheur d’ailleurs.

JPS : Marie-Madeleine, tu voulais ajouter quelque chose ?

MMV : Merci ! Et pour la découverte du nouveau mural que je n’avais pas encore eu la joie de découvrir. C’est sublime, sublime. C’est un rêve, de disposer de l’espace pour le remplir de cette forme à la fois d’immanence et de transcendance. Il y a vraiment l’immanence, parce qu’on est là ; et puis l’élévation, ce bonheur d’être dans l’espace-temps de Jean-Pierre Sergent.

MMV : Merci encore !

JPS : Merci Marie-Madeleine, merci beaucoup !


"Palabres dans l’atelier" entretiens filmés entre l’artiste Jean-Pierre Sergent & la philosophe Marie-Madeleine Varet | 8 huit parties | atelier de Besançon le 3 novembre 2017 - Télécharger le PDF

 


1/8 : LA STRUCTURE ET L'ORGANISATION DE LA PEINTURE 1/2 | LES PEINTURES EN FRANCE & À MONTRÉAL (1984-1991) - Voir la vidéo

JPS : Bonjour à tous, on est aujourd’hui le vendredi 3 novembre 2017, et on a le grand honneur d’accueillir notre amie Marie-Madeleine Varet qui est venue spécialement en TGV de Paris ce matin. Pour que l’on discute ensemble sur l’histoire de mes œuvres. Au son on a Christine Chatelet et Lionel Georges filme à la caméra. On va commencer cet entretien en parlant du carré au carré : le développement organique de la forme et de la structure de mes peintures.
En effet, je me suis aperçu au cours du developpement de cette folle aventure artistique, qu’il y a une trentaine d’années, j’ai commencé à travailler sur le carré et il se trouve qu’actuellement, je finis par le carré. Donc on va regarder quelques anciennes images des portfolios et on les basculera au montage dans la vidéo. Pour que les gens voient bien de quoi il s’agit. Donc Marie-Madeleine, je vais te présenter ça ! Et puis bien sûr tu interviens quand tu en as envie.
En 1984, je travaillais sur des petits formats comme ça rectangulaires, où je confrontais deux couleurs, par exemple un jaune cadmium avec un noir. Ou une ligne bleue verticale, puis à un moment donné, je me suis mis à travailler sur des petits formats carrés, que l’on voit ici dans le portfolio et que l’on montrera bien sûr plus en détail…! Ça c’était des petits formats qui font vingt-deux par vingt-deux centimètres. C’est assez petit, ça fait à peu près le format de mes nouvelles sérigraphies maintenant ! Mais je travaillais également sur des grands formats qui faisaient à l’époque 1,30 x 1,30 m. Et il se trouve qu’actuellement je travaille sur des formats qui font 1,40 x 1,40 m, donc ça a très peu changé dans l’histoire… Et donc ça fait exactement 30 ans !

MMV : Donc ça c’est new yorkais ?

JPS : Non, ça ce sont des travaux que je faisais dans ma ferme à Charquemont.

MMV : C’était en France ?

JPS : Oui, donc ça fait trente ans que je travaille sur le format carré. Et après ce format carré, j’ai travaillé sur des polyptyques.

- LES POLYPTYQUES

2:25 Je ne me suis jamais satisfait d’une œuvre simple (unique), du chef-d’œuvre simple. Je voulais toujours assembler des énergies différentes, par exemple là on voit : du blanc, du jaune et au milieu un rouge, c’est un peu phallique comme ça ! C’était toujours une confrontation entre deux espaces et un troisième espace, c’est un peu la trinité.

MMV : Dans la verticalité ?

JPS : Dans la verticalité, voilà, tout à fait ! Donc ce sont vraiment mes premiers travaux abstraits. Et puis après, j’ai continué cette abstraction et la verticalité en travaillant sur des colonnes.

- LES COLONNES

JPS : Ici on voit les colonnes qui sont composées de cinq modules. Mon inspiration était bien sûr les peintres américains comme Barnett Newman et Mark Rothko et bien évidement Pollock dans la gestualité. Dans l’éjaculation de la peinture sur la toile. Ce sont les derniers travaux que j’ai faits en France. J’ai commencé aussi à intégrer des coupures de presse et je peignais dessus.

- LES COUPURES DE PRESSE

Avec des lettres, quelques symboles comme ça ! On montrera ça plus en détail dans la vidéo. On réintégrera ça ! Puis, J’ai déménagé à Montréal en 1991.

- LES PEINTURES À MONTRÉAL (1991-1993)

MMV : Ah Voilà, progression…

- LES COLONNES SUR PLEXIGLAS (1991-1993)

MMV : On retrouve les colonnes !

JPS : Voilà, j’ai travaillé les colonnes et l’anecdote a fait que le galeriste de Toronto qui voulait travailler avec moi n’a pas accepté que je travaille avec de l’Isorel. Parce que je travaillais à l’époque sur de l’isorel. Donc j’ai dû réfléchir assez longtemps pour trouver un support qui soit aussi stable que l’Isorel (même épaisseur) et qui soit non acide. J’ai alors pensé au Plexiglas, donc au départ, j’ai vraiment travaillé sur le Plexiglas (devant).

MMV : Oui, oui, oui…

JPS : Et après l’idée m’est venue de peindre derrière (en transparence), et maintenant, je ne peins que derrière le Plexiglas. Donc là on voit ces grandes colonnes qui font 2.50 x 0,50 m. J’ai continué aussi à travailler les peintures sur toile, abstraites.

- LES GRANDES TOILES ABSTRAITES EN QUATRE PARTIES

MMV : Oh là, là !

- LES PORTES DU CIEL (1991-1993)

JPS : En quatre parties, il y avait des chiffres. C’est un peu comme une dimension spirituelle, un éveil spirituel de la conscience. C’était aussi des espaces dans lesquels on peut rentrer avec son corps, parce que ce sont des grandes toiles. Là on voit ça aussi :

- LES PORTES DU CIEL 1992, (2,80 x 2,24 m)

JPS : C’est une belle série ça ! Donc j’ai toujours la confrontation rouge-bleu, noir-blanc ! Et après, j’ai commencé à réintégrer des coupures de presse.

- LES COUPURES DE PRESSE

JPS : Ça c’est la dernière toile abstraite que j’ai réalisée à Montréal.

MMV : Toujours sur le même support ?

JPS : Non, sur toile ! Je travaillais la différenciation entre la matière et la surface plane, lisse, à la cire bien mate. Et je suis resté devant cette toile environ une quinzaine de jours. Et je me suis dit : je peux travailler comme ça sur des variations à l’infini, mais ce n’est pas ça que je veux faire.

- RÉINTÉGRER LES INAGES

JPS : Á partir de cette toile, j’ai réintégré des images et des éléments, des coupures de presse.

MMV : Donc moi, c’est ça qui me passionne profondément, cet espèce de mouvement que tu as un petit peu inversé par rapport à la tradition plus classique. De partir du trait géométrique et de l’abstrait pour revenir à des formes beaucoup plus figuratives.

JPS : Oui mais tout en gardant le cadre de l’abstraction.

MMV : Tu intègres des éléments plus figuratifs à l’intérieur de cette structure qui est très géométrique. Qui reste qui demeure.

JPS : Oui tout à fait ! C’est le carré déjà, tu vois.

MMV : Tu peux dire quelques mots sur ce qui t’a amené à évoluer de cette manière ?

JPS : Eh bien, en vivant à Montréal j’étais confronté à une autre culture, bien sûr loin de ma famille, loin de mes amis. Et puis il me manquais aussi la présence du corps de l’autre… L’absence du corps de la femme. Donc je manquais de repères. L’abstraction c’est un chemin solitaire, très solitaire.

MMV : Oui et plus ardu !

JPS : Voilà plus ardu !

MMV : Un peu dépouillé en tout cas !

