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Jean-Pierre Sergent

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À propos I - Témoignages

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> ÉCRITS À PROPOS DU TRAVAIL DE JEAN-PIERRE SERGENT - 1993 - présent

"Ha les animaux...!" M. Léo Castelli, galeriste, New York, 1993.

"Enfin il y a le rapport au format qui est à la fois intéressant et étrange en ce qu'il produit des sortes
de mandalas où paradoxalement le profane engendre des formes qui tendent vers le sacré."
Marc Vaudey, conseiller pour les arts plastiques, Toulouse, 1999.

"Avec ses peintures, Jean-pierre Sergent nous offre des oeuvres à mi-chemin entre un espace de
représentation dans lequel les figures s'affirment, et un espace de projection où les signes, les mots,
les formes abstraites, par leurs entrelacements, nous renvoient à la présence du corps."
Laura Franco, Le Mag, Ornans 2005.

"You fucking frenchman, you keep this up, we are going to deport you to Paris, eh..! Nice shit! Cool,
baby, bring on the Mayan Goddesses !"
Jahmes Graham, écrivain, New York, 2002.

"Jean-Pierre's work reminds us that all there is is life. His work delivers a message that requires the
viewer to understand that without living passionately, life has no continuation and the whole cycle of
our planet cannot thrive nor continue to grow. A viewer may get distracted by the sexual content of
the work, however it is but a mere celebration of that act where we are challenged to delve further
and ask ourselves what is its greatest purpose. In a time where dark forces mistaken termination of
life as a celebration and homage to spirituality, it is important to thank Jean-Pierre. He reminds us
that each act of passion perpetuates the greater challenge of living life. A challenge that is eclipsed by
the greater reward of becoming a steward and mentor for the future and instill a desire and
optimism to perpetuate life through the means that energizes it."
Miguel Baltierra, architecte, New York, 2006.

"En 1994, j'ai découvert le premier studio de JP Sergent à New York. J'ai acheté ses oeuvres au cours
du temps depuis cette date. J'aime sa fidélité à un format (55"X55") et à une matière (Plexiglas), ses
explorations mythologiques, païennes, sans oublier son sens chaleureux des couleurs."
Eric Mouilleron, entrepreneur, Londres, 2006.

"D'où vient tant d'énergie ? Elle est partout. Dans le contact des peaux, dans la symbolique des
chamans maya, dans son choix des couleurs. Les oeuvres de Jean-Pierre Sergent sont un hymne à la
Vie. Contenir tant de forces primitives dans une oeuvre aussi sophistiquée, nécessite une maîtrise
technique parfaite, irréprochable. C'est un tour de force artistique. Un niveau d'exigence qu'il tient
de New York."
Bruno Dellinger, écrivain, collectionneur, New York, 2006.

 —

"Vous avouerai-je que je suis plus sensible, dans l'immédiat, à vos oeuvres géométriques...? Mais tout
ce qui concerne l'iconographie de notre époque, et les mythologies des autres cultures, les
combinaisons, les superpositions de motifs, et votre oeil ironique, ou acide, ces divers points de vue
ne me laissent pas indifférent, même s'il me faut un peu de temps pour rentrer dans votre
"système"..."
Bernard Fauchille, directeur des Musées de Montbéliard, 2008.

"Variations Cosmogoniques : L'art de Jean-Pierre Sergent est un art palimpseste, un peu magique où
le travail d'accumulation, la stratification des images, des cultures, des Temps renvoient à l'évolution
de l'Homme, des civilisations primitives à l'individu moderne. Dans ses oeuvres, l'invocation des
grands mythes, du chaos originel fait naître une plénitude qui restaure les équilibres intimes
terrestres. La bonne vieille pensée cartésienne, les représentations conventionnelles, étiquetées du
monde, il faut ici les poser au vestiaire pour se laisser initier à cette écriture rupestre sous Plexiglas,
à ces motifs archaïques reproduits par ordinateur, à ces visions érotiques révélées sous la débauche
géométrique, à la férocité des couleurs qu'apprivoise la rigueur technique, et retrouver enfin cette
énergie vitale, primaire, absolue, spirituelle."
Patrice Ruelle, directeur de l'office de Tourisme, Besançon, 2007

 À propos de l'exposition au Pavé dans la Marre

"Jamais je n'aurais imaginé meilleure façon de célébrer, ici à Besançon, les cent ans de Claude Levi
Strauss qu'avec ces bougies lumineuses que tu as allumées au Pavé. Le syncrétisme religieux qui en
émane dans la magie des couleurs et la subtilité des superpositions nous ramène à cette vérité d'un
homme en quête de sacré que celle ci se vive dans des expériences mystiques ou corporelles, peu
importe, car les entrelacs des frises des anciens codex peuvent aisément, dans ton travail, retrouver
les laçages plus intimes peut être, du bondage japonais.
Corps offerts, désirés, priés, ou sacrifiés, la liste est longue des expressions dont on ne sait jamais si
elles sont d'églises ou d'alcôves...
Merci, Cher Jean Pierre, de nous rappeler que nous ne sommes jamais loin de ces "pensées
sauvages" pourvu qu'on accepte en nous de les laisser s'exprimer; car c'est peut être là l'unique
moyen de nous sauver aujourd'hui d'un monde marchand qui souhaiterait qu'enfin se taisent
d'Orénoque en Jura, ses voix dissonantes qui nous rappellent par trop nos origines.
Il y avait de cette angoisse de la fin d'un monde aussi chez Levi Strauss, lorsqu'en bateau, tout jeune
diplomate revenant du Brésil, il méditait ses regrets en "tristes tropiques" !
Mes mots sont bien patauds face à tes toiles; que veux tu l'écriture ne rivalisera jamais avec la
création plastique" !
Laurent Devèze, directeur de L'Ecole Régionale des Beaux-Arts, Besançon, 2008

For what it's worth my reaction to your work:

Nice! I like the first impression of 'innocent' patterns that take on another dimension when you get a closer look. Of course, a/my computer screen doesn't do it justice, but the transformation is interesting. As if you're hi-jacking an aesthetic... My experience was "I like it but oops, look, what do I like...?" It's a good tension between the more innocent visual element (colours, patterns) and the culturally and sexually loaded bodies.
Olivier Nilsson-Julien, cinéaste, Londres, 2014

La rencontre avec ton œuvre porte pour moi la marque première du choc de l’étonnement, de la découverte majeure, puis dans un second temps, l’impact décisif de la révélation : personnelle, intime, subjective, et dans le même temps universelle et transcendante, une approche de la Vérité … Et pour moi, cela pourrait être l’une des définitions de l’ART ! Marie-Madeleine Varet, philosophe, Besançon, 2014



Je revenais à ton mail annonçant tes prochaines expos
pour y répondre et t'envoyer mes pensées et souhaits que ce ces événements te soient féconds.
Et ... clic ...
et ... ça fait une heure et demie que je suis sur ton site, plongée dans tes textes.

