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Jean-Pierre Sergent

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Cette page est consacrée aux transcriptions de différents entretiens filmés en 2019

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Interview de Jean-Pierre Sergent avec le Magazine Diversion pour parler de son exposition Les quatre piliers du ciel le 18 décembre 2019 | Musée des Beaux-Arts & D'archéologie de Besançon - Voir la vidéo

Cette exposition s'appelle : Les quatre piliers du ciel ; c'est un peu en référence à toutes les sociétés tribales qui ont toujours un centre du monde quelque part, ce sont les axis mundis. Les lieux où l'on peut communiquer avec un ailleurs. Nous vivons sur un seul plan horizontal et d'autres cultures vivent aussi dans un plan plus vertical, (dans d'autres dimensions). On peut également ressentir cela dans les cathédrales, mais ce plan vertical est beaucoup plus élevé chez les chamanes par exemple.
La scénographie s'est imposée par l'architecture du lieu, c'est à dire qu'il y avait quatre angles dans les escaliers du musée, que le directeur M. Nicolas Surlapierre, m'a proposé d'y installer mes peintures. Donc j'ai réfléchi un peu aux œuvres que je voulais y mettre. Mais cette idée d'élévation spirituelle m'intéresse particulièrement.
Chaque panneau d'angle comprend neuf peintures, la plupart de ces peintures sont issues d'une série qui s'appelle : Suite entropique, c'est à dire que dans mon travaille, j'aime mettre le plus d'informations possibles, parce que je pense que chaque culture à ses propres limitations. Moi ce qui me choque un peu c'est d'être limité dans ma pensée et dans mon imaginaire. Donc ajouter beaucoup de choses dans une œuvre, c'est ce qui m'intéresse !
Quand je fais des grandes installations comme cela, ce qui est important, c'est de ne pas trop répéter les images, parce que je travaille de manière sérielle, donc les images se retrouvent sur quatre ou cinq peintures à la suite, alors j'essaye de ne pas assembler la même image côte à côte et éventuellement, ne pas avoir de "trou" de couleur, c'est à dire que si j'avais, dans ces panneaux placé trois peintures jaunes côte à côte, cela ferait une bande jaune, donc ce ne serait plus un ensemble, la notion d'ensemble m'intéresse particulièrement.
Je viens d'exposer à Lugano au Wopart, c'est une foire d'art contemporain d'art sur papier uniquement et je travaille avec ma galerie de Zürich avec laquelle on vient de faire une exposition à Zurich avec les travaux montrés dans cette foire et l'an prochain je travaillerai avec la Nouvelle Laurentine, qui est un centre d'art contemporain situé à Chaumont où ils ont un grand espace industriel dans lequel on va sans doute présenter une immense installation murale sur le thème de la volupté, des voluptés ! Donc je me réjouis de travailler sur ces thèmes-là, parce que tout mon travail est un peu basé sur l'extase spirituelle et l'extase érotique !


Entretien entre les artistes Jean-Pierre Sergent & Claudie Floutier | 3 parties | Atelier de Besançon le 29 septembre 2019 - Télécharger le PDF


1/3 : ART, SAGESSES & BRIBES DE SOUVENIRS COMMUNS #1 - Voir la vidéo 1/3

Jean-Pierre Sergent : Voilà, alors nous sommes aujourd'hui le dimanche 29 septembre 2019, je suis ici avec mon amie Claudie Floutier, que j'ai rencontrée à l'école des Beaux-Arts de Besançon, qui était ma professeur de couleur, ce qui est assez rare, ça n'existe pratiquement pas au monde maintenant ?

Claudie Floutier : Ça n'existe plus !

JPS : Donc Claudie, je te laisse te présenter et puis on va parler un peu de notre aventure s'il te plait !

CF : C'est-à-dire que pour me présenter, c'est que ça remonte à longtemps ! Ça remonte à quarante ans !

JPS : Oui, oui !

CF : Donc ça, il faut le savoir, il faut savoir que c'est quelque chose qui est pour moi assez merveilleux parce qu'on est resté amis pendant tout ce temps-là, malgré des temps de vide et d'espace-temps différents etc. Mais bon, la distance n'abolie pas la pensée, donc la pensée était là, là et là et elle a été là très vite ! Parce que je t'avais repéré à l'école, parce que tu étais déjà un peu excentrique. Tu n'étais pas obéissant, tu étais attentif, mais tu n'étais pas celui qui avait envie de tout entendre sans réflexion et puis après, tu es parti de l'école (après un an et demi) et ensuite, tu m'avais laissée tes coordonnées et nous nous sommes retrouvés quand tu étais sorti de l'école. Parce qu'en fait, moi à l'école des Beaux-Arts, ceux que j'aimais le plus c'était les garçons et les filles qui échappaient finalement au système des Beaux-Arts. Comme Alain l'a défini. Parce que moi, quand j'étais aux Beaux-Arts, j'avais le système des Beaux-Arts comme un système et donc étant donné ma nature profonde et puis la connaissance que j'avais de la couleur… La couleur déjà, ce n'est pas normatif, ce n'est pas comme la forme, la géométrie etc. La couleur tu pars dans toutes les directions, dans tous les sens et tu es déjà dans une sensibilité et une émotion différente, bien qu'il y ait des théories la couleur. Et donc, je t'avais repéré et après, ça commence, je suis montée te rendre visite, j'ai découvert… un autre Jean-Pierre.

JPS : Dans ma ferme !

CF : Mais alors, ce qui m'a complètement étonnée… parce qu'autant tu étais un peu silencieux, un peu à côté etc. Et là, tu étais quelqu'un qui correspondait complètement aux éléments où tu te trouvais en fait. Tu étais dans une énergie de jeunesse incroyable. Tu étais vraiment dans une santé époustouflante. Tu avais ce rapport aux animaux, à la nature, à tes chevaux incroyable… Et le cadre, était quand même pour moi, qui étais du Midi et de la garrigue, époustouflant aussi ! Il faut dire ! Parce que vraiment les Échelles de la mort, j'ai un souvenir de ses endroits avec ses forêts profondes et de ses ravins et même le terme des Échelles de la mort… Tu me racontais les histoires des sentiers de contrebandiers et tout ça ! Oh là, là, j'étais assez subjuguée ! Et ensuite ça ne s'est pas arrêté là, parce qu'il y avait le garçon qui s'occupait de ses chèvres et de ses chevaux et puis j'ai eu un coup de cœur pour ce qui se passait derrière ça, parce que tu es toujours très double, très ambigu… En fait il y avait, derrière les tas de foin, des tas de trucs dans une très grande grange, il y avait des escaliers qui n'étaient pas très réjouissants, un peu branlants et derrière les escaliers, il y avait une espèce de rideau comme ça, un rideau en lin gris ; enfin j'ai ce souvenir là et derrière le rideau, une porte et derrière la porte, un atelier et c'était presque un atelier déjà new-yorkais !

JPS : Oui, oui !

CF : Absolument, c'est-à-dire que les murs étaient blanc immaculé… Blanc immaculé ! Il y avait déjà des espèces de tentations de New York incroyables et il y avait aussi, ce qui était quand même très, très rare à l'époque : un numéro d'Art Press ! Je m'en souviens toujours ! Parce que lire Art Press à cette époque, ça a valu à un étudiant des Beaux-Arts un conseil de discipline ! Bon je ne vais pas m'étaler sur la vie des Beaux-Arts, mais lire Art Press dans ces moments-là, c'était absolument interdit par l'école ! Bon moi je le lisais évidemment, mais on était très, très peu nombreux à lire Art Press à cette époque. Art Press, cela signifiait déjà un départ, tu étais déjà presque parti ! Tu étais déjà parti à New York, parce qu'Art Press, c'était tous les artistes américains, c'était tous ceux qui étaient déjà des stars aux États-Unis, que nous connaissions très peu ! Et qui maintenant sont devenus des stars dans les grands musées ! Et là, tu avais cette expérience de la peinture qui s'en rapprochait, tu faisais des tentatives pour être très proche de ces artistes là ! Évidemment, tu ignorais encore que tu allais partir, ça devait trainer dans la tête, mais tu l'ignorais ! Et puis, voilà, peu à peu les choses se sont passées, je pense que la tentation a été trop forte et puis tu es parti, tu es parti aux Amériques !

JPS : Oui

CF : Aux Amériques et il y avait… et ça je le prends dans ton texte Influences, qui est très, très, intéressant et où tu racontes tes premières années de travail et cetera, cette rencontre avec Rothko par l'intermédiaire de la couverture d'un livre de Marguerite Duras qui est Le ravissement de Lol V. Stein et donc tu as connu Mark Rothko par Le ravissement de Lol V. Stein, pas par le livre, tu as dit que tu ne t'en souvenais plus !

JPS : Oui !

CF : Moi je m'en souviens, c'est un livre que j'ai extrêmement aimé, mais toi, tu ne t'en souviens plus ! Mais j'ai regardé à nouveau la couverture, et c'est vrai qu'il y avait là, toute l'amorce de ton travail éventuel ! Il y avait ce rouge profond.

JPS : Oui, oui !

CF : Il y avait ces deux lignes finalement verticales, qui étaient tremblantes, quand même, c'est pas des lignes…tremblantes et il y avait deux... je l'ai longtemps regardé hier soir ! Et puis il y avait deux lignes horizontales etc. Et ces lignes étaient en lévitation !

JPS : Voilà, oui !

CF : Et ce n'était pas abstrait ! Ce n'était pas abstrait ! C'était déjà presque un homme et une femme. Pour moi, c'était presque une rencontre amoureuse, mais pas vraiment, parce que c'était la rencontre de lignes qui s'attiraient et en même temps se repoussaient dans ce grand rouge !

JPS : Oui ! Dans un système d'énergies !  Voilà !

CF : Oui, voilà, un système d'énergie dans ce grand rouge ! Donc voilà, donc c'est par Rothko, finalement, que tu es parti ! Et alors c'est vrai, que ensuite, tu as eu des amitiés avec les peintres américains extrêmement différents, parce que passer de Rothko à Rauschenberg, c'est toi, c'est déjà toi ! C'est à dire : chercher, chercher, chercher, dans quelque chose qui est du domaine finalement de l'aventure, du collage, des images qui se superposent et aussi finalement d'un imaginaire actif, plein d'énergie et plein de rencontres. Des rencontres, Rauschenberg c'est ça, moi j'ai énormément aimé Rauschenberg aussi parce que ça nous a porté énormément, parce que c'est un pop poétique quand même…

JPS : Oui, oui

CF : Il est poétique, c'est pas un pop… Tu vois, bon Lichtenstein et cetera, c'est des grandes bandes dessinées quand même ! Lui, c'est poétique et il y a toujours ces passages… Donc Rauschenberg, Rothko tu parles de Jasper Johns aussi qui t'a énormément apporté ! Donc ces grands, grands artistes américains. C'est pour ça qu'un jour, tu as pris tes bagages, tu as vendu tes Appaloosas et en avant tu es parti, parti, parti ! Et ce que j'ai beaucoup aimé retrouvant ce texte, parce que je me suis beaucoup intéressé à ce texte (Influences 1I-V, 2012) qui est pour moi extrêmement merveilleux, qui est long, très, très long. Tu y parles de tout ce que tu aimes et tu le fais finalement d'une façon extrêmement bien écrite. C'est très bien écrit ce texte et tu parles aussi, finalement de lorsque tu étais petit ; parce que moi, je pense toujours, que l'important, c'est quand même le commencement, c'est l'enfance et l'enfance, ce qu'on a de cette enfance et qui nous reste, la mémoire profonde et de ce que tu as vécu. C'est à dire que l'enfance pour toi, ça a été quand même aussi une très, très grande période difficile, de solitude, avec des crises d'asthme profond, qui t'ont amené finalement à Briançon…

JPS : Oui, oui !

CF : Et à Briançon, là, la chose que tu as faite, c'était la rencontre avec les gens, quand même, tu t'es dit : ces trois années n'ont pas été pour moi négatives.

JPS : Bien sûr !

CF : Et la rencontre avec la montagne, les pierres que tu ramassais !

JPS : Oui, oui !

CF : Et ramasser des pierres, collecter des pierres, mais déjà collecter des pierres, c'est déjà se mettre finalement dans une quête ! C'est la quête de quelque chose ! Si tu ramasses une pierre, tu la ramasses parce que tu commences à l'aimer, tu l'aimes, tu vois quelque chose dans cette pierre ! C'est comme Roger Caillois !

JPS : Oui, une correspondance !

CF : Les pierres, Caillois, tu as une correspondance avec toi ! Donc déjà, tu ne perdais pas ton temps. Tu dis : je fais quelque chose qui vas m'apporter de la joie ! Ramasser une pierre c'est comme cueillir des champignons, c'est des cueillettes et ça, glaner, c'est extrêmement important !

JPS : Oui, oui c'est vrai !

CF : Et donc tu as commencé par ces pierres et puis tu disais aussi que quand tu étais plus petit encore, pour t'occuper, tu choisissais des images d'animaux etc. tu faisais des collages et que c'était pour t'occuper, comme tu étais très seul et que tu avais ces crises d'asthme qui t'isolait, tu commençais à faire, ce que tu appelais le  commencement et que l'on retrouve dans tes images aujourd'hui !

JPS : Oui !

CF : C'est des choses que l'on retrouve ! Et après, tu es parti, tu es parti aux États-Unis et aux États-Unis, tu as recommencé à cueillir des images en fait !

JPS : Oui, oui !

CF : Parce que ta période extrêmement abstraite n'a pas duré très longtemps. À un moment, tu t'es posé la question quand même, tu t'es dit : qu'est-ce que je vais faire, je vais m'ennuyer ! Mais tu n'as pas un tempérament à t'ennuyer !  C'est sûr que : qu'est-ce que je vais faire, ah là, là ! Tu vois, c'est bien pour contempler Rothko. C'est bien, on peut contempler Giorgio Morandi, on peut contempler tous ces grands ! Mais toi-même tu avais envie de faire quelque chose qui allait t'obliger à faire encore la cueillette ! Cueillir, cueillir !

JPS : Oui, oui !

CF : Et donc, tu t'es remis à cueillir et à cueillir jusqu'à présent. Et tes influences sont innombrables, très, très, très innombrables et je ne parlerai pas uniquement des Mayas, parce que c'est beaucoup plus ouvert ! Toi, tu parles beaucoup des Mayas actuellement, parce que tu es là ! Mais c'est tellement plus ouvert ! C'est-à-dire après avoir relu ton texte et que je te connais, je sais très, très bien que tu as aussi énormément d'amour pour les Primitifs Romans !

JPS : Oui, bien sûr !

CF :  Tu as beaucoup d'amour pour des écrivains aussi, tu as beaucoup d'amour pour les musiciens, tu n'es pas uniquement dans cette civilisation des Mayas, qui pour moi est un peu barbare !

JPS : (DÉSACORD TOTAL : LES MAYAS DES BARBARES ?)

CF : Voilà, pour moi ! Tu as beaucoup plus de délicatesse, que simplement les mayas ! Maintenant, si ça ne te plaît pas, c'est pas important !

JPS : Oui, oui !

CF : Tu n'es pas limité à ça ! Tu n'es pas limité à ça ! Et quand je vois les gens dont on parle, Parce qu'on parle souvent au téléphone en tout cas et puis quand tu étais à New York on s'écrivait et cetera. On a aussi des amours communs très, très fort au niveau de la littérature et je me souviens que la première fois qu'on est allé à New York et que je suis venu à New York avec toi ! La surprise, parce que tu avais déjà beaucoup lu…La surprise, c'est quand on est allé se promener, la nuit, avec une lune incroyable qui éclairait l'East River, on est allé se promener et on tombe sur la maison de Walt Whitman ! Et ça c'était un plaisir, parce que Walt Whitman c'est déjà toute la liberté, la poésie, c'est toute la liberté, c'est ce magnifique livre Feuilles d'herbe etc. Et là, il y avait  quelque chose qui venait avec la poésie, parce que c'est vrai que tu lis beaucoup de poésie ! Et qui était à la fois, l'énergie de New York et puis l'énergie de l'herbe. Parce qu'il a écrit des textes remarquables sur l'herbe etc. Donc, les affinités, c'est aussi la poésie, c'est aussi Giono…

JPS : Voilà !

CF : Eh oui, Giono, c'est ce qui te rapproche. Giono c'est à la fois le bonheur de vivre, c'est le bonheur de la nature ! Et la grande spiritualité qu'il y a dans ses livres et c'est aussi la possibilité qu'il y a d'être à la fois dans la vie et dans la mort ! Parce qu'il y a des livres de Giono qui sont très redoutables, qui sont durs… Et moi, j'ai ramené : La chasse au bonheur de Giono !

JPS : Oui, oui !

CF : Et aussi Les cahiers de l'arc de Giono ! Donc ça c'est des merveilles pour moi qui suis du Midi, enfin ce n'est pas le même Midi, celui-ci c'est Manosque, c'est la petite Provence, donc il y avait aussi des affinités par rapport à Giono, par rapport à tous ces auteurs. Je crois que je vais te laisser un peu parler, parce qu'on a aussi encore d'autres lectures en commun… Et si tu veux dire quelque chose de toi ?

JPS: Oui ! Il faut dire que quelque part, tu m'as vraiment initié avec tes cours de couleur, parce que c'est vrai que la pratique de la couleur dans nos sociétés, ça doit s'apprendre (c'est comme une initiation), puisqu'elle a disparu complètement. Ce sont des codes qui ont complètement disparu de nos sociétés ! Et je ne peux que t'en remercier ! Parce que c'est vrai que quand quelqu'un déclenche en toi, un déclic, il faut le dire et il faut en être reconnaissant par rapport à ça ! Parce que moi, je me rappellerai en arrivant à l'École des Beaux-Arts, les seules harmonies colorées que j'appréciais : c'était blanc, marron et noir ! Et donc on voit ici mon travail, ça c'est ouvert ! C'est comme un ouvre-boite ! C'est très important la couleur ! C'est vraiment l'essentiel de mon travail !

CF : Ben oui !

JPS : On parle de l'image mais la couleur est très importante ! Parce que ça véhicule de l'énergie ! Je voulais revenir à quand tu étais venue à New York, tu te rappelles, on était allés voir le temple égyptien, je ne sais pas si tu veux raconter l'anecdote ?

CF : Non, racontes la !

JPS : Donc nous regardions ce temple et soudain, il y a une espèce de prêtresse égyptienne tout en blanc vêtue (Isis) qui est venue pour faire ses prières et ablutions au dieu du soleil Amon-Rê !

CF : Je sais !

JPS : Et ça, ça ne serait pas possible en France !

CF : Non !

JPS : Il faut bien comprendre cette ouverture d'esprit, que j'ai pu acquérir en vivant aux États-Unis ! Et moi, maintenant, je fais ce que j'ai envie de faire ! J'en paye le prix fort bien sûr ! Parce que la société Française est complètement cloisonnée, mais donc tout ça, ça m'a donné une grande liberté d'action dans mon travail !

CF : Mais de toute façon, New York tu vois : New York, New York ! C'était quand même la ville préférée de Matisse, il aurait voulu aller vivre à New York.

JPS : Oui, je ne le savais pas ?

FC : Énormément, il a été complètement impressionné… et alors j'ai ramené, en pensant au Metropolitan Museum, j'ai ramené les livres que j'avais achetés là-bas !

JPS : D'accord !

FC : Et que j'ai conservé précieusement et tu vas voir les patterns de Matisse…

JPS : Ah, oui, c'est magnifique !

CF : Regarde comme ça correspond !

JPS : Oui, oui !

CF : Aussi tu vois ! Alors est-ce que je peux les montrer ? Voilà les patterns de Matisse avec ces couleurs, cette joie de vivre etc. Cette aisance de la découpe, parce que ça c'est remarquable si tu veux. L'espace entre le blanc et les couleurs, il a le sens de l'espace alors que c'est un très, très grand coloriste. Mais la couleur n'existe que par rapport à son rapport à l'espace.

JPS : Oui !

CF : Donc là, c'est extraordinaire, alors j'ai ramené ça et puis, rappelles-toi qu'on était allé voir Frida Kahlo !

JPS : Oui !

CF : On était allés voir Frida Kahlo, cette fois au musée de Brooklyn et j'avais été tellement impressionnée parce que c'était en fait la première exposition Frida Kahlo que je pouvais voir, parce que ce n'était qu'à New York à l'époque, ça date de je ne sais pas combien de temps, il y a tellement d'années… Et là, j'ai découvert une femme exceptionnelle ! Alors maintenant, elle est beaucoup plus connue en France, mais moi j'ai eu un choc, parce que personne la connaissait !

JPS : Oui, oui !

CF : Et j'ai eu un choc et vraiment, je t'ai ramené ses documents.

JPS : C'est très fort ça !

CF : C'est un livre qui est en anglais ! Quel effort pour moi ! C'est pas ma langue naturelle !

JPS : C'est une artiste que j'apprécie beaucoup, parce que, contrairement à beaucoup d'artistes, elle vient d'une culture forte : la culture mexicaine ! C'est la grande différence entre les artistes mexicains et les artistes français, par exemple,  dont la culture s'inscrit dans la Grèce et l'Égypte antiques, mais c'est trop lointain, donc les énergies sont perdues ! Elle, elle est encore dans l'énergie de la nature, l'énergie des grandes pyramides de Teotihuacán et d'autres. C'est cette énergie qui est importante !

CF : Oui et puis je crois qu'elle avait cette énergie là, il y avait quand même aussi la rencontre avec Diego Rivera et puis le fait qu'elle voulait survivre à tout prix avec sa maladie !

JPS : Bien sûr, oui, oui, tout à fait !

CF : Il faut voir que c'est une femme remarquable dans tout son rapport au monde. C'est une femme très belle aussi, mais qui était tout le temps en souffrance. Donc…

JPS : Elle est très sensuelle aussi ! Elle parle souvent de la sexualité.

CF : Très, très belle !

JPS : Elle parlait souvent de la sexualité.

CF : Elle avait beaucoup d'amants aussi !

JPS : Excuse-moi, je te coupe, mais quand quelqu'un lui a commandé un tableau de la dame qui s'était suicidée, elle a peint l'américaine (Suicide of Dorothy Hale, 1939)  qui sautait par la fenêtre du building ! Ça c'est fort !

CF : Ben oui !

JPS : Ça c'est ce qu'on retrouve dans les retablos, moi j'ai un retablo ici, dans la culture traditionnelle mexicaine, quand quelqu'un décède, ils font une petite peinture pour raconter comment il est mort ou des passages de sa vie. On ne pourrait plus faire ça en Europe !

CF : Je crois quand même, qu'il y a quand même encore un héritage, ce sont les exvotos !

JPS : Voilà, oui !

CF : Parce que quand je vais dans les églises et que je vois les exvotos, quand même, tu trouves des trucs d'une naïveté, mais en même temps…

JPS : C'est vrai, c'est aussi fort !

CF : C'est fort les exvotos, c'est quelque chose…

JPS : C'est de l'art populaire !

CF : C'est de l'art populaire, mais l'art populaire ça existe quand même !

JPS : Mais il est fort partout !

CF : Oui, tu vois, il est fort partout ! Donc, nous on a encore de l'art populaire ici.

JPS : Bien sûr !

CF : Et puis la deuxième rencontre féminine, ça a été, pour moi, Nancy Spero. Alors, je montre le livre de Nancy Spero. parce que là, même la couverture raconte Nancy Spero, c'est à dire que c'est une femme qui a ce sens extrêmement puisant des contrastes et des contraires, qui est à la fois dans l'angélisme, puisqu'elle fait un ange et dans la sexualité avec le phallus. Elle est dans l'ange est dans le phallus et elle a en même temps une technique et une culture…

JPS : Oui, elle a une très grande culture !

CF : Une générosité incroyable et il y a plein de choses quand même qui sont pas si loin que ça de ton travail…

JPS : Bien sûr, je connais bien son travail !

CF : Bien sûr, on est allé dans une galerie voir son travail à New York. Alors qu'elle n'était absolument pas connue en France, mais alors pas du tout, du tout connue ! Et j'avais tellement aimé Nancy Spero, que j'ai découpé cet article dans le Monde, il y a quelques années, ils avaient annoncé sa mort. Ça disait qu'ils regrettaient qu'il n'y avait eu encore aucune exposition de Nancy Spero à Paris en 2009. Il y en avait eu à Madrid, à Barcelone bien sûr, je connais maintenant Madrid et Barcelone et je comprends que Nancy Spero en 2009 existait ! Existait dans sa force, dans ses contradictions joyeuses, généreuses. C'était une très grande féministe et en même temps, elle se battait pour des tas de choses. Elle avait une grande passion pour Antonin Artaud !

JPS : Oui, tout à fait et bien elle a fait le Codex Artaud ! C'est magnifique !

CF :  Le Codex Artaud c'est formidable ! Par contre, bien sûr, un jour, cette année là, c'était en 2009, juste après sa mort ; ils ont fait à Beaubourg, une très grande rétrospective ! Alors évidemment, j'ai été tellement contente de voir cette rétrospective, que je n'ai pas pu m'empêcher d'acheter le catalogue !

JPS : Bien sûr !

CF : Parce qu'il y avait un plaisir fou à être avec elle, avec elle, avec elle !

JPS : Oui, c'est magnifique, c'est magnifique !

CF : Donc ça, c'est aussi grâce à toi, que j'ai pu rencontrer les grands américains à New York, c'est grâce à toi, si tu m'as fait partager… Moi je t'ai donner un peu la couleur et toi tu m'as donné, tu m'as donné la réjouissance comme Matisse de connaitre cette ville de New York. C'est vrai que, vraiment, cette ville de New York, c'est une merveille ! Mais ce qui est le plus merveilleux, dans New York, pour moi, c'est l'eau ! C'est-à-dire qu'on est dans ces espaces de musées qui sont extraordinaires, parce là, c'est les plus grands musées du monde quand même !

JPS : Oui, oui !

CF : Les plus beaux musées, les plus grands musées, souviens-toi qu'on était allé au Cloisters.

JPS : Oui, c'est vrai !

CF : Oh là là ! On est allé au Cloisters et c'était en haut de l'Hudson River, en haut, en haut, vraiment en haut de Manhattan ! Et là, ils avaient quand même, comme ils sont très, très riches ces grands milliardaires américains : ils avaient racheté des cloîtres Romans…

JPS : Oui, voilà et ils les avaient reconstruit !

CF : Qu'ils avaient reconstruit dans les collines ! Ça c'est quand même l'argent… Ça veut dire que c'est les Rockefellers et tout ça, qui font que finalement, il a des choses comme ça, incroyablement belles ! Et pourtant, dieu sait que je ne suis pas pour les milliardaires américains, mais quand le mécénat permet des choses pareilles, c'est magnifique !

JPS : C'est bien, alors merci Claudie, parce qu'on va s'arrêter là pour l'instant.


2/3 : ART, SAGESSES & BRIBES DE SOUVENIRS COMMUNS #2 - Voir la vidéo

JPS : Alors dans cette partie, je voulais un peu évoquer l'art, le langage et l'importance de l'art ; parce que bon, on est dans une société, que je pense l'on pourrait nommer post-culturelle maintenant ! Je pense que l'art disparait complètement ! C'est mon humble avis ! Pour nous, dans nos sociétés contemporaines. J'étais à Lugano la semaine dernière (au Wopart) et je me suis aperçu que les seules personnes qui s'arrêtaient sur mon stand pour regarder mon travail, c'était les personnes suivantes : soit des architectes, soit des designers, soit des artistes ! C'est-à-dire que l'art ne parle plus qu'à une certaine élite, peut-être que ça a été tout le temps comme cela ! On ne sait pas ? Mais je voulais dire par exemple comme cette femme Inuit (Kenojuak Ashevak) qui dit :

"Il n'y a pas de mot pour nommer l'art. Nous disons que c'est un transfert du monde réel dans le monde irréel."

Et pour moi c'est un peu ça ce que je fais. C'est-à-dire que je pars d'une matière première pour l'enrichir et en faire autre chose. Et Le Clézio dit dans son livre Haï :

"Pour l’Indien, il n’y a pas de création inutile, il n'y a pas d’art pour l’art. Il n’y a que des fonctions."

Et j'aime cette idée de fonction. De créer comme on mange, comme on pisse, comme on chie, comme on baise ! Je crois qu'Il faut un peu désacraliser cette idée de l'art qu'on a en Europe avec les grands chefs-d'œuvre dans les musées… Je pense que l'art, ça reste quelque chose de simple et de spirituel.

CF : Alors moi je suis dans une position un peu dubitative par rapport à ce que tu dis de façon extrême ; parce que je pense que de toute façon, la deuxième phrase de Le Clézio est très, très belle ! : "Il n’y a pas de création inutile, il n'y a pas d’art pour l’art. Il n’y a que des fonctions." C'est vrai, c'est vrai ! Mais en fait l'art, si tu veux, existe, existe, existe… C'est à dire qu'il y a différentes formes d'art.

JPS : Bien sûr ! Oui !

CF : Elles continuent d'exister. C'est pas parce qu'il y a un marché de l'art, c'est le marché ! Qu'il n'y a plus d'art. C'est-à-dire que j'avais un grand-père jardinier, mais c'était le plus grand artiste que j'ai jamais connu ! C'est-à-dire que tu as… Il n'y a que des fonctions !

JPS : Oui !

CF : C'est-à-dire que tu peux être artiste sans jamais exposer et être dans une unité extraordinaire en cultivant ton jardin !

JPS : Bien sûr, oui, c'est un état d'esprit !

CF : En faisant pousser des dahlias, tu peux être artiste en faisant un espèce de magnifique gâteau etc. Il n'y a que des fonctions. Ce qui est dommage, c'est que maintenant, si tu veux, on y mette des hiérarchies. On met des hiérarchies ! 

JPS : Bien sûr !

CF : Si tu veux, il y a des hiérarchies ! Par contre, je garde quand même les hiérarchies. Car aujourd'hui, il y a des personnes qui ne supportent plus les musées et moi je garde quand même le plaisir d'être dans un musée et d'être devant un Rembrandt et d'être là et de dire : c'est un Rembrandt ! 

JPS : Ah, bien sûr, oui, oui !

CF : C'est très compliqué !

JPS : C'est compliqué bien sûr !

CF : C'est à dire que je suis extrêmement contente, de me replonger si tu veux, dans le passé et d'y voir qu'il y a des gens qui m'époustouflent ! Qui m'époustouflent ! C'est important ! C'est vrai que, comme artiste français en ce moment, français, je te parle, j'ai pas beaucoup beaucoup… parce que je ne suis pas époustouflée. Parce qu'il n'y a pas beaucoup de gens… C'est souvent assez verbeux, assez conceptuel, c'est-à-dire : Duchamp, Duchamp, Duchamp… Mais Duchamp il a enlevé quelque chose d'essentiel, qu'il y avait encore au 17e et au 18e et cetera !

JPS : Voilà bien sûr !

JPS : Si tu vois Boucher, Fragonard etc. Mais c'est vrai que à part… À part Courbet qui a conservé ce magnifique rapport de générosité à la nature ! Même au 19e ; je ne rencontre pas… alors les impressionnistes oui ! Mais je n'ai pas de grandes, grandes admirations comme je peux retrouver chez les grands espagnols ou les hollandais ! On est pas… au niveau de la peinture en France, on est pas très… quand tu vois l'Espagne et les hollandais et les espagnols. Quand tu vois Rembrandt etc. Ou les italiens, tu as l'école italienne. En France, on est plutôt littéraire en fait !

JPS : C'est vrai, tout à fait, oui !

CF : C'est ça, on est littéraire, mais bon, moi, en tout cas, moi, j'aime la littérature, j'aime les musées, et toi aussi, tu aimes les musées ! 

JPS : Bien sûr !

CF : Tu aimes regarder, tu es très attentif ! Donc, bon maintenant, c'est vrai qu'on peut être déçu par le marché de l'art !

JPS : Oui voilà, la fonction de l'art, est-ce que l'art doit finir dans les musées ? Tu vois c'est toujours cette idée de devoir être acheté pour être visible.

CF : Oui mais quand même, dans les coffres-forts non !

JPS : Oui, mais bon ?

CF : Mais dans un musée, que le musée soit ouvert et qu'il soit gratuit et que les écoliers et les étudiants entrent dans les musées et ce, gratuitement, tout le temps ! Et qu'il y ait cette connaissance, parce que le problème qu'il y a en France aussi, c'est qu'il n'y a aucune éducation artistique.

JPS : Bien sûr, oui c'est vrai !

CF : Aucune, aucune ! Tu vas voir, à partir de l'école  primaire : oups ! Tout s'évanouit ! Alors que chez les enfants, tu sens une délicatesse, tu sens une impulsion de générosité dans leurs dessins et tout ça ! Dès qu'ils commencent à avoir a faire avec l'alphabet et les chiffres : 1, 2, 3, 4, 5… pouf ! Tout leur imaginaire s'en va rapidement. Donc voilà c'est ça, je pense qu'il n'y a pas assez d'éducation artistique et les musées, il faut qu'ils ne soient pas comme cela des institutions complètement sanctuarisées. Il faut que ça soit extrêmement vivant les musées !

JPS : Bien sûr, bien sûr !

CF : Donc, il faut des musées !

JPS : Ah bien maintenant, on peut peut-être parler de mon exposition au musée que tu as vu avant-hier ?

CF : Ah, oui, voilà, je suis allée voir l'exposition...

JPS : Je vais peut-être l'expliquer au public, si tu me le permets ? Donc, je viens d'installer au musée des Beaux-Arts de Besançon soixante-douze peintures sur Plexiglas (Les quatre piliers du ciel) qui sont assemblées en huit panneaux qui font 3.15 m. par 3.15 m. dans les grands escaliers du musée. Donc tu es allée voir cette exposition récemment !

CF : Donc je suis allée la voir et en fait, je suis rentrée dans un espace silencieux ! Évidemment, il n'y avait plus personne, car c'était presque la fermeture et en fait, j'ai situé les deux côtés, je suis montée, j'ai gravi lentement les marches ; il me semblait que je gravissais dans le silence les marches d'un autel ou d'un temple Maya ! Parce qu'on était dans cette espèce de silence solennel ! 

JPS : D'élévation, oui !

FC : Parce qu'il y a une solennité, quand tu es tout seul dans cet espace et que tu rentres, c'est un peu comme dans une église, tu vois et en plus ça fait cet effet là, parce que comme ils sont très, très lumineux, ça donne aussi cette apparence de vitraux… Donc, tu rentres et tu es dans le silence et tu es dans la lumière en même temps ! Et donc, alors ce qui m'a surpris c'est que l'aspect extrêmement érotique qui est parfois présent dans ton travail, pour moi disparaissait totalement ! Il n'en restait simplement qu'une trace, une myriade de couleurs, une myriade de signes et de patterns extrêmement sensibles et puis ce que je vois et qui dominait, c'est le lotus en fait ! Il y avait le lotus, le lotus et beaucoup de… C'est pour moi qu'il dominait... Ça c'était du côté droit et puis après, je suis monté du côté gauche et dans la même gravité et un peu de solennité, mais bon avec mon tempérament, c'est toujours un peu plus festif quand même et j'arrive… Tout d'un coup, c'était drôle, drôle, drôle, parce que là, tu es dans une espèce de temps immuable, de force finalement, comme dans un vitrail ; qui te raconte quelque chose d'immuable, immobile ! Et tout d'un coup, j'entends un son, grave, et un balancement… Un truc ! Un truc ! Un truc ! Et, je me retourne et je me dis ? Mais qu'est-ce que c'est que ce son qui était continu et qui revenait et puis il y avait dans une fenêtre, une vitre opacifiée et à l'intérieur de cette vitre, deux demis arcs de cercle et c'était la pendule du musée !

JPS : Oui, oui !

CF : J'ai dit alors là, on est complètement… c'est fou ! On est dans le temps ! Dans le temps, mais alors là, le temps qui se dégrade… Parce que  vraisemblablement on est dans le : pam ! Pam ! Pam ! Tu vois, la pendule qui dit oui, qui dit non, qui dit je vous attends ! Tu vois ! Et ça m'a frappée, parce que je trouve que si j'avais eu un plan à faire au niveau d'une vidéo justement, je serais allée de ton travail à la pendule.

JPS : Oui, oui !

CF : Ou de la pendule à ton travail… Parce que toi tu dis bon voilà : Il y a autre chose ! Il y a quelque chose qui est quand même la joie ! La joie ! La joie de vivre !

JPS : Oui, oui ! Bien sûr !

CF : Mais, le son et cette ombre noire et blanche, c'était du gris… Ça m'a ramenée à la réalité quand même, aux heures qui passent ! Et je trouve que la coïncidence des deux, pour moi, était assez percutante ! Et ça m'a remuée quand même, voilà ce que je peux en dire.

JPS : D'accord. 

CF : Voilà ce que je peux en dire, en attendant qu'il y ait beaucoup de monde qui passe la voir, parce comme j'étais toute seule dans le musée, donc c'est différent, mais bon j'aime bien être toute seule dans les musées. 

JPS : Oui, bien sûr ! Moi je pense que pour avoir des vrais révélations, il faut être seul quelque part !

CF : Oui, oui !

JPS : Oui parce que moi c'est l'expérience que j'ai eu en Égypte, c'est à dire que pour avoir une révélation devant une œuvre d'art ou une architecture, je m'isole chaque fois ! C'est difficile d'avoir une révélation en étant en groupe.  

CF : Ben oui ! Moi je pense aussi. Tu es obligé d'être très fortement ancré, et d'être attentif. Alors, je vais te parler d'une phrase qui m'est restée toute ma vie quand même, j'étais très jeune et je faisais un stage chez un maître soufi…

JPS : Oui !

CF : Et donc, il nous pose la question, il nous dit : "Qu'est-ce qui est Dieu ?" Qu'est-ce qui est Dieu, alors là personne n'a répondu et au bout de la troisième ou quatrième fois, on était toujours en train de se taire, il dit : "Attention ! Attention !" C'est l'attention !

JPS : Oui !

CF : Et quand tu es attentif, le monde se révèle. C'est vraiment l'attention qui permet… Si il n'y a que les hasards heureux, c'est parce que tu as été attentif ! JPS : Oui c'est vrai, tout à fait, oui !

CF : Tu es attentif ! Si tu n'es pas attentif, tu ne vois rien passé et les chances de ta vie, elles sont aussi dans l'attention que tu portes aux choses…

JPS : Oui, c'est vrai !

CF : C'est très, très important, donc cette idée, c'est toi-même… C'est à dire, c'est comme dans La Conférence des oiseaux (Farid al-din Attar), tu gravis, tu gravis, tu gravis les échelons, tu gravis les échelons et au bout du compte, qu'est-ce que tu découvres ? Ton reflet dans le miroir !

JPS : Oui voilà, bien sûr !

CF : C'est a dire, c'est toi ! La phrase : Connais-toi toi-même et tu connaîtras le monde !