JPS : Dépouillé, et puis je connaissais la vie de beaucoup de peintres abstraits, et Rothko par exemple, à la fin de sa vie ses toiles sont superbes, mais il s’est quand même suicidé ! Donc pour moi, l’abstraction c’est une non-issue, pour moi personnellement.

MMV : Mais c’est lié à une sorte de désespérance, de déréliction, d’isolement ?

JPS : Oui, sans doutes, oui.

MMV : Et donc ce désir de réintégrer des formes plus organiques, plus humaines, vient de cette expérience personnelle.

JPS : Oui, tout à fait, oui !

MMV : Très bien, j’ignorais totalement.

JPS : Et la contemporanéité, et les coupures de presse. C’était des bouts de journaux que je collais. On en voit ici !

- QUESTION INÉVITABLE QUESTION

JPS : Donc là, j’achetais le New York Times du dimanche et je découpais les articles qui m’intéressaient. Là on voit un top model ! Et je mettais du Scotch et je peignais sur du carton. On voit déjà les Velcros que j’utiliserai beaucoup par la suite. Donc j’ai fait tout ce travail là. Et après, on va en venir aux séries avec des chiffres et des articles de presse. Donc j’allais en bas de mon building au 40-60 St Laurent où mon propriétaire avait un magasin de presse où on pouvait faire des photocopies. Et j’agrandissais les photocopies au format, des fois je les faisais en couleur. Et c’est toute une belle série avec des chiffres. Là on voit même Léo Castelli, c’était un ami, un galeriste new yorkais. Donc voilà, et jai travaillé ces grands formats où le corps a vraiment pris sa dimension dans la peinture.

MMV : Oui, il y a une réintégration de l’organique et de l’humain !

JPS : Oui, parce qu’il se trouve qu’à Montréal j’ai aussi découvert l’immensité de l’espace.

MMV : Oui, les grands espaces !

JPS : Oui, les grands espaces ! Qu’on ne sent pas du tout en Europe, c’est assez étrange. Et qu’on sent aux États-Unis. Donc j’ai compris la peinture américaine (les grands formats) vraiment en arrivant à Montréal, voila. Donc là, il y a les schémas qu’on a déjà vus ensemble. Et après on arrive… C’est aussi des peintures à Montréal où j’ai commencé à mélanger des bandes d’aluminum et de plomb, ou de cuivre sur lesquelles je sérigraphiais des images de manière sérielle. Donc là on voit encore des top models mélangés avec des dessins préhistoriques de la Vallée des Merveilles de Nice. Et donc sur ces plaques qui étaient très lisses, et autour de ça, j’ai intégré de la peinture en grande épaisseur avec des filets de chantier. Ça me donnais des objets, c’est le début de mes Sculptures-Objets.

- LES SCULPTURES-OBJETS

MMV : On passe du plan absolu à La matière qui émerge là !

JPS : La matière émerge, oui ! Là on voit des images de chevaux, ça c’est une bande de plomb et c’est sur des toiles non montées. C’est le début des sérigraphies, c’est à Montréal où j’ai commencé les travaux sérigraphiques. Ça ce sont des grandes toiles aussi qui font sans doute deux mètres-trente de haut avec des bandes de cuivre, des têtes de mort. Et ça, ce sont les premiers assemblages de travaux sur Plexiglas sur les murs. Un avion ! Après avoir fait les colonnes, j’avais des chutes de Plexiglas.

MMV : De plexiglas ?

JPS : Et c’est là-dessus que j’ai commencé à sérigraphier de manière très ludique, des articles de presse que je transférais par écran sérigraphiques. Donc je mettais ça au mur avec des épingles. Et parfois je les accrochais sur toute la longueur d’un mur. C’est vraiment le début des assemblages sur le mur, ces peintures sur Plexiglas. Et puis voilà, donc après on voit d’autres séries avec du carton et puis on arrive après à New York. Là on voit encore des assemblages de Plexiglas avec des photos de nature, d’arbres, d’eau.


2/8 : LA STRUCTURE ET L'ORGANISATION DE LA PEINTURE 2/2 | LES PEINTURES À NEW YORK (1993-2013) - Voir la vidéo

JPS : Voici les Peintures-Objets que tu aimes beaucoup.

MMV : Oui, l’utilisation, la cohabitation de différents matériaux avec des densités, et des reflets tout à fait différents. Et je trouve ça magnifique parce qu’il y a la magie du totem, dans ces éléments très magiques, des objets magiques.

JPS : D’ailleurs j’en ai un que je vais aller chercher. En fait c’est composé de beaucoup de choses que je récupérais dans la rue. Et on retrouve ce système de swastika solaire qui tourne, et les sérigraphies qui sont intégrées sur le Plexiglas. Et là j’avais une agrafeuse, donc j’ai mis l’agrafeuse et je l’ai reliée avec une bande de plomb, qui tient l’ensemble. C’est vraiment une volonté de cohésion, on en a parlé un peu auparavant. Je veux faire un système cohésif, où tout fait partie du tout !

MMV : Comme on retrouve d’ailleurs… Tout à fait, Il y a une espèce de permanence de ce besoin chez toi d’être…

JPS : Oui, être cohésif. Bien sûr mon influence à cette époque là… J’ai beaucoup aimé le travail de Jasper Johnes, en particulier ces Cibles.

"Target with Plaster Casts", (1955), Jasper Johns

JPS : J’ai trouvé qu’elles avaient vraiment une présence presque primitive. Et bien sûr tous les objets que j’ai vus au Metropolitan Museum et au Musée d’Histoire Naturelle de New York, m’ont beaucoup influencé à faire ce travail. Donc il y a ça et on va arriver à mon deuxième atelier à New York. Ça c’était mon atelier à DUMBO, Brooklyn, où je peignais même sur des portes de Frigo ! C’étaient des objets récupérés la plupart du temps. On va commencer à voir comment les Plexiglas se sont assemblés. J’ai commencé à assembler des petits panneaux comme ça, sur Plexiglas, et les monter dans une forme, une structure carrée (invariable). L’assemblage des modules de Plexiglas sur le mur avec des vides aussi qui s’interpénétraient comme ça. Et ces carrés, j’ai décidé un jour de les mettre ensemble, de les assembler sur le mur pour former un plus grand ensemble, (2.10 x 6.30 m). Ça c’était une exposition que j’avais faite à Paris. C’est le début des travaux sur Plexiglas. Et depuis cette époque là, je travaille uniquement qu’avec le Plexiglas et des sérigraphies sur papier.

MMV : Et ma question c’était : à partir du moment où tu as créé un premier module, parfait, le carré parfait ? La structure magnifique que tu développes aujourd’hui encore. Ce passage de l’unité à la cohabitation, la confrontation, la mise en proximité intime de ces différents modules les uns à côté des autres, avec des thématiques et des motifs très discordants, très dissonants, très hurlants et très contrastés. Qui fait vraiment l’émerveillement, pour nous tous. Cette discordance elle-même qui appelle et qui génère l’unité et l’harmonie ? Est-ce que dans ton esprit, à l’origine, quand tu as fait ces premiers modules et que tu as voulu en reproduire, tu as eu le sentiment que tu pouvais te permettre cette audace extraordinaire qui est de faire cohabiter comme dans un grand livre, des pages, à gauche j’ai une page de Proust, à droite j’ai un manga pornographique ? Voilà cette espèce d’immense audace que tu as eu de nous présenter cette vision du Monde ?

JPS : Oui, je pense que mon corps a intuitivement cherché un système dans lequel il pouvait se développer, parce que c’est moi qui fais les peintures. C’est très adapté à mon corps, les modules font 1,05 par 1,05 m, je fais 1,72 m, donc c’est vraiment le nombre d’or de mon corps (1,05 m au nombril). Et, je voulais justement avoir un système neutre dans lequel je puisse mettre n’importe quoi.

MMV : Voilà !

JPS : Je peux mettre tout ce que je désire, tout mon désir là dedans, dans la structure.