Je les avais picorés il y a longtemps, attrapant tes mots sur tes recherches et inspirations, ces mots de ton univers qui m'ouvraient le chemin parmi tes images ... et voilà,  va savoir pourquoi, un jour, on lit autrement, plus loin ... !?

J'aime ta rage Jean-Pierre !
et les racines de ta langue.

Comment dire ce qui me touche tant ?
Connais-tu le poète Serge Pey ? poète de poésie orale (que j'ai surtout lue plutôt qu'entendue !) il scande des paroles rythmiques aux effluves chamaniques; pour lui aussi, entre autres, sa poésie est à l'endroit du déplacement, du frottement des choses, des êtres, de la mise en des-équilibre de la pensée ......
Est-ce le point commun de ceux qui se sont frottés à la culture sud américaine ?

Je ne m'y suis pas frottée de près, mais elle vient rencontrer la sauvage en moi et c'est bon !

Outre ce versant de ton art, oui, il y a tes mots criant l'essentielle vitalité ou la vivifiance essentielle, le sang vital que constitue l'art en notre monde et en nos êtres ...

Et puis j'ai terminé par ta lettre au maire d'Ornans et son préambule.
Yéh ! une envie folle de l'imprimer et de l'afficher ... sur le panneau communal, déjà !!!!

Merci Jean-Pierre.

Ta prise de parole est aussi le sang nécessaire à la vie !

Elisabeth Bard, artiste peintre, Besançon, 2014

Bonjour Jean-Pierre, je trouve absolument intéressante l'intégration plus ou moins subliminale selon les couleurs, d'images sexuelles crues mais étonnamment poétiques fondues dans ce qui apparaît tout d'abord comme de merveilleux mandalas chargés de symbolique vitale (on est dans la complémentarité des vecteurs : le sexe brut, la vie, le Principe Féminin, la Terre..).. J'adorerais admirer la profondeur certaine induite par le support plexiglas, ce doit être sublime et hypnotique.. Quand on y ajoute les citations vraiment profondes d'Antonin Artaud concernant (pour ma perception rapide) la relativité signifiant/signifié de la projection d'un dessin faisant appel au langage instinctif universel (et ses limites forcément subjectives), on tend vers la divine résonance du choc émotionnel perçu à la vue de certaines oeuvres, parfois proche d'une extase quasi-orgasmique... Vos oeuvres ont indéniablement cette magie. Je suis sincèrement enchanté et honoré d'avoir la chance d'être désormais en relation avec vous. Il y a du génie dans votre approche, concernant l'entropie une phrase "célèbre" s'impose à mon esprit : " Que la Lumière... soit ! " Je souhaite diffuser tant que possible votre vision artistique.
M. Bart Vannoni, Montbard, 2016



Jean-Pierre Sergent sérigraphie ses représentations du corps et fabrique une sorte de mises à distance qui appuie sur la forme, sur le signe, sur les éléments sexuels, érotiques et sur la difficulté à choisir la définition de la beauté. Voltaire ne disait-il pas que “La beauté c’est que le crapaud trouve sa crapauds belle”. L’artiste oscille entre un réalisme et une épure, entre une sensualité de la couleur et une dureté de la forme. Il cherche les archétypes qui fondent les diversités et les accords de sociétés différentes. De son travail à New York (où il a séjourné plus de dix ans), il a gardé une énergie qui se traduit par les thèmes abordés, par la violence que la cité inspire, dans un trait qui parfois rappelle le street art. Le corps est alors, ici, le générateur d’une marche sans fin, dans le tressaillement presque animal de la ville comme le signifiât jadis Walt Whitmann : La cité tremble, des cris, des feux et des fumées, Des sirènes à vapeur rauquent comme des huées (Feuille d’herbe, 1855).
Germain Roesz, septembre 2016 (texte du catalogue de l'exposition Corps Accord, 28/9-29/10 2016, Pôle Culturel de Drusenheim, France)

> TEXTES CRITIQUES

JEAN-PIERRE SERGENT : « DU BOK BLEU DE L’ESPRIT »

Par Jean-Paul Gavard-Perret, février 2013

A la recherche d'un monde perdu et pour répondre à l'appel du néant des temps actuels Jean-Pierre Sergent est à la recherche d'un lieu originel. Il ne s’agit ni d’entrer dans la peinture, ni dans la sexualité mais d’en sortir. Ou plutôt de les métamorphoser. Contre les pseudo-provocateurs en montagnes coloriées qui ne font que s’affaisser dans l’orthodoxe de l’art et du sexe le créateur percute les images reconnues dans son langage en flux. Un flux de feu tissé en torsades d’images venues de cultures ancestrales et des miroitements de la matrice de la terre. Elle bâille de sa blessure ouverte que certains croient obscène mais qui porte en elle la source capable d’apaiser toutes les soifs. A-t-elle pour autant ce « goût de miel et de sucre » dont parlait Artaud ? Pas forcément : elle a une saveur bien plus amère. Et Jean-Pierre Sergent l’a bien repéré au fil de l’histoire des arts et des littératures. Il n’empêche que pour le peintre l’art accouche cette matrice aussi mentale que charnelle. C’est pourquoi d’une certaine manière l’artiste copule avec elle. Ses images brisent en conséquence les images chrétiennes et leur logos sanctifiant. Elles font surgir un inconscient  qui découle d'étapes antérieures. Elles diffusent et infusent des "xylophonies", des syllabes inventées sorties d’une masse d'esprit et de corps enfouie quelque part.