JPS : Oui, oui !CF : Et ton travail, c'est ton accumulation de connaissances, parce que tu es quelqu'un de très, très cultivé. C'est ton accumulation de connaissances et ton attention à la nature qui font, que, tu arrives petit à petit vers quelque chose qui te révèle de plus en plus !

JPS : Oui, oui ! C'est vrai !

CF : Donc, tu vois, voilà, parce que tu es toujours en recherche. Sauf peut-être quand tu es dans ton canoë, mais ça c'est aussi la vitalité !

JPS : Bien sûr !

CF : C'est une autre forme de très, très grande vitalité, être dans la nature. Et quelqu'un disait dans une interview et c'est vrai, que tu es à la fois masculin et féminin et c'est vrai ! C'est tout à fait ça, tu es à la fois masculin et féminin et tu as cette compréhension, c'est parce que tu es très attentif, que les choses arrivent... Que les choses arrivent…

JPS : Oui, sans doute ! Oui, quand je pense à ma vie et aux gens de grande qualité que j'ai rencontrés, oui, j'en suis toujours étonné.

CF : Il ne faut pas les laisser passer.

JPS : Oui, oui ! Mais je me rappelle toujours qu'à New York, j'étais allé dans une fête où j'ai vu cette très belle femme à l'autre bout de pièce, elle s'appelait Vennila, c'était un maître yogi hindou et je lui ai dit : - "Mais tu as une très forte énergie vitale !" Elle m'a répondu : - "Il faut être deux pour pouvoir  ressentir  cette énergie !" C'est ça, cet échange, cet échange que j'ai eu aussi avec les images et avec la nature avec tout ça !

CF : Oui, oui, c'est vrai ! Il ne faut pas les laisser passer et il faut… Parce que tu parlais justement, on pourrait lire ce très, très beau texte sur la beauté. 

JPS : Ah, le chant des Navajos !

CF : Oui, comment on se guérit par le chant des Navajos, c'est une cérémonie de guérison et qu'on dit qu'on se guérit !

JPS : Eh bien écoute, je vais raconter l'anecdote sur ce chant, je l'ai raconté plusieurs fois. C'est-à-dire que j'étais aussi à un autre endroit à New York où une amie photographe Anne-Marie Danenberg présentait une exposition de photos dans une galerie de West Harlem et j'ai vu cette autre femme à l'autre bout de la salle. Je suis allé vers elle, elle était d'origine amérindienne, on a bien sympathisé et deux à trois jours plus tard, j'ai reçu, à l'atelier, sa carte postale avec le Chant de nuit des Navajos. C'est assez étrange ? Pourquoi m'a-t-elle donné ce poème (c'est presque une offrande, dont je lui suis reconnaissant !) puisque finalement, c'est vrai que mon travail s'inscrit complètement et intégralement dans la beauté quelque part ! 

CF : Ben oui !

JPS : Et donc je vais lire ce petit texte, qui est une prière, une incantation :

"Dans la beauté, je marche
Avec la beauté devant moi, je marche
Avec la beauté derrière moi, je marche
Avec la beauté au-dessus de moi, je marche
Avec la beauté au-dessous de moi, je marche
Avec la beauté tout autour de moi, je marche
Tout est fini dans la plénitude
Tout est fini dans la plénitude."

Ce que ce texte nous dit : c'est qu'il faut un peu oublier cette relation horizontale que l'on entretient avec le monde, pour entrer dans une espèce de relation cosmique ! C'est à dire dans toutes les dimensions, dont on a un peu parlé tout à l'heure (espace, temps, vie, mort, sexualité)… Et pour le faire, les peuples  amérindiens l'avaient compris et ils ne vivaient pas seulement sur un seul plan de pensée (comme l'occidental).

CF : Mais toi, déjà tout petit, tu le voyais déjà dans tes cailloux !

JPS : Oui, sans doute ! Oui, mais bon ?

CF : Parce qu'on ne ramasse pas les cailloux innocemment, tu le voyais déjà dans tous ces petits trucs !

JPS : Oui.

CF : C'est un résumé du cosmos, un caillou !

JPS : Voilà, bien sûr ! Tout est dans tout ! bien sûr !

CF : Oui, mais moi, j'avais connu ce texte, non pas par toi, mais parce que j'aime énormément Jacques Roubaud, qui m'a apporté énormément de choses et j'avais acheté le livre qu'ils ont fait avec Florence Delay qui s'appelle : la Partition rouge, Poèmes et chants des Indiens d'Amérique du Nord. Et là, il y a la transcription complète, de cette cérémonie Navajo, qui est une cérémonie de guérison.

JPS : D'accord.

CF : Et là, il y a tous ces chants. Il est là le chant : "Dans la beauté, je marche, je marche…" Et à la fin, c'est parce que tu as toi-même l'impulsion… Si tu veux de la beauté, c'est la vie qui revient si tu veux ! 

JPS : Oui, oui, tout à fait !

CF : Si tu n'as que des nouvelles désastreuses, à la radio et tout ça et que tu es complètement dans la misère de tous les côtés… J'ai entendu une émission sur France Inter ce matin et dans laquelle ils disaient que les gens qui sont heureux et qui ont confiance en la vie, ont moins de graves maladies comme : Alzheimer, Parkinson etc. Les gens qui vont vers la vie et qui vont vers la beauté et c'est vrai que… c'est consolant ! Moi aussi je me console dans les musées.

JPS : Oui, oui, oui ! 

CF : Voir quelque chose de beau etc. Je suis dans une espèce d'extase matérielle, parce que je ne crois pas du tout en Dieu, moi je suis agnostique. Mais il y a quelque chose qui me ramène, qui pour moi me régénère, parce qu'il y a quelque chose là, qui est de l'ordre de la compréhension ou de l'avidité de la vie ! Même si c'est quelque chose de grave ! 

JPS : Oui bien sûr, oui, oui !

CF : Tu sens que la personne qui a fait cette œuvre, elle est tellement dans l'attention, dans la concentration et dans l'humilité, parce qu'il faut être humble dans la création !

JPS : C'est vrai !

CF : Il faut être humble pour faire quelque chose. Ce qui passe, ce n'est plus elle (la vie), ce sont les canaux de l'observation du monde, de la compréhension du monde et ça nous est renvoyé, ça nous est renvoyé !

JPS : Oui, on l'espère ! 

CF : Peut-être à certaines personnes qui sont plus sensibles que d'autres.

JPS : Oui, oui oui !

CF : Parce que nous, on est peut-être plus sensible… Mais bon, je pense que c'est renvoyé à tout le monde. Si les gens étaient moins cruels et rudes etc. Parce qu'ils ont soufferts aussi, parce qu'il y a eu des trucs ! Il y a des blocages, des barrages dans l'enfance !

JPS : Bien évidemment !

CF : Il retrouveraient tout ça (l'énergie vitale), c'est évident !

JPS : Oui tout à fait !

CF : C'est évident ! Et moi, j'en parlais beaucoup dans mes cours de couleur, parce que je ramenais les étudiants à leurs personne profonde et non pas à ce qu'on voulait qu'ils soient. 

JPS : Oui, il faut ramener à la personne profonde et au temps profond aussi ! 

CF : Au temps profond, c'est la même chose !

JPS : Oui, mais il faut y aller dans ce temps-là (dans cette dimension spirituelle!) C'est pas évident, parce qu'il faut du courage aussi pour aller là-dedans ! 

CF : Ah oui ?

JPS : Enfin chacun à son avis !

CF : C'est une question, il faut aller au commencement ! Parce que les choses… Je pense qu'il ne faut pas tellement du courage, il faut un lâcher prise.

JPS : Oui, quand même il faut un lâcher prise, mais malgré tout, c'est un chemin assez solitaire !

CF : Ah oui, oui, oui !

JPS : Il ne faut quand même pas minimiser les grandes difficultés d'être artiste aujourd'hui ! 

CF : Oui, mais c'est vrai, c'est un chemin solitaire. Mais en même temps, regarde, tu dis que c'est un chemin solitaire pour toi, mais tu parles aussi que tu as beaucoup d'amis…

JPS : C'est vrai, oui, oui !

CF : On ne peut pas être ami avec le monde entier ! 

JPS : Non, non, bien évidemment !

CF : On fait des choix, non tu n'es pas seul ! Tu es seul peut-être avec le marché d'art ; moi aussi, mais ça, bon voilà !

JPS : Ça, ça n'a pas beaucoup d'importance !

CF : C'est-à-dire que ta vie, elle est quand même faite avec ce plaisir, cette économie de moyens peut-être ! Mais avec ce plaisir de créer ! 

JPS : C'est au-delà du plaisir, c'est une extase d'être artiste pour moi !

CF : Oui, oui, mais je comprends, je comprends très bien ce que tu dis, c'est-à-dire qu'on ne peut pas vivre d'amour et d'eau fraiche et l'eau fraiche, c'est la source, la source c'est la peinture, c'est la création ! On peut vivre comme ça ! On n'a pas besoin de plus, je crois qu'on a besoin de rien d'autre ! Je pense qu'en notre temps, finalement, vivre simplement, c'est la plus belle chose que l'on puisse faire au niveau du progrès ! 

JPS : Ah ben, bien sûr !

CF : Et puis en plus, tu vois Jean-Pierre, moi j'ai un cousin aussi pour qui j'ai beaucoup d'admiration comme pour toi, je pense que toi sans l'art, tu pourrais te suffire sur une île déserte. 

JPS : Oui !

CF : Ah oui ! Tu pourrais planter un truc, tu pourrais trouver des trucs… tu pourrais te suffire ! Et ça, c'est quand même ce qu'on dit : l'art c'est la vie ! Mais ça c'est merveilleux, car tu as quand même de l'imagination et un grand sens de la technique !

JPS : Oui c'est vrai !

CF : Un sens de la technique extraordinaire, qui fait que cette technique, tu peux la mettre aussi bien dans ton rapport à l'art, à la peinture, à tes peintures sur Plexiglas finalement ; ainsi qu'à faire un enclos pour un cheval etc. Tu peux faire une porte, tu peux faire une maison, tu peux faire pousser de la salade et ça c'est extraordinairement, extraordinairement attirant ! Vraiment, moi j'ai un cousin pareil dans le midi, il est extraordinaire parce qu'il sait vivre avec très peu de choses et avec une intelligence, une intelligence merveilleuse de la nature et la simplicité de vivre. Mon grand-père était comme ça aussi ! Donc j'ai une très, très grande admiration pour ses petites gens, qui ont finalement bricolé leurs vies avec une grâce absolue !

JPS : Oui, oui, bien sûr !

CF : Et toi tu avais un grand-père aussi ?

JPS : Oui bien sûr !

CF : Merveilleux, qui s'appelait Maurice et que j'ai connu avec son chien noir (black), il était merveilleux ! Parles-nous un peu de ton grand-père !

JPS : Écoute, on avait une affinité particulière et je me rappellerai toujours, une fois, j'étais en discussion avec lui, on discutait souvent de l'état du monde ! Et il m'a dit :

"Jean-Pierre, c'est bien et important que tu sois artiste, parce que les artistes sont des gens importants, car on vient tous au monde avec une espèce de bagage, un petit tas de bois et quand les artistes quittent ce monde, leur tas de bois est un plus grand qu'à leur naissance, ils laissent donc derrière eux quelque chose pour l'humanité !"

Ce n'est pas un truc matériel qu'il me disait, c'est un truc spirituel ! Et donc je lui rends hommage ici et il m'a toujours beaucoup aidé et soutenu dans ma démarche artistique.

CF : Et oui, et puis c'est avec lui que tu as fait ton premier voyage en Égypte, avec ton grand-père ! Voilà, c'est avec lui, oui ! C'est lui qui t'a initié ? Vous êtes allez en voyage !

JPS : Oui, oui on est allé en Égypte ensemble et on en parlera dans la prochaine partie Claudie, merci !


3/3 : ART, SAGESSES & BRIBES DE SOUVENIRS COMMUNS #3 - Voir la vidéo

JPS : Donc là, Claudie, je voulais citer une phrase de Tarkovski, que je t'avais suggérée et qui semble t'intéresser aussi, il dit :

"Aussi longtemps que l’homme se sentira homme, il essayera de créer quelque chose. La création qu’est-ce que ça veut dire en fait la création? À quoi sert l’art ? Pourquoi ? Est-ce bien, est-ce mal ? Est-ce constructif ou est-ce simplement de l’art ? Mais il est clair que l’art, c’est une prière, et cela veut tout dire ! À travers l’art l’homme exprime son espoir, et le reste n’a aucune importance. Et tout ce qui n’exprime pas l’espoir, ce qui n’a pas de fondement spirituel, n’a aucun rapport à l’art !"

Donc voilà, c'est une très belle phrase !CF : Oui c'est vrai que c'est une très belle phrase. C'est vrai ! C'est vrai parce que je suis allée voir l'exposition qui a lieu en ce moment de Francis Bacon et c'est vrai que moi, il m'a laissée totalement indifférente, absolument indifférente et même par moment j'étais prête du ricanement. Parce qu'en fait, là, indiquer la souffrance tellement absolue que ça devenait presque une forme d'académisme et comme ils l'ont montée à Beaubourg, dans toute ces salles identiques, absolument identiques avec quarante ou cinquante peintures, finalement d'un corps ou d'une souffrance etc. Ou d'un corps faisant l'amour, mais avec des miasmes… Et je ne suis pas du tout contre une forme de violence. Par exemple, pour moi, Goya, c'est essentiel etc. Et j'aime énormément l'art érotique ! Mais là, il y avait cette forme de souffrance exaspérée, qui était finalement pour moi, quelque chose dans laquelle je ne pouvais pas rentrer. Alors que le public rentrait bien dedans, parce de toute façon maintenant, c'est que des personnes très âgées, avec des guides et les guides leur disent : "Ah ! Ah ! Ah !" Alors donc Bacon est un peintre extrêmement connu, mais je le trouve très académique.
Par contre et c'est pour ça que je vais embrayer sur ce que tu dis, il a dans son discours, Bacon, des trucs passionnants ! Voilà ce qu'il dit Bacon, parce que j'ai regardé ses entretiens vidéo. Il a dit, quand on lui a demandé quels étaient les artistes il préférait, il a cité Cimabue, Velasquez et Rembrandt… Voilà c'est très, très loin de son univers ! Et on lui a demandé pourquoi pas Goya ? Et il a dit parce que Goya, (que j'aime énormément), Goya est déjà dans l'expressionnisme et lui est très expressionniste ! Pour moi, ce qui est extrêmement important pour un artiste, c'est de rentrer dans toute l'histoire de l'art et de voir comment l'art se comporte depuis la Préhistoire jusqu'à maintenant, à la recherche finalement, de quoi ? On ne sait pas ? D'un mystère ? Du mystère de la vie ! Dire quelque chose, l'art c'est une prière ! Et il a dit : "Après quand vous avez vu toute l'histoire de l'art, que vous connaissez l'histoire de l'art, après, n'ayez pas peur d'être ridicule !" 

JPS : Oui, bien sûr, oui, tout à fait !

CF : Et ça c'est très important… Être soi-même artiste, c'est n'avoir pas peur du ridicule et c'est rentré dans quelque chose qui est le mystère, les mystères… Mais on s'en fout ! On est pas dans le ridicule ! On est dans une recherche finalement… pas de sa propre vérité, mais de quelque chose qui nous renvoie finalement, avec n'importe quel matériau, à l'infini en fait ! 

JPS : Oui, oui, bien sûr !

CF : Et je ne peux pas dire à la spiritualité, je dis l'éternité, le cosmos etc. Je ne dis pas la spiritualité, parce que bon, moi je n'ai pas trop d'accointances spirituelles malgré tout ! Et il y a quelque chose d'extrêmement important dans les textes que j'ai noté aussi, c'est un texte qui est très, très beau de John Cage (Discours sur quelque chose) : 

"Nous portons nos maisons
au dedans de nous
(Battre des mains)
ce qui nous permet de voler." 

JPS : Oui c'est vrai ! 

CF : Et ça c'est beau ! "Nous portons nos maisons au dedans de nous, ce qui nous permet de voler !" C'est parce qu'on est extrêmement sincères, qu'on est dans son truc, qu'on peut voler ! Claquement des mains ! 

JPS : Bien sûr, oui c'est ça !

CF : C'est très important cette phrase !

JPS : Mais il faut être incarné ! 

CF : Ben oui, il faut être incarné !

JPS : C'est un grave problème !

CF : À oui absolument il faut être incarné. C'est pour cette raison que Nancy Spero sur la couverture de son catalogue, il y a l'ange et le phallus !

JPS : Il y a le phallus, voilà tout à fait !

CF : On est dans cette dualité, il y a le Ying et le Yang etc. On est dans ce rapport complet au matériel et au spirituel ! Au blanc et au noir ! Mais, c'est parce qu'on a nos maisons qu'on peut voler !

JPS : Ah bien oui, il faut être ancré quelque part bien sûr. 

CF : Il faut être ancré pour pouvoir  voler et voilà donc Et puis, il y a quelque chose aussi et ça, ça renvoie quand même, je passe un peu du coq à l'âne, à ce que je disais tout à l'heure sur toi, sur tes possibilités incroyables d'être à la fois le technicien, celui qui aime la nature et puis celui qui crée et qui a un imaginaire très grand et aussi le rapport au Vraies richesses de Jean Giono, c'est un très beau texte, parce que là, tu reviens à quelque chose, c'est toi qui me l'a donné ce texte ! 

JPS : Oui, oui, bien sûr !

CF : Tu reviens à l'essentiel et là, tu es dans la simplicité de la maison :

"Qui saurait reconnaître et trier parmi les plantes vénéneuses les nourricières comme l'épinard sauvage, la carotte sauvage, le navet des montagnes, le chou des pâturages ? Qui saurait tisser l’étoffe? Qui saurait trouver les sucs pour faire le cuir ? Qui saurait écorcher un chevreau ? Qui saurait tanner la peau ? Qui saurait vivre ? Ah ! c’est maintenant que le mot désigne enfin la chose ? Je vois ce qu’ils savent faire : Ils savent prendre l’autobus et le métro. Ils savent arrêter au taxi, traverser une rue, commander un garçon de café ; ils le font là autour de moi avec une aisance qui me déconcerte et m’effraie."

C'est vrai qu'on est dans un moment où on est complètement tributaire, on ne sait plus rien faire ! 

JPS : Bien sûr !

CF : On ne sait plus rien faire, rien, rien ! On va au supermarché, on ne sait pas planté… On est dans une situation désespérante quand même ! Donc il va falloir refaire quelque chose, quelque chose qui est au-delà de l'art ; réapprendre, même à l'école !

JPS : Bien sûr !

CF : À faire un potager etc. Il y a quelque chose de très, très, très important à faire ! Et je voudrais encore te reparler… Et toi, tu l'avais aussi sélectionné, c'est un grand poète et prix Nobel (1967) Miguel Angel Asturias Poèmes indiens, Claire veillée de printemps. Il n'y a pas que la peinture il y a aussi toute la nature ! Et tu l'as pris le texte ? 

JPS : Oui, mais tu peux le lire stp.

CF : Alors voici :

"Il n'y a pas de peinture dis-tu ?
Tu le déplores chasseur d'air ?
Et les aras dans lesquels se défient
des couleurs qui proclament toutes les couleurs,
des verts tout neufs issus des verts les plus verts, 
avec les jaunes, les plus jaunes des jaunes
ou les rouges rouges, les plus rouges rouges de tous les rouges, 
tout l'arc-en-ciel en lutte violente, intense, sans trêve, 
claires améthystes et saphirs profonds, blancs éclairs,
mauves, violets, lilas, rose clair
Et les mosaïques, dans lesquelles sont aux prises
des bleus qui proclament tous les bleus, 
des bleus de paons bleus et toujours plus bleus,
des bleus de lacs bleus… 
Et les grandes chorchas,
dans lesquelles s’assaillent des incendies qui volent, tous les incendies,
toutes les couleurs du feu sur leurs plumes, 
les flammes, les braises, les soleils de la foudre.
Et l'oiseau noir, dans lequel se battent
des ténèbres qui crient, des deuils qui luttent,
toute la noirceur du miel de morro
la noirceur toute ivresse de rêve de fruit éteint. 
Et les colibris de safran blessé,
le canard lutin tacheté de gris aux plumes
bleu ciel ou dorées… Veux-tu couleurs plus variées, 
ô Chasseur de l'Air ?… Et le joyau-sang
de l’oiseau rouge et la plume-chair
des aigrettes roses… Veux-tu plus beaux coloris
ô Chasseur de l’Air ?… Les oiselets jaunes,
jaune d’œuf de lune, 
et les papillons, vivantes orchidées,
mosaïques ailées… veux-tu couleurs plus variées,
ô Chasseur de l’Air ?"

JPS : Ah oui, c'est magnifique, bravo !

CF : Ce sont les Poèmes Indiens d'Asturias.

JPS : C'est sûr que la nature est un émerveillement perpétuel et  partout !

CF : Ben oui !

JPS : Sauf quand elle est détruite par l'homme !

CF :  C'est pour ça que je voulais beaucoup te parler de la nature parce que je sais à quel point, tu l'aimes !

JPS : Oui !

CF : Tu l'aimes et que tu es dedans. Et tu es quelqu'un qui ne reste pas seulement dans son atelier…

JPS : À bien évidemment, c'est une terre nourricière ! C'est pour ça que j'aimerais avoir de la gratitude vis-à-vis de la Terre, vis-à-vis du Soleil, vis-à-vis de de l'Eau, vis-à-vis de tout ces éléments !

JPS : Tu l'as, tu l'as ! Tu donnes ce que tu peux !

JPS : Oui, mais il faut que les gens comprennent que que l'art, c'est un don ! Quand on peint c'est un don ! C'est même une offrande ! Je pense que c'est un peu ça !

CF : Ah oui, c'est une offrande, oui ! Et est-ce que par exemple, tu pourrais faire des vitraux pour les églises ? 

JPS : Pourquoi pas, si l'occasion s'en présentait !

CF : Parce que ce n'est pas du tout dans ton domaine de civilisation, mais moi, je pense que ça fonctionnerait complètement !

JPS : Oui, oui, bien sûr avec le Plexiglas j'ai ce rapport, comme avec le verre qui renforce la lumière, oui bien sûr !

CF : Moi je pense que si tu avais des commandes dans les églises, ça fonctionnerait extrêmement bien ! Bien sûr qu'il faut après se mettre dans la technique du vitrail etc. Mais je pense que c'est une forme, ce n'est pas religieux. Mais religieux, ça signifie religuare, relié, mettre en relation et donc dans les églises, bon si tu veux à la façon de  Pierre Soulages etc. C'est à dire faire venir, non pas l'abstraction de Soulages ou son noir, mais une forme de poésie, parce que Saint-François d'Assise et les petites fleurs, ça t'irait très bien ! 

JPS : Bien sûr, oui, c'est vrai !

CF : Tu vois dans les église !

JPS : Oui, d'ailleurs j'adore le film (Des oiseaux petits et grands) de Pasolini sur Saint-François d'Assise.

CF : Ah oui, oh là, là ! Ah oui, c'est un très, très beau film, et j'ai vu ton rapport au cinéma aussi, qui est très important, là, on peu en parler du rapport au cinema !  

JPS : Oui, oui !

CF : Dont Pasolini, Visconti, tous les grands italiens, parce que tu cites beaucoup les italiens !

JPS : C'est vrai, parce justement, ils ont le sens de l'image qu'ont peu de cinéastes français. C'est une culture, leur culture est tellement différente…

CF : Ah, oui, oui ! Puis ce sont des érudits !

JPS : Oui, voilà !

CF : Ce sont des grands, grands érudits que ce soit Visconti ou Pasolini. Pasolini qui doutait beaucoup, mais qui est quand même… dans son film l'Évangile selon saint Matthieu, tu sens qu'il est à la fois iconoclaste, il est comme toi, iconoclaste et puis qu'il croit, qu'il veut croire, qu'il veut croire…!

JPS : Il veut espérer ! 

CF : Il veut espérer, donc, oui !

JPS : Oui, c'est un grand exemple pour moi et un grand Maître et j'ai revu le film Théorème l'autre jour à la télé. Et justement, c'est une quête de la spiritualité et il montre bien que la bourgeoisie romaine, ni presque plus personne à l'époque, ne peuvent plus accéder à la spiritualité et que seuls les gens simples comme la bonne, peut accéder à cette spiritualité, quand elle monte sur son toit…

CF : Et bien c'est Théorème !

JPS : Théorème oui, oui !

CF :  Théorème de Pasolini ! Oh là, là, c'est beau ce film. 

JPS :  Et j'aime aussi les autres films comme Les Mille et Une Nuits, Le Décameron, les Canterbury Tales aussi c'est fabuleux !

CF : Et puis il y a un très beau film de Pasolini qui s'appelle : Uccellacci e uccellini !

JPS : Oui, voilà, c'est sur Saint-François d'Assise.

CF : Les deux qui partent, qui partent et qui discutent avec les oiseaux qui arrivent, c'est magnifique ! Parce qu'en plus il y a toujours un peu d'ironie, la gravité elle se masque, elle est toujours complètement là… Voilà, il y a ces deux espèces d'hères, de mendiants, voilà qui discutent, mais qui disent tout ce qu'ils ont envie de dire et c'est magnifique ce qu'ils racontent ! 

JPS : Ce sont des gens simples qui accèdent à la nature et à l'ouverture sur le monde spirituel !

CF : Voilà et c'est vrai que moi, j'ai la chance avec mon tempérament, qui est dû à ma famille, à mes origines, c'est que je ne suis pas trop compliquée. Je n'ai pas eu beaucoup d'éducation, j'ai eu une éducation très, très simple et c'est ce qui m'a vraiment toujours aidée. Parce que si tu veux, je n'ai pas cherché midi à quatorze heures et finalement, j'ai cherché, cherché, cherché…

JPS : Voilà, oui !

CF : Mais pas à rentrer dans les codes et toi non plus, tu n'es pas dans les codes. C'est parfait tout va bien et on se retrouve parce qu'on est nous même.

CF : Alors encore à nouveau par rapport au hasard, parce que quand même le hasard, c'est l'attention. Il faut développer ce truc sur l'attention, c'est important : "Tous les hasards de notre vie sont des matériaux, desquels nous pouvons faire ce que nous voulons. Celui qui a beaucoup d'esprit fait beaucoup de sa vie. Chaque rencontre (esprit), chaque incident, serait — pour le totalement spirituel — un élément d'une chaîne infinie, un commencement d'un roman infini." Das philosophisch-theoretische Werk, Novalis. Ce n'est pas récent, Novalis, voilà Et c'est vrai que quelqu'un aussi que j'aime énormément, c'est John Cage, (Ecrire sur l'eau : L'esthétique de John Cage) parce qu'il m'a apporté énormément de choses. John Cage m'a apporté un peu sa musique, mais surtout ses idées aussi parce que c'est un homme qui a beaucoup d'idées et puis, j'étais tellement réconfortée de savoir que c'était celui qui, à cette époque là, étais le plus grand connaisseur dans le domaine des champignons.

JPS : Ah d'accord !

CF : Il était un grand chercheur de champignons et donc chaque fois qu'on lui en indiquait dans les États-Unis ou en Europe en automne, c'était un mycologue incroyable ! Et il a écrit de nombreux livres sur les champignons !

JPS : D'accord !

CF : Alors là, ça me passionne parce que tu vois qu'un type très intellectuel se mette à aller chercher sur les champignons, c'est quand même extraordinaire !

JPS : Bien sûr !

CF : Et puis il a cette culture du Yi King aussi ! 

JPS : Voilà, oui !

CF : Cette culture extraordinaire du Yi King, en même temps il s'en foutait un peu si tu veux, mais il utilisait le Yi King par rapport au hasard etc. 

JPS : Oui, oui !

CF : En se disant, ben voilà les nouvelles aventures vont commencer aujourd'hui, tous les matins je vais tirer un peu le Yi King, bien ma foi, on verra… Et c'est ça, c'est bien,  c'est se dire que la journée commence avec le Yi King. Et puis après ça te sert ou ça ne te sert pas, ce n'est pas grave, c'est un jeu et puis peut-être que ça peut te servir ? Peut-être que ça peut te servir ? C'est un jeu et c'est aussi un livre de sagesse quand même !

JP : Oui bien sûr !

CF : Et ce qui est très important et ça John Cage le sait et tu vas dire que ça c'est important pour toi aussi, c'est le mouvement. C'est à dire que le Yi King c'est l'art du mouvement ! Rien n'est jamais pareil, tout est en mouvement, tout est mouvement ! C'est à dire que tu peux arriver au sommet de soi-disant la gloire et c'est Borges qui disait : La gloire est une autre forme de l'oubli.

JPS : Oui ?

CF : La gloire est une autre forme de l'oubli. Borges. Et moi, j'avais écrit cette phrase chez moi et bien le soleil avec ses rayons l'a effacée ! Donc une fois que tu sais que tout est là, tout est présent et tout revient, c'est l'éternel retour ! Et le Yi King retourne tout, parce que quand tu es au sommet et que tu as des grandes barres noires horizontales tout le temps etc. Et que tu es sur le plus grand des sommets… La catastrophe arrive inévitablement !

JPS : Bien sûr !

CF : Inévitablement ! Donc, voyons les choses comme elles sont. L'art c'est la même chose, l'art, c'est un perpétuellement recommencement. Et, je voudrais quand même que tu lises, si tu veux, parce que c'est très important cette phrase  de Rauschenberg à propos de son travail.

JPS : Ah, oui ! 

CF : Comment finalement son travail s'est organisé, c'est dans Silence de John Cage à propos du travail de Rauschenberg et il a compris son travail et c'est ce que tu fais.

JPS : Merci ! Donc c'est à propos des images, les images qu'utilisait Rauschenberg dans ses peintures :

"Il les utilise séparément (les images), groupées ou disposées avec une symétrie si évidente qu’elle n’attire pas l’attention (rien de spécial). On connaît deux manières de disperser l’attention : la symétrie en est une ; l’autre est la surface totale dont chaque parcelle est un échantillon de ce qu’on trouve ailleurs. Dans les deux cas, on a tout au moins la possibilité de regarder n’importe où et pas seulement là où quelqu’un a prévu qu’on devait regarder. On est donc libre de traiter sa liberté exactement comme l’artiste a traité la sienne, pas de la même manière mais tout de même depuis l'origine. C’est ça, dit-il, la répétition des images, qui est la symétrie. Ce qui veut seulement dire, à y regarder de près, que nous voyons comme si tout était encore dans le chaos." 

CF : Donc, tu vois, Cage, il parle de Rauschenberg, on sait très bien qu'il l'aimait énormément et quand il parle de Rauschenberg, que toi tu aimes également, ça renvoie à ton propre travail, ça renvoie à ce truc, c'est à dire des fragments ; un tout ! Et tu peux regarder partout ! Mais c'est aussi une forme d'attention ! Ce n'est pas de la dispersion ! C'est l'attention ! Tu te focalises et tu peux faire aussi une grande ouverture !

JPS : Bien sûr !

CF : Et là tu vois ! Tu vois ! Tu vois ! Et c'est vrai que ton travail, il est aussi intéressant quand il y en a un, que quand ils sont tous ensemble ! C'est très différent !

JPS : C'est très diffèrent, voilà, oui !

FC : Et c'est vrai que moi un jour, j'aimerais bien écrire un texte sur tes petits dessins. Parce que c'est encore différent !

JPS : Oui, volontiers !

CF : Parce qu'on est dans un autre univers dans les petits dessins. Là, il n'y a plus ce rapport formel etc. Tu en as fait beaucoup, c'est autre chose de plus intime… C'est une autre partie de toi qui est encore très sensible !

JPS : Oui, c'est vrai !

CF : Où là, tu regardes une chose particulière et ça c'est intéressant, parce qu'encore une fois, tu es dans la grande force du tout ! Du tout ! Et puis, tu peux aussi entrer dans le particulier et ça, c'est très, très passionnant, vraiment, Donc voilà !

JPS : Je te remercie ! Tu voulais dire encore quelque chose ?

CF : Non, je ne sais pas si on a encore du temps ? 

JPS : Je voulais juste finir par cette phrase, si tu veux ?

CF : Oui !

JPS : C'est une phrase de Ryôkan, le Moine errant et poète japonais, il dit : 

"Je marche le long d’un cours d’eau, 
cherchant la source,
j’arrive là où la source semble commencer, 
perplexe,
réalisant qu’on n’atteint jamais la source véritable, appuyé à ma canne,
partout autour,
le murmure de l’eau."

JPS : C'est à dire que souvent on recherche des chose (nos origines), mais ce ne sont pas ces choses là qui sont importantes.

CF : Non, mais il faut continuer ! C'est le chemin !

JPS : C'est le chemin !

CF : Alors, on continue le chemin ! Alors longue vie, longue vie et long chemin, parce que de toute façon, tant qu'on vit : et bien voilà, on continue, on continue, on cherche !

JPS : Et peu importe ce qu'on trouve !

CF : Longue vie, c'est tout !

JPS : Merci beaucoup Claudie d'être venue faire cet entretien avec moi, c'est vraiment super sympa ! Merci aussi à Christine et merci à Lionel qui étaient à la caméra. Et puis bon longue vie à nous deux ! Merci encore !

CF : Longue vie à tous, comme on dit au yoga : Longue vie, longue vie ! Tu vois, voilà ! Et puis salutations au Soleil !

JPS : Oui, salutations au Soleil ! Merci Claudie !


Interview TV FR3 19/20 Franche-Conté : Jean-Pierre Sergent expose au Musée des Beaux-Arts & D'archéologie de Besançon le 3 novembre 2019

Journaliste Maxime Meuneveaux, Rencontre : le regard d'un artiste, reportage de Jean-Luc Gantner. - Voir la vidéo

Maxime Meuneveaux : Le musée des Beaux-Arts de Besançon accueille cet automne Jean-Pierre Sergent, qui y présente une œuvre monumentale de 72 pièces de Plexiglas, une forme de reconnaissance pour cet artiste né dans le Haut Doubs et passé par New York, avant de revenir s'installer à Besançon. Rencontre avec ce passionné des cultures du monde, que certains ont surnommé le Chamane. Reportage de Jean-Luc Gantner.

Jean-Pierre Sergent : Et là, on voit bien qu'elle se perce le cœur, le sein ! Il y a son sexe là, on dirait qu'il y a de l'eau qui sort de son sexe aussi, c'est une source (Devant La Nymphe à la Source, Cranach). C'est un peu une femme qui se masturbe, moi je trouve ça génial ! C'est le désir et l'imaginaire restés intacts. C'est l'imaginaire là, on sent un imaginaire qui n'a pas été trop influencé par les dogmes des religions ni de la morale. (Lucrèce se poignardant, Lucas Cranach) J'aime la peinture un peu avant la Renaissance, comme les Primitifs Italiens. C'est bien, parce qu'ils n'ont pas non plus trop l'idée de la perspective, qui m'ennuie énormément ! Parce que, quand on construit une perspective, c'est une construction intellectuelle, ça n'existe pas dans la vraie vie la perspective… donc forcément, c'est un cadre et je veux souvent sortir du cadre dans mon travail. Et donc, la perspective a enfermé l'imaginaire quelque part ! Si je n'avais pas été à New York, il y a longtemps que j'aurais arrêté d'être artiste, car j'ai appris à faire mon métier là-bas, à me battre sans arrêt. C'est vrai que c'est un combat perpétuel ; et surtout aussi, de croire en soi, parce qu'on a du répondant à New York, c'est ça : il y a des artistes internationaux, donc on a envie de devenir comme eux ! Je parle toujours dans mon travail de différentes cultures, parce qu'on voit, dans ces travaux là, des dessins qui viennent d'Inde… Il y a beaucoup de dessins mayas, il y a quelques mangas japonais, il y a des arbres aztèques, il y a des yantras hindous, que l'on voit juste devant nous ! Il y a des fleurs sakura japonaises, les fleurs de cerisiers japonais… Pour moi, ce qui est important, c'est de respecter la diversité culturelle dans tout son ensemble, parce qu'on parle souvent de la disparition de la biodiversité, mais les cultures humaines disparaissent aussi ! C'est tellement agréable de vivre ensemble et de pouvoir cohabiter avec différentes cultures.

Installant les peintures :
JPS : Installant les peintures : Poses-le doucement… Qu'est-ce que ça dit là ? C'est bon ?
Assistant : Moi je suis bon !

JPS : Je me rappelle toujours les indiens Navajos, dans leur adobes, quand il peignaient un cerf (qu'ils avaient tué), ils dessinaient toujours sur un mur ou sur un tipi, les Sioux sur leurs tipis ; ils mettaient toujours une ligne d'énergie vitale. Et là, on voit un cerf de Courbet, L'Hallali du cerf le cerf est acculé, on le tue et où est l'énergie ? Où est l'énergie vitale ? Je suis très fier et très honoré d'exposer ici dans ma ville, parce que les gens ne le savent peut-être pas, mais ça fait quand même quatorze ans que je suis ici, à Besançon et c'est une des premières expositions personnelles que l'on me donne dans un musée de la région. C'est donc un grand honneur et un privilège de faire ça ! Et puis, tu as vu ! C'est un peu monumental, c'est un peu ma Chapelle Sixtine quoi ! C'est génial !


Quelques mots au sujet de l'exposition de Jean-Pierre Sergent : Les quatre piliers du ciel au Musée des Beaux-Arts & D'archéologie de Besançon le 31 octobre 2019 - Voir la vidéo

Filmé par Franck Lallemand pour l'Est Républicain lors de l'entretien avec Catherine Chaillet.

JPS : Je suis un artiste franco-new yorkais et travaille à Besançon depuis 2005. Je présente ici au Musée des Beaux-Arts de Besançon, ces grandes installations murales, au total, il y a 72 peintures (80m2) et 18 panneaux dans chaque coin du musée. Le titre de l'exposition : Les quatre piliers du ciel, que les gens peuvent découvrir en montant ces escaliers. Le tire de l'exposition : Les quatre piliers du ciel. C'est une référence à toute la mystique et aux Axis mundis, ces lieux où on peut communiquer avec les dieux, des peintures qui parlent de la vie, des rituels, des rituels qui disparaissent. On parle beaucoup de biodiversité. Il y a tellement de cultures qui disparaissent aujourd'hui ! On se sent bien seul devant notre destinée. On peut voir des rituels mayas, égyptiens, des patterns de civilisations Incas. C'est tout un mélange. Je travaille avec tout ce qui me remplit de joie !


Entretiens entre l'artiste peintre Jean-Pierre Sergent et l'historien d'art Thierry Savatier (spécialiste de Gustave Courbet) | 5 parties | Atelier de Besançon le 29 Juillet 2019 - Télécharger le PDF


1/5 : INFLUENCES & PREMIERS TRAVAUX (France-Montréal) - Voir la vidéo

JPS : Bonjour cher ami Thierry, c'est un grand plaisir de t'accueillir à l'atelier. On avait ce projet d'interview depuis très longtemps et tu es venu dans la région pour faire des conférences sur Gustave Courbet. On est vraiment très heureux de t'accueillir à l'atelier aujourd'hui. Merci d'être venu. On va commencer ces entretiens tranquillement et je répondrai à tes questions dans la mesure du possible !