MMV : C’est ça, tu déverses toute ton énergie, c’est quelque chose qui coule comme un torrent qui n’a pas de barrière et de barrage surtout.

JPS : Oui, tout à fait, exactement !

MMV : Et l’autre question qui me préoccupait beaucoup, c’est que dans les travaux précédents, les Small Papers, il y a un cadre, une bordure, une limite, tu en parlais tout à l’heure. Et dans l’expansion de ton travail sur les grands muraux, effectivement, on s’aperçoit que ça fait exploser le cadre et les limites, et donc ce travail, on a le sentiment que précisément il n’est absolument pas fini !

JPS : Tout à fait, c’est un work in progress !

MMV : Il est totalement en expansion dans l’espace. Et ça c’est merveilleux, mais c’est volontaire chez toi ?

JPS : Bien sûr, oui, parce que je n’aime pas les choses finies, je n’aime pas les chefs-d’œuvre, je veux que ça continue dans le temps !

MMV : En revanche, si on veut isoler un des modules, tu le présenteras avec…

JPS : Le tour sacré.

MMV : Le tour sacré qui est le périmètre effectivement très ancien, dans les tribus indiennes on retrouve ce périmètre sacré. Que tu as d’ailleurs symbolisé par des damiers.

JPS : Damiers, oui, de couleurs alternatives : jaune-rouge, noir-jaune…

MMV : Voilà, donc ça se situe à New York cette volonté d’exploser ?

JPS : Oui c’est dans mon atelier de DUMBO que je l’ai développé. Parce que je voulais trouver un système qui puisse être aussi fort que celui des artistes “primitifs” entre guillemets. Parce que ce sont leurs œuvres qui me marquent le plus ! Et je me disais pourquoi? À cette époque là, il y avait peut-être deux cent mille artistes à New York et pourquoi aucun artiste n’est capable de faire quelque chose d’aussi fort ? Il fallait donc me trouver une structure formelle, qui puisse me permettre de parler de sexe, de mort, de couleurs, d’éjaculations…

MMV : Totalement, de manière totalement libre ! C’est comme ton corps, ton être humain, tes sentiments mélangés, qui s’entremêlent, qui s’entrechoquent… Parce qu’il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de violence dans la cohabitation ?

JPS : C’est la violence de la vie !

MMV : Voilà


3/8 | AU SUJET DE LA TECHNIQUE SÉRIGRAPHIQUE - Voir la vidéo

JPS : Nous abordons maintenant la troisième partie de notre discussion, et j’aurais voulu évoquer le processus de la sérigraphie que j’utilise au quotidien pour imprimer soit sur le Plexiglas, soit pour les travaux sur papier. Donc je voulais parler de… Premièrement, je voulais dire que je me sent peintre plus que sérigraphe, parce que peindre c’est étaler une couleur sur une surface, et c’est exactement ce qu’on fait par le procédé de la sérigraphie. Et c’est souvent un terme péjoratif, car on dit : le gars est sérigraphe, donc il n’est pas peintre. Moi, Je me sens vraiment artiste peintre. Ce sont des défauts de langage, mais je revendique pleinement cette notion d’être artiste peintre, parce que j’utilise des encres de peintre. Je prends des acryliques. Donc je voulais vous expliquer un peu ce processus : la sérigraphie c’est ça, c’est à dire que l’on a une toile comme cela, une toile nylon, très solide. Bien sûr faut pas la percer, mais c’est très solide et ces toiles sont montées sur des cadres, des chassis comme ça où elles sont tendues. C’est ce que je faisais au boulot à New York, je tendais des cadres ! Une fois que ces toiles sont tendues sur le cadre, on les enduit de colle photo sensitive, là elle est verte. Et on utilise des films qui bloquent la lumière. Donc là on voit par exemple un grand film pour les grands écrans sérigraphiques. C’est une technique différente que pour les petits formats. Par exemple les petits formats, j’imprime les films directement sur mon imprimante.

MMV : Donc c’est deux démarches différentes ?

JPS : Pour les films oui ! Mais toutes les images sont travaillées sur ordinateur au départ. Avec deux logiciels qui s’appellent Photoshop et Illustrator. Il faut bien sûr que les images soient noir ou blanc, on ne peut pas imprimer de gris.

MMV : Monochrome ?

JPS : Voilà, ce sont donc tous les films sérigraphiques que j’ai utilisé cet été pour imprimer ma nouvelle série : les Shakti-Yoni, Ecstatic Cosmic Dances. Donc après, une fois que l’on a ces images sur un écran, eh bien j’utilise la table qui est là-bas, c’est une table que j’ai ramenée de New York et qui a appartenu à Andy Warhol, qui imprimait ses sérigraphies dessus. Ça se présente comme ça : on met le papier en-dessous, ou le Plexiglas, on met le cadre comme ça, il faut bien sûr régler et fixer la position avec le film. Et après on prend la couleur, on la met là et on passe comme ça avec la raclette et la peinture passe au travers. C’est la technique du pochoir. Je trouve ce procédé vraiment un peu magique dans toutes les étapes. Il faut exposer aussi les films dans la table lumineuse. Il y a un côté magique pour développer les images. Il y a aussi un côté sensuel, parce que forcément toucher la soie est hyper sensuel et en plus j’utilise des images érotiques !

MMV : Alors tu as une banque d’images ? Dans laquelle tu puises de manière régulière, en fonction de ton inspiration…

JPS : Je collecte ces images au fur et à mesure de mes découvertes. Soit ce sont des photos que j’ai prises auparavant, de la nature ou des choses comme ça. Ou des dessins que je récupère. Des motifs aussi, je travaille beaucoup les patterns, motifs géométriques.

MMV : Répétitifs.

JPS : Oui, j’aime travailler dans la sérialité.

MMV : J’ai beaucoup aimé la série des vidéos que tu as pu faire avec notre chère Christine, de l’Artiste au travail avec tous ces gestes. Il y a une espèce de cérémonial, c’est très beau à voir, il y a un rituel, c’est presque liturgique. Il y a quelque chose de très fascinant, et je crois qu’il y en a eu énormément, tu as fait beaucoup de séries de vidéos de l’Artiste au travail.

JPS : Oui, tout à fait.

MMV : Et on voit ce visage qui est totalement dans la concentration, l’intensité du geste et du plaisir, et tu parlais donc de la sensualité qu’il y a dans ce geste là, qui correspond bien aussi à ce qu’est ton travail, qui est quand même un ode à la sensorialité je dirais même. Parce que tous les sens sont convoqués dans ce travail là. Il y a l’odeur, il y a la vue, il y a la respiration, le contact, le toucher. Donc, voilà, ça m’a beaucoup intéressée cette série de l’Artiste au travail.

JPS : Merci,

MMV : Pour montrer à quel point il y a une implication de la matière, de l’inspiration, du corps tout entier, et c’est vrai que la sensualité transparait.

JPS : Oui !

MMV : Et il y a de très belles photographies de toi, merci à Christine d’avoir su rendre à quel point tu as… ce rôle, enfin il y a quelque chose de très interne et de très organique dans ces vidéos. Je crois que c’est une belle manière de concrétiser ce que tu as donné à voir déjà.

JPS : Oui, et je pense que l’acte de créer, c’est un acte cosmique, démiurge. On en parlera un peu dans les prochaines parties. Mais je me sens vraiment en connexion, justement avec la Nature, avec l’Univers.

MMV : Et ça se voit ! Je crois que c’est ça que rendent très bien ces vidéo, cette espèce d’unité de l’artiste, du monde, de la chair et de l’esprit. Il y a une très, très belle symbiose ! J’aime beaucoup !

JPS : Merci Marie-Madeleine !