Plutôt que de quitter la peinture il s'agit d'imaginer des images de feu, de signes, des formes, d’effigies naturelles issues de bien des genèses et des chaos. L’artiste crée des imageries mystérieuses et archaïques mastiquées par une énorme bouche-sexe qui parle le conscient et l'inconscient non  plus "envoûtés" mais  soudain libres. Face à la langue écrite, cet  « utérus dont je n'avais que faire » dont parlait Artaud il propose un coït tellurique au sein non d'une mère mais de la MERE cosmique dont l’œuvre devient l’hymne sauvage et ample créé dans un bouillonnement sourd de formes afin de quitter l'ici du temps présent pour se fondre dans l’ailleurs. Se fondre et se libérer, détacher la dernière petite fibre rouge de spectre phallique afin de se désenclaver de la loi des puissances politiques, économiques, religieuses et se dégager de l’asservissement. L’œuvre est à ce titre une expérience viscérale, sismique, organique. Elle cherche l’image absolue agie et vécue quelque part. Elle permet de retourner à la terre première. Celle qui ne se retrouve qu'en s’arrimant à la membrane matricielle. Elle seule évite de tomber au néant et permet de raffiner l'être de l'être loin de la crapulerie du peu qu’il est devenu.

Cette matrice rêvée serait celle d’une terre sur laquelle aucune civilisation n'aurait d’emprise. La terre vierge par excellence : la terre plus que virginale et qui échappe à la séparation des genres. Pour l’atteindre, l’œuvre de Jean-Pierre Sergent crée un langage capable de briser les liaisons que la civilisation contemporaine dans sa mondialisation confondante impose. Face à l’inertie, la crapulerie du monde « enculé de viande » (Artaud) le créateur cherche à réanimer des blocs originels de spiritualité afin de pouvoir sortir le monde de son suicide organisé. C’est pourquoi une telle œuvre ouvre et ferme, comble et creuse. Elle transforme le théâtre de la cruauté du monde vers un espoir de liberté reconquise. Contre les vrombissements du jouir de tous les quêteurs d’honneur qui, lorsque leur coupe est pleine, la remplissent encore, le créateur fait surgir une langue neuve comme celle qu’Artaud tenta d’inventer depuis :
"bok du bleu de l'esprit
Orangate oravire
Oravire talire"

JEAN-PIERRE SERGENT, DE L'ORIGINE DU MONDE AU MONDE DES ORIGINES

Par Thierry Savatier, 2012, texte d'introduction au catalogue d'exposition à la Ferme Courbet de Flagey, France

L'art permet, en dépit des distances temporelles, de jeter des passerelles entre les créateurs. Gustave Courbet et Jean-Pierre Sergent en apportent la preuve à travers des correspondances, au sens baudelairien du terme, qui ne sauraient échapper à l'œil du spectateur. Commençons par les plus évidentes.

D'abord s'impose le goût commun de travailler les formats monumentaux1. Leurs œuvres dépassent la taille humaine, comme pour mieux s'ouvrir sur l'univers qui les entoure, s'approprier l'espace et créer un choc visuel autant que pictural.

Ensuite apparaissent les références imprimées et photographiques, en tant que support d'inspiration. Courbet utilisa de telles sources pour la composition de certains tableaux2. Suivant le même cheminement, Jean-Pierre Sergent puise dans le corpus ancien des motifs et graphismes ayant appartenu aux fresques pariétales, à l'art amérindien, aux yantras hindous. Il emprunte aussi aux ressources numériques des images de mangas japonais, des photographies érotiques ou de bondage kinbaku.

Ces dernières références conduisent à un autre lien, plus complexe : le rapport de proximité à la nature, indissociable de la représentation de la scène érotique. L'approche du paysage, chez Courbet, dénué de pittoresque, d'un réalisme très intériorisé, ne pouvait s'accomplir sans que l'artiste ne touche du doigt et de l'esprit la nature originelle, qu'il en saisisse la vigueur et la spiritualité. Pour le peintre, cette nature symbolisait la vie, que l'on retrouve dans les représentations animales, ou, cryptée, dans un singulier jeu d'anamorphoses où le paysage végétal et minéral devient anthropomorphe3. On la rencontre enfin, de manière cette fois symbolique, dans la série des sources, grottes et puits4, véritables « paysages vaginaux » dont l'aboutissement sera L'Origine du monde5. Un cheminement intellectuel, initiatique, qui nous entraîne progressivement de la grotte à « l'Ori-gyne »6, du symbole au réel « ob-scène », c'est-à-dire à la mise au-devant de la scène d'une image tabou (l'icône du sexe féminin).

Ses nus participent à cette approche de la nature. Subversifs ils ne figurent pas la beauté platonicienne, idéalisée, vidée de sa charge érotique. Ses femmes sont bien réelles, charnelles, humaines, sensuelles, vivantes jusque dans les imperfections physiques de leurs courbes puissantes qui ne sont pas sans évoquer cette fécondité qui caractérise la nature telle que les Vénus du paléolithique supérieur le suggèrent7. Beaucoup d'entre elles sont en outre mises en scène dans un paysage où elles se fondent. L'adéquation de la nature féconde et de la scène érotique devient évidente.

Or, cette même adéquation entre dans la définition de la peinture de Jean-Pierre Sergent. Celle-ci pourra, dans un premier temps, dérouter le spectateur habitué à la notion classique de tableau-objet. Car l'artiste ne revendique aucune volonté décorative – en d'autres termes, utilitaire – comme l'explique sa phrase définitive : « Il faut assassiner le tableau ! » Son rapport à la nature, lui aussi déroutant pour l'observateur contemporain, se situe au cœur d'un univers dont l'Occident d'aujourd'hui a oublié l'existence, que l'on pourrait appeler « le monde des origines », qui n'avait rien d'édénique, mais dans lequel homme et nature vivaient en harmonie.

Ce lien primordial fut brisé il y a longtemps et l'apparition des monothéismes, en monopolisant la notion du sacré et des rites, contribua largement à le faire disparaître. D'abord en affirmant une volonté de domination de l'homme sur la nature, comme le précise le texte biblique8. Ensuite en diabolisant le corps, en le réduisant à la seule fonction de procréation, en en abolissant l'érotique primordiale. La relation de symbiose avec la nature entra alors dans la nuit des cultures occidentales.