TS : Oui, merci Jean-Pierre ! En fait, cela fait un certain temps que nous avions ce projet d'entretien et j'avais envie de te poser, c'est vrai, un certain nombre de questions, avec sans doute une approche d'historien d'art, c'est à dire que je m'intéresse toujours beaucoup à la chronologie. C'est un petit peu sur ce type d'orientation que je voudrais t'interroger, en particulier, en commençant par tout ce qui concerne ta formation, tes premiers travaux, tes influences aussi ! Il y a une question que tout le monde se pose toujours s'agissant d'un artiste, c'est qu'on considère qu'un artiste c'est quelqu'un d'un peu particulier et on se demande comment on devient artiste. Alors c'est ma première question finalement : pour toi, comment as-tu un jour décidé de devenir artiste ?  

JPS : Ce n'est pas vraiment une décision, c'est un chemin de vie je crois. Oui c'est un chemin de vie ! Ce n'est pas une décision, mais il faut quand même beaucoup de volonté pour continuer ce travail d'artiste, bien sûr ! Et puis, c'est ce qui me rempli le plus de joie et de bonheur. C'est vraiment ça qui me procure le plus de bonheur dans la vie, d'être artiste !

TS : Alors, un chemin de vie ! Donc il y a un moment dans ta vie, dans ta jeunesse, où tu as pensé que c'était l'orientation qui te convenait ?

JPS : Au début, j'ai un peu hésité. Au temps de l'adolescence, étant jeune homme, entre l'écriture et la peinture. Parce que les deux me semblaient importants !

TS : Nous parlerons de l'écriture après !

JPS : D'accord, oui !

TS : Parce que tu as effectivement toute une partie de ton activité qui consiste à écrire sur ton art, à écrire sur l'art !

JPS : Oui !

TS :  C'est tout à fait important parce que beaucoup d'artistes ne le font pas ! C'est vrai !

JPS : Oui.

TS: Et pendant ta formation, quels ont été tes influences principales, les artistes qui ont pu t'influencer, les mouvements etc ?

JPS : Oui, je me rappellerai toujours : j'étais dans ma ferme à Charquemont et à ce moment-là, j'élevais des chevaux donc j'étais dans la nature au quotidien et je vivais jour et nuit avec les animaux. On avait acheté un livre avec mon amie Sophie, c'était Le ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras et sur la couverture du livre, il y avait une peinture de Mark Rothko. Et soudain ça a été comme une révélation : je me suis dit bien sûr, ce sont des énergies positives, négatives, neutres ; ou masculin, féminin et Dieu ! Donc on peut découvrir aussi la peinture grâce à une image, une carte postale, ça peut venir comme ça ! Bon et après j'ai eu d'autres révélations, peut-être que l'on en parlera plus en détail… En Amérique du Sud et en Égypte… Mais le premier déclic, de vouloir être artiste, c'est un peu ça, c'est de parler de la spiritualité, de la démarche verticale et élévatrice de l'homme. 

TS : Oui alors, tu mentionnais l'Égypte, on voit dans tes œuvres des influences, à partir de l'art pré-colombien, égyptien, japonais, indien, ce qui est assez peu commun pour un artiste français. Quelles sont les raisons qui t'ont incité à chercher là des sources d'inspiration ?

JPS : Oui, enfin, je suis français entre guillemet, je suis aussi américain ! Donc j'ai acquis cette ouverture d'esprit en allant vivre aux États-Unis, il n'y a pas de doute là-dessus !

TS : Oui, c'est là que tu as découvert ces différents arts, pour certains arts premiers, pour d'autres art de l'antiquité etc.

JPS : Oui, oui !

TS : Alors j'ai une autre question qui a trait au manga japonais, parce que tu en utilises beaucoup. Tu les intègres dans tes œuvres. On sait très bien quand on regarde une gravure du dix-neuvième siècle japonais de Kuniyoshi, Hokusai etc, on sait très bien qu'on a affaire à de l'art japonais, il n'y a aucune ambiguïté là-dessus, mais s'agissant des mangas, est-ce que tu considères que c'est un art  japonais ou que c'est un art éventuellement métissé avec par exemple les cartoons occidentaux ?   

JPS : Oui, bien évidemment, c'est de la bande dessinée, oui !

TS :  Oui !

JPS : Mais les égyptiens faisaient déjà de la bande dessinée et les mayas aussi ! Puisqu'ils mélangeaient l'image et le texte. Les mayas, sur tous les bas-reliefs dans les temples, il y a toujours des chiffres avec des images et des écritures… C'est assez ancien, on a redécouvert cela au vingtième siècle, avec les artistes pop comme Warhol, Rosenquist et Lichtenstein, mais ça existait déjà ! Si tu vas en Égypte, dans les tombes, c'est mélangé : l'écriture est mélangée avec le texte.   

TS :  Avec le texte, oui !

JPS :  Et pour moi, c'est très important, parce que bien sûr, l'image et le texte ne fonctionnent pas de la même manière dans le cerveau. Donc c'est être plus équilibré d'utiliser les deux. Et pour en revenir à ce thème des mangas : j'en suis influencé, mais je récupère surtout les textes érotiques, trash, on peut dire, ou obscènes. Parce que ça devrait être un déclencheur humoristique ; les gens devraient rigoler devant mes tableaux, mais la plupart des gens ne rigolent pas, parce que bon, l'art n'est pas heureux en France, c'est un art très triste, sérieux et tragique ! Donc à New York, les gens rigolent devant mes tableaux, ici c'est très rare que ça arrive !

TS :  Alors tes premiers travaux dans les années 1980, sont des travaux d'art abstrait et basés déjà sur le carré ? C'est très intéressant, parce que le carré, est aujourd'hui, la forme standard que tu adoptes. À l'époque, c'était déjà basé sur le carré avec, quand on les regarde, probablement des liens esthétiques avec Barnett Newman et tu pratiques cet art dans les années quatre-vingt alors que, à cette époque, on abandonnait déjà l'art abstrait pour la nouvelle figuration ! Alors qu'est-ce qui t'as motivé à cette abstraction, alors que la tendance était plutôt à la nouvelle figuration ?

JPS : Oui, mais tu sais j'ai toujours été un peu en-dehors du marché, des mouvements artistiques et de tout ce qui se passait, parce que je vivais dans une ferme, j'allais très peu souvent à Paris ! Donc la nouvelle figuration, moi je ne l'ai pas vue, j'en ai entendu parler, mais je ne l'ai pas vue ! Et ce qui m'intéressait surtout c'était d'acquérir, de trouver ce cheminement spirituel dans la peinture. Dont Kandinsky parle très bien dans ces écrits… 

TS : Oui !

JPS :  Oui, pour moi et pour ces artistes américains comme Rothko, Newman ou Pollock etc. Je pense qu'il y a une dimension spirituelle très, très importante et qui manque un peu (pour moi), dans la figuration libre. Mais c'est mon propre avis et je ne veux dénigrer le travail de  personne vraiment. 

TS : Et à partir de quel moment as-tu réintégré la figure dans tes œuvres ? 

JPS : Oui, j'ai vraiment commencé cela à Montréal, parce que j'avais peins une grande toile qui faisait presque trois mètres par trois mètres et je suis resté devant cette toile pendant une quinzaine de jours, c'était comme un aboutissement, un achèvement, le top de ce que je pouvais faire quoi ! Et puis je me suis  dit : je peux faire des variations comme beaucoup d'artistes abstraits l'on fait ! Mais je trouvais que l'abstraction, c'était aussi une voix très solitaire et je n'avais sans doute pas envie d'être seul quelque part ! Je suis un être humain et je suis connecté avec les autres. Donc je n'avais peut-être pas la force de faire un travail abstrait et je trouvais qu'il me manquais cette dimension du corps justement, dont on parlera peut-être tout à l'heure ? 

TS : Oui !

JPS : Et donc c'est à ce moment là que j'ai réintégré des phrases, des images de femmes ou d'animaux, voilà !

TS : Et au niveau du support, tu vas passer en fait d'un support panneau ou toile au Plexiglas ?

JPS : Oui !

TS : Alors ça c'est quand même quelque chose de très, très curieux parce que c'est un choix singulier, il y a peu d'artistes qui travaillent sur le plexiglas ! Qu'est-ce qui t'as motivé à choisir ce support ?

JPS : En fait c'est dû à une contrainte, puisque c'est une anecdote que je raconte souvent : je devais travailler avec une galerie de Toronto, la galerie Moos et à cette époque là, donc en France, je travaillais sur Isorel, mais c'est un matériaux qui est pauvre (entre guillemets) et acide, donc les œuvres ne durent pas tellement longtemps, puisqu'elles se dégradent à la longue. Le directeur Jerry m'a dit : "- Jean-Pierre, je veux travailler avec toi, mais il faut que tu peignes sur un autre support !" Donc ça m'ennuyait, parce que j'avais trouvé mon support idéal : l'Isorel ! Et je pouvais faire justement des modules assemblés en polyptyques. Et donc, j'ai réfléchi assez longtemps et fait des essais sur du PVC, sur des bandes de métal et à un moment donné, j'ai trouvé le Plexiglas, mais au départ, je travaillais sur le Plexiglas, comme matériaux de support. D'abord il s'est trouvé que j'ai peins devant, puis derrière et c'est devenu mon matériau de prédilection et donc je suis content de travailler sur ce matériau-là maintenant, oui ! 

TS :  Oui, et tu n'as pas prévu d'autres essais sur d'autres support dans l'avenir ? C'est vraiment le support qui te convient le mieux ?

JPS : Pour l'instant oui ! Mais si je travaillais à une plus grande échelle, il faudrait sans doute que je travaille avec du verre securit, mais il faut penser à une chose, c'est que c'est moi tout seul qui fabrique les choses (entre guillemets), donc, je ne peux pas imprimer seul de plus grands formats que cela et aussi faire des grands formats en verre securit, ce ne serait pas possible dans cet atelier ! Voilà, donc il faudrait que je les fasse faire, donc à un moment donné, peut-être que je changerai d'échelle si un jour je vends vraiment, je pourrai penser à changer d'échelle, mais pour l'instant, je revendique cette tradition artisanale de l'artiste dans son atelier qui réalise toutes les étapes du travail de A jusqu'à Z !

TS :  Alors en 1991, tu quittes donc la France pour partir t'installer à Montréal !

JPS : Oui !

TS : Alors ce choix, est-ce qu'il est motivé parce que tu trouvais que la société française n'offrait plus aux artistes des conditions d'épanouissement nécessaires ?   

JPS : Je le pense aujourd'hui à posteriori, mais je ne le pensais pas alors. "- Il faut aller voir" comme on dit : donc je suis allé voir. Non, j'ai juste suivi mon chemin de vie, j'ai suivi ma chance quoi ! Oui !

TS : C'est un choix spontané pratiquement ?

 JPS : Voilà ! Oui ! Le directeur de la galerie Moos m'a dit : "- Oui je veux travailler avec toi, mais il faut que tu viennes vivre au Canada !" Je lui ai dit : "- Attends, j'ai dix-sep chevaux dans ma ferme, c'est beaucoup !" Puis j'ai un peu réfléchit, j'ai dit bon OK, je pars et puis je suis parti ! Vraiment sans trop réfléchir et vraiment  quelqu'un serait venu me voir dans ma ferme quelques temps auparavant en me disant que j'irais vivre un jour à New York, je n'avais jamais même imaginé ça possible ! Donc dans la vie, il y a toujours des nouveaux chemins qui s'ouvrent, ç'est ça qui est fabuleux, j'adore ça ! 

TS : Et une fois arrivé à Montréal, quels vont être tes axes de recherche artistique ?

JPS : Et bien ça c'est ouvert, d'une part par la grandeur de l'espace (pour le format), qu'on a plus tellement en Europe, puisqu'on est un peu enfermés les uns sur les autres et puis l'ouverture de la mentalité (pour faire le travail qu'on a envie de faire). Autant dans un sens positif, c'est à dire que tout est permis, que dans le sens négatif, c'est à dire que tout le monde s'en fout ! Mais maintenant, c'est arrivé en France aussi, vingt ans plus tard ! Ça m'a rattrapé en France. C'est à dire que la société française a beaucoup changée, les liens que l'on avait entre nous se délitent petit à petit, donc ça ça m'a un peu choqué. Mais ce qui m'a ouvert l'esprit, c'est aussi de faire ce que j'avais envie de faire, sans avoir aucun jugement critique de valeur, parce qu'on sait très bien qu'en France, le jugement est assez pesant, voire assassin.

TS : Assez pesant, oui ! 

JPS : Voilà, oui !

TS : Et alors c'est là que tu choisis le mode d'expression de la sérigraphie ? Parce que c'est vrai que même sur des panneaux de Plexiglas, tu aurais pu choisir de la peinture ? Quelle est la raison pour laquelle tu choisis la sérigraphie, qui est quand même une technique qui nécessite des équipements et cetera. Et qui n'est peut-être pas aussi facile à mettre en œuvre que la peinture à l'huile ou à l'acrylique ?

JPS : Tout à fait oui ! Eh bien c'est toujours un heureux hasard comme on dit, je vivais juste à côté d'un magasin où ils imprimaient des T-shirts. À l'époque, je reproduisais des images en les photocopiant puis je les collais dans mes peintures ou derrière le Plexiglas. Et à un moment donné, je me suis dit : ce serait peut-être bien de les reproduire en les sérigraphiant ! Parce qu'en faisant une photocopie couleur, je pouvais avoir un bleu, un jaune, un rouge, mais je ne pouvais pas avoir de nuances, alors qu'avec la sérigraphie, j'ai la nuance exacte que je veux ! Donc c'est une liberté avec la forme et la couleur quelque part ! Après l'écran sérigraphique défini une dimension, mais si tu veux imprimer plus grand, tu prends un écran plus grand !  

TS : Oui, c'est plus souple !

JPS : Voilà, que les photocopies ou les transferts.


2/5 : VIE ET TRAVAUX DE NEW YORK - Voir la vidéo

TS : Alors deux ans plus tard, après ton installation à Montréal, tu déménages à New York. New York est-elle une ville qui offrait plus de facilités pour un artiste que Montréal ?  

JPS : Oui, c'était à l'époque où j'y étais la ville des artistes. Voilà ! On allait tous acheter notre matériel à Pearl Paint (sur Canal Street), c'est un magasin de peinture qui faisait cinq étages de hauteur avec des prix défiants toute concurrence et c'étaient des artistes qui tenaient les rayons… C'est une ville faite pour les artistes, il y a tellement de galeries, de galeristes, de gens importants de l'art. Tout le monde passait par là à cette époque là ! Peut-être un peu moins maintenant, je ne sais pas ? Vraiment c'était le lieu où être et je ne regrette pas du tout, parce que ça m'a en quelque sorte, donné une dimension internationale. 

TS : Alors tu restes à New York jusqu'en 2005, durant ces douze années, quels ont été les liens que tu gardais avec la France ? Est-ce que tu revenais périodiquement, est-ce que tu suivais la scène artistique française un peu, à travers la presse ou autre ? 

JPS : Non, pas du tout, la scène artistique française ne m'intéressait pas du tout ! De là-bas, ça ne m'intéressait pas ! Mais, je revenais bien sûr voir ma famille une fois par an pour voir mon grand-père et mes parents, ma famille était ici donc je revenais bien volontiers en France. Je revenais voir mes racines et la nature aussi ! En parlant de ça, j'ai écris un petit texte que je voulais te lire…

TS : Oui bien sûr ! 

JPS : Parce que c'est important de dire ce qui s'est passé pour moi à New York, donc je vais citer cet extrait tiré de mes Notes :

"Mon passage à New York a été pour moi une révélation, une initiation, un devenir... Un peu comme si j'avais été auparavant incomplet, sous-développé, prétentieux et stupide (je ne veux bien sûr insulter personne ! C'est ce que je pensais.) Comme ces films négatifs que l'on révèle dans les bains photographiques ou ces pucelles botticelliennes, virginales, impénétrées, indéflorées qui découvrent brutalement et soudainement l'extase du ravissement sexuel…"

C'est à dire que pour moi New York a été vraiment une révélation : tant sur l'ordre de la sexualité, de l'art et de la spiritualité. J'y suis devenu quelqu'un d'autre vraiment ! J'y ai acquis une autre dimension ! Et c'est de cette dimension dont je voulais parler. 

TS : Oui ! Et donc cette ville de New York, qui est effectivement foisonnante, avait remplacé Paris à partir de la fin de la deuxième guerre mondiale, on peut dire ça ?

JPS : Oui, voilà !

TS : Avait remplacé Paris en tant que ville artistique donc c'est ce qui t'a aussi attiré certainement ?

JPS : Bien sûr !

TS : Alors qu'elles ont été à New York, justement dans ce milieu artistique, tes rencontres les plus marquantes ?

JPS : Je dirai à mon niveau personnel, c'est mon épouse Olga, qui est d'origine colombienne et on a vraiment passé de très bons moments ensemble, très, très fort et on a eu la chance de voyager ensemble au Mexique et au Guatemala. Et professionnellement, ça a été la rencontre avec M. Leo Castelli, qui était directeur de la Galerie Castelli, qui a fait connaitre mondialement tous les artistes du Pop Art tels que : Jasper Johnes, Rauschenberg, tout le monde quoi… Andy Warhol tous ceux-là. Et lorsque je l'ai rencontré, (vraiment, je l'ai appelé et il m'a reçu)… Je ne peux pas dire que ce soit devenu un ami, mais c'était devenu une référence  et un appuis et c'est quelqu'un qui avait cette simplicité et ce grand bonheur d'être avec des artistes, pour lui l'art était vraiment essentiel ! Et d'avoir eu la chance de faire cette belle rencontre, il était un peu comme mon grand-père ! Mon grand-père avait connu les deux guerres mondiales, quand il est né (en 1907), il n'y avait pas de téléphone, il n'y avait pas de voitures et il avait un sens inné des choses justes. Il disait parfois de quelqu'un : "Il a tout faut !" et aujourd'hui, je pense qu'on a tous "tout faut" ! C'est à dire qu'on ne sait plus vivre ensemble, avec la nature avec l'ensemble des choses et je pense que M. Castelli était quelqu'un comme cela aussi, oui ! 

TS : Et as-tu travaillé avec lui ? 

JPS : Malheureusement non, parce qu'à un moment donné j'étais allé le voir pour lui montrer mon travail (j'étais à Montréal) et il m'a demandé : "combien vous vendez cette peinture ?" Je lui ai dit dans les 800 $ et il m'a dit : "Vous savez, une grande galerie ne peut pas travailler avec vous, parce que ça ne couvre pas les frais !" Et bien sûr, il y a ce problème qui c'est décuplé aujourd'hui, on en parlera peut-être plus tard, mais il y a toujours ce problème du prix de vente de l'œuvre d'art !

TS : Oui, c'est vrai que nous aurons l'occasion d'aborder le marché de l'art. Alors comme tu avais évoqué l'Amérique Latine, la proximité géographique de New York te permettait d'y voyager, comment as-tu découvert en particulier les arts précolombiens ?

JPS : On a eu la chance de voyager à Mexico City, avec mon amie Olga, aussi à Puebla où j'ai acheté des masques que l'on voit derrière nous dans l'atelier et ça a été une vraie révélation parce que jamais je n'avais vu des œuvres aussi fortes quelque part ailleurs !

TS : Oui !

JPS : Et aussi dans les pyramides d'Uxmal et de Chichén Itza… Et également toutes les populations autochtones que sont les mayas. Quand tu vas dans le Chiapas, il y a beaucoup d'indigènes qui sont restés, qui n'ont pas été exterminés comme en Amérique du Nord par les occidentaux ! Donc il reste quand même à peu près un tiers de la population qui est encore indigène. Et donc, ça donne donc une énergie importante et différente de ce que l'on ressent en Europe ! 

TS : Alors c'est vrai que quand on parle d'Amérique Latine et d'énergie, on a toujours tendance à faire référence à Antonin Artaud !

JPS : Oui, bien sûr !

TS : Antonin Artaud s'est rendu en 1936, au Mexique chez les Tarahumaras et ça s’est présenté pour lui comme un voyage initiatique  finalement et il disait avoir voulu y chercher, je cite :  "une nouvelle idée de l’homme". C'était également ton but, de chercher une nouvelle idée de l’homme en Amérique Latine ?

JPS : Ce n'était pas mon but, mais c'est ce que j'y ai trouvé ! C'est ce que j'ai trouvé !

TS : Oui !

JPS : voilà, c'est une rencontre !

TS : C'est une découverte due au hasard d'une certaine manière ? 

JPS : Bon, si le hasard existe, oui ! Ce serait plutôt une coïncidence !

TS : Une coïncidence ! Alors justement Artaud a des citations tout à fait intéressantes sur son expérience ; par exemple, il dit : "La culture rationaliste de l’Europe a fait faillite et je suis venu sur la terre du Mexique chercher les bases d’une culture magique (le terme est intéressant) qui peut encore jaillir des forces du sol indien".  Quand il dit ça, il définit une démarche qui va bouleverser sa vie, c'est clair, mais as-tu ressenti un même besoin finalement ? Un occident dont la culture faisait faillite et une possibilité de trouver une sorte de régénération intellectuelle ?

JPS : Bien évidement, oui ! Oui ! Spirituelle aussi !

TS : Oui !

JPS : C'est à dire que ce rapport à la  Terre à la Nature, au Soleil, au Cosmos… ils faisaient quand même des sacrifices humains pour régénérer le Dieu Soleil ! C'est fort quoi !

TS : Oui !

JPS : Bon après, je ne défends pas du tout ça, mais comme j'en parle souvent dans mes entretiens, ils faisaient des offrandes aux fleurs, aux dieux des fleurs aux dieux de la pluie ! C'est un respect par rapport à la totalité du monde. Alors que notre démarche  actuelle est complètement inversée, c'est à dire que l'on détruit asservit tout : les fleurs, les arbres, les rivières, tout est pollué, tout est détruit. On utilise tout ! Et donc leur démarche était inversée. Donc Artaud a sans doute trouvé cette démarche allant vers le monde, alors que nous on fait l'inverse, on détruit le monde. Mais tu parles d'Antonin Artaud, c'est un auteur que j'apprécie particulièrement, j'adore Héliogabale ou l'anarchiste couronné et son livre sur le Mexique est très important ! Après les gens utilisent souvent le terme de magie, comme Lévi-Strauss aussi avec sa pensée magique, pour moi ce terme de magie me déplait parce qu'on pense que c'est quelque chose qui serait du domaine de la magie justement, qui serait en dehors du monde, une identité particulière. Je pense que c'est plus du domaine de la connaissance. Ce n'est pas de la magie au sens propre. Tu vois, les chamanes apprennent pendant vingt ans pour comprendre le fonctionnement des vibrations des énergie des arbres et de la nature, tu comprends ? C'est une connaissance pour moi ! Pour nous ça semble magique, parce que : Whao ! Ça dégage ! C'est un terme que l'on utilise couramment, mais des fois, ça me gène un peu ce terme de magie, mais bon, on ne peut pas utiliser d'autres mots, malheureusement en occident, on a pas d'autres mots ! Pour moi, c'est une réalité autre, c'est comme la mécanique quantique ! C'est une autre réalité !

TS : Alors, c'est intéressant, tu viens de parler de chamanes, d'autres réalités. Lorsque Artaud part au Mexique, donc il va chez les indiens, il fait l'expérience du peyolt, ce petit cactus qui lui permet justement d’aller dans un autre monde.

JPS : Oui !

JPS : Et de ton côté, tu parles beaucoup dans tes textes de transes chamaniques ?

JPS : Oui !

TS : Alors, ça m'intéresse et ça m'intrigue, de quoi s'agissait-il ces transes chamaniques ?

JPS : Une transe chamanique, c'est une transe chamanique ! C'est à dire que tu pars avec ton esprit dans un état second ou un état supérieur quoi ! 

TS :  Oui !

JPS : C'est ce que les gens ressentent sous drogue, mais moi j'ai fait ça sous hypnose.

TS :  Sous hypnose ?

JPS : Voilà, sous hypnose ! Oui !

TS : Avec j'imagine un spécialiste ?

JPS : Oui !

TS : Et qui sans doute avait aussi cette orientation vers un transfert vers un monde artistique ?

JPS : Oui, voilà c'est ça ! C'est le monde artistique, le monde de la poésie, c'est le monde des chamanes, c'est l'ouverture sur l'énergie du monde quelque part ! La compréhension de l'énergie du monde ! 

TS : Et ça donc, c'était à New York et non pas en Amérique Latine ?

JPS : Oui à New York, j'ai eu la chance de rencontrer cette belle personne ! 

TS : Et en quoi ces transes ont transformé ton approche de la création ? 

JPS : Cela m'a permis d'accéder à une fluidité dans mon travail. Parce qu'i faut bien dire les choses clairement, les peintres font un travail qui est complètement figé ! C'est ce que j'appelle la peinture fenêtre ! Or dans les transes, il n'y a pas de fenêtres ! C'est à dire que c'est ouvert partout dans le cosmos ! C'est une ouverture multidimensionnelle et spirituelle ! 

TS : Oui !

JPS : Et donc mon travail, je l'espère du moins, a cette dimension multidimensionnelle. C'est à dire que je peux me permettre de mettre un Bouddha à côté d'un texte érotique ou à côté d'un rituel maya ! Je peux tout mélanger et c'est ce qui se passe aussi dans les transes, c'est ce mélange perpétuel, incessant… Tu te transformes sans arrêt en baleine, tu te transformes en eau, tu te transformes en soleil… Tu fusionnes sans arrêt, c'est une fusion perpétuelle, du départ de la transe à la fin de la transe : tu fusionnes, tu te transformes, tu fusionnes, tu te transformes ! Et puis tu as aussi les esprits animaux qui te guident, c'est très, très fort comme expérience.

TS : Oui ! Alors donc tu créés à New York régulièrement, au début des années deux mille, tu vas exposer dans des galeries et dans des centres culturels etc. Quel était la réception de ton travail auprès du public ou de la presse ?

JPS : Oui, je pense que mon travail a été bien reçu à New York, je pense mieux qu'en France. Bien que mon galeriste à SOHO, Éric Allouche, m'ait dit : "Oh les américains ne comprennent rien à ton travail !" ; mais ils n'ont pas d'aprioris, alors qu'en France je me heurte quand même à un apriori négatif du public, qui ne rentre pas du tout dans mon travail, il existe une barrière incroyable ! Donc j'aime mieux le public new yorkais, je ne connais pas du tout le public du Texas ou autre ! 

TS : Oui !

JPS : Et le public new yorkais… Et surtout, ils ont cet humour et cette joie, ils ne sont pas impressionnés par toute la culture européenne, comme nous, dans les musées ! Je voudrais citer Bonnard qui disait : "Ce qu'il y a de mieux dans les musées, ce sont les fenêtres." Et donc notre culture est complètement muséifiée, ossifiée, sclérosée en France, oui ! C'est terrible !  Notre culture est stérile, il n'y a plus aucune d'énergie dans l'art ! C'est ce que je me permets de dire, mais bon peut-être ai-je tord ? Alors qu'à New York, on n'a pas cette finalité de l'art qui doit être un art avec un grand A, ou la culture avec un grand C ! Ils s'en foutent, ce n'est pas important ! 

TS : J'avais été frappé aux États-Unis de voir une grande différence entre une élite américaine qui a des connaissances très développées sur l'art, qui collectionnent et cetera. Et puis la classe moyenne, qui ne présente aucun intérêt pour l'art, qui n'a pas d'idée sur la question… Et j'avais posé cette question à des étudiants américains de l'université de New York, qui m'avaient dit : "Oui, mais en France, vous avez accès un à l'art, par la gratuité par exemple, ou par les tarifs réduits pour les jeunes, tandis qu'aux États-Unis, si on veut avoir accès à l'art, il faut à chaque fois payer." Est-ce que tu penses qu'en dehors de l'élite new yorkaise justement…

JPS : Oui, oui je comprends !

TS : Est-ce que tu penses qu'aux États-Unis en général, l'artiste est considéré ?

JPS : Oui !

TS : Oui ?

JPS : Enfin en dehors de New York, , excuses-moi. j'en revenais à New York ! Oui, je ne sais pas ? Je n'en sais rien ? Je n'y ai pas d'expérience, je ne suis pas allé vivre à Miami, non ! Mais je me sentais beaucoup plus considéré à New York qu'ici, (surtout comme créateur de richesses !) ! Mais voilà bon, c'est la vie !

TS : Oui !

JPS : Mais pour revenir en France et à la situation de l'art en général, je pense que nous sommes entrés maintenant dans une société post-culturelle. C'est à dire que la culture n'a plus aucune importance, que ce soit en France, aux États-Unis ou ailleurs. Peut-être qu'en Chine, ils utilisent ce côté culturel pour créer un marché artificiellement. Dans les cent premiers artistes (les plus chers) sur Artprice, il y a cinquante artistes chinois !

TS : Oui !

JPS : Donc ils arrivent sur le marché avec des montages financiers ! L'art et le marché c'est un autre problème, peut-être qu'on en parlera plus tard : de la fonction de l'art et de tout ça ! Mais est-ce qu'en France on a accès à l'art plus facilement ? Et puis c'est pas vrai ! D'abord au Metropolitan Museum : You pay what you wish ! C'est à dire que tu entres, tu payes dix cents si tu veux payer dix cents ! Tous les musées ne sont pas comme ça, Le MOMA est cher, il faut payer, mais il y a toujours une soirée par mois qui est gratuite, le jeudi soir est gratuit ! Mais je n'ai pas ressenti ça, je ne sais pas, je n'ai pas vécu dans d'autres parties des États Unis !

TS : Si tu devais aujourd'hui faire un bilan de ton expérience new yorkaise, quel serait-il ?

JS : C'est positif à 100% !

TS : Oui.

JPS : Oui, je ne regrette rien du tout !

TS : Et alors en 2005, donc tu quittes New york pour revenir sur la Franche-Comté, pour t'installer à Besançon. Qu'est-ce qui avait motivé ce choix ? Est-ce que tu avais besoin de retrouver tes racines, est-ce que c'était pour des raisons familiales ou …?  

JPS : Oui, c'est pour un ensemble de choses, oui, oui ! Mais surtout les loyers n'arrêtaient pas d'augmenter à New York, donc c'était ingérable ! 

TS : Oui !

JPS : Donc ça devenait ingérable.


3/5 : LE PROCECUS DE CRÉATION  LE CORPS & LA SPIRITUALITÉ - Voir la vidéo

TS : Alors maintenant Jean-Pierre, j'aimerais aborder le processus de création et puis la relation au corps et à la spiritualité. Tu as déjà évoqué à plusieurs reprises ce thème de la spiritualité tout à fait intéressant. J'ai, un jour, demandé à Leonor Fini si quand elle commençait un tableau, elle était sûre du résultat final ? Et elle m'avait répondu : "Non le tableau évolue par lui-même et je ne sais jamais à quel résultat je vais aboutir." Est-ce que pour toi, lorsque tu commences par exemple un grand Plexiglas, est-ce que tu as une idée précise du résultat ?

JPS : Oui !

TS : Ou, est-ce que là aussi, les choses peuvent évoluer ?

JPS : Ah, bien sûr, au contraire, je ne sais pas du tout ce que ça va donner ! Puisque je travaille à l'envers et que le plexiglas est masqué d'un film opaque, donc je ne peux pas voir ce qui s'y passe. Je le vois in reverse, à l'envers comme on dit et donc avant de mettre la touche finale au pinceau, je n'en ai absolument aucune idée, mais même quand je la mets, je ne sais pas du tout ce que ça va donner ; donc, je le découvre quand finalement  je les prends en photo, quand les Plexiglas sont finis ! Et cette démarche est très, très importante pour moi parce que souvent la pensée oriente l'idée de l'artiste vers quelque chose comme une espèce de pensée de chef-d'œuvre, entre guillemets, et c'est pas ça du tout qu'il faut trouver, il faut trouver la liberté ; et justement la liberté totale, c'est de ne pas savoir ce qu'on fait et d'être dans le flux de l'inconscient, mon inconscient et l'inconscient collectif. Et ce qui permet ça, cette grande liberté, c'est de ne pas savoir ce qu'on fait !

TS : Oui ! Alors à regarder tes œuvres, on sent une réelle proximité avec la nature, prise un peu comme une terre mère, d'une certaine manière, une terre mère nourricière et de source d'énergie et avec laquelle tu te sens en communion ?

JPS : Oui !

TS : Tout à fait clairement et est-ce que finalement, ça n'explique pas pourquoi, l'art occidental, qui est issu de sociétés qui vont beaucoup plus chercher à dominer la nature et pour ça la référence, elle est biblique, elle est dans la genèse ! Est-ce que tu ne penses pas que tes influences, qui viennent plutôt de cultures animistes ou panthéistes, ça s'explique là ? Parce que là, on respecte la nature, on vit en harmonie avec la nature dans ces cultures ?

JPS : Oui, tout à fait exactement, à part, j'allais dire chez des amis, avec des peintres comme Brueghel ou Bosch…!

TS : Oui !

JPS : Qui peint ces délires hysterico-érotico-cosmiques ! Là, on est dans la pleine folie, entre guillemets ! Comme dans la magie, entre guillemets ! Voilà oui, c'est des artistes que je respecte énormément. Veermer, je dois dire que j'ai beaucoup d'affinité pour ses œuvres, je trouve qu'il se dégage de ces tableaux, une dimension spirituelle très importante : comme un recueillement intérieur. Ou certains portraits de Rembrandt comme ça, je ne dénigre pas toute la pensée occidentale. Il y a des artistes qui ont su trouver la dimension intérieure des choses et qui m'impressionnent beaucoup !

TS :  Oui, c'est vrai que quand tu sites Brueghel et Bosch, ça me parle aussi beaucoup ! Je ressens moins chez Vermeer, cette dimension de spiritualité. Je me trompe peut-être ? J'aime beaucoup Vermeer par-ailleurs ! 

JPS : Oui, oui !

TS : Ce qui m'a beaucoup surpris cher Vermeer, c'est la taille très réduite de ses tableaux. Alors que chez Bosch, au contraire, ou chez Brueghel, on a assez souvent à faire à d'assez grands formats ! Oui, la relation avec la nature

JPS : Ah c'est essentiel ! 

TS : Chez les réalistes flamands, c'est très, très important, oui, oui ! Alors tes œuvres occupent donc le format carré.

JPS : Oui !

TS : C'est ta forme de base, c'est un choix, mais elles sont très remplies et elles laissent peu d'espace au vide ! Par rapport, par exemple, je fais référence là au Carré blanc sur fond blanc de Malévitch !

JPS : Oui !

TS : Qu'est-ce qui explique cette nécessité de remplir l'espace ? 

JPS : J'ai comme grand maître la nature ! La nature ne laisse jamais de vides ! Bien que philosophiquement parlant, je sois intéressé par le vide des bouddhistes, qui ont dix-huit ou dix-neuf formes de vide mais moi, j'aime remplir les choses, j'aime le foisonnement des choses ! Et dans la nature, dès qu'il y a un espace, il y a un arbre qui s'y met… une herbe, une fleur qui pousse, tout est en compétition comme ça, pour éclater au monde ! C'est un jaillissement au monde quelque part ! Oui, je veux que ma peinture soit un jaillissement au monde !

TS : Oui, c'est une belle formule, un jaillissement au monde !

JPS : Oui, voilà, oui, mais c'est ça !

TS : Alors, dans les entretiens que tu enregistres, comme le nôtre, qui sont disponibles sur ton site, tu insistes beaucoup sur cet aspect de la spiritualité et en fait, pour faire un parallèle, les religions, par exemple, ça c'est un avis qui m'est très personnel, mais les religions sont pour moi le dernier endroit où l'on peut trouver la spiritualité. Parce que je trouve que les religions s'appuient d'abord sur le pouvoir, à travers les injonctions ou les interdis imposés aux fidèles et puis sur l'argent, parce qu'on le voit chaque année ou en tout cas périodiquement, il y a des scandales financiers au Vatican, sans compter les télévangélistes américains ou certains imams qui construisent des fortunes colossales au dépend de leurs fidèles. Donc finalement, je ne trouve pas que dans les religions on trouve une spiritualité. Mais, est-ce que tu ne penses pas que c'est dans l'art qu'on peut trouver la spiritualité ?

J-PS : C'est une grande question, la réponse est sans doute que oui ! Puisque depuis la nuit des temps, nous autres artistes, avons parlé de ce rapport au monde, oui ! Au-delà, justement, des structures sociales et religieuses. Mais au départ les religions partent d'un bon sentiment ; c'est toujours pareil ça a dérapé ! 

TS : Ça a dérapé ?

JPS : Quand tu vois les films de Pasolini ; j'ai encore revu Théorème l'autre jour et son questionnement était souvent : où chercher et trouver la spiritualité ? Et la seule personne dans Théorème, qui trouve sa spiritualité, c'est la servante, qui est issue d'un milieu paysan et qui à la fin du film monte sur son toit et accède à Dieu !  Et tous les autres, de la bourgeoisie romaine, entre guillemets, ne peuvent plus accéder à la spiritualité. Et on le sent bien aujourd'hui, les gens ne peuvent plus accéder à la spiritualité ! Même au travers des religions ! 

Est-ce que c'est définitivement perdu ? Oui, ou non ? Donc peut-être que les artistes peuvent accéder à cette infime parcelle de nous-mêmes qui nous relie au monde, au cosmos peut-être ? C'est un chalenge !

TS : Oui ! Alors tu dis justement que la spiritualité disparaît, qu'elle a même disparu dans l'art ! Et je pense toujours à ce discours de réception à l'académie des Beaux-Arts de Jean Carzou où il accusait Cézanne et Picasso d'avoir plus ou moins détruit la peinture, d'avoir été des fossoyeurs de l'art ! Pourtant Marcel Duchamp me semble beaucoup plus, à travers ses ready-made, ou à travers son relativisme interprétatif sur lequel toutes les interprétations se valent, il me semble avoir été beaucoup plus radical ! À quelle période, dans l'histoire de l'art, peux-tu situer la disparition de la spiritualité dans l'art occidental ?

JPS : Oui, on peut dire ça, entre guillemet, mais pour moi c'est à la Renaissance, sans aucun doute ! 

TS : La Renaissance ?

JPS : Parce que la pensée humaine a placé alors  l'homme au centre du monde. Dès l'instant où l'homme est au centre du monde, tout est possible, c'est ce qu'on voit aujourd'hui !  

TS : Oui !

JPS : Oui, voilà. C'est toujours des portraits, c'est ce personnage qui est important, c'est une femme qui est importante, c'est à dire qu'on a quitté ce monde global, collectif, pour entrer dans un monde individuel. C'est ce que je sent très fortement. Par exemple, chez les primitifs italiens comme Giotto ou d'autres, on sent encore cette dimension spirituelle !