4/8 : LES PREMIÈRES SÉRIGRAPHIES SUR PAPIER DE NEW YORK (1994-1999) - Voir la vidéo

JPS : Donc on aborde maintenant cette quatrième partie, où je voulais vous présenter les premières sérigraphies que j’ai réalisées à New York. Où j’intègre vraiment des choses assez sexuelles et je voulais commencer par citer quelques extraits de textes, par exemple cette phrase d'Henri Michaux qui dit :

"L'extase, c'est coopérer à la divine création du monde." L’Infini turbulent, Henri Michaux

C’est dans L’infini turbulent, Ce livre est très intéressant. Et mon travail est basé principalement sur l’extase, que l’extase soit sexuelle ou spirituelle.Et puis je voulais aussi parler du livre : L’Érotisme et le sacré :

"Pour accéder au monde divin, qui est sa véritable patrie, il faut que l’âme soit entraînée par l’amour." L’Érotisme et le sacré, Philippe Camby

C’est vrai que le désir et l’amour sont vraiment ce qui nous entraîne dans un ailleurs et qui nous font vivre…, les deux nous font vivre ! Et je voulais aussi finir par cette citation dans L’Érotisme de Georges Bataille, c’est un livre très intéressant à lire, il dit :

"Mon intention est au contraire d’envisager dans l’érotisme un aspect de la vie intérieure, si l’on veut, de la vie religieuse de l’homme."

Il se trouve que l’Occident a dissocié complètement la sexualité de la vie religieuse, il la considère en opposition totalement. Et je ne sais pas pourquoi, à New York, j’ai commencé à réintégrer des images érotiques dans mon travail. Donc je vais vous présenter quelques sérigraphies, puis on pourra en discuter.

MMV : Et tout ton travail fait le lien entre ces deux parties qui sont dichotomiques arbitrairement et que tu réunis dans une unité qui est totalement importante.

JPS : Oui, donc au début, j’imprimais par exemple sur le Art News Paper. J’y sérigraphiais deux ou trois images comme ça et je donnais un petit coup de feutre dessus. Pour avoir l’actualité et puis l’image du modèle féminin. Ça se sont des sérigraphies de photos que j’ai prises dans des églises, ici en France je crois ? avec des dessins de graffitis japonais. Et puis, je trouvais que c’était beau : Adam et Ève comme ça avec une grosse bite au milieu ! Je trouvais que c’était marrant ! Ça c’est sur du papier japonais, c’est aussi des images très érotiques, pornographiques parfois. Á cette époque là, j’ai commencé aussi à travailler avec des textes érotiques. Sur le papier, c’est imprimé à l’envers, mais comme c’était imprimé au dos du Plexiglas… avec des images de vases grecs érotiques aussi, très antiques, des très vielles images. C’est un dessin que j’ai fait comme ça … Ce que la déesse Durga porte c’est des dentelles d’os qu’elle porte sur son ventre comme ça. Avec une vulve et un pénis. La même chose ici en blanc. On parlera tout à l’heure de la joie dans l’acte érotique. Et déjà à l’époque j’intégrais des images venant des civilisations indiennes. Ça c’est un schéma du Temps. J’ai mis des empreintes et puis des filets. C’est le début des travaux sur les patterns aussi. On sent ma volonté d’intégrer et de mélanger toujours le spirituel au corps.

MMV : Sinusoïde.

JPS : Pareil, c’est une image très érotique avec un labyrinthe. Ce sont vraiment les premières sérigraphies sur papier en 1995. Là on voit aussi un labyrinthe avec un dessin pré-inca, une tapisserie.

MMV : La symbolique de la spirale mystique.

JPS : Oui, c’est vrai que c’est très mystique. Ça ce sont des dessins d’aborigènes d’Australie. Et ça, c’est le début de mes travaux sur Plexiglas, où j’ai commencé à intégrer autour de l’image, le cadre en Plexiglas coloré.

MMV : Le cadre, oui, oui… Ça c’est fascinant alors je trouve. C’est de quelle année ?

JPS : 1999

MMV : C’est superbe !

JPS : C’est avec un texte des Métamorphoses d’Ovide. J’avais fait une exposition à l’Alliance Française de New York avec ce texte là.

MMV : Les Métamorphoses d’Ovide ! Bien sûr !

JPS : Donc voilà les premières sérigraphies, est-ce que tu veux en discuter ?

MMV : Je termine simplement avec Auguste Rodin qui dit : "Dans l'art, il n'y a pas d'immoralité. L'art est toujours sacré."

JPS : Oui, c’est vrai !

MMV : Donc c’était pour honorer ce que tu viens de dire sur la cohabitation de ces univers apparement et faussement distincts par notre esprit moderne un peu trop.

JPS : Occidental ?

MMV : Moralisateur !

JPS : Merci, merci pour cette nouvelle partie.


5/8 : LES SÉRIES DES SMALL PAPERS DE NEW YORK (1998-2003) - Voir la vidéo

JPS : Donc nous abordons maintenant la cinquième partie, chère Marie-Madeleine, chère amie. Ça ce sont les premiers travaux new yorkais des petits formats. J’ai travaillé sur un format qui fait dix inches par dix inches, en centimètre ça fait : 25.4 centimètres par 25.4 centimètres. J’ai pris des feuilles de papier Rives BFK 250g (56 x 76 cm) et je les ai coupées en six parties. Depuis lors, c’est toujours le format sur lequel je travaille aujourd’hui ! 

MMV : Pour les Small Papers ?

JPS : Oui, Pour les Small Papers. Là c’est sur du papier Rives jaune. Donc, je vais les mettre un peu comme ça sur la table, que l’on voit ce que ça donne ! Et cette série s’appelle : Dionysos (1988), c’est vraiment une série que je voulais très érotique. Voilà, on a sept papiers comme ça.

MMV : Est-ce que tu peux donner quelques éléments entre l’œuvre, leur contenu et le titre sous lequel tu as voulu les rassembler ? Tu sais à quel point je suis amoureuse de la titrologie dans ton travail et donc je vois Dionysos et Dragon Lady ?

JPS : Oui, ça s’appelle Dionysos ou les organes de la vie, c’est à dire que c’était vraiment un homage à la sexualité dans toute sa splendeur.

MMV Très festive en même temps. Le côté festif de Dionysos !

JPS : Orgiaque ! Voilà oui, tout à fait ! C’est à dire que nos sociétés ont contraint de plus en plus les individus a gagner de l’argent, a travailler et finalement le côté orgiaque, le côté de la régénération du monde, n’existent absolument plus. Le côté du rituel, pour dire est-ce qu’on va avoir de la pluie, comment est-ce qu’il faut faire ? On a perdu ce côté cosmique et je pense que ça peut rester quand même aujourd’hui dans la sexualité, de réintégrer…

MMV : Donc il y a une espèce d’explosion vitale à travers ces œuvres ! Moi ça me frappe toujours, et surtout la saturation des couleurs, qui est d’une profondeur, enfin vraiment on sent le flux sanguin !

JPS : Oui, oui !

MMV : J’ai l’impression de voir circuler du sang… vital ! Il y a quelque chose de très, très charnel encore ! qui est très beau. Donc Dionysos !

JPS : Oui, Dionysos ou le dieu Pan en Europe, tu vois, les dieux démiurges.

MMV : Encore une fois ! et dans l’explosion à la fois de cet élan vital, de la joie et de tout ce qui aujourd’hui, semble un peu nous faire défaut !

JPS : Oui, tout à fait ! Donc là je vais passer à une deuxième série. Ça c’était ma première série en 1998.  

MMV : Ça c’est la série des Dragon Lady, (2002), c’est très important d’avoir les intitulés ! Parce qu’ils regroupent de manière un peu plus synthétique.

JPS : Oui, Dragon Lady, c’est exactement ça !

- DRAGON LADY, NEW YORK, 2002

JPS : Donc là pareil, on a sept sérigraphies.

MMV : Très saturées !

JPS : Et ce sont des œuvres dont le dessin principal est maya.

MMV : C’est maya ?