Parallèlement, d'autres cultures, parce qu'elles échappèrent ou résistèrent aux monothéismes, conserveront avec la nature ce lien privilégié, comme les sociétés organisées autour du chamanisme, tant sur le continent amérindien qu'en Sibérie. Or, c'est précisément à ces cultures chamaniques et ancestrales que Jean-Pierre Sergent se réfère et c'est à cet univers qu'il se propose de nous initier. Sa peinture s'offre à nous comme une transcription graphique des flux d'énergies telluriques et cosmiques dont le caractère sacré n'est compréhensible que si nous quittons le confort de nos schèmes de pensée et si nous nous reportons à ceux des cultures concernées, c'est-à-dire si nous acceptons l'invitation de l'artiste à découvrir d'autres cosmogonies. Sans doute la référence chamanique fera-t-elle penser à des pratiques magiques qui risqueraient de nous égarer. Il nous faudrait plutôt, ici, reprendre le mot de Georges Méliès, qui voyait dans « magie » l'anagramme du mot « image ».

Car ce sont bien des images que Jean-Pierre Sergent propose à notre interprétation. Des images aux multiples significations, conformes à ce que disait Antonin Artaud des hiéroglyphes mexicains : « Les formes, les lignes ne sont pas belles ; elles sont utiles, elles servent. Mais elles ne servent ni à manger ni à boire, ni à favoriser les commodités matérielles de la vie. Elles servent à capter des forces, ou à rendre capable de capter les forces. On ne les sépare pas de la magie. Elles ont un contenu de vie, qui, à son tour, dégage une science. Les hiéroglyphes mexicains sont en même temps un art et un langage et ils doivent s'entendre sous plusieurs sens. »9

Des images complexes donc, le plus souvent formées de strates dont la superposition, au premier regard, suggère un monde chaotique, un espace de lutte entre les différents éléments qui les composent. Un espace où formes géométriques, symboles des sociétés archaïques, animaux, végétaux et figures humaines s'entrechoquent, s'harmonisent et, finalement, apparaissent au fur et à mesure que le spectateur exerce son regard, jusqu'à former une union fusionnelle. Si André Breton définissait la peinture surréaliste comme des « photographies de rêves », les œuvres de Jean-Pierre Sergent seraient donc les transcriptions graphiques des transes chamaniques dont il fit l'expérience, là où l'humain, l'animal, le minéral et le végétal ne forment plus des espaces ontologiques cloisonnés et où l'on peut embrasser tous les domaines signifiants du sensible.

Le spectre des couleurs des sérigraphies, riche, violent et contrasté, tout comme la polymorphie des graphismes, sont là pour nous rappeler que le lien primordial avec la nature n'a rien d'idyllique. Imaginer ce lien comme l'accomplissement d'un paradis terrestre serait sombrer dans l'angélisme. En effet, les énergies mises en présence ne peuvent tendre vers l'harmonie qu'à partir d'un conflit de l'ordre et du chaos, du monde visible et de l'invisible, de la souffrance et du plaisir, territoires dont les frontières, comme nous le montre l'artiste, peuvent fluctuer, s'interpénétrer, se superposer pour finalement cohabiter comme les deux faces d'une même médaille.

Un tel rapport à la nature ne saurait évidemment faire l'impasse sur l'énergie vitale par excellence, en d'autres termes la sexualité, exprimée à travers le nu féminin, l'érotisme, thématiques qui relient toujours Gustave Courbet et Jean-Pierre Sergent. Marcel Duchamp ne s'y était pas trompé, lorsqu'il voyait dans l'érotisme un moteur capital de l'art (« le –isme le plus important », disait-il). Là encore, le spectateur pourra se sentir dérouté par cette approche de sujets qui font appel au tabou dans notre culture occidentale, où la pensée philosophico-religieuse reste dominée par un axe moral incluant Platon, Augustin d'Hippone et Kant, auxquels il faut bien ajouter Sade et Georges Bataille dans leurs démarches respectives d'associer la sexualité à une pulsion de mort. Les philosophies alternatives de Lucrèce, Spinoza et Nietzsche l'auraient sans doute mieux prédisposé à accueillir ces représentations de la création du monde, de la pulsion de vie dans ses composantes les plus actives.

Cette pulsion de vie avait été fort bien comprise par les premiers hommes, lorsqu'ils peignaient ou gravaient les attributs masculins et féminins sur les parois des grottes10, par les Egyptiens sculptant le dieu Min11, ainsi que par la plupart des civilisations ancestrales lorsqu'elles représentaient leurs divinités liées à la fertilité12. Autant de représentations érotiques à forte charge d'énergie spirituelle. Ce sont des références similaires que reprend Jean-Pierre Sergent. Les sexes, les postures sont présents, mêlés à d'autres symboles, pour mettre en lumière le Vivant dont le désir est un enjeu primordial.

Mais, de même que la sexualité rituelle (des cultures tantrique ou de celles qui célèbrent la nature) ne s'aborde pas avec la facilité liée à la société de consommation, c'est-à-dire rapidement et sans une forme d'initiation, les peintures de Jean-Pierre Sergent ne montrent pas explicitement la scène érotique. Les femmes, qu'elles soient fantasmées dans les mangas ou dans un graphisme de bande dessinée occidentale, ne dévoilent vraiment leurs pratiques sexuelles qu'à un œil exercé. Il faut de la patience, de la persévérance, pour les distinguer pleinement. Le spectateur doit d'abord décrypter d'autres signes, identifier des symboles parfois hypnotiques ou hypnotisants (cercles concentriques, spirales mystiques, multiplication infinie d'un même motif, etc.), distinguer les couches successives qui les recouvrent ; seuls les textes en anglais, le plus souvent obscènes et argotiques, servent parfois de guide tout en rappelant le lien qu'entretien l'artiste avec la scène créative new-yorkaise. Chaque strate identifiée contribue à la clarification de l'œuvre, à lui apporter un sens nouveau. Au fur et à mesure que le regard s'exerce, s'affute, des références émergent. Comment ne pas penser, devant certains tableaux, à Jackson Pollock, à Roy Lichtenstein ? Et, bien sûr, à L'Origine du monde de Gustave Courbet, revisité dans Suites Entropiques 2011 n05, ce sexe féminin dont la pose rappelle La Vulva de Léonard de Vinci13 et les indications « anatomiques » L'Infâme Vénus couchée, L'Age nubile et Age pour concevoir14, dessins de Jean-Jacques Lequeue (1757-1826), si surprenants de réalisme que l'on crut un moment qu'ils étaient un canular de Marcel Duchamp.