TS : Oui !

JPS : On la sent dans les couleurs, dans la pureté des couleurs… C'est un peu comme les fresques égyptiennes, où les bleus sont magnifiques, les ocres sont magnifiques ! Il y a cette pureté et cette pureté a un peu disparue… Peut-être avec l'invention de la technique à huile, qui sait ?

TS : Oui !

JPS : Parce que la fresque est beaucoup plus simple et belle ! Je vais faire des digressions, mais c'est comme ma peinture, ce n'est pas de l'huile, c'est de l'acrylique ! La couleur est très dense, aussi avec le Plexiglas qui la magnifie ! Je voudrais par exemple convoquer Matisse ; pour moi ses travaux les plus importants ont été réalisés à la fin de sa vie avec ses papiers découpés ! Parce que ses assistants peignaient les couleurs vives sur des papiers et puis, il les découpait ! Et c'est la simplicité, c'est à dire qu'il découpait juste la forme ! Il faut retrouver la simplicité dans l'art, oui, oui ! Et avec la simplicité, je pense que l'on peut retrouver une certaine forme de spiritualité !

TS : Alors, quand on regarde tes œuvres, on est frappé par la répétition de certains motifs, comme par exemple l'oiseau ou la fleur de lotus, ou ici on le voit, des formes de frises qui couvrent parfois l'ensemble de l'œuvre. Est-ce que cette répétition ça n'est pas une manière d'inciter le regardeur à la spiritualité, un peu comme les derviches tourneurs qui vont tourner de manière très répétitive ou les hindouistes ou les bouddhistes qui vont répéter des mantras jusqu'à l'épuisement pratiquement !

JPS : Oui, c'est le même système exactement, oui, tu as très bien compris ce que je veux faire ! C'est exactement ça ! Grâce à la répétition, on peut changer les ondes du cerveau, pour accéder à l'extase spirituelle, oui tout à fait ! Oui, oui !

TS : C'est pratiquement une approche hypnotique d'une certaine manière ?

JPS : Si l'hypnose permet d'accéder à la transe, oui !

TS : Oui, d'accord !

JPS : Voilà, c'est un chemin ! Oui, voilà !

TS : Alors dans tes œuvres, ces sérigraphies, tu vas superposer des strates successives, à tel point qu'en référence à Jackson Pollock, je trouve qu'on pourrait appeler ça un dripping vertical ! Ces motifs expriment à la fois et souvent dans la même œuvre, une spiritualité et un érotisme parfois très cru d'ailleurs. Dans nos cultures occidentales, qu'on le veuille ou non, fortement influencées par le platonicisme et par le christianisme où le corps et l'esprit sont parfaitement séparés, l'un étant supposé élevé, l'autre étant supposé méprisable, il se forme un hiatus entre la superposition des deux, ou en tout cas, le fait de mettre les deux sur le même plan… Comment es-tu parvenu à établir cette synthèse, alors que tu es issu de cultures occidentales ?

JPS : Tout à fait, oui ! Eh bien, c'est la leçon de Pollock, c'est à dire qu'il était au milieu de sa peinture en jetant de la peinture sur sa toile fixée au sol !  

TS : Oui !

JPS : Et lui, il avait appris cela des indiens Navajos ! C'est ce que les Navajos font : les Sand Paintings, les dessins sur le sable. Ils mettaient les quatre directions et puis ajoutaient ce rapport au cosmos, ce rapport aux couleurs. C'est vraiment… On peut parler de verticalité, mais je travaille toujours à plat, donc je travaille sur la Terre quelque part ! Voilà, oui, je travaille sur la Terre.

TS : Oui, finalement tu travailles à plat comme Soulages travaille à plat…!

JPS : Oui, tout à fait ! C'est mon corps qui se déplace, oui, je suis dans la peinture. 

TS : C'est tout de même assez physique, notamment lorsque tu utilises la presse, j'imagine ?

JPS : Oui, oui ! C'est très physique, oui ! Et parfois fastidieux, toutes les étapes de la sérigraphie sont intéressantes, mais c'est vrai que de nettoyer les écrans au Karcher, des fois, je pourrais m'en passer, mais c'est bien et toutes les étapes sont intéressantes, même le travail sur l'ordinateur pour faire les dessins des images, tout ça est intéressant !

TS : Alors l'érotisme, puisqu'on le voit dans un certain nombre de tes œuvres, l'art érotique dans nos sociétés qui sont  supposées libres, mais où finalement on est confronté à beaucoup de tabous, surtout depuis une époque relativement récente, entre les pressions religieuses ou bien-pensantes et puis maintenant même avec le féminisme de tendance anti-sexe, les héritières d'Andrea Dworkin et de Catharine Mackinnon ! Cet art érotique, il semble de plus en plus peiner à trouver sa place et dans les galeries et dans les expositions et même jusque chez les collectionneurs ! Tes œuvres sont empreintes d'érotisme, quelle est la réception qu'elles ont aux yeux du public, de la presse, voire des collectionneurs ou du monde de l'art quand tu les exposes ?

JPS : Ça c'est une très bonne question et il y a beaucoup de choses à dire là-dessus ! Pour ce qui est de la presse, en général ça se passe très bien, parce qu'ils aiment parler de mon travail, sauf à quelques rares exceptions. Mais pour le public et les collectionneurs, c'est une autre histoire… les gens n'achètent pas, parce que, qui achète de l'art en France aujourd'hui ? La bourgeoisie, entre guillemets ! Et ils ne peuvent, ni ne veulent pas mettre ça chez eux ! J'ai des amis médecins qui me disent carrément : "Oh j'ai discuté avec mes amis et ils ne peuvent pas mettre ça chez eux !" Il ne peuvent pas ! C'est une barrière ! Et donc ça devient très compliqué de survivre en tant qu'artiste ! J'ai mangé hier avec ma galeriste de Zürich, qui est venue chercher des œuvres pour ma prochaine exposition à Lugano, à Wopart, une foire d'art contemporain d'œuvres sur papier et elle m'a dit : Jean-Pierre tu es hors réalité, on ne peut pas vendre tes œuvres !" Elle est désespérée. Parce que justement mes œuvres parlent de cette énergie vitale universelle. Ça parle de sexualité, mais en fait, c'est l'énergie vitale, qui concerne tout le monde ! Et justement, les gens sont complètement dissociés de leur corps, complètement à côté ! Il faut que je trouve des gens un peu illuminés, entre guillemets, qui pourraient aimer mon travail, comme le docteur Gachet avec Van Gogh, enfin voilà ! Que je trouve quelques gens comme ça ! J'avais trouvé quelques personnes comme cela à Montréal et à New York, mais malheureusement en France, j'ai beaucoup de mal à trouver des collectionneurs, c'est comme ça ! 

TS : J'ai vu par exemple que tu exposes en Chine !

JPS : Oui !

TS : Mais la relation des chinois à l'érotisme est tout de même très ambigüe. Je me souviens par exemple que la traduction chinoise de mon essai sur l'Origine du monde et bien l'éditeur, pour que ça puisse être publié, a supprimé toutes les reproductions de l'Origine du monde dans le livre, y compris dans le cahier d'illustration ! Ce qui fait qu'on a un livre qui parle d'un tableau, mais on ne voit jamais le tableau ! Comment les chinois réagissent-t-il lorsqu'ils voient tes œuvres ? 

JPS : Écoute, pour te dire la vérité, je n'en sais rien, parce que les gens qui m'exposent là-bas et mon ami Xiwen Yang communiquent assez peu là-dessus, mais c'est vrai que j'ai une grosse exposition personnelle dans un musée à Shenyang, en Chine jusqu'au quinze septembre et je n'ai pas beaucoup de réactions, je ne sais pas ! C'est présenté là-bas, on verra ! Peut-être qu'ils vont aller brûler le musée ou le fermer ? Je ne sais pas, je ne suis pas là-bas, alors ils ne vont pas m'assassiner !

TS : J'imagine bien !

JPS : Mais je ne peux pas dire que je fasse un travail provocateur, Pasolini disait qu'il était provocateur, moi je ne pense pas être provocateur, je peins ce que j'ai envie de peindre. Quelque part je suis comme les fous et les aliénés, je dis ce que j'ai envie de dire et puis après vous le recevez ou vous ne le recevez pas ! C'est ça, je ne peux pas m'occuper du jugement du public, parce que ce serait mentir à moi-même !

TS : Alors Théophile Gautier dans sa préface de Mademoiselle de Maupin, on est  dans les année 1830, c'est vraiment très, très tôt, avait posé le principe de l'autonomisation de l'art. C'est à dire d'un art qui finalement, ne devrait se soumettre a aucun jugement, sinon le jugement esthétique bien sûr, mais sûrement pas se soumettre à la morale, au sens de la moraline de Nietzsche et Baudelaire avait la même idée puisque quand il écrit à son avocat lors du procès des Fleurs du mal, qu'il y a deux morales : une pour les poètes ou les génies et une pour les polissons ! L'expression est assez amusante, mais comment ressens-tu aujourd'hui les attaques qui sont portées aujourd'hui contre la liberté de création, notamment au sujet de l'art érotique, au nom de la bien-pensance contemporaine ?

JPS : Je pense que oui, on était plus libre dans les années soixante et soixante-dix, au niveau de l'art ! Ça se referme, malheureusement. Mais il y a aussi beaucoup d'artistes contemporains qui jouent la provocation. Donc bon, certains artistes s'en sortent bien, même très bien, en jouant la provocation bien sûr ! Comme Banksy avec sa toile qui s'auto-détruit et qui a été vendue pour deux millions de livres, bon, il joue la provocation ! Donc ça sert un certain nombre d'artistes. Moi ça me dessert parce que j'ai beaucoup de mal à présenter mon travail bien sûr, j'ai eu plusieurs expositions qui ont été annulées à cause du contenu trop érotique. Je peux exposer, mais quand bien même, chaque fois que je fais une exposition, je me dis : "Tiens, je vais pouvoir vendre une ou deux œuvres !" et chaque fois, c'est zéro œuvre vendue ! Donc on rentre à la maison et on se dit, est-ce que ça vaut la peine de continuer ? 

TS : Oui !

JPS : C'est vrai qu'il faut une sacrée force de résilience et il ne faut pas trop croire en soi, mais il faut avoir envie de vivre, il faut avoir une envie de vivre incroyable pour être artiste dans une société aussi méprisante par rapport à la création ! Je trouve que les sociétés européennes… mais certains pays ont une attitude différente et je pense que l'attitude de la France vis-à-vis des artistes et terrible !

TS : Et quels sont les pays qui seraient plus ouverts selon toi ? 

JPS : Je citerai par exemple la Suisse, parce qu'ils ont des aides et des fondations pour aider les artistes. Je me rappelle toujours, pour citer ce que je connais à Montréal, tous mes amis artistes avaient des bourses à l'époque qui étaient entre dix mille et trente mille dollars par an. Donc,  ils sont considérés comme artistes, ils font un travail, ils présentent leur travail à la commission qui dit bon : c'est un bon travail, un excellent travail ou vous êtes reconnus internationalement, donc on vous donne trente mille dollars ! Parce qu'on sait très bien que peu d'artistes vendent, c'est une réalité ! 

TS : Oui, c'est une réalité !

JPS : Une fois j'avais appelé mon amie Anita à Montréal et je lui avais dit, je ne m'en sors pas, je ne vends rien ! Et elle m'a dit : Ah, mais il n'y a pas de bourses pour les artistes en France ? Non, il n'y a pas de bourses pour les artistes, donc ça c'est un vrai problème sociétal. Et c'est pareil pour les paysans, tu imagines que dans ce pays, un paysan se suicide tous les deux jours !  Et les écrivains pareil, tu les entends parler, ils ne peuvent plus vivre de leur écriture ! Est-ce que ça jamais existé ? Est-ce que les artistes ont pu vivre de leur art à une certaine époque, je n'en sais rien ! Mais c'est une question fondamentale ? Il faudrait y réfléchir. Je ne pense pas que le politique puisse y faire grand chose, c'est au niveau d'une conscience personnelle ! J'ai souvent des dîners avec des amis médecins, ils vont aller faire du ski hors piste et dépenser dix mille Euros pour aller skier au pôle Nord (ou s'acheter une Porsche !) et ça ne leur viendrait même pas à l'idée de m'acheter une petite œuvre à cinq cents Euros ! Donc là, on est vraiment dans une situation difficile, même moi je me sens comme disait Artaud : "sortit de la vie" ! Parce qu'on ne fait plus partie de la société ! On se retrouve au temps de Van Gogh et de Cézanne ! J'ai vu le film sur Cézanne (Cézanne et moi) l'autre jour avec Guillaume Canet et Guillaume Gallienne, et quelle vie de merde ils ont eu ces grands artistes ! C'est triste et c'est dégueulasse !

TS : Oui ! Et ça se perpétue, ça renait aujourd'hui !

JPS : Voilà, ça renait aujourd'hui ! Je pense que dans les années soixante, soixante-dix, les artistes ont pu faire un peu plus d'argent et puis les bourgeois, entre guillemets, achetaient beaucoup plus. Ils allaient dans les ateliers d'artistes, les artistes étaient plus intégrés mais là on est totalement mis à part, on est carrément des pestiférés, ostracisés ! oui !


4/5 : LE RÔLE DE L'ART ET DE L'ARTISTE DANS LA SOCIÉTÉ - Voir la vidéo

TS : Alors Picasso disait : "L'art n’est pas chaste, on devrait l’interdire aux ignorants innocents, ne jamais mettre en contact avec lui ceux qui y sont insuffisamment préparés. Oui, l’art est dangereux. Ou alors, s’il est chaste, ce n’est pas de l’art !" Est-ce que finalement aujourd'hui quand on regarde un peu la production artistique contemporaine, est-ce qu'on n'a pas à faire à cet art chaste c'est à dire destiné à jamais heurté les sensibilités et à ne susciter aucun débat d'idée ?

JPS : Oui, tout à fait, c'est ce que j'ai bien compris à New York, c'est en fait ce qu'on appelle le politiquement correct !

TS : Oui, voilà !

JPS :  C'est à dire qu'aujourd'hui, quatre-vingt-dix pour cent (on peut dire un chiffre comme ça au hasard !) mais on peut penser que 90% de l'art est politiquement correct donc, ce n'est plus de l'art quelque part ! Parce que les artistes font un produit, qui est vendable internationalement. On voit bien l'exemple de Damien Hirst, il a eu des expositions dans les sept galeries de Larry Gagosian : à Hong Kong, New York, Londres, Paris etc. Alors les gens qui vont au vernissage ont un passeport qu'ils font tamponner, ils ont donc vu les expositions de Damien Hirst et puis, il y a une loterie et quelqu'un (un heureux élu !) peut donc gagner une œuvre de Damien Hirst à la fin ! C'est un produit (de luxe) comme un autre, c'est du marketing pur et simple. Et donc, la dimension spirituelle a complètement disparu. Et c'est cet art-là qui tient le haut du pavé et de la presse, parce que l'autre art qui parle de choses véritables, véridiques, de l'essentiel, n'existe plus (ou n'est jamais montré) ! On le voit avec Jeff Koons, on le voit avec tous les "grands artistes", peut-être qu'au départ ces artistes là ont fait des œuvres intéressantes, mais c'est devenu vraiment un produit de consommation (une mystification !).

TS : Un produit de consommation !

JPS : Voilà, bien malheureusement, mais nous, on se heurte à ça parce que le marché véritable a été complètement défoncé, démoli, puisque les seules œuvres qui se vendent, se vendent à partir de 50 000 à 100 000 $ et jusqu'à des millions de dollars et les autres galeries ferment, les galeries moyennes ferment, puisque plus personne n'achète de l'art, sauf les très, très riches (les milliardaires) Et c'est la discussion que j'ai eu hier avec ma galeriste Heidi de Zurich, elle m'a raconté qu'il y avait des artistes qui vendaient des œuvres pour 10 000 CHF. il y a dizaine d'années et maintenant ça se vend dans les marchés aux puces de Zurich pour 10 CHF. Le marché intermédiaire s'est complètement effondré (en vingt ans) et on à du mal a recréer un deuxième marché pour les artistes que l'on appelle middle career artists comme moi, pour qui, il n'y a plus de marché du tout !

TS : Oui !

JPS : Ça c'est vraiment un grave problème et l'art qui est vendu, c'est vraiment un produit de consommation, c'est du dentifrice quoi !  

TS : Alors justement, puisqu'on parle de l'art et du marché de l'art, j'aurais voulu t'interroger sur le rôle de l'art et le rôle des artistes dans la société même si il est difficile de donner une définition de l'art, je crois que tout le monde en a une ! Mais, est-ce qu'on ne pourrait pas, paraphrasant Fernando Pessoa, qui parlait lui de la littérature, dire que : l'art existe parce que la vie ne suffit pas ?

JPS : Sans doute, oui, oui ! Enfin, c'est vrai pour les artistes ! Pour les créateurs ! Oui c'est vrai qu'on aime avoir une vie augmentée… Nous autres artistes bien sûr, plus en profondeur, plus en richesse, plus en beauté, plus en couleur, bien sûr ! C'est la démarche de Gauguin…

TS : Oui !

JPS : C'est l'exemple type de Gauguin, qui se faisait chier en Europe où c'était triste et gris et qui est allé chercher son bonheur aux Marquises avec la sensualité des femmes. Oui, la vie c'est aussi les femmes, c'est aussi la nourriture (terrestre), bien sûr, c'est ce que j'aime chez les Mayas. J. M. G. Le Clézio disait dans un de ses livres : La fête enchantée, que sans doute chez les Embera du Panama, c'était l'endroit où les femmes étaient le plus sensuelles ! C'est vrai qu'en France les femmes… Enfin, je ne veux heurter personne, mais enfin la sensualité a complètement disparu ! Ça c'est un gros  problème quand même ! 

Extrait de texte : "La beauté des femmes indiennes est lumineuse, elle vient, non pas de l’intérieur, mais de toute la profondeur du corps, comme la beauté de la peau d’un fruit est éclairée par toute sa pulpe et par toute la chair de l’arbre qui le porte. La beauté indienne ne se remarque pas. elle ne cherche pas à être remarquée. Elle n’est ni dédain, ni provocation. Elle ne se mesure à aucune laideur, elle ne transfigure pas, elle n’idéalise pas. Elle est là, seulement, triomphale. vivante, brillance externe qui n’a d’autre raison que l'attirance sexuelle, puis la fécondité." Haï, J.M.G. Le Clézio    

TS : Oui !

JPS : Et ça c'est un problème quand même !

TS : Oui !

JPS: C'est un grave problème ! Pourquoi la sensualité disparaîtrait ? Et pourquoi les "si célèbres" couturiers avec leurs robes à la con, n'arrivent pas a réintégré une sensualité ? Je pense que la sensualité a à voir avec la spiritualité ! Quelqu'un qui dégage une spiritualité, a une sensualité, c'est lié si tu veux ! Et l'art c'est pareil, l'art ne peut rien dégager ni offrir et si il n'y a pas de dimension intérieure dedans, ça reste un objet fermé.

TS : Alors là, effectivement c'est l'art en lui-même, voyons un peu du côté des artistes, on sait que Platon voulait bannir les artistes de sa cité idéale, parce qu'il considérait qu'ils n'offraient que des illusions du réel ! À l'opposé, on avait Pierre-Joseph Proudhon, dont on peut vraiment parler ici à Besançon ! 

JPS : Oui, oui !

TS : Qui donnait à l'artiste un rôle d'éducation du peuple, mais finalement, quand on regarde la méthode, ça a pu aboutir au totalitarisme du XXe siècle, que ce soit le néoréalisme stalinien ou le néoréalisme nazi, quel est selon toi le rôle de l'artiste dans la société ?

JPS : Oui d'abord une pensée, dire ce que doit être l'art ou le rôle de l'artiste, c'est très dangereux ! Puis ça échappe à tout formatage, à toute idée, voilà !

TS : Oui !

JPS : Donc, partant de là, moi ce que je peux dire c'est que je suis là pour témoigner. On est une génération particulière, on voit devant nous le monde disparaitre, se dissoudre. Et mon rôle à moi et de mon art, c'est peut-être de témoigner, de dire tiens, j'ai rencontré telle fleur, j'ai rencontré tel rituel (enfin par des images), j'ai fait telle expérience, j'ai rencontré tel personnage… C'est pour cela que je fais beaucoup d'interviews ; parce que c'est une rencontre, la vie c'est une rencontre  et l'art c'est une rencontre aussi ! Et donc à un moment donné j'ai rencontré le travail de Barnett Newman, j'ai rencontré le travail de Pollock… 

Maintenant je rencontre plutôt la dimension spirituelle des cultures indiennes (d'Inde), je lis beaucoup de romans hindous. J'aime beaucoup la pensée hindoue ! J'aime tout ça ! Et ça se réintègre dans mon travail, c'est témoigner de toute cette diversité du monde qui est endiguée maintenant, qui est abolie : par la pensée unique, par la carte de crédit, pour le monde marchand. Ça, ça me fait très, très peur, parce que les gens aujourd'hui sont tellement formatés, conditionnés, que je n'ai même plus envie de rencontrer personne, ça m'isole et donc forcément dans cet isolement, je retrouve une ouverture au travers de mon art !

TS : Alors justement, l'histoire de l'art montre avec le recul bien entendu, que les artistes et en particulier les artistes les plus importants ont senti les évolutions du monde qu'elles soient positives ou négatives, bien avant les autres et bien avant même qu'elles n'arrivent. Quand on regarde, je prendrai le cas de Guernica, Michel Leiris, quand il voit Guernica, il dit : "Picasso nous envoie notre lettre de deuil : tout ce que nous aimons va mourir." Et ses mots qu'il écrit en 1937, vont se traduire par la seconde guerre mondiale et par toutes les conséquences qu'on connaît, vers quel monde selon toi nous dirigeons-nous ?

JPS : Oui, et bien la seconde guerre mondiale a été terrible bien évidement,  sauf qu'on "s'en est remis", entre guillemets. Par exemple les artistes allemands ont fait un travail formidable de régénération du monde, des artistes comme Richter, Bazelitz ou Kieffer, ont fait un travail important. On parle des artistes là !

TS : Oui !

JPS : Et Guernica, bien sûr nous a indiqué que le monde moderne était fini (la barbarie était là !). Sauf qu'il s'est régénéré ! Alors que, maintenant il ne pourra plus se régénérer quatre-vingts ans après, c'est fini ! Les espèces disparaissent, la nature disparait… Donc notre génération est littéralement confrontée à ce problème énorme de la "disparition du monde", entre guillemets. Et alors qu'adviendra-t-il dans cent ans ? Je ne veux pas être apocalyptique, mais malgré tout, ça fait quand même peur d'être un être humain aujourd'hui ! Ce matin ils ont dit à la radio qu'on avait déjà dépassé le quota de ce que la Terre pouvait produire, on vit toujours à crédit, ce n'est plus possible ! 

TS : Est-ce que cette vision du futur un peu sombre finalement, est-ce que cette vision a une influence sur ta création, est-ce que tu le traduis dans tes œuvres maintenant ?

JPS : Pas tellement, je ne veux pas travailler dans l'angoisse, j'ai appris fortement la leçon de Giono, qui avait connu les deux guerres mondiales et où dans presque tous ses livres, il y a ce sentiment de joie d'être au monde et d'espoir ! Et aussi de communion entre les êtres ! Et moi, je veux garder cette notion d'espoir et de communion entre les êtres ou entre les couleurs, entre les formes… Je veux vraiment être un esprit "dionysiaque", je veux refertiliser le monde !

TS : C'est une belle expression : fertiliser le monde ! Oui !

JPS : Oui !

TS : C'est aussi le rôle de tes œuvres d'art sans aucun doute. Il y a une citation de Barnett Newman que je trouve intéressante, il dit : "qu'il faut repartir à l'origine de l'art, comme si la peinture n'avait jamais existé !" C'est très radical comme approche, mais est-ce qu'elle correspond à ta conception de la création ?

JPS : Tout à fait, j'ai compris ça chez les artistes américains, parce que pour eux, la peinture, c'était au début la peinture européenne et ils ont compris qu'il fallait qu'ils s'en détachent, qu'ils l'oublient. La plupart d'entre eux étaient des européens qui étaient venus justement émigrer après la première ou la deuxième guerre mondiale, qui étaient venu à New York rencontrer cette effervescence artistique et ils ont très vite compris qu'il fallait sortir de la peinture justement ! Là, Newman, ne parle pas tellement de l'origine préhistorique de l'art, il parle de détruire la peinture en tant qu'objet peint dans les musées. Il y aussi beaucoup d'artistes qui disaient qu'il fallait brûler les musées (qui sont étouffants) et (réf. Erased de Kooning Drawing, 1953, par Rauschenberg)… Bien sûr parce que le développement de la culture, ce sont des pensées qui s'accumulent successivement, se stratifient, c'est comme la philosophie ! Et donc, si tu pars d'un mec qui a une pensée fausse, comme Pascal ou Descartes ou Nietzsche ou qui sais-je ? Cette pensée et les défauts s'accumulent au fil du temps, donc, autant revenir à zéro, faire tabula rasa et dire ce qu'on a envie d'exprimer personnellement ! Bien sûr, on ne peut jamais revenir à zéro, mais être le plus proche du zéro absolu et boum ! Tu dis : Moi je suis ça, je pense ça, je veux faire ça et je vous emmerde ! Et bien sûr ça fait du bruit ! 

TS : Oui !

JPS : C'est comme Pollock, on voit bien qu'il est reparti à zéro, il disait : Je vous emmerde, je peins sur ma toile, je pisse dessus, j'éjacule dessus et je vous encule même ! Alors... Ah... Oui ! Il avait même pissé dans la cheminée de Peggy Guggenheim à un réveillon de Noël ! Elle l'avait invité et il avait pissé dans la cheminée ! C'est ça les artistes ! On vous emmerde ! On fait ce qu'on a envie de faire !

TS : Oui justement sur ce rôle des artistes et de l'art je vais reciter Picasso, parce que je trouve que c'est très intéressant, Picasso affirmait : "Non, la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements. C’est un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi." Et quand il affirmait ça, il ne faisait pas nécessairement référence à Guernica, il faisait référence à l'ensemble de son œuvre ! Que penses-tu de cette conception d'un art qui serait un instrument de guerre offensive et défensive ?

 JPS : C'est tout à fait exact, oui, oui ! C'est la vie qu'on défend ! Oui, oui ! Et je vais revenir sur une anecdote, j'avais fait une exposition au Plaza Hôtel à New York où j'avais emmené des grands papiers et une dame qui était très intéressée par une œuvre m'a dit : "Ah c'est bien, mais je ne pourrais pas mettre ça dans ma cuisine !" Je lui ai répondu : Mais, vous ne pourriez pas mettre un Picasso non plus dans votre cuisine ! Pour en revenir à ta citation qui est exacte ! Et le problème aujourd'hui c'est que les gens, les nouveaux riches, achètent de l'art pour mettre dans leurs cuisines ! Et l'art véritable, on ne peut pas le mettre dans sa cuisine, ce n'est pas sa place ! 

TS : Oui !

JPS : On ne peut pas mettre un carré blanc sur fond blanc dans sa cuisine ! Parce que c'est autre chose que de la décoration ! Ni bien sûr un Mondrian, à moins qu'on ait une affiche ou un poster de Mondrian, car on est allez voir une expo ! Mais sinon, on passe à côté de la dimension spirituelle ! On ne met pas non plus un Giotto dans sa cuisine, parce que, ce n'est pas l'endroit ! Et donc, le grand problème aujourd'hui c'est où se situe l'art, où est sa place ? Est-ce qu'il est dans les musées ? Dans les Centres d'Art  Contemporain ? Non certainement pas ! On va dans les FRAC (Fonds Régional d'Art Contemporain), on a envie de gerber, on a envie de se flinguer ! L'art n'est pas là ! 

TS : Oui !

JPS : Donc retrouver la place exacte de l'art pour moi, c'est un grave et vrai problème ! Et c'est peut-être sur Internet ? Peut-être que l'art à sa place là maintenant ? C'est peut-être un nouveau moyen de diffuser les idées, bien qu'on n'y vende absolument rien ! Mais, peut-être, c'est le seul moyen… Parce que les artistes ont toujours trouvé des solutions pour présenter et diffuser leur travail, donc peut-être que c'est là maintenant sur le net, je ne sais pas ?

TS : Mais justement quel regard portes-tu sur l'art contemporain aujourd'hui ?

JPS : Oui, il est assez… je dirai carrément méprisant, à part pour  quelques artistes comme James Turrel ( Shirin Neshat et les artistes allemands). Mais je ne connais pas assez (ou plus !) la scène de l'art contemporain, parce que je ne peux pas aller dans les grandes foires, mais des fois, je vais à la foire de Bâle et je suis complètement estomaqué du vide sidéral, abyssal, du manque de contenu, du manque de courage et d'honnêteté des œuvres et des artistes présentés.

TS : Justement, comme tu parles de Bâle, alors quel est cette fois-ci le regard que tu portes sur le marché de l'art actuellement ?

JPS : Oui et bien, pour moi le marché détruit plus d'artistes qu'il ne crée de dynamique et d'opportunités. Le marché détruit les choses en ce moment ! Pour moi, parce que je n'y suis pas dans le marché, j'aimerais bien y entrer parce que, peut-être qu'ainsi, ma vie matérielle serait plus facile, ou non, on ne sait pas ? Tu sais, il y a sans doute des artistes qui tournent bien et peut-être que leur vie n'est pas plus facile pour autant ?

TS: Quand on voit les niveaux de prix qui sont pratiqués dans les ventes publiques par exemple, on a un peu l'impression que cet art est devenu hautement spéculatif, quel est ton avis sur cette question ?

JPS : Oui c'est une réalité ! Oui les gens achètent pour spéculer, oui !

TS : On voit même des banques ou des organismes financiers qui achètent un Picasso ou une œuvre d'art contemporain pour les enfermer dans un coffre de banque, plus ou moins !

JPS : Bien sûr, oui !

TS : Et à des prix phénoménaux !

JPS : Mais c'est le meilleur investissement que l'on puisse faire l'art ! Puisque qu'en quelques années tu peux décupler ton investissement !

TS : Oui !

JPS : Donc tant mieux si ça procure de l'argent à certains. Ça fait tourner les grosses galeries, les artistes vivants ont des assistants, il y a tout un business autour. Ils publient des livres, des catalogues, tant mieux pour eux ! Mais a contrario, il y a beaucoup d'artistes aujourd'hui qui meurent de faim, c'est ça le côté sombre de cette histoire !

TS : Oui ! Dans ton imaginaire, si tu devais réunir quelques œuvres d'art toutes époques, tous artistes confondus, pour te créer alors, non pas un musée imaginaire parce que la définition de Malraux est beaucoup plus complexe que le sens de ma question, mais un petit musée idéal chez toi, quelles seraient les œuvres que tu choisirais ?

JPS : Oui, sans doute un Shunga japonais érotique et au hasard comme cela : une fresque murale égyptienne, un  vase maya, je trouve qu'ils sont magnifiques, les couleurs sont magnifiques ! 

TS : Oui !

JPS : Une statue Aztèque, ah oui, ça a une grande énergie ! Un Vermeer, un Giotto, un Rembrandt : l'homme à l'escalier (Philosophe en méditation) qui est au Louvre, j'aime beaucoup ce tableau ; sans doute un papier découpé de Matisse.

TS : Oui !

JPS : Et puis je ne sais pas, les masques chamaniques de la Côte Ouest des États-Unis, oui ! Tous les masques  chamaniques… Ah oui, je suis subjugué par la beauté et par la grandeur de ses œuvres… D'ailleurs André Breton les collectionnait. Ce sont des masques d'une intelligence incroyable, oui ! Et puis quelques dessins d'Artaud, les bleus d'Yves Klein, enfin bon c'est énorme ce que j'aime (j'ai oublié Frida Kahlo)… Et puis bien sûr les dessins des grottes préhistoriques !

TS : Oui, les dessins préhistoriques des grottes !  

JPS : Par exemple, les dessins de la grotte du Pech Merle avec ses tracés digitaux au plafond, il faut penser que cette œuvre a été faite collectivement, c'est à dire que les dessins ont été faits au fil des millénaires, au cours de plusieurs années générations et cette œuvre collective m'impressionne énormément, car j'aime beaucoup ce qui dépasse l'individu pour entrer dans la collectivité. C'est ce qu'on peut ressentir dans mon travail : j'aime mettre ensemble des œuvres faites par différents artistes et à différentes époques.

TS : Alors en fait, contrairement à beaucoup d'artistes, tu écris sur ton art et ces textes démontrent que tu as une démarche qui est intellectuellement très élaborée, en quoi considères-tu nécessaire ce travail d'écriture ?

JPS : C'est-à-dire qu'il est nécessaire parfois, parce que parfois, c'est une réalité, je n'ai pas d'argent pour travailler. Comme par exemple pendant deux ans, c'était en 2014 et 2015 et je n'avais plus d'argent pour produire, donc j'ai écrit ce texte Influences qui est important et je me suis mis à écrire parce que, encore une fois, c'est important de témoigner ! J'aime bien faire les deux, mais bien sûr le plaisir est plus jouissif en travaillant la couleur quoi ! J'aime bien les matières de l'encre et de la peinture, j'aime aussi toucher le papier ! Mais j'ai grand plaisir à écrire également et aussi d'ajouter des images dans mes textes et puis bien sûr, on peut parler un peu de la philosophie, des démarches différentes, comment les hommes à une certaine époque pensaient ! Par exemple, la pensée bouddhiste, tu peux difficilement la mettre en œuvre par l'image, à part John Cage, qui faisait des œuvres sur des grands papiers qui faisaient cinq à six mètres de long, il prenait de l'encre et il peignait avec son grand balai comme, ça signifiait le passage de la vie et à la fin l'homme disparaît, la présence disparaît dans le vide et ce sont de très belles œuvres ! Mais la pensée bouddhiste, à part pour les Japonais qui sont imprégnés par cette pensée, pour moi c'est très difficile de mettre ça en œuvre plastiquement, voilà !

TS : Oui, il y a une réelle cohérence, je trouve, entre tes textes et tes travaux plastiques et surtout ce qui d'une certaine manière surprend dans tes textes c'est qu'ils sont parfaitement lisibles. Alors ça peut paraître paradoxal, mais on voit tout de même que souvent les artistes et alors encore plus les philosophes, les critiques et les historiens lorsqu'ils parlent de l'art des autres, ont un langage pratiquement ésotérique, pratiquement abscons qui d'ailleurs, rebute le grand public qui voudrait les aborder. Alors pourquoi as-tu choisis d'échapper à cet hermétisme ou à cette tentation de l'hermétisme dans tes textes, en mettant l'ensemble de tes textes à la portée du lecteur ?

JPS : Je n'essaye d'échapper à rien ni a aucune pensée, ce n'est pas ma personnalité ! 

TS : Oui !

JPS : Je suis vraiment quelqu'un de simple et du terrain. Il faut savoir quand même que j'ai élevé des chevaux pendant des années et que chaque jour j'allais entraîner mes chevaux et les nourrir ; chaque jour il fallait que je m'occupe des poulains etc. Je suis donc dans la réalité objective du quotidien et mon travail aussi, c'est pareil avec la sérigraphie mon corps est très présent dans le travail. Donc si tu es présent avec ton corps, tu ne peux pas aller dans la pensée intellectuelle en niant le corps. Et je pense que, dans mes écrits mon corps est également très présent, c'est peut-être la présence du corps qui est importante, oui, oui ! 

TS : Oui, et qui donc rend à l'écriture, une grande clarté !

JPS : Oui, je l'espère ! Je l'espère ! C'est très gentil ce que tu dis sur mes écrits et je l'apprécie particulièrement. Parce que ça me semble évident d'écrire intelligemment, je n'aimerais pas écrire pour des gens qui ne me comprendraient pas mais peut-être que c'est le cas, je ne sais pas, on ne sait pas, on ne sait jamais ?


PARTIE (5/5), LA BEAUTÉ & LES CITATIONS - Voir la vidéo

TS : Alors Jean-Pierre, il y a une question qui se pose aujourd'hui, on se la posait aussi dans le passé, mais je crois qu'aujourd'hui davantage encore, tant aux artistes qu'au public, c'est la question de la beauté ! C'est une question que tu as abordé, en particulier dans un de tes textes : De la beauté etc. et dans ce texte, tu convoques un certain nombre d'auteurs, d'écrivains, en particulier les écrivains du XIXe siècle d'ailleurs et notamment Huysmans. La question que je me posais c'est : quels sont pour toi, au sujet de la beauté, les textes fondateurs ?

JPS : Ah oui! C'est une grande question ! Je vais citer quelques exemples, c'est une phrase de moi, sur ce que je pense de la beauté : "La beauté est une nécessité de la vie : c'est la quintessence même de la vie !" C'est à dire qu'on a l'impression, que dans la nature, tout est beau, entre guillemets ! C'est à dire que c'est une fonctionnalité ! Pour survivre, il faut de la beauté ! C'est donc au-delà de la philosophie, c'est au-delà du débat esthétique, oui, c'est la condition sine qua non de l'existence. Mais je voulais en revenir aux amis écrivains du XIXe siècle, qui, plus pour moi que les peintres, ont pu ressentir où se situait cette beauté. Parce que Huysmans en parle très bien mais j'ai devant moi, un extrait de la Tentation de Saint Antoine de Flaubert et donc ce moine St Antoine reste dans sa grotte et tout le monde vient vers lui et lui explique : "Tiens regarde la beauté de la vie !" Même la Reine de Saba vient et lui dit : "Oh… Enjoy the life et baises-moi !" Comme on dirait ! Mais lui refuse, il veut rester dans sa dimension ascétique, entre guillemets, spirituel, monothéiste, où l'accès à Dieu demande l'abnégation du monde ! Et Flaubert montre que c'est l'inverse : c'est l'acceptation du monde qui donne accès à Dieu ! Donc j'ai pensé à ça : Il ne faut pas rater sa vie par mégarde ou méprise intellectuelle ou spirituelle. Et je pense qu'aujourd'hui, beaucoup de gens passent à côté de leur vies, peut-être que je citerai quelques extraits de Saint-Antoine, par exemple de Manès, le barde :

"Il fait tourner son globe ; et réglant ses paroles sur une lyre d'où s'échappent des sons cristallins : Les âmes sorties de ce monde émigrent vers les astres, qui sont des êtres animés."

C'est-à-dire que la beauté, c'est une pensée cosmique ; c'est une pensée connectée, c'est ça qu'il faut bien comprendre. La beauté, ce n'est pas en dehors, c'est en dedans. C'est en dedans du corps, quand on voit comme le corps fonctionne, tout est beau quelque part !

TS : Oui !