JPS : C’est maya oui ! C’est un dessin que j’ai recopié d’un vase maya. Et il se trouve que certaines personnes pensaient que les vases mayas montraient des séquences différentes. C’était comme des Livres des morts si tu veux ! Toutes ces poteries ont été enterrées avec des morts pour les accompagner dans l’autre vie. Donc, on peut dire que ces femmes qui sont nues, accompagnent le mort dans l’autre vie.

MMV : Ils ont beaucoup de chance !

JPS : Oui, c’est vrai qu’aujourd’hui, personne ne nous accompagne dans l’autre monde !

MMV : D’une autre manière peut-être moins ?

JPS : Et c’est ce qui me fascine dans toutes ces anciennes civilisations que ce soit l’Égypte, l’Inde ou le Mexique : c’est la volonté de continuer avec l’être…

MMV : Voilà, la mort n’est qu’un passage et donc il faut l’accompagner dignement, rituellement et dans cette espèce aussi de profusion, de magnificence et de beauté tout autour. Mais la femme n’est pas exclue !

JPS : Je voulais vous montrer ce petit vase maya que j’ai acheté au Guatemala avec mon amie Olga et on voit, des symboles solaires et puis des hiéroglyphes… Donc ce vase a sans doute été enterré avec un personnage important. Justement pour lui donner à manger et l'accompagner dans sa seconde vie.

MMV : Pour l’accompagner !

JPS : Il se trouve que l’art que je fais, je voudrais que ce soit un peu ça : d’accompagner, pas dans l’autre monde, mais dans ce monde là, d’accompagner les gens dans leurs vies.

MMV : Dans leurs vies !

JPS : Oui !

MMV : Il n’y a pas de rupture de toute façon entre les deux états. C’est ça qui est intéressant, il n’y a pas de rupture.

JPS : Et puis après j’ai continué avec la série qui s’appelle :

- LADIES OF THE ANTS, NEW YORK, 2003

MMV : Que j’affectionne énormément !

JPS : Donc là, c’est un mélange de patterns et d’une image qui est dédoublée (en miroir). Et j’ai travaillé cette image après avoir fait des expériences de transes chamaniques. Où les esprits sont venus reconstruire mon corps. Donc c’est un hommage d’une part à la lumière qui se dégage dans ces transes, parce qu’il y avait quatre femmes : une noire, une bleue, une jaune, une rouge. Et comme dans chaque transe, on meurt et on est reconstruit par des esprits. Et donc ces quatre femmes m’ont reconstruit le corps après que je sois squelette. Et je voulais en parler, et je voulais parler de cette lumière et de la beauté de ces femmes qui nous accompagnent dans des mondes intermédiaires.

MMV : Et cette mort et cette résurrection te transforment, te régénère ? Et ça a été quand même un des moments forts de ton expérience d’homme et d’artiste ?

JPS : Oui, les transes chamaniques m’ont beaucoup marqué. Tant du point de vue de l’énergie, parce que c’est une énergie qu’on rencontre nul part ailleurs. Peut-être dans la naissance ou dans la mort. Mais bon, la mort on ne l’a pas encore vécue, on ne sait pas.

MMV : Mais ce passage là, il est irréversible ?

JPS : Oui tout à fait !

MMV : Tu es quelqu’un qui portes en toi quand même cette expérience du chamane, qui transparait dans tout ce que tu touches et tout ce que tu produis. Je pense qu’il y a peut-être cette aura, cette dimension extra-ordinaire qui fait que ton œuvre est peut-être plus difficile à percevoir pour le commun des mortels.

JPS : Oui, peut-être, mais enfin, je ne suis pas chamane, j’ai pas la tradition. Les chamanes s’inscrivent toujours dans une tradition, une culture.

MMV : Je n’ai pas dit ça, mais je pense que la marque est profonde. Et c’est une expérience irréversible, on ne peut pas l’oublier, elle n’appartient pas à l’espace-temps, elle est bien au-delà.

JPS : Oui, c’est vrai !

MMV : Et je crois que tu en es un témoin et c’est une responsabilité en même temps !

JPS : Oui !

MMV : Tu témoignes !

JPS : Je témoigne et je voulais justement parler de la pureté. C’est un mot qui me vient comme ça, la pureté des sentiments et de l’amour que l’on rencontre dans ces transes.

MMV : Oui, tout en témoignant aussi de la diversité du monde à travers les mangas érotiques, à travers les bondages… Tout un ensemble de thèmes qui sont un peu tonitruants !

JPS : Oui, mais les mangas, enfin les bondages, c’est aussi une extase. C’est une autre extase.

MMV : Exactement !

JPS : On en vient à la naissance des bondages.

MMV : C’est pour ça que ça m’intéresse ! Et tu avais fait ta grande exposition à Besançon sur les Bondages & Freedom, c’est à dire que le lien est aussi une libération !

JPS : Oui, tout à fait !

MMV : C’est ça qui est beau dans le Grand Nu que l’on aimerait bien voir exposé ici !

JPS : Pourquoi pas, on verra !

MMV : On va le faire !

JPS : Alors là, c’est cette série Bondages & Freedom, qui date de 2003. C’est une de mes dernières séries que j’ai réalisée à New York, c'est sans doute la dernière !

MMV : Magnifique ! Très suggestives !

JPS : Voilà, Ce sont toujours des corps de femmes liés, contraints. Et voilà la bleue !  Mais où on sent quand même cette extase, cette jouissance ! C’est à dire que le corps est complètement oublié, mais il est tout à fait présent ! C’est assez ambigu, paradoxal !  

- BONDAGE & FREEDOM, NEW YORK, 2003

JPS : Le corps jouit dans son absence totale d’ego. C’est à dire que l’on rentre dans un autre monde, ça s’appelle l’extase.

MMV : Moi je refuse un peu la notion de contrainte que tu viens d’employer. Parce qu’évidemment la présence du lien tend à suggérer cette contrainte là ! Mais le lien c’est aussi ce qui se délie et donc qui libère, et je trouve que l’extase, elle est… justement le corps est toujours un objet fini qui n’appartient pas… Et seule l’extase et la jouissance que tu montres là, permettent de sortir de ce corps, c’est ça que tu disais à l’instant ?

JPS : Tout à fait, oui !

MMV : Donc le lien, il est finalement très symbolique pour dire que : ce n’est qu’une entrave très superficielle, pour aller plus loin ! 

JPS : Pour aller plus loin, voilà, tout à fait, tu as raison ! On va peut-être en finir là et puis on montrera les autres sérigraphies par la suite.


6/8 : LA SÉRIE DES SHAKTI-YONI | FRANCE 2017 - Voir la vidéo

JPS : Nous abordons maintenant la sixième partie, Je voulais vous présenter tout le travail que j’ai fait cet été (2017) sur ces petits formats. Sur deux sortes de papiers, sur du papier Rives BFK 250g et sur le papier jaune Wang 80g qui donne un côté un peu éphémère, un peu plus libre que le papier BFK. Je voulais vous montrer ça ! J’ai retravaillé beaucoup d’œuvres en peignant à l’encre de Chine avant d’imprimer en surimpression. Donc, il y a toujours le thème de l’érotisme ainsi que le yantra, qui est parfois le point Bindu, qui est le point de départ de l’univers, ainsi que le sexe de la femme bien sûr ! Qu’on voit ici. Je ne sais pas si tu as envie de commenter quelques œuvres ?

MMV : Je ne sais pas, elles sont tellement fortes ! Tu avais parlé aussi de la danse sacrée, tu as quelques représentations peut-être, qui illustrent ce délire du corps en mouvement ? Dans la danse, c’est magnifique, il y a une symbolique extraordinaire.

JPS : En fait, le titre de ces œuvres ça s’appelle : Shakti-Yoni, Shakti c’est la force féminine en Inde et Yoni c’est le vagin, le sexe féminin et après ça s’appelle : Ecstatic Cosmic Dances, c’est à dire que c’est une dance cosmique.

MMV : C’est pour ça que je reviens au titre pour dire que c’est une complétude.