La référence au concept de superposition est donc récurrente chez Jean-Pierre Sergent, qu'il s'agisse des énergies, des sens, des symboles, des graphismes ou des couleurs jusqu'à tutoyer une abstraction qui n'est, finalement, jamais présente. Et l'on comprend mieux pourquoi s'est opéré chez lui le choix de la sérigraphie, technique par excellence de la superposition de couches successives. Le choix du Plexiglas comme support principal n'a rien non plus d'innocent. Car, devant une œuvre de l'artiste, le spectateur voit le reflet de son image projeté sur la peinture, il s'y plonge, s'y intègre jusqu'à participer, involontairement, à sa métamorphose. Peut-être est-ce là l'ultime moyen qu'à trouvé le peintre, dans son rôle de passeur, pour nous initier à son univers si particulier et pour nous mettre en contact avec la magie perdue du monde qu'avait magistralement définie Antonin Artaud : « Si la magie est une communication constante de l'intérieur à l'extérieur, de l'acte à la pensée, de la chose au mot, de la matière à l'esprit, on peut dire que nous avons depuis longtemps perdu cette forme d'inspiration foudroyante, de nerveuse illumination, et que nous avons besoin de nous retremper à des sources encore vives et non altérées. »15

_1 L'installation de Jean-Pierre Sergent ici exposée, Nature, Cultures, L'Origine des mondes, mesure 315 x 630 cm. On rapprochera cette dimension de celle d'Un enterrement à Ornans : 315 x 668 cm.
_2 Il s'agissait de photographies ou de gravures ayant servi à l'illustration, le plus souvent, d'éditions populaires.
_3 Voir, par exemple, La Cour de Conches, Le Géant de Saillon, Fontaine bleue, respectivement 1864, Besançon, Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie, 1873, Amiens, musée de Picardie et 1875, Collection Marc Sursock.
_4 Citons, à titre d'exemples, Le Puits noir (vers 1860-1865, Baltimore, The Baltimore Museum of Art), La Source de la Loue (1864, Buffalo, The Albright-Knox Art Gallery ; 1864, Washington D.C., The National Gallery of Art ; 1864, Hambourg, Kunsthalle) et La Grotte Sarrazine (vers 1864, Los Angeles, Paul Getty Museum).
_5 1866, Paris, Musée d'Orsay.
_6 « Ori-gyne », jeu de mot lacanien, allie le terme latin « os, oris » (le trou, l'orifice) et le terme grec « gune » (la femme).
_7 On se reportera, par exemple, à la Vénus de Willendorf, conservée au Musée d'Histoire naturelle de Vienne (Autriche) ou à la Vénus de Lespugue, conservée au Musée de l'Homme (Paris). Et, là encore, L'Origine du monde prend tout son sens si l'on admet, selon une découverte récente, que le tableau représente une femme enceinte d'environ cinq à six mois. Voir à ce sujet Thierry Savatier, L'Origine du Monde, histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, 4e édition, 2009, pp. 259-263.
_8 « Dieu les [Adam et Eve] bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. » (Genèse I, 28).
_9 Antonin Artaud, Œuvres, Gallimard, collection « Quarto », pp. 674-675.
_10 Pensons, par exemple, à la Vénus d'Angles sur l'Anglin.
_11 Dieu ithyphallique de la fertilité et de la reproduction.
_12 Citons ainsi les scènes d'accouplements rituels de Konarak (Inde), de Ti-n-lalan (Lybie), celles sculptées sur les sarcophages étrusques (Italie), les terres-cuites précolombiennes, les statuettes de cérémonies de mariage des Lobis (Mali, Côte d'Ivoire), les vases grecs (Ve et IVe siècles), etc.
_13 Vers 1513, Royal Library, Windsor Castle.
_14 Dessins conservés à la Bibliothèque nationale de France.
_15 Antonin Artaud, op. cit., p. 680.

FUSION ET VIBRATION : LA QUETE D'UNE ENERGIE

Par Mickaël Roy pour l'exposition Mayan Diary au musée des beaux-arts de Mulhouse, 
9 avril - 29 mai 2011

L’exposition « Mayan Diary » de l’artiste Jean-Pierre Sergent. A travers des œuvres monumentales sur Plexiglas, l’exposition propose de revenir sur le parcours d’un artiste qui a développé aux Etats-Unis un répertoire de formes artistiques qu’il poursuit aujourd’hui en France, depuis son atelier de Besançon.
Avec l’exposition « Mayan Diary », Jean-Pierre Sergent fait écho à une série éponyme débutée il y a une dizaine d’années alors qu’il s’était établi à New York. Œuvre(s) démesurée(s), associant et superposant un répertoire formel issu de différentes cultures pré-industrielles, « Mayan Diary » se présente comme un condensé des recherches plastiques et intellectuelles de l’artiste.
Alors que l’artiste avait débuté sa carrière par un langage pictural abstrait, « Mayan Diary » accorde une grande importance aux éléments figuratifs. Corps humains, souvent féminins, évoqués par leur charge toute sexuée, images symboliques et allégoriques, formes géométriques, citations verbales, l’univers que décrit Jean-Pierre Sergent est celui d’un monde saturé d’informations. Associés les uns aux autres, ces « codes » propres à chaque civilisation fonctionnent comme le rassemblement de temporalités opposées et aujourd’hui rassemblées afin d’écrire, par la sérigraphie, des histoires qui souvent dépassent l’entendement...
A l’image de ce « journal Maya » où le mot est remplacé par l’image pour provoquer un voyage visuel, l’exposition présentée au Musée des Beaux Arts de Mulhouse revient sur la démarche qui nourrit Jean-Pierre Sergent depuis ses années américaines. Des petites impressions sur papier aux imposantes sérigraphies sous Plexiglas, l’artiste développe, dans l’ambiguité d’un travail à la fois sériel et unique, un processus d’expériences personnelles qui tendent à l’universel et où l’assemblage crée la nouveauté.
Continuellement en transformation, l’œuvre de Jean-Pierre Sergent évoque de façon documentée et renseignée, un monde en perpétuelles métamorphoses d’où la vie semble « jaillir ». Ainsi, pour rendre hommage à cette force positive vécue à travers des voyages et des rencontres, au Mexique et au Guatemala ou ailleurs à travers le monde, ainsi qu’à travers des expériences de transe dans la New-York cosmopolite, Jean-Pierre Sergent opère dans son travail d’artiste un syncrétisme culturel entre des corpus de formes ancestrales et contemporaines. A cet égard, le choix du Plexiglas, médium définitivement moderne, invite dans la superposition des transparences à accéder à un voyage transcendant.