JPS : Tout est beau quelque part, les yeux, les oreilles, c'est incroyablement beau ! Et toute la fonctionnalité de tout ça, comment ça se met en œuvre… Bon, après on peut penser que ça a été créé par une divinité, ou pas ! Mais ça existe et c'est un hommage au vivant ! Je vais citer un passage de Krishnamurti que j'aime beaucoup et j'adore regarder ses conférences, c'est un peu un sage et il parle de la beauté en disant cela :

"Quand nous voyons une montagne merveilleuse, couronnée de neige sur un ciel bleu et les vallées profondes qui sont dans l'ombre, leur grande splendeur et leur grande majesté nous absorbent complètement ; pendant un moment, nous sommes complètement silencieux car leur majesté nous envahit, nous nous oublions. La beauté est là où vous n'êtes pas. L'essence de la beauté, c'est l'absence de "moi". L'essence de la méditation, c'est d'explorer le renoncement au moi." La Flamme de l’attention, Jiddu Krishnamurti

Donc, c'est s'oublier quelque part, entrer dans un monde merveilleux, c'est comme Alice au pays des merveilles, tout ça, c'est entrer dans un monde merveilleux ! C'est un peu ça, c'est le lâcher prise, pour être joyeux d'être en vie ! Être vivant : c'est une joie !

TS : Et tu faisais allusion à la beauté qu'on trouve dans la nature, et c'est vrai que ça, ça te rapproche de Gustave Courbet qui est, comme tu le sais, un artiste qui m'est cher et puis nous sommes ici tout de même en Franche-Comté ! 

JPS : Voilà !

TS : Et Courbet définissait la beauté, par opposition à la beauté de l'art académique qui est une beauté tout à fait artificielle, retouchée…

JPS : Oui !

TS : Lui, disait que la beauté était dans la nature ! Et je trouve que ça s'applique assez bien à l'approche que tu as et même au texte que tu viens de citer, parce que effectivement, la beauté c'est là où l'on n'est pas ! Mais il fait quand même référence en introduisant ce concept à une montagne enneigée, là, nous sommes en plein dans la nature !  

JPS : Oui, on est absent quelque part, mais on fusionne avec la nature, oui, c'est paradoxal. Et Courbet quand il peint ces femmes, ce sont des vraies femmes, il faut avoir un rapport à la réalité.

TS : Oui !

JPS : C'est comme les artistes qui peignent leurs fleurs, ils pensent que c'est beau, mais c'est loin d'être aussi beau qu'une fleur ! 

TS : Oui, bien sûr !

JPS : C'est en ce sens là que j'ai un peu cette prétention d'accéder à l'énergie du monde. C'est prétentieux, mais bon, Pollock avait cette prétention aussi, d'entrer dans l'énergie du cosmos ! Donc c'est ça, peut-être que je le fais ou pas, mais c'est ma démarche à moi d'accéder à cette âme du monde, entre guillemets !

TS : Oui, la beauté comme résultante de l'âme du monde ! Je crois que c'est un bon propos de conclusion !

JPS : Oui, oui, mais j'aimerais aussi citer un livre hindou, que je suis en train de lire et je voulais en finir là-dessus.

TS : Oui, je veux bien !

JPS : Je lis beaucoup d'auteurs hindous et ce livre s'appelle : Celle qui portait des crânes en boucles d'oreilles, de Bankim Chandara Chattterji, et c'est deux jeunes héros qui se rencontrent ; le héros est sauvé d'une situation dramatique où un adepte du tantra voulais le sacrifier à la déesse Kali, pour régénérer le monde, entre guillemets, il dit :

"Cela aussi, se dit-il, c'était écrit ! Il avait oublié ce que savent tous les Bengalis : l’art de se laisser guider par les circonstances." Donc, trouver la beauté, c'est aussi se laisser guider par les circonstances et ne pas être influencé par les dogmes ! C'est ça aussi, c'est de pouvoir être libre de son choix. C'est ce que j'ai trouvé à New York ! Et puis après, le prêtre offre des fleurs à la déesse Kali : "Il récita sur elle (sur la statue) une formule sacrée avant de la déposer aux pieds de la Déesse (cette fleur). Puis il resta un moment en contemplation. - Tu vois, dit-il enfin, la Déesse a accepté l'offrande. La feuille est restée en place, elle n’est pas tombée. L’intention que j’avais exprimée en faisant cette offrande est donc reçue avec bienveillance. Pars sans souci en compagnie de ce voyageur."

Et pour moi, mon art, c'est un peu comme une offrande au monde, comme ça !

TS : Oui !

JPS : C'est quelque chose que je dépose au pied d'une déesse, imaginaire ou réelle, pour passer un bon chemin, une bonne vie, c'est un peu un acte incantatoire quelque part !

TS : Oui, voilà, on rejoint la spiritualité !

JPS : Voilà, oui, oui ! Écoute merci beaucoup Thierry d'être venu, merci pour ce bel entretien, j'espère que les gens l'apprécieront et bonne chance à tous et à bientôt Thierry !

TS : Merci Jean-Pierre, merci de m'avoir reçu chez toi dans ton atelier !

JPS : Je t'en prie, au revoir !

TS : Au revoir Jean-Pierre !


Entretien entre l'artiste Jean-Pierre Sergent et le galeriste Xiwen Yang à propos de l'exposition "Eros Regenerating Life" (éros ou la régénération du vivant) au musée Ailleurs Arts Museum de Shenyang, Chine | Atelier de Besançon le 18 juin 2019  - Voir la vidéo - Télécharger le PDF


Xiwen Yang : Bonjour Jean-Pierre !

Jean-Pierre Sergent : Bonjour Xiwen !

XW : Je suis très content de te revoir chaque été ! Et comme on a commencé a collaborer ensemble depuis trois ans, j'espère que ce que je fais pour promouvoir ton travail te convient ? Qu'est-ce que tu en penses ?

JPS : Bien sûr, cela me fait tout d'abord très plaisir de vous voir ! On se revoit chaque année avec grand plaisir ! Et c'est aussi un grand honneur et un grand privilège de pouvoir montrer mon travail en Chine ! Bien sûr ! Et tu fais un excellent travail là-bas, car tu y fais connaitre mon travail non seulement au public chinois, mais également aux artistes chinois qui viennent aussi chaque été dans mon atelier ! Donc c'est une belle rencontre, c'est un bel échange culturel vraiment ! 

XW : Donc cette fois-ci, le mois prochain, le 13 juillet, on va faire une grande exposition solo de ton travail au musée Ailleurs Art Museum à Shenyang où on va présenter une trentaine d'œuvres de toi : les grands papiers, les moyens formats et des petits formats également. Actuellement mon équipe de commissaires d'expositions est en train de préparer tout cela et on a choisi ensemble de te poser ces sept questions pour toi : 

JPS : Oui, bien sûr !

XW : C'est ma mission, Je suis donc venu pour te poser ces questions. On a beaucoup parlé de ton travail avec toute l'équipe et ils sont tous interpellé par les nombreuses images de la nature présentes dans ton travail ! il y a également des éléments sur d'anciennes civilisations humaines ?

JPS : Oui, oui !

XW : Et ils sont très curieux de savoir la relation que tu fais entre ces deux éléments ?

JPS : La relation entre la nature et la culture ?

XW : Oui !

JPS : Pour parler de ça, il faut que je dise que j'ai longtemps vécu à New York ! Donc j'ai été confronté à des "milliers de civilisations", autant dans les musées que dans ma vie personnelle. J'ai rencontré tellement de gens venants d'univers différents… et je pense qu'une seule culture ne peut pas tout nous apporter. C'est pour cela que j'aime parler des anciennes cultures parce que souvent la pensée est restrictive par rapport à la spiritualité. On sait qu'il y a beaucoup de cultures qui s'intéressent à la spiritualité ; mais chacune est unique et a ses limites, tout est relatif, comme on dit ! En travaillant avec d'autres civilisations ayant des manières de penser différentes, je peux ainsi ouvrir mon esprit (ma manière de pensée) et pour un artiste, c'est essentiel d'être ouvert sur le monde ! Par ailleurs, je veux évoquer aussi le problème de toutes ces civilisations traditionnelles qui disparaissent. Quotidiennement, il y a des milliers de langues ou de dialectes qui disparaissent chaque année et des milliers d'images qui disparaissent également, puisque les rituels ne sont plus pratiqués. Beaucoup d'images utilisées dans mon travail étaient des images de rituels, pratiqués pour régénérer la vie et la nature. Justement, on en revient à la nature, on en reparle ! Et quand on voit ce qui se passe dans la nature, avec cette catastrophe écologique, ça pose vraiment de grandes questions. Et je veux dire mon amour pour les papillons, pour les arbres, pour les feuilles… pour le soleil et ça me fait peur que tout ça disparaisse devant nos yeux !

XW : D'accord ! Tu réponds en même temps à ma deuxième question, on a beaucoup parlé également de tes différentes expériences, de tes différentes démarches. D'abord quand tu étais plus jeune, puis à Montréal et à New York. Tu t'es beaucoup intéressé à la culture maya et les autres cultures amérindiennes ? Et puis l'Amérique du Sud ?

JPS : Oui, oui ! Il se trouve que grâce à mon épouse Olga, qui est d'origine Colombienne, on a souvent voyagé au Mexique et également au Guatemala, et bien sûr, c'est une émotion de se retrouver devant cette multitude colorée des costumes… Et de fait, dans tous les pays tropicaux ils ont ce sens vivace de la couleur ! Donc ça a apporté beaucoup à mon travail en le régénérant ! Parce qu'en France, je me rappelle que quand j'étais à l'école des Beaux-Arts, les seules harmonies colorées que j'aimais c'était : marron, blanc et noir ! Et donc j'ai dû apprendre à aimer la couleur (ce n'est pas acquis), justement en voyageant au Mexique et aussi devant les œuvres qui sont dans le Musée d'anthropologie de Mexico, devant ces œuvres Aztèques, ou Mayas, ou Olmèques ou Toltèques, qui ont une puissance qui est assez rare et que je n'ai jamais vu ailleurs ! Ce que je cherche, c'est l'énergie vitale en quelque sorte ! Où trouver l'énergie vitale ? Je ne la sens plus dans la peinture européenne et personnellement je vais vraiment la chercher quelque part et cette énergie doit correspondre à mon énergie propre ! Et aussi à ma sexualité, parce que bon c'est sûr que c'est important : Énergie = Sexualité = Vie ! Voilà !

XW : OK, donc ça vient plutôt de ce moment là, tous ces questionnements ?

JPS : Ce sont des espèces de révélations qui s'accumulent ! Oui, au fil de mon parcours de vie quoi ! 

XW : D'accord ! 

JPS : Aussi comme j'en parle souvent, j'ai eu la chance de faire des expériences de transes chamaniques, donc forcément dans ces transes il y a une énergie que l'on ne connait pas ailleurs ! 

XW : Je ne sais pas si tu connais aussi la culture un peu chamanique originaire de ma ville, c'est très fort aussi ! 

JPS : Bien sûr je sais qu'il y en a en Corée, en Chine et au Tibet aussi bien sûr ! Tout à fait !

XW :  Parce que je connais un musicien qui s'inspire de ça, c'est très fort ! 

JPS : C'est très important mais malheureusement, ces cultures disparaissent, puisqu'on détruit les temples ! On tue les moines ! On détruit tout ! Il faut vraiment des architectures, il faut des lieux, il faut des lieux sacrés… Et surtout la nature intacte ! Et comme on détruit tout ; plus rien n'a d'importance aujourd'hui, c'est difficile de continuer avec ces pratiques mais également de nourrir l'inconscient collectif ! Parce que je pense que notre inconscient collectif s'appauvrit de jours en jours quelque part ! 

XW : Donc ça a créé un lien très fort avec ton travail ? Ça c'est accumulé comme ça ?

JPS : Ça c'est accumulé, oui, oui ! Mais j'ai toujours été fasciné par les œuvres réalisées par les chamanes, mais tant que l'on n'a pas fait l'expérience de la transe, on ne peut pas savoir ce dont ils parlent ! 

XW :  Est-ce que tu lis aussi beaucoup ? 

JPS : Oui bien sûr ! 

XW : Parce que tu voyages beaucoup moins qu'avant ?

JPS : Voilà ! Oui, oui c'est vrai ! Mais c'est la vie ! Tu sais Homère dit dans l'Odyssée que les Dieux ont décidé de ne pas tout accorder aux hommes en même temps : la santé, la richesse, la gloire et l'amour ! C'est à dire qu'il y a des périodes de la vie où on peut voyager, d'autres moins ! Ce qui est important, c'est de rester curieux et d'être heureux avec ce que l'on fait ! C'est très important ! 

XW :  Il y a aussi une question principale, on aimerait savoir comment tu voudrais parler de ton travail, comment tu aimerais en parler ? Quel message tu aimerais faire passer aux gens qui te regardent ? Ou qui suivent ta démarche sur Facebook ou sur ton site internet ? Qu'est-ce que tu aimerais exprimer principalement parmi tous tes travaux ? 

JPS : Oui, c'est l'énergie vitale ! C'est vraiment témoigner de la beauté de la vie ! C'est assez incroyable ! Oui, je suis vraiment fasciné par la vie, par la beauté ! C'est vraiment le plus important ! Il y a la couleur aussi ! Il y a dans mon travail beaucoup de couleurs très vives ! 

 XW : C'est ça ! Ok ! L'autre question, c'est curieux (on en a beaucoup discuté) car il y a beaucoup d'influences provenant de la culture japonaise dans ton travail ? Surtout au sujet de l'érotisme ? 

JPS : Oui !

XW : Je sais que quand on s'est rencontré la première fois, tu m'en avais parlé lors de ton exposition à la Biennale de Besançon. Et donc après, moi aussi de mon côté je me suis rendu compte que c'était assez difficile pour le public de comprendre un tel travail ! Ton travail pose beaucoup de questions ?

JPS : Bien sûr ! 

XW : Il y a beaucoup de discutions à son sujet, qu'en penses-tu !Malgré ce problème, tu continues ce travail là sur l'érotisme et chaque année, je vois l'évolution de ton nouveau travail !

JPS : Oui, et bien, je continue à travailler au sujet de l'érotisme parce que, ce n'est pas que je sois provocateur mais malgré tout, autour de moi, je sens bien que les gens sont complètement fermés à ce sujet là (je perds même des amies !) Or, la sexualité, c'est une libération ! Et de toute manière l'art véritable doit être transgressif quelque part ! Moi, je ne ressens pas cette transgression, parce que j'aime faire ce travail là, et c'est en cela que c'est important ! C'est vrai que parfois ça pose question ! Mais c'est surtout par rapport à la vente, c'est assez compliqué à vendre ce genre de travail ! Mais peu importe je continue là-dessus car c'est vraiment le sujet qui me passionne ! Parce que c'est non seulement la sexualité dont je parle, mais c'est aussi de l'extase mystique et c'est de la transe extatique si tu veux ! C'est comme une transe chamanique bien sûr la sexualité ! Ça arrive quelque fois, c'est la Kundalini ! C'est la Shakti ! l'énergie féminine… tout ça ! Quand on va en Inde on le voit dans les temples, il y a des postures érotiques avec des dieux qui copulent comme ça ! C'est vraiment honorer la vie ! Parce que je souffre beaucoup en Occident que la vie soit à ce point réprimée au travers des religions. Et toutes les religions monothéistes ont violemment réprimé la sexualité, c'est assez étrange ! C'est assez étrange ! Moi je veux vraiment être au-delà de ces problèmes de religion et de morale. Je pense être dans quelque chose d'universel ! Une énergie universelle !

XW : Oui !

JPS : L'énergie ne se pose pas de questions ! Elle est !

XW : Oui, mais le manga japonais, c'est assez nouveau ? Ce n'est pas comme si tu étais inspiré par Van Gogh par exemple ?

JPS : Oui, oui !

XW : L'ancienne culture japonaise ?

JPS : Oui, oui, mais malheureusement, je ne suis jamais allé au Japon. J'ai eu plusieurs amies japonaises et bien sûr, je connais un peu cette culture. J'aime beaucoup le bouddhisme Zen qui est présent en Chine également. Je lis beaucoup de livres sur le bouddhisme, parce que ça m'intéresse : Il y a des tas de formes de vides ! Des tas de formes de consciences, qu'on n'a pas en Occident. Donc ça ça m'apporte beaucoup ! Mais par rapport aux mangas, j'utilise surtout les textes obscènes issus de ces  mangas !  Mais sinon les images que je récupère proviennent de la pornographie populaire ! Parfois je travaille sur le bondage ! Ça pose question, mais moi, quand j'en parle, je dis que c'est le lien qui délie ! C'est-à-dire qu'il faut que l'homme ou la femme soient en extase devant l'univers ! 

XW : Mais quand tu parles ou que tu écris à propos de ce travail sur le manga, veux-tu également y exprimer de la beauté ?

JPS : Oui voilà, bien sûr ! C'est la beauté, parce qu'il n'y a rien de plus beau que le visage de quelqu'un qui est en extase (en orgasme) ! D'ailleurs en Occident, c'est le Christ qui est en extase dans la mort. Il y a la Vierge Marie qui est parfois en extase en allaitant Jésus, mais elle n'est jamais en extase en créant Jésus (sexuellement), puisqu'il n'a pas été créé quelque part ! C'est un concept différent, ça pose un problème malgré tout ! Je me rappelle toujours, j'ai vu un reportage à la télévision, justement sur les animaux sauvages au Japon et les saumons remontaient la rivière et à la fin, tu sais, les mâles jettent leur sperme dans la rivière et à cet instant précis, ils ont cette figure d'extase ! Quand ils rentrent dans l'univers et qu'ils meurent si tu veux ! C'est un peu l'extase avant la mort ! Voilà, donc même les animaux ont cette figure extatique en copulant ! C'est quelque chose qui nous dépasse, on rentre vraiment dans la continuité de l'espèce, la continuité de l'univers, on régénère le monde quelque part ! Dans l'extase ! 

XW : D'accord, OK ! Mon avant-dernière question : est-ce que tu avais pensé ou réfléchi sur la culture chinoise ? Pour éventuellement par la suite, ajouter ces éléments dans ton travail ?

JPS : Oui bien sûr ! Mais malheureusement je n'ai pas voyagé encore là-bas ! J'ai vu des très belles expositions d'art chinois au MET et au Guggenheim ! Et je me rappelle d'un charriot qui amène l'âme du mort dans l'autre monde ; ça c'est une idée que j'ai envie de développer ! Il y a le cercle (magico-cosmique)Bi qui est aussi très intéressant ! L'éternité !

XW : C'est compliqué !

JPS : Oui, c'est compliqué ! Je n'ai pas les codes pour travailler sur ce sujet pour l'instant. Par exemple je m'intéresse beaucoup au Yi King (au Tao) avec les barres symboliques horizontales comme ça (pleines et séquencées). Bon, après il faut que ça vienne à un moment donné de ma vie ! Avant de voyager en Mexique je ne connaissais pas du tout la culture maya donc c'est toujours des rencontres qu'il faut que je fasse, oui bien sûr !  

XW : Mais normalement les artistes chinois ont leur propre vision ? 

JPS : Oui ! Chacun est différent !

XW: Ce n'est pas pareil que ce que tu dis ? 

JPS : Oui, c'est vrai !

XW : De ce qui est original ?

JPS : Oui c'est vrai, mais on peut avoir des révélations (l'envie d'en parler !)… devant une architecture, devant un costume, devant un pattern ! Tu sais je travaille beaucoup les motifs aussi…

XW :  Bon, je continue, la dernière question ! On aimerait bien te poser cette question : quel sera pour toi le point le plus positif de cette nouvelle exposition ?

JPS : Oui, pour moi, ce n'est que du positif, puisque tu montres mon travail dans un musée en Chine que tu viens d'ouvrir ; donc c'est fabuleux pour moi, bien sûr ! Et en plus tu as déjà pris des œuvres sur papier, tu les as faites encadrées ! Donc pour moi, il n'y a que du positif dans cette expérience. Il faut que l'on travaille bien sur la communication pour que moi aussi je puisse communiquer à propos de cette exposition ici en France ! Pour que oui, que ça fasse un peu de Buzz quoi ! Que les gens s'y intéressent et en parlent ! Même si ils ne peuvent malheureusement pas aller voir l'exposition !

XW : Voilà, c'est ça, je voulais savoir aussi, comme tu ne peux pas venir, est-ce que tu peux imaginer la différence entre les publics, parce que tu fais beaucoup d'expositions personnelles en Europe, surtout récemment en Suisse et en France ? 

JPS : Voilà ! Oui ! Oui !

XW : Je pense que tu vas régulièrement sur Facebook voir mes images où on interagit beaucoup ? Comment tu imagines les lieux ?

JPS : Je vois qu'il y a beaucoup de monde, je vois que les lieux sont magnifiques donc ça ne peut qu'être bénéfique pour nous deux ! Et on verra après, peut-être qu'un jour je pourrai aller en Chine ? On verra, c'est dans les plans aussi bien sûr, volontiers ! Et aussi de rencontrer un public un peu différent et curieux et enthousiaste ! Parce que je le dis souvent, le public français est un peu blasé par rapport à l'art ! On l'a vu lors de notre dernière exposition l'an dernier à Arbois, on n'a pas eu beaucoup de monde ! Mais s'il y a des jeunes personnes chinoises qui s'intéressent à l'art, c'est bien aussi ! Le problème c'est que mon travail s'adresse aux personnes qui on plus de cinquante ans, parce que parler de la spiritualité et la  comprendre, ça demande d'avoir eu tout un parcours de vie déjà ! Et quand on est jeune on peut peut-être s'y intéresser ? Mais on ne l'a pas vécu ! Parce que le vécu du corps est important, pour pouvoir comprendre l'œuvre d'art ! Ça c'est ce qu'il faut comprendre aussi. C'est ce que je dis toujours : pour faire un artiste il faut vingt ans, plus vingt ans après ! Parce qu'il faut aller à l'école, puis oublier ce que l'on a appris à l'école. C'est un parcours de vie, à part quelques artistes comme Basquiat, qui ont été très, très précoces ! Mais la plupart des artistes le disent comme Mark Rothko, qui faisait du Picasso avant de faire ses peintures abstraites ! Et puis au bout de vingt ou trente ans, on fait une œuvre originale ! C'est ce que disait Picasso : "On copie, on copie et puis un jour on rate une copie et on fait un original !" C'est ça, il faut vraiment trouver sa propre voix, non seulement pour l'artiste, mais aussi pour le spectateur aussi ! C'est un cheminement parallèle ! Et malgré toute la culture que l'on a, on peut prendre beaucoup de cours d'art et d'histoire de l'art ! Mais tant que l'on n'a pas eu une révélation physique, parce que l'art et la peinture c'est ça : c'est une révélation physique ! Il faut vraiment la ressentir dans son corps : whaou ! Il y a quelque chose qui nous bouleverse, qui nous transperce et qui nous emmène dans un ailleurs ! Donc voilà, il ne faut pas désespérer. Dans mon travail, il y a aussi beaucoup de portes d'entrées ! Donc on peut aimer la couleur, on peut aimer la forme, voilà !

XW : Tu sais qu'en ce moment à Shenyang en Chine, il y a deux expositions de Picasso !  

JPS : Ah oui ! 

XW : En ce moment ! 

JPS : Ah bien oui, c'est génial ! 

XW : Donc ça progresse aussi en Chine ! Comme on a fait ta première exposition il y a trois ans, à Shanghai…

JPS : Oui, oui !

XW : Tu te souviens ? C'était une petite exposition solo avec des petits formats sur papier et pour cette nouvelle exposition de cet été, ce sera un grand pas en avant ! 

JPS : Oui, j'imagine ! Et ce sera dans plusieurs salles ?

XW : Oui, dans six salles !

JPS : Ah oui, fantastique !

XW : Il y aura beaucoup de personnes importantes de la Ville et puis des fans qui suivent toujours nos expositions ! Et l'exposition durera deux mois ! 

JPS : Ah bien !

XW :  Donc ce sera une grande expo et pendant les vacances d'été !

JPS : Ah magnifique !

XW :  Ça veut dire qu'il y aura beaucoup de passage !

JPS : Ah, je m'en réjouis vraiment, oui !

XW : C'est peut-être le bon moment de dire quelques mots au public de Shenyang où pour l'instant peu de gens te connaissent, mais grâce à cette exposition… ?

JPS : Oui !

XW :  Peut-être que beaucoup de gens te connaîtront ! On commence, c'est comme un début ! 

JPS : Ah oui !

XW : Est-ce que tu peux parler devant l'écran et dire quelque chose pour eux ?

JPS : Oui bien sûr : Welcome to the show ! Comme on dit à New York ! Bienvenue à l'exposition ! C'est un grand plaisir d'exposer grâce à mon ami Xiwen dans ce beau musée ! Et puis ne soyez pas effrayés par l'art ! Parce que forcément il nous questionne, comme on l'a dit précédemment. Ça pose question, mais il faut y aller avec du respect pour soi-même et pour l'artiste, parce que l'artiste n'est pas là pour vous mettre en défaut, pour vous ennuyer, il est là justement pour vous enrichir, pour parler de toutes ces énergies magnifiques qui sont présentes dans la vie ! Et je parle souvent de ça : il faut vraiment avoir l'esprit libre pour voir de l'art ! Et si vous passez votre temps sur votre smartphone, vous ne verrez jamais vraiment une œuvre d'art ! Il faut vraiment passer des fois une heure, ou deux heures ! C'est comme une révélation cosmique ! Ça prend du temps ! Et aussi c'est comme un rêve, il faut accepter d'être subjugué et emporté par l'œuvre, de se laisser aller, voilà ! Le lâcher prise comme on dit, c'est très important devant une œuvre d'art ! Et puis bon, ça me fera plaisir de vous rencontrer bientôt ! 

XW : Oui bien sûr, j'espère aussi prochainement, peut-être un jour pour la deuxième ou la troisième exposition !

JPS : Ah bien volontiers, oui !

XW : Et puis tu viendras en Chine partager avec nous ton travail !

JPS : Oui et on pourrait présenter aussi une grande installation murale de peintures sur Plexiglas ! 

XW : J'adorerais ça aussi ! Merci !

JPS : Merci à toi Xiwen, encore merci et soyez heureux les amis ! C'est important !

XW : Super ! Merci ! Bonne continuation et on va se revoir le mois prochain quand je reviendrai !


Entretien entre l'artiste Jean-Pierre Sergent et le médecin bioquanticien Jean-Louis Garillon | 2 parties | Atelier de Besançon le 30 juin 2019 - Télécharger le PDF


1/2 : CHEMINS DE VIE, CRÉATIONS & RENCONTRES - Voir la vidéo


JPS : Bonjour cher Jean-Louis, merci beaucoup d'être venu à l'atelier par cette chaleur ! C'est super sympa de vous voir avec Annie, que j'avais rencontrée à l'exposition à Remiremont, c'est là où on s'est rencontrés. Puis on s'est un peu lié d'amitié, je voulais faire cet entretien avec toi parce qu'on avait parlé ensemble de choses intéressantes. Donc voilà, je te laisse prendre la parole et me poser les questions que tu as envie de me poser. 

JLG : Merci à toi Jean-Pierre ! Vraiment c'est un plaisir de découvrir ton atelier après avoir découvert ta peinture et surtout, cet homme que tu es. J'ai été très touché par ta démarche mais aussi par l'homme. C'est important de lier l'art à l'humain et l'humain à l'art et c'est toute ta mission. C'est tout le sens de ta mission en y apportant, en plus, une dimension d'élévation ; ce que tu sais faire et qui n'est pas courant dans l'expression de l'art de nos jours ! Donc, je voudrais aborder trois choses : la première, bien sûr, c'est l'homme que tu es, parce que tu n'es pas sans interpeler quelque part, par ton originalité, ta singularité et ça c'est important, parce que ta démarche, ton chemin, sont porteurs d'une dimension qui n'est pas courante et qui mérite donc qu'on s'y arrête un peu si tu le veux bien !

JPS : Oui !

JLG : Deuxièmement, ce sera donc tout l'aspect de ta création et puis ce qui sous-tend ta création, c'est-à-dire ton cheminement intérieur et ça aussi, ça me paraît être quelque chose de fondamental à sentir, à vivre, à pulser avec toi ! Et c'est ce que je voudrais que tu nous expliques, que tu nous fasses partager. Alors, commençons par l'humain que tu es ? L'homme que tu es ? Quel est ton chemin d'homme disons, quel est ton chemin de vie ? Comment tu te perçois dans la vie surtout, dans cette vie d'aujourd'hui, puisque ton mode d'expression est à la fois un mode d'expression très contemporain et pourtant tu touches aux archétypes, donc à des choses disons qui sont à l'origine, à l'aube de l'humanité. Comment pourrais-tu te décrire ? Non pas te définir bien sûr, mais te décrire ? C'est intéressant pour moi ?

JPS : Oui, c'est beaucoup de questions, c'est surtout que je me sens dans la continuité et dans la droite lignée des artistes…

JPS :  Ça commence à la préhistoire et bien avant ! Des gens qui témoignent. Surtout aujourd'hui je le pense de plus en plus, je le pense de plus en plus fortement. C'est à dire que je pense que le rôle de l'artiste est vraiment de témoigner, de son époque et des époques révolues. Il faut reprendre, c'est un peu comme un laboureur travaillant la terre si tu veux, travailler l'art c'est une peu comme travailler la terre (c'est une matière vivante !) Aller au fond des choses et remettre à la surface des choses un peu enfouies, bien sûr, mais que je sens qui manquent chez beaucoup de gens que je rencontre quotidiennement.

JLG : Les racines, les racines !

JPS : Les racines ! Voilà !

JLG : Et donc ta création, parce que ce n'est pas qu'un témoignage, tu es un créatif et un créateur. Tu prolonges l'œuvre du créateur initial, originel des mondes et ta création donc s'enracine dans tout un patrimoine de l'humanité et toute une dimension d'évolution et d'élévation de l'homme, c'est ce que j'en perçois. Est-ce que tu peux en dire un peu plus sur ce chemin ?

JPS : Ce terme d'élévation est le mot absolument correct parce que les artistes qui m'intéressent, ce sont ce sont ceux qui ont élevé un peu la pensée humaine bien sûr. Parce que  tous les artistes ne le font pas, il y a des gens qui aiment travailler avec la misère humaine, bon, ce n'est pas un jugement de valeur !

JPG : Bien sûr ! Ok !

JPS : Et c'est en cela que j'ai eu cette révélation avec les artistes américains comme Barnett Newman ou Marc Rothko, car on sent qu'il y a, chez eux, cette grande dimension d'éveil spirituel, et d'augmenter la dimension de l'homme justement !

JLG : D'accord ! Donc, il s'agit d'une conscience ! Tu as développé, à travers ton chemin, une conscience particulière et cette conscience, tu cherches à l'exprimer à travers le graphisme, à travers les couleurs, à travers quoi précisément ?

JPS : Je crois que c'est juste tout simplement la joie d'être vivant ! Quand je mets une couleur :  j'aime cette couleur !

JLG : Voilà, tu es comme Alexis Zorba, le grec qui disait : "Quand je mange du riz pilaf, je suis riz pilaf." 

JPS : C'est ça oui, c'est aussi la pensée bouddhiste, oui ! On est ce qu'on mange !

JLG : Oui, absolument c'est la pensée universelle !

JPS : Oui !

JLG : C'est un domaine je dirais de l'ordre d'une conscience initiatique ! D'une conscience supérieure qui nous amène à donner du sens dans chaque instant de la vie et donc, dans ta peinture, elle fait sens par rapport à toi et ton chemin, mais elle doit faire sens et aussi résonner avec l'humain ! C'est ce que je perçois !

JPS : Oui, oui !

JLG : Donc, dans ton chemin justement, dont les USA ont présenté une grande part de ton évolution. C'est là que tu as été en contact avec d'autres civilisations, ou tu l'étais déjà préalablement ?

JPS : Quand j'étais en France, j'avais eu la chance de voyager en Égypte, donc j'ai déjà eu cette espèce de révélation cosmique.  

JLG : D'accord !

JPS : Que je n'avais pas eu jusqu'à présent. 

JLG : D'accord, c'est l'Égypte qui t'a ouvert les yeux ? Effectivement l'Égypte est certainement un des passages presque obligé de cheminement de l'homme, par rapport à sa verticalité, mais surtout à sa conscience cosmique.

JPS : Voilà, oui, oui, c'est ça exactement ! Le terme est exact, oui !

JLG : Donc voilà et j'ai retrouvé dans tes toiles, disons des bleus de Nout, tu sais ce symbole du ciel étoilé…

JPS : Oui !

JLG : Ce que j'aime aussi beaucoup dans ta peinture, c'est qu'aucune couleur ne te rebute, tu aimes toutes les couleurs !

JPS : C'est ça, oui !

JLG : Et tu les fait vivre pleinement, ça c'est intéressant ! Donc sinon après l'Égypte, donc ça c'était lorsque tu étais en France et après, disons que tu as voyagé vers d'autres horizons ?

JPS : Oui, bien sûr à New york… 

JLG : Alors, tu es passé par les USA, New York ?

JPS : Oui, aux États-Unis, alors, quand j'allais dans ces grands musées, comme le MET,  ou le musée d'histoires naturelles… Il y a aussi le musée de l'homme à Paris où j'ai déjà eu des révélations, mais par exemple, devant les totems Astmats qui étaient au musée de l'homme à Paris, je n'ai pas eu ce même effet qu'au MET ! Parce qu'au MET, ils étaient tous alignés, grandioses et j'ai vraiment eu cette espèce de révélation cosmique. J'ai ressenti cette force de l'art tribal, l'art primitif comme on l'appelle…

JLG : L'art primitif, mais qui n'a rien de primitif ! 

JPS : Qui n'a rien de primitif !

JLG : C'est nous qui sommes des primitifs par rapport à ce mode d'expression de l'art ! OK !

JPS : Et j'ai ressenti cette force là je ne connaissais pas et que je n'avais vu nulle part ailleurs avant ! Et donc, ça m'a ouvert une piste ! Comment ?

JLG : Ça t'a interpellé ?

JPS : Comment aller dans cette piste-là ? Et les Astmats étaient cannibales et je ne veux pas devenir cannibale pour faire de l'art ! Ce n'est pas mon truc !

JLG : Tu peux essayer, il n'y a pas de risques…! Tu serais plutôt végétarien que cannibale !

JPS : Oui, c'est vrai, je suis complètement végétarien ! Oui, mais ça pose question quand même !

JLG : Bien sûr ! Donc tu as été harponné ? Tu as été interpellé ?

JPS : Voilà, oui, oui !

JLG : Et donc, cette révélation a été immédiatement transposée dans ton mode d'expression, ou ça a mis un temps pour maturer ? Un temps pour...  

JPS : Au départ, j'utilisais des images fortes ! On peut dire que les images de transes et de possessions  chamaniques sont fortes, sans les comprendre vraiment ! 

JLG : D'accord !

JPS : Comme, par exemple, les masques de Yupick de la côte ouest que collectionnait André Breton. Ces masques qui se dédoublent ou se détriplent, où il y a trois personnages (3 animaux) l'un sur l'autre. Quand on voit ça, on dit : c'est intéressant, mais on ne comprend pas vraiment ce qu'il s'y passe ! 

JLG : Bien sûr !

JPS : Or, les métamorphoses dans les transes chamaniques, c'est exactement ça qui se passe, des  transformations. En ayant fait des transes, j'ai pu comprendre ces énergies transformatrices !

JLG : Tu as toi-même expérimenté la transe ?

JPS : Oui  !

JLG : C'est très intéressant parce que c'est une expérience humaine mais en même temps, pour l'artiste que tu es, c'est une ouverture à d'autres champs, à d'autres dimensions… Et disons, qui t'ont donné quel sentiment, quelle sensation dans un premier temps ? D'exister autrement ou de percevoir les choses et ta dimension intérieure autrement que précédemment ?

JPS : C'est comme une autre vie ! C'est comme découvrir une autre vie vraiment ! 

JLG : Un autre pan de la vie ?

JPS : Voilà un autre pan avec des couleurs plus fortes, plus vives et une translation géométrique, c'est à dire qu'on peut voyager…

JLG : Dans l'espace et dans le temps !

JPS : Dans l'espace et dans le temps !

JLG : Oui, ok !

JPS : Et ça, c'est cosmic quoi !

JLG : Oui !

JPS : Cette révélation cosmique que j'ai eu en Égypte, elle s'est révélée à nouveau dans les transes chamaniques. 

JLG : D'accord ! Je dirais même, c'est quantique !

JPS : Voilà, quantique !

JLG : C'est ce qu'on appelle le quantique aujourd'hui.

JPS : Voilà !

JLG : D'accord, oui disons traditionnellement loin de là, mais les traditions l'ont affirmé aussi : l'espace, le temps et la densité, donc la matière n'existent pas !

JPS : Voilà !

JLG : Donc, c'est vrai qu'à travers ton mode d'expression, on le perçoit très fortement !

JPS : Ah, ça me fait plaisir que tu dises ça ! parce que très, très peu de gens perçoivent cette dimension, justement universelle et cosmique de mon travail !

JLG : Si tu veux, c'est parce que tout simplement ils n'ont pas été éduqués à cela, tu peux le comprendre. Entrer et pénétrer dans ton œuvre ou ton mode d'expression n'est pas facile, puisque que, chez toi, tu as dépassé la toile et que tu lui as donné une lumière et une certaine transparence, à travers ton plexiglas, pour certaines œuvres comme celle qui est à côté de nous. C'est aussi que tu lui donnes un éclat, qui n'est pas ordinaire et qui valorise,  et qui enlumine l'œuvre proprement dite. Et il y a différentes choses aussi qui m'interpellent, c'est donc toute la dimension des symboles que tu utilises, le symbole est aussi un chemin de vie en soi, c'est la force, il y a une puissance du symbole ! Il y a un symbole qui interpelle énormément : c'est les symboles de l'ordre des transcendances exprimées dans l'humain et dans les énergies de vie qui sont dans la sexualité. Ça aussi, ça peut choquer certains, mais là aussi, il serait bon que tu puisses expliquer ce que ça représente cette dimension génésiaque de la sexualité chez toi. Disons dans ton mode d'expression. 

JPS : Oui, c'est génésiaque, mais c'est aussi le plaisir d'être en vie ! C'est tout simplement aussi ça ! 

JLG : Oui, d'accord, tout à fait !

JPS : Je ne suis pas tellement pour la surpopulation du monde, mais l'acte sexuel, ça procure beaucoup de plaisir et c'est aussi la rencontre !

JLG : La procréation passe par là !

JPS : Oui d'accord, mais c'est bien au-delà de ça ! C'est aussi la jouissance de l'homme d'être en vie !

JLG : Bien sûr, tout à fait !