JPS : Voilà, et il se trouve que sur internet, on trouve beaucoup de femmes japonaises qui font cette danse de transe un peu, à moitié nues… Et j’ai trouvé qu’elles ont la puissance que développent les Derviches tourneurs, qu’elles rencontrent l’Univers comme ça, sexuellement. 

MMV : Autour de l’axis mundi, tournant autour de ce pivot sacré.

JPS : Oui, ça m’a choqué, parce qu’on peut penser que c’est une dance vulgaire, mais moi je pense que le rythme scandé permet d’accéder justement à un ailleurs.

MMV : Et on retrouve un peu le sens orgiaque, Dionysos avec les bacchanales et toute cette tradition qui manifeste à la fois l’élan vital, la joie, le sexe et tout ce qu’il y a de…

JPS : Le désir ! Le désir aussi !

MMV : Le désir, et cette force vitale qui organise quand même le Cosmos, c’est très, très beau !

JPS : Ça m’avait fasciné de voir ça, et d’ailleurs beaucoup d’images féminines que j’utilise dans mon travail viennent d’asiatiques, je ne sais pas pourquoi d’ailleurs.

MMV : Une dernière question s’il te plait : c’est ta volonté particulière de saturer ces couleurs à ce point très sombre ? C’est quelque chose que tu as voulu et qui a une signification particulière ? En particulier ces bleus mystiques très, très profonds et…

JPS : C’est vrai, mais… il parait que la couleur de l’âme est très proche du violet foncé.

MMV : Donc, il y de ta part cette volonté là ?

JPS : Oui, oui, parce qu’apparement il y aurait des degrés plus ou moins spirituels dans la couleur. Pour ça il faudrait en parler aux moines tibétains qui connaissent la couleur bien mieux que moi. Mais, oui, on le sent dès qu’on se rapproche du bleu outremer ou du bleu violet comme ça, cela devient plus spirituel.

MMV : Le grand corps de Bondage dans ces tons de bleu violet, je pense que ça lui confère une spiritualité encore plus forte dans la dimension et dans la couleur aussi. 

JPS : En fait c’est une œuvre que j’ai fait imprimer sur papier qui fait trois mètres par un mètre cinquante.

MMV : Trois mètres ! Oui c’est absolument… Bon, je crois que c’est le point de notre rencontre !

JPS : Exactement, il se trouve que tu as flashé sur cette œuvre.

MMV : Autour de cette femme absolument sublime, à la fois dans un contexte qui aujourd’hui peut être choquant et qui prend une dimension extraordinairement sacrée.

JPS : Sacrée et extatique ! Oui !

MMV : Merci Jean-Pierre !

JPS : Je t’en prie ! Je vais vous présenter donc d’autres travaux sur du papier comme ça. Parfois j’imprime sur du carton, parce que les feuilles viennent entre des feuilles de carton, tu vois ! C’est beau aussi ce rouge avec ce sexe noir et des phallus, et ça aussi tu vois avec les fleurs, des chrysanthèmes japonais. Et ça, j’ai mélangé la même image avec un schéma du temps en Inde. Et là, un truc très, très porno-graffiti avec une fleur. Cette image érotique avec un indien Selknam de la Terre de Feu. Et ça c’est aussi un schéma du temps chez les Mayas. J’apporte beaucoup d’Importance aux schémas cosmiques. On peut penser que ce sont les parcours du soleil et de la lune. On sent aussi dans celle-là une espèce d’extase.

MMV : Qu’on retrouve chez Buren, qui a voulu avec les Colonnes de Buren à Paris, représenter le calendrier maya. Très intéressant.

JPS : Et là on tombe dans des choses un peu plus abstraites : je suis beaucoup inspiré par une petite gouache hindoue qui représente le vide méta-cosmique. Et pour moi le vide est aussi important que le plein et je voulais en parler.

MMV : Avec le périmètre sacré.

JPS : Voilà, mais ça c’est un périmètre qui vient de dessins mexicains.

MMV : Ça représente beaucoup.

JPS : Et là on trouve des dessins qui viennent de grottes préhistoriques, sans doute d’Afrique, du Zimbabwé. Ils chassent des animaux.

MMV : C’est toujours dans la même série ?

JPS : Oui, oui, c’est toujours les Shakti-Yoni ! Mais j’en ai imprimé plus de 1 200. Donc voilà, je suis content d’avoir travaillé sur cette série !  Et ça c’est Pakal, c’est un roi-dieu Maya (Grand Soleil -K’inich- 603-683). C’est le couvercle de son sarcophage. Et je trouvais qu’il était tellement en extase dans sa mort comme ça, dans un autre monde. Il flotte dans l’Univers comme ça. À la fois en train de se régénérer, et puis… il est bien, comme dans une matrice si tu veux. J’ai voulu utiliser cette belle image. Le retour à la vie !

MMV : Le retour à l’eau originelle. C’est magnifique ! un Bondage, pareil avec des bleus violacés qui sont très évocateurs.

JPS : Je finis par quelques rouges, je trouvais qu’ils étaient beaux ces rouges. On voit moins l’image, mais on sent quand même l’intensité de la couleur. Est-ce que tu veux ?

MMV : Non, je suis un peu sous le choc de tant de beauté, et c’est vrai que c’est une série particulièrement forte.

JPS : Oui.

MMV : Et qui je crois te tient à cœur et qui est d’une très grande richesse de représentation et de symbolique.

JPS : Oui, et de couleurs.

MMV : De couleurs, on est frappé par ça ! Merci à toi de nous avoir fait découvrir en premier… On ne les connaît pas ?

JPS : Non, je ne les ai même pas scannées.

MMV : C’est fait cet été ? Je crois que tu as beaucoup travaillé ?

JPS : Oui cet été, printemps, été, automne.

MMV : Et tu as fait aussi quelques photos et vidéos de toi au travail. Merci !

JPS : Mais c’est moi !


7/8 : DE LA BEAUTÉ ETC… - Voir la vidéo

JPS : Nous sommes maintenant à la septième partie, où je voulais parler de la beauté. Parce que bon, c’est un concept assez éculé et on n’en parle pas. Et je voulais vous présenter cette série… Tout d’abord je vais vous lire le Chant de la nuit des Navajos. Parce que dans une galerie à New york, une fois, j’avais rencontré une amie, on a discuté, et puis cette amie dégageait une certaine spiritualité, et je lui ai posé la question ? Elle était à moitié amérindienne de la côte West du Canada. Eh bon, on a un peu sympathisé et deux jours plus tard, j’ai reçu sa carte postale avec le Chant des Navajos. C’était peut-être un signe qu’il fallait que je m’intéresse à la beauté ? Donc je vais lire ce texte :

"Dans la beauté, je marche
Avec la beauté devant moi, je marche
Avec la beauté derrière moi, je marche
Avec la beauté au-dessus de moi, je marche
Avec la beauté au-dessous de moi, je marche
Avec la beauté tout autour de moi, je marche
Tout est fini dans la plénitude
Tout est fini dans la plénitude."

Et d’avoir reçu cette prière des Navajos, ça m’a un peu incité à réfléchir sur ce qu’est la beauté, où elle se situe ? Et aussi de l’attitude qu’on a par rapport à la vie. On peut décider de vivre une vie dans la beauté ou pas ! Et la beauté que je trouve en général, je la trouve souvent dans les cultures que j’appelle pré-industrielles. Parce que ces hommes et ses femmes avaient un sens de la beauté qui me semble un peu perdu. L’art occidental me semble bien vain et, à part quelques exceptions, ne parle plus de la beauté, de cette pureté de la beauté. De cette pureté cosmique de la beauté !

MMV : Une beauté qui n’a pas de code, qui se moque des frontières. J’aime beaucoup quand tu dis : devant, derrière, tout autour, par côté. C’est vrai que c’est très évocateur de ton travail qui a aussi cette dimension universelle : qui est devant, derrière, par côté. La beauté c’est un environnement ! c’est quelque chose qui nous entoure.

JPS : Oui, oui, tu as raison !