- L'EXPOSITION


Fusion et vibration : la quête d’une énergie
Jean-Pierre Sergent aime travailler dans la durée, car c’est précisément dans le travail et dans l’effort que se crée le plaisir. Si son processus de création a débuté il y a plus d’une dizaine d’années dans un environnement où l’artiste puisait sa force, son œuvre invoque aujourd’hui encore ce désir de rendre compte de ses riches rencontres avec les cultures préindustrielles, aztèque ou maya... L’artiste propose dans son œuvre une sorte de commémoration actualisée de ces civilisations riches en humanité. En les rapprochant de notre époque, il tente de réduire l’écart et, tout en produisant des raccourcis visuels, propose une immersion d’autant plus profonde dans un «ailleurs intemporel» où l’imagination est sans cesse réactivée, renouvelée.
Œuvre totale tant elle met en scène un ensemble de souvenirs puisés dans l’expérience de transes chamaniques vécues aux Etats-Unis, « Mayan Diary » invite à investir un monde  où l’artiste a été l’acteur de visions enfouies dans une histoire parallèle. Traductions de ces « autres vies », les « impressions » de Jean-Pierre Sergent invitent le regard du spectateur à rencontrer ici et là symboles de sexe masculin ou de sexe féminin, paysages de Sibérie où « tout était blanc, les ours et les bouleaux » et tigres au pays des Morts... Représentations d’un voyage de l’esprit plus que du corps où l’issue symbolique est à voir dans la figure d’un volcan par lequel tout jaillit, ces péripéties semblent vouloir communiquer une énergie vitale, comme source d’inspiration et de création.
Synthèse de cultures : « tout est modulable, tout est flexible »
L’œuvre de Jean-Pierre Sergent parle avant tout de l’expérience personnelle de l’artiste. Les superpositions de cultures qu’on y trouve, « c’est aussi ce qui m’est arrivé à New- York », livre-t-il... Ainsi apparaît un ensemble non ordonné de motifs esthétiques, puisés dans des collections de musées de civilisations anciennes, sur internet ou dans des bandes dessinées aux accents mangas érotiques ou pornographiques... Lointain écho aux fresques et peintures pariétales qui par superpositions successives enfouissaient les créations de civilisations passées, les peintures-sérigraphies de Jean-Pierre Sergent témoignent d’un geste identique mais non moins d’une volonté inverse. En superposant, l’artiste souhaite faire apparaître, par chocs visuels, renforcés par l’emploi de couleurs acidulées, des scènes où se côtoient et s’opposent cultures et références. Entre hiatus et oxymore, l’artiste n’éprouve aucune gêne à faire intervenir dans le même espace visuel une scène de bondage doublée par la représentation de yantras, figures géométriques hindoues, pourvu que se dégage une force intrinsèque au corps et à l’Homme.
Si l’œuvre de Jean-Pierre Sergent s’augmente de nouvelles propositions, elle se nourrit par ailleurs de nouvelles combinaisons. Ce développement d’un geste artistique continu, qui répond à la fois à une soif de travail comme à une quête insatiable, est permis d’abord par l’utilisation de la technique d’impression par sérigraphie sur panneau de Plexiglas. Support étonnant par son caractère diaphane, celui-ci laisse autant le motif apparaître que s’évaporer par accumulations de couches successives de peinture. Chaque œuvre est alors une surprise : « je ne sais pas ce que je fais, je travaille à l’envers ». N’est-il pas alors intéressant de comprendre que l’artiste poursuit dans son processus de création le goût de l’expérience ? Si son travail a changé depuis les épisodes chamaniques de ses années new-yorkaises, Jean-Pierre Sergent poursuit avec opiniâtreté et persévérance des recherches qui tendent à l’infini...

RETOUR


"Il est un être confus qui existait avant le ciel et la terre.

Ô qu'il est calme ! Ô qu'il est immatériel !
Il subsiste seul et ne change point.
Il circule partout et ne périclite point.
Il peut être regardé comme la mère de l'univers.
Moi, je ne sais pas son nom.
Pour lui donner un titre, je l'appelle Voie (Tao).
En m'efforçant de lui faire un nom, je l'appelle grand.
De grand, je l'appelle fugace.
De fugace, je l'appelle éloigné.
D'éloigné, je l'appelle (l'être) qui revient.
C'est pourquoi le Tao est grand, le ciel est grand, la terre est grande, le roi aussi est grand.
Dans le monde, il y a quatre grandes choses, et le roi en est une.
L'homme imite la terre ; la terre imite le ciel, le ciel imite le Tao ; le Tao imite sa nature."
Chapitre 25 du Tao Te King

Au-delà de Gribouillis,bondage et géométrie sacrée, du plus profond des mêlées inextricables où copulent les vivants et les morts sourd une étrange blancheur. Les corps enchevêtrés, les symboles abstraits chamaniques remontent à la surface de ces trouées de signes, ressurgis de la matière immaculée et affleurant comme des fantômes de récit.
Les chimères s'estompent, s'évanouissent comme si un soleil éternel était en train de tout effacer.
D'autres récits s'écrivent, différents des oeuvres sur Plexiglas. L'impression sur papier me renvoie à la fragilité du support. L'oeuvre est livrée à elle même, nue, sans protection, détachée. La matière sérigraphiée s'abandonne à la blancheur cotonneuse.

"L'AU-REVOIR"* me saute aux yeux. Des signes reconnues retournent et disparaissent. La confrontation est d'autant plus émouvante que Jean-Pierre utilise le même procédé technique et les mêmes sources iconographiques...mais cet ensemble qui succède aux Mayan Diary se décline en mode silencieux.
Dans les Mayan Diary,  les parois de Plexiglas renvoient des saturations polychromes indéfinissables, vibrantes, changeantes qui nous projettent dans une réflexion solaire. Ici, nous sommes absorbés... malgré la prolifération des formes.
La lumière est celle de l'horizon blanc, de la glace sur le ciel bas, des immanences sidérales des films de Tarkovski.