JPS : D'ailleurs, je ne sais pas si tu sais, mais dans nos régions ici dans l'est, les anciens disaient que dans la vie il n'y a pas qu'une vie, il y a trois vies ! Et puis surtout, il y a trois morts : la première mort c'est la mort de tous les jours, quand on s'endort la tête sur l'oreiller, on meurt à soi-même, on ne sait plus qui on est, on ne sait plus où on est ! La deuxième mort disaient-ils, c'est la mort d'amour c'est-à-dire la petite mort qu'on appelle l'orgasme, la dimension orgasmique est aussi une mort. On perd complètement pied par rapport à qui on est et où on se trouve. Et la troisième mort disaient-ils encore, c'est celle dont on ne revient pas ! Et ils ajoutaient quelque chose d'extraordinaire, c'est que ces trois morts… Et ils faisaient ce signe des trois associés, procèdent de la même nature. Donc et justement là, on touche à la réalité de la vie et de la mort, c'est à dire du dépassement.

JPS : Oui, voilà !

JLG : Et puis, disons de cette autre dimension qui est après la vie terrestre, c'est-à-dire qu'on rentre dans une dimension, dans un espace cosmique, franchement cosmique. C'est une dissolution du corps pour arriver à une révélation de l'esprit et de l'âme éventuellement. Pour ceux qui perçoivent le sens de l'âme. Justement au niveau de l'âme, tes œuvres ont une âme ! Comment tu leurs donnes  vie ?

JPS : Ah oui ! Peut-être que j'ai ce sens inné, ou c'est peut-être quelque chose qui est acquit ? Peut-être ?

JLG : C'est dans ton baluchon ?

JPS : Oui, voilà !

JLG : D'accord c'est fort possible, tout à fait possible.

JPS : Peut-être ?

JLG : Bien, autrement, parle-moi un petit peu de tes pérégrinations dans le domaine des traditions. Donc, parce que tu es parti de ces totems qui t'ont interpellés et puis, tu as été touché par les mondes maya, aztèque et donc, quel est le lien entre chaque chose et comment ça t'as influencé ?

JPS : Le lien c'est l'humain ! C'est toujours l'humain qui se bat pour rester en vie pour agrémenter la vie aussi de beauté ! Je pense que la beauté c'est une volonté ! Peut-être qu'elle existe en elle-même ? Ça c'est une autre discussion philosophique ! 

JLG : Bien sûr, bien sûr !

JPS : Mais, je ne veux pas trop rentrer là-dedans ! Ces œuvres d'art me parlent parce qu'elles ont cette évidence. C'est comme les gens, qui avaient la foi, qui rencontraient Dieu. Pour eux, c'était une évidence.

JLG : D'accord !

JPS : c'est comme les primitifs italiens, on sent qu'ils avaient la foi ! Comme les constructeurs de cathédrales avaient la foi ! Ça se sent !

JLG : C'est un désir de l'absolu !

JPS : Voilà, oui !

JLG : C'est une transcendance, un désir de l'absolu, qui est en nous, qui vit en nous et qui cherche à s'exprimer ! 

JPS : Voilà, oui !

JLG : Et ça t'habite très fort ! 

JPS : Oui, ça m'habite ! Oui, parce que c'est acquérir une dimension de plus ! Comme on en a parlé tout à l'heure. Et je me sens à l'aise dans cette dimension.

JLG : Tout à fait ! Et cette dimension n'est pas facilement accessible au monde, au grand public. C'est sûr, parce que oui, comme on le disait au départ, nous n'y sommes pas vraiment préparés, ni intellectuellement, ni culturellement, ni spirituellement ! L'homme est quand même un petit peu déspiritualisé dans notre monde actuel et je parle bien de spiritualité, pas de religion, on est d'accord.

JPS : Bien sûr !

JLG : Et c'est vrai que je pense que l'homme "primitif" avait cette relation pure et dure au monde spirituel, il vivait dans cette dimension et sa matérialité, cette incarnation, n'était pas aussi matérielle que de nos jours, quoi !

JPS : Oui, c'est vrai !

JLG : Parle-moi donc de ces traditions mayas, aztèques et autres. Depuis les USA, tu as bougé, tu es allé sur place ? 

JPS : Je suis allé plusieurs fois au Mexique et au Guatemala oui, oui !

JLG : D'accord.

JPS : Et bien sûr, de voir ces œuvres et même au-delà des œuvres d'art, la vie quotidienne chez les mayas… C'est tellement plein de couleurs, d'épices, de nourritures différentes que c'est un épanouissement des sens. C'est comme dans les livres de Saint-John Perse, c'est ce sentiment d'exister au monde sensuellement et avec la diversité !

JLG : Plus pleinement !

JPS : Oui, plus pleinement, tout à fait ! Le terme est exact !  

JLG : Et donc, tu as pu faire un lien entre chaque mode d'expression, ou mode de culture si j'ose dire, où tu t'es empli de tout ça pour en faire ton propre mode d'expression ?

JPS : Oui, oui, c'est un peu ça, je m'en suis rempli !

JLG : Tu t'en es rempli !

JPS : Et tous les jours je me remplis encore !

JLG : Tu as maturé tout ça !

JPS : Voilà !

JLG : C'est ce que je perçois très fort chez toi !

JPS : Mais, je n'ai pas d'idée qu'une culture soit mieux qu'une autre !

JLG : Voilà bien sûr ! Il n'y a pas de discriminations !

JPS ; Non, Il n'y a pas de discriminations !

JLG : Ce n'est pas du tout dans ta dimension de discriminer !

JPS : Voilà, oui !

JLG : Tu acceptes l'humain dans tout ce qu'il peut t'apporter de beau, de bon et de bien, c'est clair !

JPS : Oui, c'est vrai !

JLG : Bon,  je voulais aussi aborder tes notions de graphisme, parce que tu as des œuvres qui sont comme ici, dans une espèce de rigueur symétrique mais avec une vie intérieure et une dimension sous-jacente et puis, tu as des dimensions beaucoup plus pétantes, plus contemporaines je dirai dans le mode  d'expression, donc tu n'es pas sélectif en quelque sorte, tu laisses aller ta fantaisie aussi ?

JPS : Oui, mais c'est à dire que je suis très éclectique, par exemple ce pattern que l'on voit devant nous, c'est un dessin que j'ai récupéré d'un coquillage et j'ai trouvé que c'était tellement beau ! Et pour moi, c'est un peu rendre hommage à l'artiste qui a fait ça…

JLG : oui.

JPS : Pour lui, ça avait une signification sociale. C'est ce que disent Lévy-Strauss et tous ces anthropologues qui ont étudié les significations de tous ces motifs…!

JLG : Anthropologues et sociologues !

JPS : Voilà, ce n’est pas de la décoration, ça signifiait quelque chose. Moi, je ne le sais plus, mais en retravaillant sur le dessin de l'artiste, je peux rentrer un peu à l'intérieur de son "âme". C'est ça qui m'enrichit aussi !   

JLG : Tout à fait !

JPS : C'est un peu du vol mais…

JLG : Non, ce n'est pas du vol, c'est une récupération où tu lui redonnes un deuxième souffle.

JPS : voilà exactement !

JLG : Je pense qu'il faut l'interpréter comme ça !

JPS : Oui, exactement !

JLG : Tu n'as rien pillé, tu n'es rien dégradé, tu n'as rien volé ! Tu t'es tout simplement imprégné tellement de lui, que tu peux l'exprimer de cette manière- là aujourd'hui !

JPS : Et quelque part, il (ou elle) revit un peu grâce à moi aujourd'hui, entre guillemets !

JLG : Complètement c'est une deuxième vie, une résurrection ! 

JPS : C'est l'inconscient collectif qui survit grâce à la chaine humaine des artistes !

JLG : Oui, tout à fait et puis, c'est en cela qu'il y a ce côté un peu visionnaire et créateur chez l'artiste dans la mesure où l'histoire est un éternel recommencement.

JPS : Exactement, oui !

JLG : Si ce n'est qu'on ne reste jamais au même niveau, on monte dans les spires, dans les tours…!

JPS : Oui, mais est-ce que justement : on monte ? Ou on descend ? La question est là !

JLG : On est possiblement dans un sens aussi bien que dans l'autre.

JPS : Voilà, oui !

JLG : C'est clair qu'il y a des artistes qui sont habités de forces noires et qui expriment leur souffrance, ou la souffrance du monde qui les a envahis, ce n'est pas du tout ton cas !

JPS : Merci, oui, oui !

JLG : Toi, tu es dans une dimension d'éclatement colorée et vivante de la vie quoi ! 

JPS : Oui, oui !

JLG : De l'expression artistique et ça c'est très touchant ! Et je suis dans ton atelier, c'est toujours une joie de découvrir un atelier d'artiste et donc il est très très vivant ! Tes toiles le sont, mais ton atelier l'est tout autant ! Il y a des bouquins, je vois que tu es un dévoreur de pages ? 

JPS : C'est vrai, oui !

JLG : Et d'un contenu qui touche à toutes les branches de l'être ! De la connaissance et de l'être et puis, également des masques de différentes origines, en quoi le masque t'inspire-t-il ? Qu'est-ce que ça représente pour toi ?

JPS : Le premier masque que j'ai acheté c'est le masque mexicain, je le montrerai dans la vidéo ! Il a  quatre yeux ! J'étais à Puebla avec mon amie Olga et j'ai vu ce masque et j'ai dit whaou ! C'est comme surréaliste !

JLG : Oui !

JPS : C'est se rajouter une autre personnalité et à cette époque-là, je ne sais pas si j'avais déjà fait les transes ? Mais en fait dans les transes, on peut très bien avoir quatre yeux ! C'est vraiment… Ils font ces masques pour se donner une autre dimension. Il y a beaucoup de masques du tigre, el tigre, qui est l'esprit du tigre et dans les transes, on rencontre souvent l'esprit et dans les transes, on rencontre souvent l'esprit du jaguar, ou du tigre, ou du faucon, ou de la baleine… Donc, pour toutes ces civilisations, c'étaient des masques d'incantations aux esprits ! 

JLG : Oui, aux esprits que l'on retrouve dans tous les grands mythes !

JPS : Voilà !

JLG : Et toute la mythologie aussi !

JPS : Oui, donc c'est une présence, quelque part !

JLG : Une présence d'un autre ordre, d'une autre dimension, mais qui contient une force et une puissance intérieure et qui normalement est appelée à communiquer avec l'homme que nous sommes. 

JPS : Oui, oui !

JLG : Est-ce que ton mode d'expression, c'est un passage entre l'homme et le mythe quelque part ? Le mythe ou les éléments civilisateurs puisque les mythes sont des éléments fondateurs des civilisations ?

JPS : Le mythe est plus difficile à utiliser pour moi, parce que je vis, aujourd'hui, dans une société sans plus aucuns mythes ni croyances !  

JLG : Oui, c'est démythé !

JPS : Ah…! Ah…! Ah…!

JLG : Et démystifié !

JPS : Démystifié !

JLG : Parce que le mythe et le mystère vont de paires ! C'est clair !

JPS : On va en rester là pour cette première partie Jean-Louis et on se retrouvera pour la deuxième partie !

JLG : Oui, ça marche, merci encore !  

JPS : Merci !


2/2 : CHEMINS DE VIE 2, TRANSES & MÉCANIQUE QUANTIQUE - Voir la vidéo

JLG : Oui, effectivement, nous sommes dans une dimension à la fois, j’allais dire divino-humaine, à savoir que la transcendance émane de ton travail et ça rejoint disons toute cette science actuelle qu'on appelle le monde quantique et qui nous révèle que dans l'infiniment petit de la matière, les lois de la physique ne sont plus les mêmes que les lois des corps constitués et que de nombreux plans également se révèlent à nous, avec d’autres modes de fonctionnent que dans notre monde ordinaire et ta peinture, disons ton mode d’expression nous amène à ouvrir les yeux sur ces mondes qui constituent l'infra-matière et non pas la sous-matière ! C'est aussi une dimension qu'on découvre qui mérite d’être un peu explicitée et je pense que c’est le monde de la transe qui t'a amené à te révéler ces différents plans, ces différents mondes et donc tu les ai vécu de façon intense et je pense aussi que ca t’a amené une force de vie particulière. Est-ce que tu peux en dire deux mots ?

JPS : Oui ! On parle maintenant, à cet instant donné : T, des infra-mondes des Mayas. Les chamans avaient plusieurs niveaux de conscience mais la pensée hindoue aussi ! On parle de tout ça et c’est un peu difficile à expliquer parce que,  moi, je n'ai pas appris toutes ces techniques-là mais c'est vrai que dans les transes, on rencontre d’autres univers, d'autres niveaux de conscience. Voilà, c’est çà !

JLG : Et qui ont complètement infléchi ton mode d’expression ?  

JPS : oui, tout-à-fait !

JLG : Absolument, ça a modifié ta vision des choses et ensuite ta transposition de cette vision dans ton mode d’expression artistique, oui, c’est évident ! Donc, penses-tu que dans l'acte créateur de l'artiste que tu es, cela puisse renvoyer aux spectateurs que nous sommes,  quelque chose qui va interférer dans sa vie ?

JPS : Je l'espère !  Je suis là pour donner du bien ! je suis là pour donner de la joie !

JLG : Tu es là pour donner à voir d'abord !

JPS : C’est  vraiment un don, l’acte du créateur est un don à la vie, c’est une offrande ! 

JLG : Tout à fait, tout à fait !

JLG : C'est une offrande, tout-à-fait ! Je pense que ton type d'expression peut amener les gens à rentrer dans cette dimension. C'est une vision qui est excessivement dynamique, !Alors qu’on pourrait de prime abord,  passer devant devant en disant, oui effectivement ! On dépasse bien sûr le : "J’aime ou j'aime pas !" Mais ensuite bon voilà, il y a des œuvres dont on pourrait se lasser. Et chez toi, il y a une telle vie intérieure dans l’oeuvre qui reflète la tienne de vie intérieure, qu’on peut pénétrer  dedans et s’en nourrir d‘une certaine manière. Je voudrais savoir déjà si tu es dans l'attachement à tes oeuvres  ? Ou ce don, c’est quelque chose dont tu t’affranchis  ? Parce qu’il y a des artistes qui ont un mal de chien à se libérer de l’œuvre, et qui y sont attachés, d’autres pas ! Comment fonctionnes-tu par rapport à ça ?

JPS : C’est plus un acte inséminateur, spermique ! Quand on vend une œuvre, on est content ! On inssémine à la pensée de quelqu’un d’autre ! On donne le témoin !  Je suis un donneur de témoin !  J’ai toujours  plaisir à voir partir une œuvre ! À moins que ce soit quelqu’un qui achète une œuvre pour de mauvaises raisons entre guillemets.

JLG : Bien sûr ! Ce n’est pas la majorité, je pense ! En tout cas, je ne te le souhaite pas ! Donc cet acte créateur tu penses qu'il va infuser chez la  personne qui s’en saisie, si j'ose dire  ! Quelque chose comme un apport d’énergie et de vie !

JPS : Oui, oui ! C’est comme quand on lit Giono, il nous communique sa joie. C’est important, c’est vraiment le rôle premier de l’artiste.  

JLG : Tout-à-fait, d’accord ! Tu es tout-à-fait dans cette  tradition d’ordre de nature spirituelle des choses.

JPS : Oui, on peut dire ça !

JLG : Et  quelle relation cette expression, ce qui est ta spécificité un peu, tu vois dans le domaine du monde de la santé ? Tes œuvres pourraient-elles  entrer aussi bien dans les hôpitaux, dans des structures sanitaires ou autres, qu'est-ce que ça va renverrait aux gens ?

JPS : Oui, j'espère que ça leur recommuniquerait un besoin, en sorte, une envie de vivre ! J’avais une amie qui m’a dit une fois : "ton travail devrait être remboursé par la sécurité sociale !" Parce que il y'a beaucoup de gens qui viennent dans mon atelier et ils se sentent régénérés après être venus ! C’est quelque chose qui me parle parce que, quelque part, je joue le rôle de chaman, qui quelque part, régénère la vie, sans être chaman. Je ne le suis pas !

JLG : Disons que tu es complètement imprégné de ce chamanisme

JPS : Oui, c’est vrai !

JLG : C’est vrai que ton oeuvre apporte un certain  ressourcement. Ce que tu donnes à voir et à vivre apporte un ressourcement. Donc, C’est effectivement aussi le sens de l’art de ne pas seulement témoigner, mais de créer et de permettre de donner plus de vie à la vie.

JPS : Oui, voilà, exacte, c'est le bon terme !

JLG : OK ! C'est de donner cette dimension là ! OK !Autrement,  dans ta vie de tous les jours, comment tu vis, j’allais dire ta mission pour ne pas dire ton sacerdoce ? C’est presque ça ! 

JPS : C’est presque ça, mais ça dépend où on vit ! À New-York, je n’avais pas cette espèce de lourdeur d'être artiste puisque finalement, on est plus intégré dans la société.  Mais c’est vrai qu’en France, c’est plus lourd, c’est plus lourd parce qu’on ne rencontre pas le public.

JLG : Et puis, il y'a beaucoup moins d'artistes et ils sont très disséminés, très dispersés et puis c'est une chapelle,  chacun à sa chapelle. Il y a un individualisme en France qu’on ne retrouve certainement pas à New-York, ça c’est clair. 

JPS : Mais aussi, il y a la dimension spirituelle ! Parce que parler de dimension spirituelle aux français qui pensent que l'art et la peinture sont morts… c’est difficile. Ça n’existe plus pour eux, c’est quelque chose de dépassé, alors que la spiritualité existe depuis la nuit des temps. S’en couper, c'est se priver de quelque chose d’important !

JLG : Tout à fait et oui, je pense qu'on ne peut pas dissocier l'art du monde intérieur, du monde spirituel. D’ailleurs, aujourd'hui on ne parle plus comme il y a quelques siècles en arrière qui était essentiellement du portraitisme ou de la figuration. Aujourd'hui, on s'est affranchi de cette figuration, tu es dans un mode d’expression contemporain, l'abstraction qui peut être très très libre ou disons plus structurée, mais cette abstraction est destinée à ramener le spectateur à sa dimension intérieure. Je pense aussi qu'il est souhaitable de rencontrer l'homme quand on rencontre l'artiste, quand on rencontre l'œuvre, et réciproquement, de faire le chemin de l’un à l'autre et pour pouvoir établir du lien parce que tout n’est pas dans la dualité entre  œuvre et artiste, mais dans cette tri partition du spectateur qui va voler un petit bout de cette énergie : et de l’artiste et de l’œuvre pour justement s'en imprégner et augmenter sa vie. 

JPS : Oui, exact !

JLG : C'est un petit peu ce qu’on perçoit à travers ton travail. Et ça, ça m'a aussi interpelé !

JPS : Oui, mais les gens sont tellement fermés, qu’ils ne veulent pas s’augmenter la vie. C’est un vrai problème, on veut rester dans sa névrose (son quant-à-soi !). Les gens autour de moi veulent rester dans leur névrose, ils sont bien comme ça ! Ils restent dans leur dimension. Ils n’ont aucun sens qu’il puisse y avoir quelque chose d’autre.

JLG : D'élargissement !

JPS : et je pense aujourd’hui, plus que jamais !

JLG : Je crois qu’on a touché d'une certaine manière, on est en train de toucher le bout d’une matérialité, d’un matérialisme, ce qui était nécessaire, c'est un passage obligé pour pouvoir remonter de la profondeur vers un sens profond de ce qui nous anime, l’Anima, donc cet Esprit et cette Ame sont bien sûr déterminant pour le corps ; le corps ne fait qu’exprimer ce qu’il se passe à l’intérieur. D'une certaine manière, c’est ce qu’on appelle la somatisation. Beaucoup de personnes somatisent aujourd’hui, parce qu’ils sont dans des peurs, dans des stress et ils ont perdu cet enracinement intérieur. Ils ont perdu ce besoin, cette sérénité de vivre, de vivre pleinement. Or, toi, tu incarnes un petit peu cette dimension… Oui ! Si ! Malgré les turpitudes de ta vie ;  tu as pu puiser aux sources de la vie pour pouvoir te régénérer et être ce que tu es et ce que tu vis aujourd'hui.

JPS : Merci, merci !

JLG : Je suis admiratif de ton chemin ! C'est important ! Donc, après les USA, tu es revenu en France. Ce n’est pas un Purgatoire pour toi de revenir ici ? 

JPS : Oui, c’est un peu difficile ! Je crois que j'ai acquis tellement de forces et d'énergies à New-York, qu’on a du mal de m'arrêter. La France est un pays qui m'arrête complètement ! Je suis contre un mur, pas un mur comme celui-ci, mais un mur en béton, un blockhaus !

JLG : Un Mur de Berlin ! Et souhaitons que le Mur de Berlin qui s’est cassé, puisse aussi permettre de casser cette muraille !

JPS : C’est terrible, parce que l’esprit rationnel français, je me heurte contre lui et BOUM ! Quand on est devant un mur, on ne sait pas s'il faut creuser en dessous, s’il faut sauter le mur, s’il faut aller jusqu'au bout du mur ? Pour moi, c'est vraiment une limitation. L’esprit français est très, très limité. Donc forcément, ça pose quelques problèmes bien sûr !JLG : D'accord !

JPS : Mais bon, voilà !

JLG : Et donc tu ne vois pas le moyen immédiat de faire évoluer les consciences, vers une ouverture de sensibilité ?

JPS : Non, je ne pense pas, je n’y crois pas trop ! Tu sais, c’est l’éducation. Tu apprends aux gens à compter d’une certaine manière, mais s’il y avait mille manières de compter, ils ne les comprendraient pas !  

JLG : Je crois bien que nous sommes quand même dans une époque de changement de paradigme. J’introduis toutes mes conférences de la manière suivante : je ramène les gens à ce qu’ils  ont appris au CP, première année de l’école primaire et la première leçon de calcul. La première leçon de calcul, c'est tout simplement l'addition et la première addition, c’est un plus un et tout le monde dit : oui, ça fait deux. Et je démontre que un plus un ne fait plus deux aujourd’hui ! Alors, je prends une bande de papier rectangulaire de quelques centimètres de largeur sur un format classique, 21/29.7 sur 29.7 de longueur et puis je hachure un côté de la bande de papier donc, une face est blanche et l’autre est hachurée et je demande aux gens : "combien il y a-t-il de faces à mon papier ?" Et bien sûr, il y a une face blanche plus une face hachurée, ça fait bien deux ! Je conjoints les deux extrémités de cette bande de papier pour en faire un cylindre et je demande   : "Combien y a-t-il de faces ?" Bien sûr, il y a toujours deux faces, on est bien d’accord ! Et à ce moment-là,  je retourne une des extrémités, je conjoints les deux extrémités, Voilà ça me fait une sorte de torsade…

JPS : L'infini !

JLG : Donc ça fait ce qu'on appelle une lemniscate, une espèce de huit dans l’espace et je demande aux gens : "combien il y a-t-il de faces ?" Et paradoxalement, il n’y a qu’une seule face, c’est le symbole de l’infini, mais il n’y a plus qu’une seule face. Le retournement a amené justement une seule face. Et je leur dis voyez : "vous pensiez que un plus un égal toujours deux ?"

JPS : Tout à fait, oui !

JLG : Et là c'est fini, aujourd’hui ça ne fait plus deux, ça peut faire un aussi ! Et donc, ce qui est paradoxal d'ailleurs même, c’est qu’on a ce symbole sous les yeux au quotidien. C’est qu’on a ce symbole sous les yeux au quotidien. Ce symbole,  c'est tout simplement le sigle du recyclé tu sais qui est de couleur verte un peu comme ça ! Ce sigle du recyclé est une mise à plat de ce même symbole, donc une espèce de triangle et ce symbole est très fort puisqu’il nous demande de retourner à l'unité qui est en nous ! 

JPS : Exactement, oui, oui !

JLG : Et je perçois à travers ton mode d’expression ce retour à l’unité qui est en nous, tu vois ! Voilà, on en arrive aux notions des archétypes et des mythes fondateurs qui nous ont permis de devenir ce que nous sommes même si on s’en est écarté et je pense, qu’actuellement, il y a une accélération, si tu veux dans les consciences d’aujourd'hui, pour aller vers cette, non pas  compréhension, parce que ce n’est pas qu’intellectuel, mais c'est du tangible !

JPS : Oui, voilà ! Exactement ! Oui, tu peux le prouver !

JLG : Donc il faut toucher cette réalité et c'est vrai que l'accessibilité à ça, passe par des processus initiatiques dont le chamanisme qui est, pour moi, un mode d’initiation, d’ouverture de l'esprit et du cœur à d’autres mondes et que tu as vécu et que tu sais, aujourd'hui, transposer. Donc, ce que je pourrais dire, c’est que je souhaite à chacun de faire l'expérience, peut-être à travers ton œuvre et ton mode d’expression, de faire l'expérience de cette autre monde qui n'est plus cette rationalité du un plus un. Et rentrer dans cette unité qui nous fait vivre. Donc, cette vie, en dehors de l’Art,  tu la vis comment ? A travers la lecture ? Tu écoutes de la musique ? Tu vis comment ?

JPS : Evidemment la musique ! J'écoute plus la musique le soir quand je suis tranquille. J’aime beaucoup Bach, mais la lecture, ça m’enrichit énormément, je suis très curieux.

JLG : Oui, dans mon domaine, on dit curieux de Sciences mais toi, c'est curieux de nature ! 

JPS : Oui, et La nature m’enrichit aussi. C’est toujours un émerveillement ! Et puis justement, on est devant cette réalité autre et multiple !

JLG : Bien sûr, oui, tu me dis que quand tu retournes dans ta famille, tu vas faire du canoë. Donc tu te branches sur la nature, tu en as besoin de ta nature ?

JPS : Mais c'est surtout qu'en naviguant tu es entre deux mondes : tu es entre l’eau et l’air et tu peux voyager comme ça, glisser plus facilement.

JLG : Tu es dans du fluide !

JPS : Voilà, le terme est exact, je suis dans le fluide ! Comme dans mon travail, j’aime bien être dans le fluide.

JLG : Oui, il y a une dimension du fluide chez toi, effectivement ! 

JPS : Parce qu’il faut que rien n'accroche, que tout fonctionne !

JLG : Que tout coule ! que ça circule !

JPS : On ne peut pas bloquer l’énergie du monde.

JLG : Bien sûr et de toute façon, nous ne sommes que des passeurs, c'est clair  ! 

JPS : Oui, voilà, oui c'est ça !

JLG : Et toi, tu es  passeur de la couleur et de la lumière à travers ton mode d’expression. D’accord, bien… Oui, c'est chouette de pouvoir vivre les choses ainsi et de revenir à des réalités simples et profondes, qui se donnent à voir et qui nous donnent à vivre. Je t’en remercie vraiment ! Quoi d'autre qui me vienne à l'esprit ? Oui, ta sensibilité ! Tu as en toi, je dirai deux polarités : une force très mâle d'une certaine manière et une grande sensibilité quasi féminine.

JPS :  Oui, c'est vrai !

JLG :  Comment tu allies les deux aspects ?

JPS : Bien ! Ça se passe très bien !

JLG : D'accord !

JPS : Je suis très heureux de pouvoir comprendre différents systèmes d’énergies. Je raconte souvent ça : Je raconte souvent ça par exemple : j’avais une fois vendu un Plexiglas,

JLG : Plexiglas, c'est ton expression pour dire que c'est une peinture ! 

JPS : Enfin, mes amis venaient acheter un Plexiglas…

JLG : Plexiglas, c'est ton expression pour dire que c'est une œuvre sur Plexiglas !

JPS : Voilà, oui, c'est une peinture ! Et donc le mari est venu en premier et il a choisi quatre peintures du mur  et son épouse est venue après et en a choisi quatre autres. Donc je parle à des gens qui ont des énergies différentes. Je suis toutes ces énergies-là donc c'est un grand bonheur de pouvoir accéder à tout ça !

JLG : Oui, d'accord !

JPS : Parce que bien sûr c'est ravissant, c'est une chance ! Je ne sais pas d'où ça vient quoi ?

JLG : Oui bien sûr, c’est dans ton baluchon !

JPS : C’est un don ? 

JLG : Oui, c’est un don absolument !

JPS : Une curiosité ou une humilité par rapport à la vie parce que vraiment tout m’intéresse ! Ça c'est bien !

JLG :D'accord, oui, ton ouverture d’esprit… 

JPS : Voilà, oui !

JLG : Est peu courante, c’est vrai.

JPS : Et je peux la transmettre ! C’est un petit don que j’ai.

JLG : Un petit don, en toute humilité, merci ! Voilà, je me suis permis de révéler des points de ce que je perçois de toi. 

JPS : Oui, c'est très gentil !

JLG : Parce que c’est vrai qu’on imagine l’artiste à la Rodin tu sais !

JPS : Oui,  mais physiquement, je travaille aussi comme ça ! 

JLG : Oui, bien sûr !

JPS : Parce que c’est très physique la sérigraphie !

JLG : Oui, la sérigraphie, c’est physique et en plus, tu t’attèles à de gros morceaux et donc parfois, ton mur m’inspire, une oeuvre de cathédrale quelque part !

JPS : Merci, merci, merci !

JLG : Non, non, mais on est dans une diversité  qui est surprenante quoi, parce qu’on ne peut pas dire que tu es  une palette. J'ai cherché qu’elle était ta palette ? On cherche toujours à identifier par rapport à une palette du peintre qui a des tonalités qui lui sont propres, mais toi, tu touches à un universalisme.

JPS : Oui !

JLG : Ça transpire et c’est véritablement ce qui sort en première intention. Donc voilà ! Et quoi dire d’autre ? Tu as quand même et ça aussi, une rigueur ! Tu es quasi dans une vie monastique si j’ose dire et dans un mode d’expression très très rigoureux, qui n’est pas une rigidité. C’est dans ta nature profonde ou tu t’es cadré comme ça ?

JPS : Oui, je me suis cadré, parce que, justement,  je travaille tellement d’énergies, que si tu n’as pas un cadre particulier... tu connais  très bien la mécanique quantique : il y a un électron ou un proton qui a une masse et sa masse est définie.  C'est la même chose pour l’art. Je définis un module, je travaille sur ce module,

JLG : D'accord et tu le reproduis, tu le démultiplies ? 

JPS : Voilà, je le reproduis ! JLG : En créant des atomes qui vont faire des molécules qui font des protéines et ça fini par faire un corps ? JPS : Pour moi, le monde est organisé, pour certains il ne l’est pas ! Moi, j’aime organiser mon travail pour avoir cette plus grande liberté d’action !

JLG : Voilà, c’est une rigueur qui est en toi et qui te donne une plus grande liberté. 

JPS : Exact, oui !

JLG : C’est très intéressant et ça, je le perçois très fort. Dans ta vie monastique, tu fais vivre la vie en toi et autour de toi.

JPS : Oui ! Ah il faut que la vie éclate bien sûr ! Jaillisse oui ! C’est une éjaculation cosmique ! La vie, c’est ça ! 

JLG : Oui, d’ailleurs,  on retrouve ça dans les symboles que tu exprimes. Que ce soit  dans les symboles hindous également parce que tu as touché visiblement à pas mal de traditions et voilà, oui disons que tu es un révélateur de l’expression de la vie !

JPS : Merci beaucoup ! Merci Jean-Louis, merci beaucoup. Est-ce que tu voulais ajouter quelque chose ?

JLG : Non, je crois qu’on a fait le tour, c'est pas mal ! 

JPS : On a fait le tour ? C'est vraiment un super entretien !

JLG : J’ai pu traduire et non pas trahir, parce que traduire c’est trahir, mais traduire un aspect de la perception que j’ai de ton œuvre et de toi-même bien sûr et je pense que c’est important de pouvoir le communiquer à tout un chacun parce qu’il n’est pas évident de rentrer disons dans cette, non pas seulement dans la cathédrale, mais dans cette dimension de l‘art, tel que tu l’exprimes, parce que ça peut être choquant pour certains !

JPS : Oui, ça fait peur !

JLG : Voire même hermétique et abstrait, complètement abstrait et insolite disons.

JPS : Voilà !

JLG : Et je crois que maintenant, peut-être que les gens pourront regarder ton travail avec un œil un tout petit peu différent. C’est ce que je souhaite fondamentalement.

JPS : Merci, merci beaucoup pour ce bel entretien. C’était vraiment très intéressant !

JLG : Merci à toi ! Et puis longue vie et énorme création. Tu as toute l’énergie pour le faire donc, je suis confiant, il n’y a pas de soucis.

JPS : Merci à toi, merci à tous !

JPS : Au revoir, salut Jean-Louis !


Discussions dans l’atelier entre Jean-Pierre Sergent & Michel Pétiard | 11 parties | Atelier de Besançon le 8 mai 2019 - Télécharger le PDF

Caméras : Christine Chatelet et Lionel Georges.


1/11 : L’ENGAGEMENT ARTISTIQUE TOTAL - Voir la vidéo

Jean-Pierre Sergent : Bonjour, je voulais vous présenter Michel Pétiard, qui est un ami et qui vient faire cette interview aujourd’hui. Nous sommes le 8 mai 2019, Lionel Georges est à la caméra comme d'habitude et Christine Chatelet est à la caméra également. Voilà, Michel, je te laisse la parole.

Michel Pétiard : Merci Jean-Pierre de m’accueillir pour te poser quelques questions sur ton travail et sur toi-même également. La première question que je souhaitais te poser concernait ton engagement dans ta création artistique. Je voulais commencer par un texte de toi que j'ai trouvé dans tes Influences, dans le dernier texte concernant les personnes qui t'ont influencé. C’est un texte sur Sade, alors tu dis la chose suivante :

“Sade est important, non seulement pour ses écrits, mais par sa capacité incroyable de résilience et de volonté d'imposer sa pensée. Même emprisonné, condamné à mort, il continua malgré tout à écrire ce qui lui semblait essentiel : le droit au plaisir et à la liberté de penser et d'agir. C'est un grand exemple pour moi et sans doute pour beaucoup d'artistes, car très fréquemment, nous sommes confrontés à des difficultés financières terribles, mais également au problème du manque de lieux de diffusion pour pouvoir montrer notre art, la peinture, qui est victime de l'ostracisme hégémonique esthétique et dogmatique de la politique culturelle française imposée par ses représentants.”

Alors au-delà de la fin, je voulais savoir (on comprend bien dans ce texte la difficulté que peut représenter pour toi la pratique de ton art). Et je voulais savoir, comment tu conçois ton engagement ?

JPS : Oui, bien c’est sûr que nous sommes toujours en état de résilience quand on est artiste. C’est plus ou moins difficile suivant les pays dans lesquels on vit. Me trouvant en France aujourd’hui, je trouve que c'est un pays assez difficile où pratiquer son art, la pratique artistique. Et je voulais rebondir sur Sade, parce qu’il s’en est pris aux religions, à tout ce qui enfermait la pensée humaine. Il voulait vraiment le désir absolu, c’est un peu une caricature de la volonté d’extase. Mais malgré tout, je pense par exemple, pour en revenir à l’actualité, que dans les révolutions arabes, il leur manque peut-être un philosophe comme Sade ? On sait très bien que la révolution française a été possible grâce à l’esprit des Lumières, donc il faut réfléchir à ces choses-là. Et dans ma pratique artistique, je suis un peu subversif, c’est sûr, je pousse un peu le bouchon de la sexualité et du plaisir, en opposition à une société complètement bourgeoise, embourgeoisée.

MP : Mais au-delà de ce que représente Sade en terme d’idée, de force de progrès (on va dire ça comme ça) est-ce que tu fais référence à lui par rapport à un engagement, à l'engagement dans l’art, avec les difficultés que ça représente pour un artiste ? C’est à dire qu’à un moment donné, on doit pouvoir se poser la question : est-ce que je continue, ou est-ce que je ne continue pas ? Parce que c'est difficile !

JPS : Bien sûr ! Oui !

MP : C’est difficile, alors ce que je voulais savoir, c'est dans ta vie (je crois que je l’ai parfaitement bien compris en lisant divers écrits de toi, et tes références) on a bien compris que l’art, ton art, c’est toute ta vie ?

JPS : Oui, c’est toute ma vie, et si je n’avais pas l’art, je ferais autre chose ! C’est vrai que c’est quelque chose qui me passionne ; bien sûr, ça me passionne. C’est une passion. Et c’est un engagement bien sûr, c’est physique, c’est moral, oui bien sûr !

MP : C’est un engagement. Mais je veux dire c’est un engagement total ?

JPS : Oui ! mais bon, après, j’ai fait aussi d’autre choses dans ma vie. Mais c’est l’engagement qui me procure le plus de plaisir aujourd’hui. Et je pense qu’un être humain, c’est quelque chose qui peut se révéler à lui-même au travers d’une société, au travers d’une pratique artistique. Par exemple je me sentais beaucoup plus "humain" à New York qu’ici ! Où je me sens un peu enfermé sur moi-même, où je n’arrive pas à avoir cette dimension que l'on peut acquérir dans une société qui nous laisse des ouvertures d'esprit. Et pour moi, être artiste c’est avoir une liberté d’esprit, une volonté de développer sa conscience aussi…

MP : Oui d'accord, ça je comprends bien ta définition de ton statut d'artiste, bien sûr je le comprends, enfin j'essaie de le comprendre en tout cas. Mais ce qui m'a toujours interpellé chez toi, comme chez d'autres artistes d'ailleurs, c'est cet engagement total. Encore une fois, je parle d’un engagement total, et ce qui est loin d'être évident parce qu'on ne le rencontre pas si souvent que ça dans la société.

JPS : Oui.

MP : Tu comprends ce que je veux dire ? Que ce soit d'ailleurs dans le domaine de l’art où dans d’autres domaines, bien sûr.

JPS : Oui, c’est vrai ! Je suis engagé…!

MP : Malgré les difficultés, malgré les vicissitudes, malgré parfois les douleurs, les souffrances, eh bien… tu continues.

JPS : Bien sûr. Oui !

MP : Tu continues !

JPS : C’est vrai, mais j’aime ça !

MP : Oui, tu aimes, mais ça dépasse probablement la souffrance, la difficulté…

JPS : Ça transcende, oui, c’est vrai.

MP : Ça transcende ça ?

JPS : L’art transcende la vie !

MP : Parce que je lisais pas plus tard qu'hier une interview de toi qui est sur ton site ; je ne sais plus dans quelle revue, on te demandait : "Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?"

JPS : Oui, je me rappelle !

MP : "Je me lève au soleil et je travaille." (Entretien avec Jean-Paul Gavard-Perret, pour Le littéraire.com, mars 2013). Donc en définitive, ça peut presque résumer ton existence ?

JPS : Oui et non, parce que j’adore être dans la nature, être avec des amis. Tu comprends, il y a d’autres choses également.

MP : Oui d’accord, mais je…

JPS : Les relations humaines sont très importantes également.

MP : Sont très importantes aussi ! D’accord, parfait !


2/11 : LES AXIS MUNDIS - Voir la vidéo

MP : Alors, autre question, Jean-Pierre, ça concerne la verticalité, qui est importante dans ton travail, avec la place vraiment fondamentale, semble-t-il de l’axis mundi. J’ai bien noté que cette place, elle relève d'une expérience précoce en Égypte, un voyage en Égypte quand tu avais 21 ans ; est-ce que tu pourrais développer un peu cette idée de la verticalité ?