MMV : Et je trouve que le chant indien est tout à fait révélateur de cette dimension, de cette beauté universelle dans laquelle nous baignons et que nous ne voyons plus très souvent.

JPS : Exact ! Oui tout à fait ! Donc là, je voulais vous montrer : c’est une série que j’ai commencée à New York après l’attentat du onze septembre 2001 (plusieurs mois après). C’était tellement terrible cet attentat que je n’ai pas pu travailler pendant longtemps. Et j’ai commencé à intégrer des photos : par exemple c’est un indien Selknam de la Terre de Feu. Je l’ai utilisée aussi dans ma série de cette année. Et ces hommes  me fascinent, parce qu’ils n’avaient absolument rien, sauf une présence, la présence d’être debout et humain et…

MMV : Impressionnant d’ailleurs !

JPS : Donc c’est une photo que j’ai reprise d’un livre.

MMV : Totem !

JPS : Donc, je voulais réfléchir sur la beauté, mais également sur la violence, j’en parlerai tout à l’heure avec les femmes africaines. Ça c’est une mémoire d’une transe chamanique, dont j’ai parlé précédemment. On voit donc quatre femmes : une jaune, une bleue, une noire, une rouge, qui m’ont reconstruit le corps lors de ces transes. Avec des lumières différentes… Et je voulais en parler comme ça !

MMV : C’est l’image que tu as projetée de cette transe ?

JPS : Oui, parce que j’ai senti ces quatre présences de couleurs différentes autour de moi. Et comme j’étais squelette. Quand on meurt, on devient squelette, bon c’est un peu du cinéma (cliché), mais bon voilà ce qui se passe dans les transes ! Et là justement, on voit la beauté, une présence : c’est une statue égyptienne qui est au Louvre et dont j’avais pris la photo. Cette statue me fascine toujours parce qu’elle est assez mystérieuse, on ne sait pas vraiment ce qu’elle fait ? 

MMV : Elle transporte de l’eau ?

JPS : Peut-être de l’eau, mais peut-être des urnes funéraires ?

MMV : Oui, peu-être des urnes funéraires !

JPS : On n’en sait rien, elle est nue, je l’ai dessinée nue. Enfin elle a une petite robe, mais elle est très sensuelle. À cette époque là j’était très amoureux d’un très belle femme africaine, donc c’est un peu de son corps dont j’ai voulu parler. Parce que j’étais fasciné par la beauté du corps de mon amie.

MMV : Très solaire ! Avec ce jaune éclatant !

JPS : Mais je l’ai imprimée en quatre couleurs différentes. Donc là elle est jaune, bleue tu vois ! C’était pour rendre hommages à ces esprits que j’avais rencontrés dans ces transes chamaniques.

MMV : Pareil, très totem !

JPS : Oui ! Et là, à l’opposé, je voulais montrer la violence humaine la plus totale. C’est à dire que cette statue, c’est une statue qui est au Musée d’Histoire Naturelle de New York. C’est une petite Terracotta qui n’est pas très haute, qui fait environ un mètre vingt. Ça représente un prêtre aztec qui a réalisé un sacrifice humain et qui a revêtu la peau du sacrifié sur lui même.

MMV : Oui, c’est ce que j’allais dire, on dirait un écorché !

JPS : Voilà, c’est un écorché exactement (Flayed One) !

MMV : C’est incroyable !

JPS : Et chaque fois que je suis devant cette statue, je ressens une énergie énorme ! Parce que c’est la vie qu’on a récupérée et qui nous redonne…

MMV : Oui, parce qu’on est dans le cyclique !

JPS : Le cyclique-cosmique.

MMV : On revient, voilà, on n’a pas la linéarité que nous avons aujourd’hui, dialectique.

JPS : Et donc il portait cette dépouille pendant un mois, jusqu’à ce que ça pourrisse, au travers de rituels et de fêtes.

MMV : On retrouve des taches animales, comme sur une peau de…

JPS : Voilà, et donc c’est la présence masculine, bien sûr, c’est les rituels des sacrifices humains. Mais je voulais en parler en opposition avec la déesse égyptienne, c’est pas une déesse, mais c’est la femme égyptienne.

MMV : C’est très important parce qu’on voit peu de représentations masculines dans ton travail ?

JPS : Tu as raison, oui c’est une bonne notification. Peut-être que l’homme est trop violent ? Peut-être ? je ne sais pas ? Et là, c’est un mélange entre deux dessins de kimonos japonais, tu vois, des demis-cercles et puis une femme maya avec un cerf maya également ! Et donc, tous ces vases dont on a parlé précédemment, montraient par exemple l’âme du défunt qui se réincarnait en cerf et il rentrait dans le corps de la femme qui se dénude pour accueillir à nouveau l’âme du mort.

MMV : C’est ça qui est merveilleux : la manière dont tu arrives à superposer, à intriquer tous ces éléments d’information pour donner… C’est ça que moi j’appelle vraiment une métamorphose, dans ton travail.

JPS : Oui la métamorphose.

MMV : Très magique.

JPS : Et puis là c’est un peu plus abstrait, mais il y avait des images avant, en dessous, et on peut voir dessus des images de fleurs de cerisier japonais.

MMV : Et leur nombre n’est pas innocent ? Il y a toujours une symbolique du nombre ?

JPS : Oui, il y a une symbolique du nombre. Ici c’est la la femme rouge que tu aimes bien aussi : la rouge. Elle se voit comme ça !

MMV : Je trouve ça extraordinaire.

JPS : Avec des roses différents, tu vois ! Donc cette série s’appelle : Sky Umbilicus.

MMV : Très, très, très beau !

JPS : C’est l’Ombilic des limbes, c’est le rapport au cosmos…

MMV : Tu parles, et tu parlais, et tu parles toujours de la beauté, je voudrais que tu rappelles quand même le texte que tu as écris à ce sujet qui est sur ton site et qui est tellement important ! Sur ton approche et ta vision et ton interprétation. C’est toujours très personnel la beauté, très subjectif. Et j’aimerais quand même qu’éventuellement, que tu en lises quelques lignes, quelques phrases. 

JPS : J’ai écris ce texte, je crois il y a deux ans, et c’était une reflexion sur la beauté, oui mais bon, en parler comme ça ?

MMV : Oui, je comprends très bien, c’est un peu délicat !

JPS : C’est un texte avec beaucoup de références picturales…

MMV : Mais je veux dire que c’est une réflexion qui est profonde et qui est liée à de l’expression artistique et une écriture également !

JPS : Oui, bien sûr, oui !

MMV : On peut le rappeler ?   

JPS : Oui, ce texte s’appelle : "De la beauté et cetera... Digressions sur les harmonies et les dissonances, ou une brève réflexion sur le concept de la beauté au travers de l'image dans l'histoire", 2014.

MMV : Que le public y aille en grand nombre parce que c’est un très, très beau texte !

JPS : Merci, mais tu vois, je n’ai pas encore diffusé ce texte parce que j’ai peur d’avoir des réactions un peu violentes.

MMV : Ah bon ?

JPS : Oui parce que j’y parle vraiment de la beauté dans la sexualité. Mais bon !

MMV : Voilà, mais c’est vraiment l’expression de ce que toi tu incarnes, à ta manière, donc tu es le témoins de cette dimension là.

JPS : Oui.

MMV : De ta vison de la beauté ! Et je pense que c’est important de relier, de faire le lien entre ton œuvre et les écrits plus théoriques que tu as pu faire.

JPS : Oui, bien sûr.

MMV : Que l’on profite des deux versants !

JPS : J’aime bien ce texte parce que justement, il y a beaucoup de références.

MMV : Oui, d’ailleurs tu puises dans l’iconographie classique des peintures très célèbres. Ton choix est magnifique, c’est pour ça je pense que ça vaut la peine de le rappeler à l’ordre !

JPS : Oui !  

MMV : À l’occasion !