En guise d' "AU-REVOIR"*, c'est à Jean Pierre que je laisse reformuler une pensée de Chief Joseph de la tribu des Nez-Percés :

- "IL N'Y A PAS DE MORT, SEULEMENT UN CHANGEMENT DE MONDE !"

- *"L'AU-REVOIR" est un terme inventé pour signifier que ses images étaient déjà vues, qu'elles faisaient partie du patrimoine de l'humanité mais qu'au moment même où tu les faisais ressurgir elles s'en allaient comme dans un rêve..."

Claudie Floutier, Besançon, le 25 janvier 2013

LES INTEMPORELS DE JEAN-PIERRE SERGENT


Intuitif, il cherche.
Attentif, il cherche.
Avec sagacité, il cherche.
Avec distinction, il cherche.
Au travers de tous les continents, il cherche.
Au travers de toutes les bibliothèques, il cherche.
Au travers de toutes ses expériences au fil du rasoir, il cherche.
Il cherche depuis des origines infinitésimales, il cherche au bord de l'abîme jusqu'à ce début de siècle
égaré.
Il connaît la théorie du chaos et l'Ouroboros qui se mord la queue.
L'aspect illusoire des phénomènes ne le décourage pas.
C'est justement l'aspect illusoire des phénomènes qui obsessionnellement le poussent dans sa quête.
MAYA.
L'illusion, mais aussi Art dans son sens principiel : "l'art divin de la production de la manifestation."
Il recueille des images, il sélectionne des indices, il amasse des connaissances.
Il plonge, il creuse, il repêche des fragments de mythe, il déterre des éclats de forme. Il recompose
une palette polymorphe et polychrome. Il réécrit à sa manière sensuelle et savante une fiction
contemporaine sans cesse réinterprétée… Impressions singulières d'histoires éternelles.
À la racine de son travail, les mythes.
À l'origine du mot mythe, la racine grecque "mythos" issu du radical mu, muet, et du dérivé verbal
mueô qui signifie parole silencieuse et par extension initier aux mystères.
Chercher… Révéler… Mais surtout tenter de retrouver à des degrés variables au travers d'une
pratique artistique très précise, la sérigraphie, la possibilité d'une multiplication et d'une extension à
la fois très lente et infinie…
À l'affût des cycles, à l'affût des signes de ce probable… Improbable éternel retour ? À l'affût de
SHAKTI (l'énergie cosmique) et de SHABDA (le son cosmique).
À l'affût des vibrations engendrées par le rythme, à la recherche de BINDU (point-limite) selon
lequel se trouve d'après le Tantrisme concentré tous les temps…
TANTRA.
Jean-Pierre Sergent utilise souvent des images d'accouplement, images pornographiques pour les uns,
images érotiques pour les autres ou reformulations graphiques d'Asanas tantriques, manière
d'inscrire sur le support les degrès de ces postures de yoga qui visent à éveiller la Kundalini.
Tout concept dualiste volatilisé… Nous montons au septième ciel… Jusqu'à ce fameux point (Bindu)
entre les sourcils, lieu de l'Ajna Chakra et symbole du troisième oeil…
Sans cesse il cherche… Je et cela s'évanouissent devant l'indéfini indifférencié.
La chanson de geste, comme le geste de l'artiste nous console parfois.
Au delà des âges et des géographies, dans l'obscur infini une certaine Mâyâ (art) dessine nos
dessins…
Certains parfois perçoivent le bruit du souffle de Mâyâ qui dessine.

Claudie Floutier, février 2010.

L’ÉLOGE DU CHAMANISME SELON JEAN PIERRE SERGENT

Par Laurent Devèze, directeur de L'Ecole Régionale des Beaux-Arts, Besançon, octobre 2010

Au commencement était un mur.
Comme dans les prisons ou dans Facebook...
Un mur comme ces jeux pour enfant où l'on est invité à jouer des cases, à les déplacer en les faisant coulisser les unes par rapport aux autres comme si leur place dans le cadre changeait l'ensemble tout en lui conservant son unité première. Une sorte d'allégorie du langage en somme, où chacun use des mêmes mots mais dans une composition diverse suivant son inspiration ou son talent.
Un mur d'images travaillées, aussi, qui entrelace, comme d'habitude chez Jean Pierre Sergent, les inspirations ethnologiques et les imageries populaires issues de la BD érotique et du Manga. Une sorte de kaléidoscope qui mêlerait le sacré de l'Inde ou des Mayas et les images saturées de grande consommation.
En fait, la notion de « Musée Imaginaire » dont rêvait Malraux est peut être à l'œuvre dans un tel travail mais comme renouvelée, car il s'agit moins aujourd'hui de juxtaposer dans nos mémoires les références artistiques propres à différents bassins culturels et moments de l'histoire de l'Homme, que de tenter d'assumer chacun cet amoncellement de représentations tantôt nobles tantôt plus vulgaires qui peuplent notre cerveau contemporain.
L'internet est là pour nous rappeler ce télescopage d'images qui vire de l'actualité aux chefs d'œuvres en passant par la pornographie. Si chacun de nous gardait et assumait pleinement l'empreinte de ce qu'il a vu en une journée, il se retrouverait certainement sans mal dans cette diversité exprimée avec une nervosité, presqu'une colère, qui explose en éclats colorés sur le Plexiglas brillant.
Certes, ces productions qui figurent, là, côte à côte, en une simultanéité qui peut dérouter, peuvent créer un sentiment de confusion, mais elles ont le mérite de souligner ce qu'a de spécifique la tâche du créateur aujourd'hui qui est sans doute moins de se situer dans un processus cumulatif en ajoutant « son » image produite à des milliards d'autres, qu'à nous aider par son œuvre à y voir plus clair.
C'est d'ailleurs, rendant par là raison des références culturelles magiques et mystiques qui jalonnent l'œuvre de Jean-Pierre Sergent, le sens proprement chamanique qu'on pourrait donner à ce travail : celui d'être une transe.
Une sorte de transe flamboyante qui fait apparaître moins des images que des visions et nous permettrait alors de saisir ce qui d'ordinaire ne s'appréhende guère tant elle se donne à voir dans le chaos et l'infini désordre : à savoir la multiplicité des représentations qui nous peuplent.
Ainsi face à ce mur d'images on se recueillerait presque comme devant le dévoilement un peu sorcier de tout notre univers imagé qui ne nous apparait jamais clairement dans son foisonnement entropique mais qui, ici, grâce au savoir faire du peintre, nous permettrait une saisie intelligible et sensible à la fois.
En somme l'artiste par son œuvre nous invite à une danse étourdissante qui nous fait passer de l'une à l'autre de ces figures détaillées, non pour nous étourdir et nous faire tomber, mais, au contraire, pour nous faire découvrir, au cœur de son rythme même, le sens de cette juxtaposition intime d'images qui nous constitue.
Tour à tour voyants et voyeurs, nous serions semblables à ces derviches qui au milieu de leurs tourbillons incessants et pour peu qu'ils acceptent de fuir l'équilibre commun, en retrouve un autre, mouvant, plus personnel et plus ferme, et qui, seul, peut les initier à la recherche d'une vérité plus haute.