JPS : Oui, c’est assez complexe. C’est-à-dire que la verticalité, on la ressent quand on est en train de mourir ou quand on naît, c’est le rapport au cosmos. Point barre. C’est d’être connecté avec l'univers dans son ensemble. Et c’est vrai qu’en Égypte, ce n’est pas tellement précoce car j’étais quand même un jeune adulte ; j'étais dans cette cellule de prêtre cubique et dont la fenêtre au centre du plafond était carrée. Et donc j'ai tout fait (lors de ce voyage, j’étais avec mon grand-père Maurice et ma sœur Marie-Paule), et donc j'ai tout fait pour essayer de m’éloigner un peu des touristes pour avoir justement cette expérience personnelle vis-à-vis de l'architecture et du cosmos. Je ne savais pas que j'aurais cette expérience, mais c'est vrai que j'ai eu comme une espèce de révélation au sein de cette cellule. C’est-à-dire que je me suis senti un peu partir. C’est le rôle de toutes les architectures sacrées… que ce soit dans une cathédrale, une église, un temple, on est censé partir dans cet axe vertical.

MP : Dans cet axe vertical ?

JPS : Voilà, oui !

MP : J’ai bien compris le rapport avec le bâtiment sacré, c’est clair. Est-ce que cette verticalité en toi ça correspond à une verticalité intérieure, verticalité qui correspondrait alors à un souci d'élévation spirituelle ? Est-ce que c’est intérieur ?

JPS : C’est à la fois intérieur et extérieur !

MP : Alors voilà, ou est-ce que tu poses un regard sur le monde qui serait un regard de verticalité, comme s’il y avait une hiérarchie dans le monde ?

JPS : Dans les axis mundis des peuples premiers, il y a les mondes souterrains où il y a cinq niveaux, les mondes célestes où il y a neuf niveaux, suivant les chamanes c’est différent ! Mais il y a toute cette hiérarchie des esprits, oui, pour arriver à la grande sagesse. Et les bouddhistes le disent aussi, c’est cette espèce de révélation de l’état de satori, chez les bouddhistes aussi ! C’est à dire qu’à un moment donné, on comprend les mécanismes de l’Univers. Ça peut paraître complètement débile pour un esprit cartésien français, mais c’est un peu ça.

MP : Est-ce que ça correspondrait à ce que l’on a appelé peut-être en occident : le sentiment océanique ?

JPS : Oui ! C’est à dire le sentiment océanique, on le ressent plus dans la sexualité. C’est plus un rapport transversal, translationnel, parce qu’on se sent dans la mer ; et la mer, c'est la terre ! Donc, quelque part, c'est un peu ça mais c'est plus que ça !

MP : D’accord.

JPS : C’est-à-dire qu’on est vraiment au-delà du corps, on est vraiment dans un monde… je ne parlerais pas d’un monde merveilleux ; Comme je l'ai dit dans une phrase : Nous sommes tous la mémoire de l'univers et du monde ! Nous portons en nous la mémoire du big-bang. Donc c’est un peu ce sentiment-là que l'on ressent. C’est pas du tout le sentiment océanique. C’est pas ça, c’est plus que ça !

MP : C’est pas le sentiment océanique ?

JPS : Non, non.

MP : Pas vraiment, d'accord ; donc c'est à la fois quelque chose de plus intérieur, mais quand même tourné vers le monde ? Vers le cosmos ?

JPS : L’Univers, oui, c’est le point Bindu, on est au départ du monde ! Oui !

MP : D’accord. A partir de là, j'aimerais qu'on en vienne à la notion de nature, qui pour moi, découle du concept de verticalité ; c'est-à-dire que pour moi, la nature serait à ce moment là l'horizontalité, dans mon esprit. Mais ça ne semble pas être le cas pour toi. Là, je vais reprendre les règles que tu t'étais fixées, que tu t'étais imposées et qui sont évoquées dans le texte que tu nommes la Troisième rupture.

JPS : Oui.

MP : D’accord, il y en a six. Il y a six nouvelles règles qui toutes, sauf une, ont à voir avec la matière. Donc pour moi, l'horizontalité. Alors je vais les nommer : Le travail au sol, place de la couleur comme énergie, variations par des séries sur un thème formel, expression des sentiments, travail à l’échelle du corps, recherche de nouveaux matériaux… et là tu places l’axis mundi dans la règle de travail sur la verticalité. Alors comment est-ce que tu articules ça ? Tu comprends ce que je veux dire ? On a l’impression qu’une grande partie de ces règles touche à l'horizontalité ?

JPS : Oui !

MP : C’est-à-dire le monde matériel ?

JPS : Pour pouvoir avoir une verticalité, il faut avoir une base qui est stable.

MP : Bien sûr.

JPS : Donc je travaille à plat… C’est vrai que la peinture de chevalet m'ennuie énormément ! je ne peux plus aller dans les musées voir des peintures de chevalet… Parce que c’est une fausse vision de l'homme cosmique (tronquée); donc en travaillant au sol, un peu comme Pollock, c’est la leçon de Pollock.

MP : Comme Pollock, oui, bien sûr.

JPS : J’ai ce rapport avec la terre ! et depuis la terre, tu peux partir ailleurs.

MP : C’est ça, d’accord !

JPS : C’est une base.

MP : C’est une base, elle est indispensable ?

JPS : Mais tout à fait, le corps est indispensable bien évidement !

MP : D’accord, la matière ?

Donc pour toi, il y a forcément concordance entre les deux ?

JPS : Bien sûr, il n'y a pas antinomie, il n’y a pas paradoxe.

MP : Non, non, bien sûr, je pense bien qu’il n’y a pas antinomie, ni paradoxe, mais je cherche à savoir comment ces deux notions-là sont reliées. Tu comprends ce que je veux dire ?

JPS : Oui, bien sûr.

MP : Parce qu’on y reviendra peut-être tout à l'heure quand on parlera du carré, mais c'est vrai que ce n’est pas forcément évident, et ce n’est pas forcément évident pour un esprit occidental, d'associer ces deux notions. Parce que dans l'esprit occidental, peut-être que la verticalité a été conçue comme une hiérarchie, comme la hiérarchie de la nature avec un certain nombre d’éléments qui se succèdent et qui sont plus ou moins inférieurs les uns, les autres. Mais pour certaines personnes, la verticalité c'est une verticalité intérieure.

JPS : Oui, mais moi, je suis conscient que le corps est essentiel ; c’est très important.

MP : Parce que nous sommes des êtres verticaux.

JPS : Voilà, nous sommes des êtres verticaux ! Tout à fait. Après, est-ce que c’est une illusion de l'esprit, je n’en sais rien ! Mais je pense que cette relation existe. Je pense que nous sommes reliés les uns avec les autres sur des plans divers beaucoup plus profonds que ce que la science aujourd’hui veut nous faire savoir.

MP : Tu veux dire la relation interpersonnelle, entre les gens, entre les personnes ?

JPS : Voilà, oui, bien sûr… il y a beaucoup plus d’énergie qui circule.

MP : Et là, on serait alors dans l'horizontal ? ou dans la verticale ?

JPS : Ça n’a aucune importance !

MP : Ça n’a pas d’importance pour toi ?

JPS : Ça n’a pas d’importance, c’est sans espace !

MP : D’accord

JPS : Eh bien oui !

MP : On est forcément dans les deux peut-être ?

JPS : C’est une fausse question ! Je me souviens toujours de ce que dit Black Elk dans le livre : Élan Noir Parle : La vie d'un saint homme des Sioux oglalas, qui était un grand chef Sioux et qui était venu tourner avec le Cirque de Buffalo Bill à Londres. Il est tombé malade, et il a fait cette transe chamanique où il revenait dans son village où il voyait sa mère. Donc l'espace n’a plus d’importance. De même que dans les transes chamaniques, on s’en fout ! Que ce soit vertical ! horizontal ! l’important c’est d’être connecté !

MP : D’accord.

JPS : On est bien au-delà de la matière à ce moment là.

MP : On est au-delà de la matière ?

JPS : Ah oui !

MP : Et pourtant on a les pieds dessus ?

JPS : Et oui : so what ! Oui, bien sûr, c’est les champs morphiques… c’est tout ça !

MP : C’est tout ça ? Oui, d’accord, mais tu comprends que j’essaie de percevoir ça, parce que moi, j’ai un esprit occidental, qui a été formé par la philosophie occidentale, et c’est vrai que ce n’est pas forcément évident de sortir de ça ! Donc voilà, je cherche à te faire…

JPS : Oui, oui, tant que c’est avec bienveillance, il n’y a aucun souci.

MP : Il faut être bienveillant !

JPS : Voilà.

MP : Voilà, tu as raison, merci Jean-Pierre !


3/11 : LES CULTURES PREMIÈRES - Voir la vidéo

MP : Jean-Pierre, ma troisième question portera sur les divinités aztèques dont tu parles abondamment dans tes textes Influences. Alors je vais te citer pour commencer encore, un texte de toi :

"Mais, mon rapport aux cultures premières n'est pas une curiosité malsaine et colonisatrice, je ne cherche pas chez celles-ci quelque chose que je n'aurais pas, mais plutôt quelque chose que j'avais et que le progrès, la rationalité, la culture livresque, la religion, l'athéisme, les courants philosophiques, la peur de soi et parfois la science dans son aveuglement empirique et destructeur de cultures, m'ont caché et volé. C'est comme un souvenir, un rêve d'expériences vécues, il y a longtemps, dans différentes cultures et différents endroits."

Et je vais compléter par un texte de Claude Levi-Strauss que tu cites :

"L’œuvre du peintre, du poète ou du musicien, les mythes et les symboles du "sauvage" doivent nous apparaître, sinon comme une forme supérieure de connaissance, au moins comme la plus fondamentale, la seule véritablement commune, et dont la pensée scientifique constitue seulement la pointe acérée : plus pénétrante parce qu'aiguisée sur la pierre des faits, mais au prix d'une perte de substance, et dont l'efficacité tient à son pouvoir de percer assez profondément pour que la masse de l'outil suive complètement la tête." in Tristes Tropiques & Influences V.

JPS : Oui !

MP : Texte intéressant, alors j’ai placé ces deux textes parce que, comme je te l’ai dit au début, je veux te poser quelques questions sur ces divinités et ces rituels aztèques. Alors nous portons aujourd’hui un regard sur ce monde, disparu, ce regard est peut-être lié à sa découverte et son interprétation par des archéologues, des ethnologues qui nous l’ont révélé. Ce regard qu’ils ont porté est un regard d'occidental, penses-tu toi, les avoir découvertes à ta manière ?

JPS : Ce serait bien prétentieux ! Sauf que j'ai eu des émotions et des révélations devant ces œuvres. Comme je le dis dans ce texte ou que Claude Levi-Strauss le dit, l’art premier a une fonction beaucoup plus… comment on pourrait dire : primaire, essentielle ! C’est-à-dire qu’il leur fallait régénérer le monde, parce qu’ils avaient peur que le monde s’arrête. C’est toujours les mythes : comment créer le monde, comment créer la beauté, comment créer les fleurs, comment honorer cette nature ? Et cette disparition des rituels me fait très peur. Pasolini en parlait dans ses films : la disparition de la spiritualité, c’est-à-dire la disparition du rituel, emmène l’humanité à faire n’importe quoi. Et quelque part, oui c’est vrai, j’ai l’impression que l’on m’a volé quelque chose, parce que je ne sais plus, même avec toute “ma connaissance, ma culture”, je ne sais plus vivre ! Tout du moins, les gens autour de moi ne savent plus vivre ! C’est des gens qui sont perdus, ils sont noyés dans l’information, dans l’alcool, la névrose, dans que sais-je ? C’est des gens qui ne rêvent plus ! Et je pense que les peuples premiers étaient… Mais on pense toujours que c'était mieux à une autre époque. Tu sais qu’il y avait l’âge de fer, l’âge de bronze et l’âge d’or. Bon, on pense tous que les époques révolues était plus importantes que les nôtres. Toujours est-il que l’art qui surgit de ces sociétés-là me parle énormément plus qu’une peinture dans un musée. Donc quelque part, cette attirance, elle vient d’un besoin pour moi, d’assouvir ma soif.

MP : J’ai lu aussi dans tes Influences que tu avais été également marqué par l’œuvre de Karl Gustave Jung ; est-ce que tu penses que justement, ce besoin chez toi, que ces cultures, ces rituels aztèques t’on permis de révéler, est-ce que tu penses que ça correspond à l'idée de Jung de cet inconscient imaginaire collectif universel ?

JPS : Oui, mais j’enlèverais le mot imaginaire. Parce que souvent on parle de magie aussi par rapport à ces sociétés, mais pour eux c'est quelque chose de très technique ; les chamanes ont une technique pour accéder aux différents niveaux de transe. Il faut vingt ans de formation pour devenir chamane chez les Achuars (en Amazonie).

MP : D’accord !

JPS : Donc c'est un peu léger de dire que c'est… oui de la décoration entre guillemets, du folklore, de la magie comme ça… Je pense que c'est un niveau de connaissance autre ! Et c'est là où je suis très en colère avec la science occidentale qui a démoli ces peuplades sans même comprendre qui elles étaient ; on ne peut pas parler de niveau d'évolution, mais ils avaient un degré de spiritualité tout aussi valable que les chrétiens de l’époque.

MP : Oui, on est tout à fait d’accord.

JPS : Sans faire d’échelle de valeur.

MP : Là je te retrouverai forcément. La question que je te posais, c'était de savoir si tu considères que finalement, nous tous autant que nous sommes (nous sommes des occidentaux marqués par notre culture), est-ce que tu considères que nous sommes potentiellement aptes à rentrer dans ses rituels, dans ses cultures, parce que finalement ça correspond à quelque chose qui serait universel, à un besoin quasi universel ?

JPS : Sans doute parce que c'est ce qui touche ; ces pratiques touchent le plus près possible la naissance, la vie, la mort, ça parle assez peu de l’amour, mais de la régénération du monde. Pour que le soleil se lève le matin, les prêtres aztèques ou mayas faisaient des autosacrifices. Ils se perçaient les doigts, la langue ou le pénis pour que le Dieu se réveille. Et chez les égyptiens de même. Toute cette pratique d’apprendre le monde et de le respecter et de vouloir qu’il se régénère, qu’il perdure. On est à l’opposé total puisqu’on détruit impunément le monde de manière absolument catastrophique aujourd’hui. Nous sommes donc à l’inverse, à l’opposé des ses sociétés.

MP : Je l’entends bien !

JPS : Bien que certaines aient détruit leur monde, comme les Mayas dont la population a augmenté (donc ils ont détruit leur biotope, ça arrive aussi), mais malgré tout, il y avait cette espèce de volonté et d’humilité. Il y a dans l’Épopée de Gilgamesh, l’histoire de Dieu qui inonde le monde parce que les hommes font trop de bruit ! Et bien sûr qu’aujourd'hui le bruit de l'humanité est énorme, assourdissant ! C’est terrible !

MP : Oui, justement, tu parles dans les livres qui t’ont influencé, marqué, tu parles évidement de l’Épopée de Gilgamesh, tu parles aussi d’Homère ?

JPS : Oui !

MP : Il me semble même qu’il est en tête de liste dans tes Influences sur le site, donc tu considères aussi que quelque chose a existé dans notre culture, dans la culture on va dire occidentale, si on la fait démarrer au Moyen Orient et puis…

JPS : En Égypte.

MP : En grande Égypte et puis en Grèce. Tu considères que quelque chose s’est perdu ?

JPS : Oui !

MP : Et tu mets la science en accusation, ou la religion ?

JPS : C’est un ensemble ! C’est les deux ensemble !

MP : C’est les deux ensemble !

JPS : Eh bien, dire que les Indiens n'ont pas d’âme !

MP : D'accord, d'accord !

JPS : Ça va loin ! On objetise les gens !

MP : Là on est chez Bartolomé de Las Casas (Très brève relation de la destruction des Indes) ! Oui, j’ai vu que ça faisait partie aussi de tes livres, bien sûr, d'accord. Mais dans cette révélation que tu as eu finalement, est-ce que ce n’est pas quelque chose que tu attendais ?

JPS : C’est comme de tomber amoureux, est-ce qu’on va aimer cette femme ou pas ?

MP : Voilà, c’est ça, c'est un peu ça !

JPS : Jung dit qu'il y a des coïncidences heureuses, bon… des heureux hasards. Sans doute c'est quelque chose que je cherchais, parce qu’étant enfant, je me rappellerai toujours que j'avais de fortes crises d'asthme et bien sûr que lors de crises d'asthmes, on a toujours l’impression que l’on va mourir.

MP : Bien sûr, ça je sais !

JPS : Donc forcément on cherche un ailleurs ! peut-être que j'ai trouvé cet ailleurs ! Oui !

MP : Tu as trouvé cet ailleurs ?

JPS : Oui, oui !

MP : Oui c'est important, c’est intéressant… parce que quelque part on peut penser aussi que pour chacun d'entre nous quand on découvre, ou qu’on a l’impression de découvrir quelque chose, une philosophie par exemple -c’est mon cas personnel-, tu tâtonnes un certain nombre d’années dans ta jeunesse et puis un jour, ah ! Et finalement quelque chose se révèle à toi et tu dis, oh ben c’est bon, c’est bien !

JPS : Oui !

MP : Mais en fait, il ne fait peut-être que te révéler à toi, tu comprends ce que je veux dire ? Il met des mots sur ta… le philosophe en question ou la philosophie met des mots sur ce que tu pensais confusément ?

JPS : Oui, sans doute, mais bon, nous ne sommes pas sortis de la cuisse de Jupiter, il faut quand même un apprentissage dans la vie.

MP : Il faut bien sûr !

JPS : Non, mais c’est une évidence !

MP : C’est une évidence, il faut un apprentissage d’ailleurs on en parle souvent.

JPS : Il faut rencontrer les bonnes personnes !

MP : Ben oui !

JPS : Je n’aurais pas rencontré une amie qui faisait des transes chamaniques à New York, jamais je n’aurais pu faire l’expérience de ces transes !

MP : Oui, j’avais lu cette expérience.

JPS : Donc voilà, je pense qu’il ne faut pas négliger ce que nous apporte la vie… par hasard ou par nécessité.

MP : Bien sûr, ce que je voulais dire simplement, c’est que le mot révélation, c’est peut-être excessif comme mot ? Tu comprends ce que je veux dire ?

JPS : Mais alors pourquoi pas ? Moi je veux revenir sur ce point-là : en France on ne peut pas dire ce qu’on pense : une fois, j'ai eu une grave opération et j'ai dit à la mère d'une amie que c'était presque un miracle ! Elle m’a dit : “À ta place, je n’utiliserais pas ce mot-là !” Fuck you piece of shit ! Moi, j’utilise les mots que j’ai envie d’utiliser !

MP : Oui !

JPS : Mais so what ? C’est dans le dictionnaire !

MP : Mais bien sûr ! Et personne ne t’en empêche !

JPS : Oui, mais moi, l’esprit cartésien (systématiquement athée), ça me gêne aux entournures. Je ne peux pas être libre et ça me dérange vraiment.

MP : Ça te dérange ?

JPS : Ah oui ! De quel droit les gens me jugent ?

MP : Non, mais ce n’est pas un jugement.

JPS : Oui bien sûr !

MP : Quand je te dis ça, ce n’est pas un jugement. Je cherche à comprendre, moi-même je cherche à me comprendre moi-même. Je cherche à voir un petit peu comment se passe, justement la découverte de quelque chose. Est-ce que c’est une vraie découverte, je ne sais pas ?

JPS : C’est pas important !

MP : C’est peut-être pas important, non, non.

JPS : À ce niveau-là, les mots ne sont pas du tout importants.

MP : C’est peut-être de la masturbation intellectuelle, j’en conviens.

JPS : Oui, voilà.


4/11 : L’ÂME ET LA NATURE - Voir la vidéo

MP : Alors une question Jean-Pierre, concernant la nature, et le regard que tu poses sur cette nature et sur le monde. C’est un petit peu une association, ça rejoint les deux précédentes questions, parce que très souvent tu évoques la notion de transcendance dans les éléments de la nature. Alors par rapport à cette notion de transcendance, qui est une notion qui est fortement connotée, en tout cas dans le langage occidental, est-ce que tu… tu te considères comment par rapport à cette notion de transcendance ? J’ai souvent noté que tu faisais référence au polythéisme voire au panthéisme. Comment te situes-tu par rapport à cette notion ?

JPS : Oui, moi je suis plutôt comme les japonais, je pense que la nature est animée. Ils ont des kamis, ils appellent des kamis, c'est des esprits pour pratiquement tout : pour les arbres, pour les fleurs, pour les pierres…

MP : C’est ça !

JPS : J'ai eu la chance de découvrir la nature grâce à mon grand-père qui était vraiment amoureux d’elle et qui allait toujours se promener dans la nature ; et on a passé de longs moments ensemble, et c'était aussi un éveil à la beauté ! Il faut vraiment quelqu'un qui vous initie !

MP : Dans ton regard que tu portes sur la nature, il y a cette notion donc des éléments qui sont à la fois séparés, mais en même temps rassemblés ?

JPS : C’est une globalité bien sûr.

MP : C’est bien cela ?

MP : Donc tu considères qu'il y a effectivement dans la nature des éléments qui nous échapperaient, et qui seraient… Il y a un moment donné, dans le dernier entretien, tu évoques la notion d’énergie ? Est-ce que dans la nature, dans les éléments de la nature, on va parler des arbres, des rivières, des montagnes, de la neige, du froid, du soleil etc, dans tous ces éléments-là, est-ce que tu peux les isoler par exemple ?

JPS : Non, moi je ne les isole pas c'est quelque chose qui fait sens pour moi.

MP : Qui fait sens, oui ?

JPS : Je ne les matérialise pas, je ne dissocie pas. C’est comme la prière de Saint-François d'Assise au frère Soleil, c’est un ensemble de choses…

CANTIQUE DE FRÈRE SOLEIL OU DES CRÉATURES
Très haut, tout puissant et bon Seigneur,
à toi louange, gloire, honneur,
et toute bénédiction ;
à toi seul ils conviennent, ô Très-Haut,
et nul homme n’est digne de te nommer.
Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures,
spécialement messire frère Soleil.
par qui tu nous donnes le jour, la lumière :
il est beau, rayonnant d’une grande splendeur,
et de toi, le Très-Haut, il nous offre le symbole.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour soeur Lune et les étoiles :
dans le ciel tu les as formées,
claires, précieuses et belles.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Vent,
et pour l’air et pour les nuages,
pour l’azur calme et tous les temps :
grâce à eux tu maintiens en vie toutes les créatures.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour soeur Eau.
qui est très utile et très humble,
précieuse et chaste.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour soeur notre mère la Terre,
qui nous porte et nous nourrit,
qui produit la diversité des fruits,
avec les fleurs diaprées et les herbes…

JPS : C’est difficile à répondre à ta question !

MP : Oui, c’est difficile, je comprends.

JPS : Je veux pas convaincre les occidentaux, je m'en fous de ce qu’ils pensent. Il y a d'autres cultures qui pensent différemment, et moi, je suis plus attiré par ces cultures, que par la culture occidentale, oui ! oui !

MP : Il ne s’agit pas forcement de convaincre ! Il s’agit peut-être pour l’occidental que je suis d’essayer de comprendre, tu vois ce que je veux dire !

JPS : Oui, mais ça c’est ton problème, je ne peux pas t’expliquer des choses…

MP : On ne peut pas mettre des mots ?

JPS : On ne peut pas révéler quelque chose à quelqu'un, moi je suis pas un gourou.

MP : Parce que dans la culture et la philosophie occidentale…

JPS : Oui, oui.

MP : Il y a des philosophes qu’on pourrait globalement appeler les philosophes matérialistes, qui ont une vue de la nature qui n'est pas une vision, comment dire… dualiste, il n’y a pas de séparation entre l'âme et la matière, dans cette vision matérialiste ; c'est-à-dire que l’âme c’est de la matière, elle est dans la matière.

JPS : Non, surtout, il n’y a pas d’âme ! Excuse-moi ! C’est surtout qu’il n’y a pas d’âme, il n’y a pas de dieux !

MP : Non, mais je te parle de ces philosophies.

JPS : Oui, bien justement !

MP : On a l'impression que ce monde dont tu parles, il existe aussi dans le monde occidental, qu'il a été peut-être un petit peu occulté, caché.

JPS : Bien sûr, oui.

MP : Effacé, au profit de la mécanisation du monde.

JPS : Tout à fait, oui bien sûr, oui mais ?

MP : Je veux dire, dans cette philosophie occidentale, tu ne vas pas te retrouver ?

JPS : Non ! D’ailleurs la philosophie m'ennuie, point barre, en général !

MP : La philosophie t’ennuie ?

JPS : Oui !

JPS : Oui, énormément. Non mais j’aime bien lire Nietzsche, mais je n’ai pas pu finir Zarathoustra ! C’est intéressant, ses idées sont intéressantes…

MP : Oui ?

JPS : Mais au bout d’un moment ça m’ennuie.

MP : Ça t’ennuie ?

JPS : Oui, oui !

MP : Et pourtant tu lis, j'ai regardé un peu ta bibliothèque, tu lis des livres qui ont à voir quand même un peu avec la philosophie ?

JPS : Oui on peut l’appeler de la philosophie, mais c’est la philosophie orientale ; bon, peut-être que je suis plus fasciné…

MP : Oui, mais il n’y a pas de différence ?

JPS : Mais si quand même, il y a une grande différence entre les deux philosophies !

MP : Il y a une grande différence ?

JPS : Ben oui ! D’un côté la philosophie occidentale veut démontrer la mort ou l'existence de Dieu ! Moi je m'en fous ! Pour moi Dieu n’existe pas…! Donc écrivez tout ce que vous voulez là-dessus, je n’ai pas de temps à perdre.

MP : Oui mais justement, c’est important, moi ça m’a semblé important ! Mais bon ?

JPS : Tous les gens sont obsédés par cette idée de Dieu, on n’en a rien à foutre ! Excuse-moi, ce n’est pas un problème ! Dès l’instant où l’on sent de l’énergie dans l’Univers, que cette énergie soit unique, ou multiple, ou quintuple ou…

MP : Tu ne penses pas que ceux qui ont préconisé la mort de Dieu…

JPS : Je m'en fous moi !

MP : Je comprends, mais est-ce que tu ne penses pas que ces gens-là vont un petit peu dans ton sens ?

JPS : Peut-être, mais je n’aime pas les lire, je préfère lire les livres de Giono…

MP : Et bien justement ?

JS : Justement parce qu’il veut la joie, il veut la joie dans la création !

MP : Bien sûr !

JPS : Mais ces gens-là sont à l’opposé ! C’est d’une tristesse à mourir ces philosophes ! Tu vois leur gueule ! Tu regardes Houellebecq à la télé, tu te dis : mais flingue toi !

MP : Ce n’est pas un philosophe Houellebecq !

JPS : C’est le français qui vient d’avoir la légion d’honneur ! Excuse-moi, on arrive à des aberrations historiques. L’art contemporain français c'est nul à chier ! La philosophie française, c’est nul à chier ! Excuse-moi, ça ne m’intéresse pas !

MP : D’accord.

JPS : Mais c'est mon avis, c’est mon humble avis. Je préfère lire la poésie aztèque, ou Kabîr, ou je ne sais pas !

MP : D’accord.

JPS : Je préfère, parce qu'il y a une fluidité, une joie et une sensualité.

MP : Je pense à un philosophe que je connais bien, parce que c’est un philosophe qui a été pour moi vraiment important dans mon existence, c’est Spinoza.

JPS : Oui.

MP : Et si tu veux, Spinoza, il ne s’évertue pas à parler de la mort de Dieu, mais par contre, la joie, c’est fondamental dans sa philosophie !

JPS : Oui, mais c’est illisible ! Tu as vu comment c’est construit ? La structure du livre est complètement illisible.

MP : Ça dépend lesquels, mais il y a des livres qui sont plus faciles à lire que d’autres.

JPS : Sur L’Éthique là…!

MP : L’Éthique, oui ! Ah c'est compliqué !

JPS : C’est compliqué ! Bon après, peut-être que ma pensée rejoint Spinoza ?

MP : Mais c’est la grande difficulté, bien sûr. D’accord, donc je pense que nous allons en rester là sur cette question cher Jean-Pierre.

JPS : Merci, bon on devait parler de la nature et on finit avec la philosophie.

MP : C’est normal !

JPS : Oui, mais il y a une énergie dans la nature qu’aucun philosophe ne peut montrer, que les poètes ou les artistes peuvent montrer.

MP : D’accord.

JPS : C’est là où la poésie est plus forte et que l'art est plus fort !

MP : Mais un certain nombre de personnes pensent qu’effectivement, la poésie est une forme de la philosophie.

JPS : Oui, mais sans doute.

MP : Bien sûr, et ça je le pense profondément, je pense à des gens comme René Char, par exemple, qui a des formules qui pourraient te plaire - je t’en enverrai, car il y a des extraits de textes de René Char qui sont véritablement beaux, et qui je suis sûr te parleraient ! Je ne sais pas si tu le connais ?

JPS : Oui, je l’ai déjà lu.

MP : Merci Jean-Pierre.


5/11 : LES RITUELS ET LE SACRÉ - Voir la vidéo

MP : Jean-Pierre maintenant, je vais t’interroger sur une notion importante dans ton œuvre, c’est la notion de sacré. Je vais commencer par un texte de toi.

JPS : Oui.

MP : Toujours pris dans tes Influences, je vais lire le texte :

"Il y a une citation qui pourrait répondre à cette interrogation, c'est une question posée par une journaliste américaine à une femme maya qui brodait une tunique : - Le tissage de votre dessin est tellement intriqué, enchevêtré et complexe que personne ne pourra jamais ni le voir, ni le déchiffrer, ni le comprendre ? La tisseuse maya lui répondit simplement : - Oui, vous avez raison, mais Dieu, lui, peut le voir! Je crois que c'est l'unique réponse appropriée à cette question. Les Indiens œuvraient pour le Wakan Tanka des Sioux, le Grand Manitou des Algonquins ou pour quelques esprits tricksters comme le Coyote ou le Corbeau... Leur "art" créait et tissait non seulement des liens entre les êtres humains, mais ouvrait également le portail vers les infra-mondes, au travers des liens cosmiques jusqu'à l'âme-force de l'univers. Et nous n'appartiendrons, ni ne comprendrons, ni ne participerons malheureusement plus jamais aux rituels utilisant ces langages ésotériques hautement sacrés ! Ce n'est pas simplement la disparition de ces rituels (parfois superstitieux, parfois grotesques, parfois trop théâtraux) qui est dommageable, mais, de façon induite, la disparition des liens créés entre les individus lors de la pratique de ces rituels : le faire ensemble, l'abandon de l'ego pour se mettre au service de la communauté, le partage d'une émotion commune, l'échange et la transmission des savoirs et des connaissances aux jeunes générations, le sentiment d'appartenance et de créer quelque chose d'utile. Ultimement, la disparition des pratiques rituelles provoqua malheureusement, presque systématiquement et fondamentalement, la disparition et l'annihilation de ce que l'occident appelle tout simplement LA CULTURE !"

JPS : Oui !

MP : C’est un texte très fort, que je trouve très fort, parce qu’il nous ramène au sacré. Donc tu dis aussi dans certaines de tes Notes : "le seul moyen d'appréhender le sacré est à l'intérieur de nous-mêmes et dans la contemplation." Est-ce que tu peux préciser cette notion et penses-tu que le sacré disparaît dans notre société ? La question, c'est la réponse, tu l’as donnée avant, je crois que tu penses que le sacré disparaît dans notre société.

JPS : Oui, non seulement le sacré, mais la culture ; parallèlement à cela, la culture disparaît complètement. C’est un constat, c'est un échec absolu ! Quand on voit l’art contemporain aujourd'hui, à part chez certains artistes, mais la plupart du temps, cette dimension sacrée n’existe plus ; et tous ces rituels qui nous reliaient ensemble (on peut repenser aux films de Pasolini, qui montrait dans pratiquement tous ses films des rituels sacrés, que ce soit les Mille et une Nuits ou les Contes de Canterbury, Théorème, and so on). Même Saint François d’Assise (Uccellacci e uccellini). Cette mise ensemble de la pensée commune, c’est-à-dire que nous sommes passés d’un inconscient collectif à un inconscient individuel. Je pense que l’inconscient collectif est en train de se déliter complètement. On le voit, les gens ne partagent plus grand chose entre-eux ; c’est grave, moi je trouve que c’est grave. Et c’est en cela que nous sommes importants, nous, artistes, pour essayer de réanimer cette culture. Puisque quelque part, c’est une évidence, nous somme entrés aujourd’hui dans une société post-culturelle. La culture a disparu. On le voit chaque fois que l’on voit des expositions, ce n’est pas de la culture, c'est de l'animation culturelle ! Voilà !

MP : D’accord, c’est du divertissement !

JPS : Du divertissement, oui !

MP : L’entertainment des anglo-saxons. Mais tu le dis et je l’ai rappelé tout à l’heure : le seul moyen d’appréhender le sacré est à l'intérieur de nous-mêmes ! Et dans la contemplation !

JPS : Bien sûr, parce qu’il nous reste en nous (la force vitale) - justement on reparlera de la nature - il nous reste en nous cette force, puisque nous sommes nés avec ça ! Qui est-ce qui nous a volé ça ? Est-ce que c'est à la naissance ? Est-ce que c’est à l’adolescence ? A l'école ? Qui nous a volé ? Il ne faut pas être parano, mais il y a cette notion d'amour et de joie d'exister qui nous a été volée quelque part ! Quand je rencontre des gens d'autres cultures, ils me semblent moins vides… On leur a pris moins de choses. Je pense être quelqu'un de diminué, donc il faut que j'aille voir ! Il faut que j’aie une curiosité ! Il faut que je lise beaucoup, que j’intériorise tout ça en moi-même pour appréhender tout ça, pour me nourrir de tout ça, de toutes ces cultures, oui. Et la contemplation, de même : si tu es devant un site important, tu te régénères, tu respires l'air, tu touches les arbres, tu regardes et tu te réappropries le monde !

MP : D'accord, donc tu considères que ce sacré et le sacré c’est un besoin universel ?

JPS : C’est une grande question, je n’ai pas la réponse ! Il y a des gens qui pensent que le sacré n’existe pas, oui !

MP : Moi, je pense que c’est un besoin universel, oui, personnellement ! Mais je te demande à toi si c’est un besoin qu’on a en chacun de nous ?

JPS : Sans doute, mais qui sait ? Non, je n’ai pas la réponse.

MP : Oui.

JPS : On voit comment les cultures évoluent, comment les sociétés évoluent… On voit Bolsonaro au Brésil, est-ce que ce mec-là a une notion du sacré ?

MP : Non !

JPS : Ben alors, ce n’est pas universel ! Point barre.

MP : Ce que je voulais dire c’est que c’est un sentiment universel qui aurait été perdu et dévié vers autre chose.

JPS : Oui, mais après, on tombe sur des notions telles que l’idée du paradis perdu. L’homme est tel qu’il est ! Voilà !

MP : Dans le texte que j’ai lu tout à l’heure, tu évoques l’importance des rituels ?

JPS : Oui !

MP : La question que je voulais te poser c'était de savoir si la pratique d'un rituel est le seul, ou un moyen très important d’accéder au sacré ?

JPS : Oui, c’est le seul !

MP : C’est le seul ?

JPS : À part la naissance et la mort, et encore la mort est accompagnée chez les bouddhistes. Ils font des prières pendant un mois pour accompagner l’âme des morts. Donc sans rituel, que devient l’âme ? C’est une question un peu débile pour un occidental, mais, c'est une question ! Chez les bouddhistes, quand les gens meurent, ils les découpent, ils donnent le corps aux vautours pour qu’il se régénère dans la nature. Il y a tout des cycles de vie et de mort, on dit des prières pour accompagner l’âme du mort. Apparemment, l’âme prendrait un mois pour quitter la terre et aller ailleurs. Pour nous, ces rituels ont complètement disparu, on va encore dans les églises pour enterrer quelqu'un, mais je me sens bien démuni moi, tu comprends ? Et d’avoir vécu quelques rituels chamaniques, où il faut brûler de la sauge pour purifier l’âme et le corps, ce sont des choses importantes. Et quand ça disparaît, que faire ? Nous devenons des objets, ni plus ni moins. Donc on meurt, bon, c’est un objet, on te découpe, on te jette, on te fout à la poubelle, on n'a plus d'existence !

MP : Oui, oui, c’est La Métamorphose de Kafka

- JE SUIS UN ÊTRE HUMAIN, JE NE SUIS PAS UN OBJET ! -

JPS : Non seulement c’est l’attitude vis-à-vis des morts, mais des vivants aussi : on voit comment les sociétés contemporaines traitent les gens, mais c’est terrible ! Tu sais, l’art existe parce que les gens mourraient ; les premières traces d’art, c’était pour accompagner les morts dans leurs tombes.

MP : Tu penses ça ?

JPS : Ah oui, je pense que sans mort, il n’y a pas d'art !

MP : Sans mort, il n’y a pas d'art ?

JPS : Non, non ! Quand je suis allé voir la tombe de Néfertari en Égypte, cette magnificence des peintures, c'était pour accompagner le mort dans l’au-delà, pour lui offrir justement la vie ! Tu comprends ?

MP : Oui, mais ça correspondait à une personne très importante dans l'Égypte antique, mais le commun des mortels ?

JPS : Ils survivaient collectivement grâce au mausolée.

MP : Dont on a oublié les noms et l’existence même ?

JPS : On est d’accord, l’art est fait pour, et par, l’élite. C’est une réalité !

MP : L’art est fait pour l’élite ?

JPS : L’art qui reste !

MP : L’art qui reste ! Mais je veux dire au quotidien ?

JPS : Parce que c’était enterré ; c’est comme pour les grottes préhistoriques, sans doute qu’il y avait plein d’art sur les vêtements, sur les bijoux, mais tout ca disparu, forcément ce n’était pas protégé dans des grottes, donc ça a disparu tout cet art-là, tu comprends !

MP : Il devait y avoir probablement des rituels d’accompagnement ?

JPS : Bien sûr. Mais les rituels les plus importants, initiatiques, c'était quand même pour accompagner les morts… l’esprit des morts.

MP : Et alors les rituels d’initiation qu'on retrouve par exemple dans la Grèce antique, tu en penses quoi, ça t’évoque quoi ? Ils n'étaient pas des rituels d’accompagnement du mort ? Par exemple les mystères d’Éleusis, c’est le plus connu ?

JPS : Peut-être que l’homme a besoin de se fabriquer des mythes et de les garder vivants. Parce que vivre sans mythe, c’est ce qu’on voit aujourd’hui, c’est terrible.

MP : C’est ça, bien sûr. C’est important et dans les mythes, il est important aussi peut-être de considérer le rituel, qui réactive régulièrement le mythe.

JPS : Oui, mais comme on n’a plus de mythe, on ne réactualise pas de rituels.