JPS : Oui, oui, tu vois, c’est aussi avec des fleurs, avec un dessin péruvien ! C’est tellement étrange cette figure ! Qui est très phallique et qui porte un enfant comme ça sur son chapeau !

MMV : Qui est phallique, oui, cet espèce de huit, infini.

JPS : Et puis, voici une dernière sérigraphie un peu abstraite, comme ça, c’est juste des vagues et des petits points… J’aime bien l’iconographie japonaise, je trouve qu’ils sont très forts…

MMV : Il n’y a pas de symétrie ?

JPS : Ils parlent de l’infini, si tu veux dans ce travail là…

MMV : Le ciel étoilé au dessus de nos têtes !

JPS : Oui, merci, merci pour tout…!

MMV : Merci Jean-Pierre !


8/8 : LA JOIE DANS LA CRÉATION & LA VOLONTÉ DE CRÉER - Voir la vidéo

JPS : Alors nous sommes maintenant à la Hhuitième partie où j’aimerai parler de la joie dans la création, la volonté de créer, le rapport au corps de la femme et le plaisir-désir. Bon ça fait beaucoup de choses à la fois, mais je voulais citer quelques citations : une, la première des Upanishads :

"Infini et joie : - Ce qui est l'infini, c'est cela la joie. Il n'existe nulle joie dans le fini. Seul l'infini est joie. C'est donc indéniablement l'infini qu'il faut rechercher.
- Ô Vénérable, je me mets en quête de l'infini." 108 Upanishads, Martine Buttex

Et je voulais citer quelques extraits de Jean Giono dans : Que ma joie demeure :

"Il y a sur la terre de beaux moments bien tranquilles."

"Les joies du monde sont notre seule nourriture. La dernière petite goutte nous fait encore vivre."

Et dernièrement, dans Les Vraies richesses, de Giono également :

"Il est facile d’acquérir une joie intérieure en se privant de son corps. Je crois plus honnête de rechercher une joie totale, en tenant compte de ce corps."

Il ne faut pas oublier le corps dans la joie, contrairement à ce que beaucoup de gens font ! Et puis, je finis par cette petite phrase du Râmâyana où Sîtâ cite un proverbe :

"Même au bout d’un siècle, la joie rattrape l’homme qui survit !"

C’est à dire que, dans la longueur de notre vie, la joie peut nous rattraper à chaque instant. Et après avoir lu Giono, (j’ai découvert ces livres assez récemment) et j’ai trouvé que c’était tellement important d’intégrer la joie dans le processus de la création. Parce que la joie est communicative, ce n’est pas quelque chose d’égoïste, comme beaucoup de sentiments humains.

MMV : Et actif !

JPS : Actif, voilà c’est un processus actif ! et c’est une attitude par rapport à la vie. De même que la couleur, c’est pareil, la couleur est active ! ça dépend des couleurs qu’on utilise bien sûr ! Mais si on utilise comme moi des couleurs vives qui proviennent d’ethnies ou de Continents chauds, ça nous amène une chaleur humaine. C’est comme les épices et tout ça : le plaisir, voilà !

MMV : Donc il y a une dynamique dans la joie qui est propice à la création et au travail de l’artiste ?

JPS : Oui, pas chez tout le mode, il y a beaucoup d’artistes qui sont dans la tragédie. Et l’Occident est beaucoup dans la tragédie ce qui me déplait justement. Ce qui me plait c’est de travailler hors tragédie ! J’espère que mon travail ne soit pas tragique. Il parle peut-être de l’éphémère de la vie.

MMV : Et tu penses qu’il y a des œuvres picturales qui sont tragiques ?

JPS : Bien sûr !

MMV : L’œuvre écrite oui !

JPS : Mais la peinture également : Picasso c’est assez tragique !

MMV : Il y a aussi une joie qui en émane !

JPS : Il y a une joie, oui, c’est peut-être un mauvais exemple ! Mais je trouve l’art Occidental assez tragique.

MMV : Donc ça se rapproche, la joie au sens où tu l’emploies de l’élan vital dont parle Bergson ?

JPS : Oui !

MMV : Cette espèce d’immense respiration qui nous amène quand même vers le haut ! Qui nous donne une extension qui fait que l’ancrage que nous avons dans l’œuvre est visible. Il y a ce côté aussi : un artiste qui travaille dans la joie, il a une visibilité encore plus intense me semble-t-il ?

JPS : Oh non pas vraiment, mais peut-être que oui ?

MMV : Elle s’extériorise la joie ! On la voit ! Il y a quelque chose comme ça de très expansif !

JPS : C’est vrai ! Oui, oui !

MMV : Et je trouve que dans tout ton travail, en tout cas celui que tu présentes dans tes Plexis en particulier, respire cette joie, il y a vraiment cette dimension là.

JPS : Oui, et d’autres artistes, par exemple le travail d’Egon Schiele est quand même très…

MMV : Très douloureux ! il est dans la douleur, oui, la représentation du corps décharné, de la déchéance physique.

JPS : Ça a été fait pendant des temps de deuil, de guerre. Il faut dire que nous, on a la chance de vivre pendant des “temps de paix”, donc je peux travailler dans la joie.

MMV : Donc c’est quand même aussi lié à un contexte historique et voilà des périodes…

JPS : Bien sûr, il y a des artistes… Mais Giono avait connu aussi la première guerre mondiale et malgré tout, il a décidé de parler de cette joie ! 

MMV : Voilà, c’est pour ça qu’il me semble que la joie est ce dispositif intérieur, c’est quelque chose qui est plus fort que l’adversité,

JPS : Oui !

MMV : Et que les circonstances tragiques dans lesquelles on peut vivre.

JPS : Oui, c’est vrai !

MMV : C’est un moteur interne, c’est vraiment viscéral. Il y a quelque chose qui est généré, et qui dépasse justement tout ce qui peut être contraire à cette disposition. Donc cette prépondérance… Et c’est lié peut-être à la volonté? tu parlais de la volonté ?

JPS : Ah oui c’est vrai ! je voulais parler de la volonté ! Oui, oui, tout à fait !

MMV : Et ce que disait… aussi qu’il y avait une démarche personnelle qui fait que ça se cultive peut-être ! Et il y avait une dimension de création intérieure.

JPS : Voilà, la beauté, la joie il faut la volonté !

MMV : Volonté de perpétuation !

JPS : Perpétuation, voilà ! Et je viens de lire La vie de Vivekananda de Romain Rolland, qui a écrit aussi une autre vie d’un sage hindou et j’ai trouvé cette phrase : "La volonté est plus forte que le monde. Tout doit céder devant la volonté. Car elle est de Dieu. Une pure et puissante volonté peut tout !" Et au fur et à mesure que je vieillis dans ma vie d’artiste, je m’aperçois que la volonté est très importante, parce qu’on n’a pas une vie très facile, ici en France. Et il faut vouloir continuer à travailler et à montrer son travail malgré tout !

MMV : Et à travailler quand même dans ce contexte joyeux, d’élan, d’optimisme !

JPS : De la vie quoi ! Et je voulais citer une phrase d’Antonin Artaud : "Vous êtes sortis de la vie !” Et plus je vois mes contemporains, plus j’ai l’impression qu’ils sont sortis de la vie totalement . Et ça me fait mal au cœur de voir tellement de gens sortis de la vie !

MMV : Sortis de la vie parce qu’ils ne respirent plus cet oxygène qui est lié à la respiration de la joie !

JPS : oui !

MMV : Probablement qu’il y a cette dimension un peu d’asphyxie.

JPS : Oui, de la joie du plaisir et de l’échange…

MMV : De l’échange ?

JPS : Ici les gens n’échangent plus du tout, c’est catastrophique !

MMV : "La joie annonce toujours que la vie a réussi, qu‘elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal." Dit : Henri Bergson !

JPS : Oui, c’est une très belle phrase de fin !

MMV : Pour l’artiste que tu es !

JPS : Merci Marie-Madeleine ! Merci !