JEAN-PIERRE SERGENT, PORTRAIT DU CRÉATEUR EN SURFEUR

Par Laurent Devèze, directeur de L'Ecole Régionale des Beaux-Arts, Besançon, juin 2009

Il ne faut jamais glisser à la surface du réel croyait-on dans les anciennes Académies comme si le lisse, le coulant, ou le vernissé, portaient nécessairement en eux quelque chose de superficiel.
Or depuis les tableaux hyperréalistes américains de Rosenquist aux pseudos Bandes Dessinées de Liechtenstein on sait qu'on gagne à s'arrêter aux chromes d'un camion ou à lire en couleur une bulle entoilée ; pour le dire autrement siroter son café à « Bagdad Café » vaut bien déguster son chocolat chaud aux « Deux Magots ».
Ainsi, référence pour référence, Deleuze et sa fascination pour la figure du surfeur à Lacanau et des sports de glisse en général, mérite t'il toute notre attention.
Et en effet, épouser la forme des choses, les vernir, au sens où la rosée souligne le contour des êtres et les dévoile (qu'on songe à la célèbre « aurore aux doigts de rose » chez Homère !) sans jamais risquer de les noyer sous elle, est peut être la meilleure allégorie du savoir contemporain et de ses plus modernes exigences scientifiques.
Or, la peinture de Jean-Pierre Sergent a cette vertu là qui consiste à nous présenter sous cet aspect lisse les plus complexes âpretés du monde.
De la sexualité aux civilisations perdues, (après tout, tout ici, n'est-il pas affaire de « traces » ?) l'artiste nous présente en couleurs brillantes et dans le chatoiement impeccable du Plexiglas les détails les plus crus comme les mélancolies les plus rares.
Considérer comme léger ou décoratif un tel travail serait singulièrement désinvolte, car ce qui chatoie ici se met à nu et le vernis ressemble fort à un miroir. De mondes anciens aux cultes oubliés à des postures provocantes de modèles de papier glacé, tout glisse certes mais comme les mains du grimpeur qui sombre dans le vide.
Nous sommes loin de l'apparence pour l'apparence car c'est bien de l'être même des choses dont il est question. Avec le plus américain des peintres comtois cette fuite héraclitéenne, (celle là même qui fait que rien de toutes ces réminiscences ne tiendra face au fleuve qui nous emporte tous), devient le sujet d'une méditation qui explose en couleurs crues et en brillance vertigineuse.
Chacun choisira sa lecture : histoire qui passe, ou prise de conscience de notre finitude, peu importe en fait, la peinture, ici, prend acte d'un mouvement destructeur et aspirant qui, paradoxe suprême, n'est peut être rien d'autre que le moteur de la vie même.
Et c'est alors qu'on retrouverait la figure du surfeur Deleuzien qui épouse les plis des choses non pour les survoler mais pour en livrer l'essence même et le peintre serait semblable à ses jeunes athlètes avec leurs planches lustrées qui nous renseignent bien davantage sur la nature de la vague en la domptant dans des éclats d'écumes que n'importe quel oscillomètre.
Laissons donc aux superficiels l'erreur de ne pas s'abandonner à cette brillance, ils seraient bien capables aussi de prendre pour un carrousel de manège la roue du grand Hugo celle qui, disait-il, exprime la vie et « qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu'un ».

UN REFLET DE NOTRE ÉPOQUE

Par André Girouard, texte d'introduction pour l'exposition à la galerie Riverin-Arlogos, du 13 mars au 13 avril 1993, Eastman, Canada

La peinture est parfois accusée d'être un art non actuel, un peu hors de notre époque. Aujourd'hui par exemple, le cinéma représenterait mieux notre vie contemporaine, son espace et le coeur de notre temps. Or l'œuvre de Jean-Pierre Sergent est intéressante essentiellement parce qu'il s'agit de l'œuvre d'un peintre qui non seulement, a saisi le rythme mais l'essence de son temps. Ces œuvres utilisent souvent comme point d'appui les médias et leurs
dérivés tels que la publicité, les photos-chocs, les imprimés. Ainsi, Sergent nous présente non seulement des instantanés de notre monde mais aussi des matériaux et une esthétique des années 90. L'artiste nous livre des images fortes qui sont dans la trame de notre temps mais aussi des images qui tout comme au cinéma nous semblent éphémères, omniprésentes et percutantes.

L'œuvre de Sergent réconcilie donc la peinture avec l'actualité, notre monde contemporain et non la simple mode; elle dit en fait qu'à notre époque bien que les images se consomment à un rythme déchaîné, certaines d'entre elles médiatisées sont des clés de notre époque.

La peinture de Sergent par les matériaux utilisés, les formes qu'il investit, les couleurs employées tente de représenter les lumières souvent dures, blafardes et artificielles qui éclairent notre époque. La norme du jour n'est plus aux matériaux traditionnels et aux couleurs nuancées mais à l'opposé à des partis pris à ces niveaux qui excluent les nuances et qui tranchent dans le vif.

Jean-Pierre Sergent, en un temps relativement court, a vu sa peinture éclater et épouser le contour de notre temps. Son oeuvre évoque les icônes de notre temps souvent présentées mille fois par les médias. Ces œuvres sont imprégnées du caractère éphémère, instantané que nous retrouvons dans les médias. L'œuvre de Sergent nous permet ainsi de mieux saisir notre vie contemporaine qui manque d'âme sous la multiplicité des images-chocs, cette
œuvre nous amène à nous poser ainsi l'ultime question ?  Est-ce possible que les hommes vivent ainsi bousculés, dans l'éphémère de l'instant et sous une lumière crue.