MP : Et on sent, il me semble moi, qu’on sent chez nos contemporains un certain besoin de ritualisation.

JPS : Enfin, si c’est pour aller à un concert de Johnny, ou à un match de foot, oui ok ! C’est une communion, mais ce n’est pas un rituel. Il n’y a pas de dimension spirituelle autre qu’une communion (un bain de foule) !

MP : Non, il n’y a pas de dimension spirituelle, je ne pensais pas à ça. Bon, merci !

JPS : Merci !


6/11 : LA TRANSE ET LE RÊVE - Voir la vidéo

MP : Une place importante dans ton travail et dans tes écrits sur ton travail : c'est la transe chamanique, ça a compté beaucoup, et le rêve. Je vais commencer par un petit texte de toi dans les Notes de New York

JPS : Oui.

MP : Alors je te cite : "L'artiste comme le chaman sont les médiums de la vie dont rationnellement nous ne percevons que 10%, le reste est du domaine de l’invisible et de l’esprit, enfoui sous l’eau comme la masse invisible des icebergs." Très bien écrit d'ailleurs, je trouve que tes textes sont très bien. Donc je voulais te poser une question sur le rêve qui a à voir avec ton expérience de la transe. Aujourd'hui avec les avancées dans la compréhension du fonctionnement cérébral, on se rend compte que l'activité électrique du cerveau lors du rêve, ou lors des réveils sont très proches. C'est à dire qu'on a pratiquement les mêmes activités électriques et certains neurophysiologistes avancent l'idée que l'état de veille correspondrait en fait à un rêve éveillé, la différence de la trace électrique serait alors liée à l'intense activité des organes sensoriels, qui la différencierait donc de la période du rêve, où les organes sensoriels sont sinon arrêtés, ou tout du moins n'ont pas du tout la même importance. Alors est-ce que c'est quelque chose que tu peux rapporter à ton expérience propre, et à l'idée que tu te fais du rêve, de la transe, de ce que tu as vécu et de ton immersion dans la réalité ?

JPS : Oui ? D'abord une transe… j'aime beaucoup le rêve, mais la transe, puisqu'on parle de chiffres, de science, de rationalité, la transe c'est un rêve puissance cent ! Donc c'est beaucoup plus puissant, puisqu'il faut comparer les choses, difficile de les comparer. Mais je me rappellerai toujours cette énergie que j'ai ressenti dans les transes et que j'ai ressenti une fois dans un rêve, parce que j'étais allé à New York, chez mon amie acupuncturiste Kimberly, je lui ai dit que j'avais des problèmes à dormir et elle a mis deux aiguilles derrière les lobes du cerveau, là, derrière ; et puis cette nuit-là, j'ai fait un rêve d'une transe où j'ai rencontré la lumière blanche que l'on rencontre quand on meurt, le vortex d'énergie, et seul ce rêve avait la puissance des transes chamaniques. Donc sans doute que pendant les rêves on peut accéder à ce niveau de transe, mais c'est pas la même chose. Je viens de faire une conférence au musée de Remiremont, et Jean-Louis Garillon, qui est un ami médecin qui s'intéresse aussi aux champs morphiques et à tout ce qui est un peu au-delà de la science, qui est dans la science quantique, des énergies quantiques. Il m'a dit qu'une chamane avait accepté d'être enregistrée quand elle était dans des états de transes, puisqu'on parle de science. Elle a accepté que son cerveau soit enregistré et l'énergie de son cerveau était complètement faramineuse, ils n'avaient jamais vu ça ! C'est juste pour revenir à quelque chose de rationnel, voilà. Mais, c'est tout !

MP : Alors la question elle portait bien sûr sur le rêve, la transe, mais aussi sur la perception de la réalité ? Parce que finalement d'après, ce sont des théories… Il semblerait, que justement ça corresponde à la note que j'ai lu tout à l'heure, à savoir que la perception qu'on a de la réalité elle est du même ordre que le rêve, elle est du même ordre physiologique que le rêve. C'est-à-dire qu’en fait, il semble bien que ça corresponde à ce que tu dis, à savoir que, effectivement, la perception qu'on a du réel, elle n'est pas véritablement objective !

JPS : Mais non bien sûr !

MP : Tu comprends ce que je veux dire !

JPS : On sait que tout est vide, que nous ne sommes que vibrations. Tu sais très bien ! Si tu ramènes toute la quantité de matière de l'Univers, ça tient dans une orange ou une pomme.

MP : Bien sûr.

JPS : Donc nous sommes des vibrations, donc cette réalité-là on n'en a pas conscience, mais elle existe ! Elle fait partie de nous ! Donc c'est un niveau de conscience différent !

MP : C'est ça ! D’accord !

JPS : Mais ça n'a peut-être rien à voir avec le cerveau ? je ne sais pas où ça se passe ? Le cerveau est peut-être juste le récepteur d'informations subtiles circulant dans l'inconscient collectif, comme l'ordinateur est le récepteur des informations du web, mais n'est pas la base de l'information ?

MP : Ah ben oui bien sûr, ça peut à voir aussi avec le cerveau ?

JPS : Peut-être, mais so what ? C'est pas important ! Ce qui est important, c'est quand même ces univers que l'on a la chance de rencontrer quand on est en transe, ces voyages que l'on peut faire. Et ça c'est important ! Et peu importe pourquoi, comment ?

MP : Ce que je voulais simplement dire c'est que la science contemporaine elle semblerait aller dans ton sens, c'est ce que je voulais dire !

JPS : Mon sens ? Mais moi, je suis artiste ! Je parle… encore une fois, qui suis-je ? Mais le problème c'est que le public et même les médecins sont complètement en retard par rapport à cette nouvelle science (ces nouvelles découvertes), la médecine quantique tout ça ! Ils n'en n'ont pas conscience. La réalité reste toujours la réalité, une jambe, c'est une jambe ! Mais ce qui se passe à l'intérieur, les milliards de tâches qui se passent dans un corps simultanément, tu imagines comment ça fonctionne ? Tu es médecin, c'est incroyable, inimaginable !

MP : Bien évidement, je sais ça, je connais ça !

JPS : Mais même si tu es médecin, tu ne peux pas tout connaitre ! On est devant un univers fabuleux, (le grand mystère) !

MP : Bien sûr, et de ce point de vue-là, il y a un aveuglement de la science et de la technique en particulier aujourd'hui. Pour en revenir au rêve et la transe, il est vraisemblable que c'est très difficile de faire partager ça ?

JPS : Mais moi, c'est ma responsabilité de témoigner, de le partager dans mon travail. Après c'est comme Pollock, il parlait de la transe chamanique, mais on n’est pas obligé de savoir qu'il a… Je ne sais pas si il avait fait l'expérience de transes, en tout cas, il est allé chez les indiens Navajo, donc on peut ressentir quand même ce sentiment cosmique dans ses toiles, sans appréhender le côté chamanique.

MP : Oui, mais l'expérience, même vécue ?

JPS : Ah non, on ne peut pas la partager.

MP: On peut en parler, mais on ne la partagera pas.
JPS : Non, non.

JPS : Et ce qui est assez étrange dans les transes, c'est ces lumières particulières et c'est ces couleurs que l'on retrouve dans mon travail.

MP : À oui, d'accord !

JPS : C'est comme les mystiques ou les "illuminés" !

MP : Oui ?

JPS : On dit que les gens sont "illuminés" ! Eh bien moi, je suis "illuminé" et je vous emmerde ! C'est ça, c'est mon expérience.

MP : Ah oui bien sûr, ton expérience est intéressante !

JPS : C'est comme on adore l'art brut, parce que ces artistes nous parlent de quelque chose qu'on ne connaitra jamais ! Les fous peignent leur univers…

MP : Ils peignent leur univers, oui.

JPS : Et on trouve ça intéressant, parce qu'on n’a pas le courage…!

MP : Tu dis les fous ?

JPS : Bon, entre guillemets !

MP : Entre guillemets, on va dire ça !

JPS : C'est un univers que les gros bourgeois rationnels ne connaitront jamais…… Pourquoi les gens achètent des Basquiat? Non seulement parce que ça vaut de l'argent, mais parce c'est un univers (un degré d'énergie) qu'ils n'atteindront jamais ! À, moins qu'ils ne fassent de la coke, ou que bon ! C'est pas grave !

MP : Mais ça a quand même une importance capitale dans ton travail ?

JPS : Oui, bien sûr.

MP : Dans ta vie et dans ton travail ?

JPS : Oui, c'est aussi la transe sexuelle !

MP : La transe sexuelle ?

JPS : L'extase !

MP : L'extase, ça tu en parles moins me semble-t'il ?

JPS : Oui.

MP : Peut-être, très bien, merci Jean-Pierre !


7/11 : LE CARRÉ & LES AXIS MUNDIS - Voir la vidéo

MP : Jean-Pierre, il y a une forme qui est importante dans ton travail : c'est le carré. Alors je voulais t'interroger sur cet aspect formel, la place et l'importance du carré dans ton travail. On a le sentiment que ce choix, c'est l'aboutissement de plusieurs tentatives, choix qui semble aujourd'hui fixé. On a l'impression que c'est le carré, point barre comme tu dis souvent. Alors je pense que, et l'on peut penser que ça ne relève pas du hasard, que c'est un cheminement, et est-ce que tu penses que cette forme géométrique, donc le carré, a une force symbolique et comment tu l'insères dans ton œuvre ?

JPS : Bien sûr, oui, je pense qu'on parlera plus tard de l'axis mundi forcément le carré c'est les quatre directions et le centre, voilà. Et oui c'est petit à petit, mais déjà dans les années quatre-vingt-quatre quand je peignais en France, je me suis mis à travailler sur le carré, parce que pour moi, en travaillant, je veux me débarrasser de toutes idées superficielles, comment dire : la poubelle, je pense à la poubelle ! De tout ce qui me gêne l'esprit : la composition par exemple ! Tu comprends ? Les peintres, ils réfléchissaient une année à faire composition, moi je m'en fous ! Je veux que ce soit comme un déversoir où je puisse mettre toutes les énergies possibles, où je puisse mettre ce que je veux. Et donc oui c'est un peu… c'est mon module, et il se trouve que ça s’est développé au cours du temps et que cette unité s'est imposée autant dans les petits formats que dans les grands formats. Parfois, je fais encore des travaux sur papier au rapport 1/2, mais souvent j'aime bien le carré parce que je n'ai pas ces problèmes de composition, ni de réfléchir à : est-ce que je veux un format 1/3, 2/3, il faut me simplifier l'esprit (la pensée), voilà ! Et par ailleurs c'est un travail d'assemblage que l'on voit dans les grands murs, et la manière de mettre le plus d'informations dans une surface, c'est les abeilles qui l'ont trouvé : c'est l'hexagone, sauf que peindre sur des hexagones ce serait très compliqué à faire, avec les films positifs et tout ! Pour moi ce serait très compliqué. Donc quelque part je copie sur les abeilles mais je fais des carrés.

MP : À la limite, tu préférerais l'hexagone mais tu as choisis le carré ?

JPS : Oui !

MP : Mais plus pour des questions pratiques semble t-il ?

JPS : Pratiques, voilà !

MP : Que pour des questions symboliques ?

JPS : Voilà.

MP : Le carré n'a pas pour toi ?

JPS : Parce que pour mettre le plus d'informations sur cette surface avec un hexagone j'aurais plus d'informations qu'avec le carré.

MP : Oui, d'accord, d'accord !

JPS : Les abeilles ont compris cela !

MP : Mais là, je découvre quelque chose là tu vois, mais le cercle non ?

JPS : Mais comment veux-tu assembler des cercles ?

MP : Non mais justement ?

JPS : Mais bon c'est une question pratique, tout simplement.

MP : Mais si tu isoles un élément, parce que là évidement, tu les assembles, mais quand tu isoles un élément… mais peut-être ne doivent-ils pas être isolés finalement ?

JPS : Oui, mais quand je les isole, je rajoute encore le tour carré autour.

MP : Oui alors justement, il y a cette idée de cadre, parce que quelque part dans tes Notes, tu rejettes aussi la peinture-fenêtre ? Le cadre fenêtre ?

JPS : Oui la peinture-fenêtre, tout à fait !

MP : Tu parles à un moment donné de la fenêtre ouverte etc. Mais par contre tu as rajouté des cadres à tes Plexiglas, comment tu expliques ça ?

JPS : Pour moi, c'est comme une espèce de svastika, c'est quelque chose qui tourne, parce que ça me crée (rajoute) une autre dimension. La peinture, on rentre dans la peinture comme ça frontalement, (horizontalement) et la swastika tourne comme ça (mouvement perpétuel), donc ça fait comme un symbole solaire et ça définit un espace sacré !

MP : Tu ne le considères pas comme un cadre ?

JPS : Non !

MP : Il fait partie véritablement de ce qu'il y a à l'intérieur ?

JPS : Voilà, oui, et par ailleurs le tour est quelque chose d'industriel, ce sont des couleurs industrielles : des rouges, des bleus, des noirs, du Plexiglas teinté industriellement, mais dans mes peintures chaque couleur est unique, chaque fois que je fais mes mélanges je ne mets jamais la même couleur.

MP : Ah oui d'accord.

JPS : Donc c'est une différenciation entre : produit industriel et produit artisanal, entre guillemets, fait à la main avec amour, entre guillemets ! C’est une cuisine ! Et puis c'est aussi une protection !

MP : C'est une protection ?

JPS : Oui, c'est une protection, la peinture c'est fragile !

MP : Bien sûr, donc on peut considérer aujourd'hui que ton choix du carré il est fixé, ?

JPS : Non, on ne sait pas, rien n'est définitif !

MP : Oui, d'accord, rien n'est définitif. Donc pas de forces symboliques associées aux carrés ?

JPS : Ah si bien évidement !

MP : Si quand même !

JPS : Je te l'ai dit c'est les quatre directions dans le carré forcément : nord, est, sud, ouest, et par exemple dans tous les dessins navajos sur le sable, ils mettaient…, c'était toujours orienté et chaque fois les couleurs étaient différentes, par exemple le nord était rouge, le sud était blanc…

MP : Oui c'était orienté ?

JPS : C'est toute une symbolique, une symbolique des couleurs.

MP : Alors c'est une symbolique des couleurs là en l'occurrence pas de la forme ?

JPS : Mais si ! Parce que c'est forcément carré, les quatre directions !

MP : C'était forcément carré ?

JPS : Ben oui, ou inscrit dans le cercle !

MP : Donc on a bien compris qu'au début tu m'as effectivement évoqué cette notion des quatre directions et que le carré finalement tu l'as choisi aussi pour des raisons pratiques ?

JPS : Oui, pratiques, mais par exemple pour les Indiens des plaines rien n'est carré exemple, ils disent rien n'est carré !

MP : Rien n'est carré ?

JPS : Dans leur univers, d'ailleurs leurs tipis sont ronds…

MP : Oui c'est vrai !

JPS : Pour eux, penser carré, c'est l'occidental qui pense carré. Il se trouve que je suis occidental, je fais de la peinture, mais peut-être que ça les choquerait, mon travail sur le carré ?

MP : Ah tu crois ?

JPS : Peut-être, je ne sais pas ? C'est une question ?

MP : Oui d'accord.

JPS : Tout est cyclique chez eux (le temps aussi), donc forcément, moi je sors du cercle et j'entre dans le carré, mais c'est la seule manière que j'ai trouvé de faire les choses.

MP : D'accord, on ne pourrait pas faire un lien entre ça et un mandala par exemple ?

JPS : Bien sûr c'est des mandalas, ou des yantras, oui tout à fait, des schémas de méditations…

MP : D'accord, très bien.

JPS : Parce que, c'est ce qui est le plus centré le carré, c'est ce qui centre les choses (avec son axe), justement on retrouve cet endroit où on bascule entre les univers différents, le centre du monde, l'axis mundi.

MP : Merci Jean-Pierre sur le carré.


8/11 : LE 11 SEPTEMBRE 2001 À NEW YORK - Voir la vidéo

MP : Alors on en vient à présent, Jean-Pierre à un événement qui est très important pour toi quand tu résidais à New York et que chacun de nous a en tête, c'est le 11 septembre 2001.

JPS : Oui.

MP : Que tu as vécu comme un traumatisme profond, comme tu l'écris toi-même, et qui semble t'avoir durablement influencé dans ton travail. Puisqu'à ce moment là, tu évoques, tu l'écris : la nécessité d'un effet guérisseur après un tel traumatisme. Et alors tu élabores des codes nouveaux, à partir de ce moment-là je l'ai lu et parmi ceux-ci, j'ai noté, je cite : "Trouver l'unité pour échapper à toute dualité conflictuelle." Alors est-ce que tu pourrais préciser ça ? J'avais noté dans ton travail Beauty Is Energy, la présence à la fois de la porteuse d'offrande égyptienne qui est symbole de paix.

JPS : Oui, oui.

MP : Et en même temps de l'écorché aztèque, symbole de violence. Comment se réalise l'unité face à cette dualité ?

JPS : C'est un peu compliqué. Mon travail c'est justement de mettre ensemble les opposés, de les confronter. Mais dire aussi que tout est dans l'humain de toute manière : la plus grande violence et le plus grand amour, et la plus grande volonté de guérir le monde. Et justement c'est cette femme égyptienne et l'écorché. Mais les deux ont leur fonction dans le monde. Je ne crois au diable, ni aux dieux, mais je crois à la symbolique des choses. Et donc de voir cette femme égyptienne, qui régénère le monde et qui nous accompagne et ce prêtre aztèque, qui d'un autre côté régénère le monde à sa manière en pratiquant un sacrifice humain, il régénère aussi le monde ! Et il faut accepter les deux parties des choses. Et la violence et le sacrifice sont parfois nécessaires dans la nature, on le voit. Et cette dualité, c'est la dualité masculin - féminin aussi ! Mais je ne suis pas trop dualiste dans ma pensée.

MP : J'ai bien compris, que tu ne l'étais pas.

JPS : Mais bon, dans cette série, on peut penser, oui que je l'ai été… Parce qu'il y a cette violence incroyable de la guerre. J'ai eu la chance heureusement, de ne pas connaître de guerre. Bien sûr, nos ancêtres, enfin nos pères, nos grands-pères ont connu les deux guerres mondiales, donc j'étais d'une génération qui à ce moment-là n'avait pas connu ça ! Et je pense que le 11 septembre à New York, c'était un état de guerre, ça m'a choqué et peut-être, ça m'a fait comprendre mon rôle d'artiste qui était peut-être d'apaiser un peu le monde et d'être plus violent en montrant la vie, la beauté de la vie et sa fragilité quoi ! D'être plus pertinent, de montrer la sexualité, les mondes qui se régénèrent.

MP : D'accord, mais cette violence du 11 septembre que tu as vécu comme un état de guerre finalement, ce qui est tout à fait réel, cette violence, tu penses qu'elle est en l'homme, en chacun de nous ?

JPS : Bien sûr !

MP : Tu penses qu'elle est en chacun de nous ? Mais l'aspect guérisseur dont témoigne cette prêtresse égyptienne, c'est ça ? La porteuse d'offrandes, c'est un beau titre. Tu penses que cette capacité, moi je suis médecin, je fais partie du soin, je fais partie des gens qui soignent !

JPS : Voilà !

MP : Pour moi ça a beaucoup d'importance.

JPS : Bien sûr oui, oui.

MP : Je ne pourrais pas concevoir un soin qui soit violent !

JPS : Oui, c'est un choix de vie !

MP ; Tu comprends ce que je veux dire ? Est-ce qu'il faut la combattre cette violence ? Est-ce que ton travail aussi vise à la combattre, ou en tout cas à la neutraliser.

JPS : C'est compliqué, parce que les images de bondage par exemple, on peut penser que c'est de la violence ça et puis pour moi ce n'est pas de la violence, c'est d'acquérir un autre état (une métamorphose, dépasser la souffrance), donc c'est très ambigu.

MP : C'est très ambigu, oui.

JPS : Mais j'aime, au cours de ma vie j'ai toujours été attiré par les gens qui essayaient d'assouplir les choses, de faire fonctionner les choses ensemble ; c'est pour ça que mon grand-père et mon père me manquent énormément. Il y a des gens qui vivent dans le conflit permanent et ça pour moi c'est très difficile à concevoir, parce que c'est un manque de politesse quelque part.

MP : Oui, c'est ça tu penses que beaucoup de gens vivent dans le conflit permanent, ils sont partagés entre deux tendances qui les déchirent quoi.

JPS : Sans être manichéen, mais il y a des gens qui sont complètement timbrés !

MP : Oui, d'accord !

JPS : Une violence !

MP : Oui bien sûr, ça je suis d'accord avec cette idée-là.

JPS : Pour être bien, il faut quand même être dans une structure qui est bien, que la famille soit bien, que la société soit bien. Aujourd'hui les gens ne sont plus bien, tu vois les gilets jaunes, ils sont dans une situation de détresse absolue.

MP : Bien sûr !

JPS : Et donc même moi, je le sens que je vais le week-end voir ma famille, ma sœur est terrible avec moi avec toute la famille, et quand je rentre, je ne peux même plus voir la beauté de la nature, en conduisant. Et c'est grave pour moi parce que j'ai perdu ce côté de joie et de beauté, que j'ai appris à avoir vis-à-vis des paysages. Parfois, je ne peux plus voir la beauté tellement, il y a de gens négatifs qui nous plombent la vie et c'est très difficile pour moi de vivre ça. Au contraire, il y a des gens qui s'ouvrent et qui sont bienveillants, et à l'opposé de ça, il y a des gens qui sont complètement destructeurs.

MP : Donc ça c'est la réalité.

JPS : C'est la réalité.

MP : Et face à ça, l'art est fondamental ?

JPS : Voilà, mais le problème c'est que l'art va aussi dans cette direction de destruction (l'instinct de mort de Freud, dans Le Malaise dans la civilisation), parce qu'on parle du 11 septembre, je vais vous raconter une anecdote dont j'ai peu parlé (par honte) et dont je vais parler à ma prochaine conférence à Remiremont, c'est-à-dire que le 11 septembre c'était un mardi, et il y avait une expression qui était prévue au Centre Culturel Suisse. L'équipe d'artistes avaient prévu comme titre : "Mayday, Mayday", ou l'angoisse du pilote d'avion au moment du crash ! Donc coïncidences, coïncidences… donc c'était une expo magnifique etc… Et ces cons, ces barbares d'artistes, ils avaient déjà démonté des avions dans le Centre Culturel Suisse, c'était en ruine. Et alors au 11 septembre, la ruine était là dans la rue !

MP : Dans la rue !

JPS : Dans la rue il y avait des tanks, des camions de pompiers écrasés, aplatis, des grabats partout ! Parce que le Centre Culturel Suisse c'est à Canal Street, c'est à un ou deux km du World Trade Center, c'est tout proche. Et je dis à un copain Miguel tiens, le jeudi suivant il y a le vernissage, ça te dit d'y aller ? Et Miguel avait juste échappé au World Trade Center, il avait respiré la poussière.

MP : Tu en as parlé dans ton texte.

JPS : Et les artistes, je pense que c'est des gros cons…! des fascistes ces gens-là ! Ils avaient enlevé les avions qui étaient détruits et ils ont détruit des mobylettes. Et l'exposition s'appelait : l'angoisse du gars qui va se cracher Motocylette ! Il faut dire que l'art contemporain c'est ça aujourd'hui ! C'est des gens qui n'ont absolument aucune notion de l'autre ! Parce que imagine toi déjà enlever les gravats d'avions qu'ils avaient écrasé dans leur galerie, ils avaient tout démonté, je ne sais pas si ils avaient emmené les avions de Suisse ou pas ? So what, on s'en fout ! Et ces cons là avaient démonté alors que tout le monde était complètement, mais effaré de l'événement ! Cette équipe d'artistes avec le directeur, ont démonté des motos dans l'espace ! Et ils ont fait l'expo !

MP : Et ils ont changé le nom !

JPS : Et ils ont changé le nom ! Et moi, je serais un artiste dans ce cas-là, j'aurais pu penser L'angoisse du gardien de but au moment du penalty (Peter Handke), OK ! Mais moi j'aurais rempli la galerie de fleurs (en hommage aux morts) ! C'est honteux ! Et l'art contemporain c'est toujours ça ! Et ces gens-là… et le mec est devenu directeur du Palais de Tokyo à Paris !

MP : Il a fait ce qu'il fallait !

JPS : Tu comprends ! Et ça c'est dégueulasse !

MP : Mais peut-être plus que l'art contemporain, c'est le politiquement correct ?

JPS : A ben non, ça c'est pas politiquement correct, justement, c'est parce que c'est pas politiquement correct qu'ils ont eu cet impact-là ! Mais ils sont sortis de l'humanité, c'est inconcevable de faire ça ! Mon ami Miguel, il pleurait et moi aussi d'ailleurs ! On s'est barré ! J'ai dit c'est pas possible d'être aussi con !

MP : Oui, tu l'évoques dans tes textes.

JPS : C'est terrible, oui, voilà le 11 septembre. Heureusement mes amis, mon ami Bruno Dellinger qui a écrit un livre là-dessus (World Trade Center 47e étage) s'en est sorti, et mon amie Mayumi, qui travaillait à un restau japonais en dessous de World Trade Center, s'en est sortie également, mais c'était vraiment un choc. Et aussi ce qui était important c'était toute cette solidarité déployée, les gens allaient apporter des bouteilles d'eau aux sauveteurs, c'était une logistique énorme, pour sauver les gens qui étaient encore vivants.

MP : Pour sauver quelques personnes, oui.

JPS : Et ça a brulé pendant trois mois ! Et quand j'ai découvert ça (mon ami Pierre Louaver m'avait appelé), je suis allé sur le toit de mon building à L.I.C. Queens, et il n'y avait plus rien ! Avant il y avait les deux tours et maintenant plus rien…! de la poussière ! Donc la vie ça va vite, plus rien…!

MP : Ça va très vite bien sûr ! Merci !


9/11 : LE TEXTE ET L’IMAGE - Voir la vidéo

MP : Pour cette question, je vais commencer par une citation d'Antonin Artaud dans ces Cahiers que tu cites toi-même !

JPS : Oui.

MP : "Mes dessins ne sont pas des dessins mais des documents, il faut les regarder et comprendre ce qu'il y a dedans". C'est intéressant et c'est pour ça que je vais te poser une question sur les rapports entre l'image et le texte. Je trouve, et je te l'ai déjà dit que tu écris très bien sur ton travail, et que quand on te lit, on rentre bien dans ton œuvre et ceci sans du tout l'amoindrir, je trouve que tu l'évoques très très bien dans tes textes.

JPS : Oui !

MP : Mais par contre c'est pas toujours le cas, c'est loin d'être toujours le cas quand des individus parlent aussi bien de leur œuvre ou parlent de l'œuvre de quelqu'un, d'un artiste ! Donc je me pose la question de la place de l'image par rapport au texte. Faut-il une explication à l'image, au risque d'en tuer la force symbolique ou bien l'image est-elle plus, voire mieux que le texte ?

JPS : Bien sûr oui, personne ne rêve en texte. C'est à dire que l'image c'est vraiment ce qui nourrit l'inconscient collectif, bien évidemment ! Oui, c'est plus important ! Pour moi, et on voit par exemple une perte de la force de l'art dès dès l'arrivée de l'écriture, forcément, puisqu'on démultiplie les informations !

MP : Bien sûr !

JPS : Mais ce que j'aime faire, par exemple dans mon travail, je réintègre souvent avec mes images des textes érotiques voire obscènes, parce que justement ça fait appel à deux zones différentes du cerveau, donc les deux sont importants pour moi !

MP : Les deux sont importants ?

JPS : Oui bien sûr !

MP : Et on le sent dans tes textes, parce qu'effectivement, je trouve que dans les textes que tu écris sur ton travail, c'est quelque chose qui apporte quelque chose à ton travail.

JPS : Tant mieux, oui.

MP : Personnellement, je le trouve comme ça. Mais toi-même, dans ton cursus et dans ta vie quotidienne, dans tes lectures, tu dois lire des textes sur l'histoire de l'art, sur des artistes ?

JPS : Non.

MP : Ah non tu n'en lis pas ?

JPS : Plus !

MP : Ou tu en as lu ?

JPS : J'en ai lu, mais je n'en lis plus.

MP : Et qu'en penses-tu?

JPS : Chacun est diffèrent, chacun… pour moi, mes textes ne sont pas une justification, c'est un témoignage encore une fois. C'est à dire que oui, peut-être, j'ai peur que mon travail ne soit pas compris ou ignoré ! Je me dis tiens, vous qui ne pensez qu'avec le texte, parce que les français ne pensent qu'avec le texte, la pensée française est formatée sur le texte et pas du tout sur l'image. On le voit, il y a dans l'histoire très peu de peintres français importants. On les compte sur les doigts d'une main !

MP : Aujourd'hui ?

JPS : Aujourd'hui, dans l'histoire et depuis toujours, la plupart étaient des gens italiens ou espagnols, immigrés, peu importe. Il y a qui : il y a Gauguin, Matisse, quelques-uns…

MP : Picasso !

JPS : Mais Picasso, excuse-moi, il est espagnol ! Il ne faut pas se foutre de la gueule du monde et s'approprier les artiste qu'on a littéralement laissé crever de faim au début du vingtième siècle en France, mais ces gens-là étaient des immigrés comme moi ! Poliakoff, Soutine, Modigliani, tu comprends !

MP : C'est le nom que je cherchais l'autre jour pour parler d'un artiste !

JPS : Voilà, oui tu comprends, tous ces gens-là ils sont venus en France, je me pose la question pourquoi ils sont venus en France ? Fuck the French ! C'est trop dur de travailler ici !

MP : Quelque part ils l'ont expliqué !

JPS : Oui, ils l'ont expliqué, voilà et peut-être qu'il y avait une espèce de dynamique à cette époque-là, je pense que c'était un peu la même sorte de dynamique qu'il y avait à New York quand j'y étais, sans doute qui n'y est plus maintenant. Il y a des villes qui attirent les artistes à une époque donnée. À un moment donné c'était Venise, ou peu importe !

MP : Ce qu'il y a d'intéressant me semble-t-il dans ce rapport du texte à l'image, c'est que finalement les artistes, ils ont peu écrit sur leurs œuvres, les grands artistes.

JPS : Mais si tu es grand, tu n'as pas besoin d'écrire !

MP : Voilà bien sûr !

JPS : Peut-être que je ne suis pas assez grand ?

MP : Ce que je veux dire c'est que j'étais l'autre jour à une exposition au vernissage entre guillemets d'une exposition d'art contemporain à Belfort, dans le cadre du festival Libres Regards, bon c'était une installation, performance, pour moi ça m'a laissé totalement indifférent, et j'ai lu le texte de présentation, et ce texte était lui-même incompréhensible.

JPS : Bien sûr.

MP : C'était un jargon !

JPS : Oui, mais là on sort du sujet, on parle de l'art contemporain français, qui est un des plus conceptuels au monde.

MP : Oui, mais là en l'occurrence, le texte parlait de l'œuvre, mais il y aurait fallu une explication du texte !

JPS : Mais non, il n'y a pas d'explication, c'est une immense mystification l'art contemporain !

MP : C'est une mystification, c'est du jargon, oui ! Je l'ai compris comme ça ! Là ça se révèle bien ! Mais donc finalement, dans les entretiens que l'on mène, on cherche quelque part aussi peut-être aussi à percer à jour quelque chose de l'œuvre ? Tu comprends ce que je veux dire ? Par la parole !

JPS : Oui, bien sûr ! Il faut parler des choses, je ne suis pas du tout contre !

MP : Non, non bien sûr, mais je trouve que tu en parles bien, c'est ça qui est intéressant !

JPS : Mais aussi par nécessité ! Parce que l'autre jour il y avait Julian Schnabel qui parlait sur France Inter d'une exposition qu'il avait à Paris et il disait que ce n'était pas à lui d'expliquer son travail ! Mais son travail est montré dans tous les musées et dans toutes les grosses galeries mondiales, donc il a des gens qui font ce travail-là pour lui ! Moi, personne ne fait ce travail pour moi, et j'aime le faire, c'est un respect par rapport à mon travail de savoir l'expliquer !

MP : D'accord, d'accord !

JPS : Ce n'est pas que mon travail soit insuffisant !

MP : Oui, c'est pas un supplément à ton travail ?

JPS : Non, il se trouve que parfois, par exemple pendant deux années je n'ai pas pu travailler, faute d'argent pour produire des œuvres d'art, et bien je me suis mis à écrire, mon texte des Influences par exemple.

MP : Ah oui d'accord !

JPS : Mais pour moi l'image et le texte sont importants parce qu'on ne peut pas être unicérébral avoir un seul cerveau ou lobotomisé. Je vois mes contemporains et j'ai l'impression qu'ils sont lobotomisés, qu'ils n'utilisent qu'une seule partie de leur cerveau, justement la partie rationnelle, qui est le cerveau gauche! et le cerveau droit, plus féminin, ils ne l'utilisent plus du tout : l'intuition, la joie, ça disparait !

MP : Le désir !

JPS : Le désir ! Voilà !

MP : Bien sûr, oui, oui! Je trouve qu'effectivement, tu manies bien les deux, c'est important, c'est important d'aller effectivement sur ton site pour voir tes écrits etc, c'est vraiment très important. Merci d'avoir répondu à cette question.


10/11 : LE SEXE ET LE DÉSIR - Voir la vidéo

MP : Alors Jean-Pierre, on va aborder un aspect fondamental dans ton œuvre, la place de la sexualité, qui tient une place très importante. Quand on prend ta dernière exposition Shakti-Yoni, c'est quand même très important.

JPS : Oui !

MP : Alors en particulier je voulais t'interroger sur l'utilisation d'images pornographiques, qui sont issues de mangas japonais, je crois, mais aussi d'autres images pornographiques ? Et tu dis quelque part que c'est : "Utiliser les armes de l'ennemi" (L'art de la guerre, Sun Tzu). Alors est-ce que tu pourrais faire le lien entre ces figures, qui sont parfois évocatrices de douleur, je pense en particulier au bondage, et les figures des divinités Aztèques, qu'elles côtoient parfois dans ton œuvre ? Et pourquoi avoir choisi ce type d'images pornographiques, et pourquoi sont-elles différentes, par exemple de ce que tu pourrais trouver en occident, où ça ne manque pas ?

JPS : Non, mais oui ?

MP : Oui, il y a une autre question : est-ce qu'on ne peut pas considérer l'art en général, donc le tien, comme l'expression du désir ? Comme l'exprime Pascal Quignard dans Le sexe et l'effroi, citation que tu dois connaitre : "L'art, lui, préfère toujours le désir, l'art est le désir indestructible, le désir sans jouissance, l'appétit sans dégoût, la vie sans mort."

JP : Oui, oui ?

MP : Après, je compléterai ma question !

JPS : Moi, je récupère ce que l'on appelle : trash, c'est à dire que ce sont des images trash (poubelles). La pornographie c'est le plus gros business avec l'armement dans le monde. Donc on est inondé d'images comme ça, et ce que je veux dire, c'est que parfois, dans ces poses érotiques, il y a quelque chose qui ressemble à un rituel de régénération. Et c'est pour cela, que je veux réintégrer ces images pour redynamiser le monde, oui bien sûr ! Ça peut-être des mangas japonais avec des textes érotiques, oui !

MP : Des textes érotiques, mais par contre, tu ne te réfères pas à ce qui existe dans notre monde occidental ?

JPS : Il n'y a rien, c'est un grand vide (sauf en littérature) !

MP : La pornographie existe quand même chez nous ?

JPS : Oui, mais si tu vas dans un musée, as-tu déjà vu une œuvre érotique dans un musée ?

MP : Non !

JPS : Mais c'est un grave problème. Là je viens de faire une exposition au musée de Remiremont, où j'ai mis un gros sexe en érection à côté d'Adam & Ève d'un peintre du XVème siècle ; enfin tu vois des êtres nus, ils ont une feuille de vigne…

MP : Oui !

JPS : Et le sexe n'est jamais signifié ou décrit ! Non seulement, il n'est pas signifié, mais jamais en érection ! Le sexe masculin n'est jamais signifié, le sexe féminin encore moins ! Comment veux-tu que les gens soient normaux ? C'est l'imaginaire d'une société que l'on trouve dans les musées !

MP : oui !

JPS : Comment veux-tu former des gens en leur faisant croire qu'ils ont une feuille de vigne collée sur le sexe ? Il y a une dissociation complète (créant névrose et schizophrénies) !

MP : Non, la question que je te posais, c'était de savoir pourquoi tu vas chercher uniquement tes images dans les mangas japonais ?

JPS : Pas nécessairement ! Dans les images érotiques aussi !

MP : Oui, les images érotiques, mais japonaises ?

JPS : Non ! pas nécessairement !

MP : Ah, pas forcement, d'accord !

JPS : Non, j'utilise l'image pornographique en général.

MP : La pornographie en général, d'accord !

JPS : Parce que je pense que ces images sont sacrées quelque part ! Je veux resacraliser des choses qui sont désacralisées, qui sont du business, ce sont des objets de consommation. C'est un peu ce qu'a fait Warhol, sauf que les images de Warhol était déjà sacralisées : Marylin Monroe elle avait déjà une réputation (c'était déjà une icône), Mao avait une réputation, Mick Jagger avait une réputation donc, il a déjà utilisé des images fortes, iconiques ! Moi, je crée des icônes, entre guillemets.

MP : Oui, c'est intéressant !

JPS : Par des images qui n'ont aucune importance ! À part celles des rituels, qui ont leur importance dans différentes cultures !

MP : Oui, par exemple les images de bondage, on peut considérer que c'est ritualisé ?

JPS : Tout à fait, oui, c'est ritualisé !

M : Bien sûr ! Et j'ai lu ça, il y a quelques années. J'avais fait un travail sur la douleur, la souffrance et j'avais lu des textes sur les rituels de suspension qui existent aussi dans les cultures d'Amérique Centrale, je ne sais pas si tu connais ces choses-là ? Et où il y a des témoignages qui sont évoqués là, de la douleur, mais de la douleur qui est presque transcendée en plaisir ? Ça ne te dit rien ça ?

JPS : Si ça me dit, bien sûr, mais comme je l'ai dit précédemment les prêtres, par exemple les femmes, se perçaient la langue avec des cordes pleines d'épines pour rencontrer le serpent cosmique, pour rencontrer l'esprit. C'est un moyen d'accéder aux esprits, à la transcendance, d'accéder à un niveau de transcendance.

MP : Oui, d'accord donc c'est le lien que tu pourrais faire entre ces images évocatrices de douleur, comme on en voit dans tes œuvres ?

JPS : Il n'y a quand même pas beaucoup de douleur dans mon travail, il y a plutôt du plaisir et de l'extase ! Mais après chacun voit midi à sa porte. Il y a des amies femmes qui sont très choquées par mes images de bondage, il y en a d'autres qui trouvent que c'est la libération de la femme, et de son désir ! Donc, vraiment là, je veux pas m'engager là-dessus parce que chacun… et c'est aussi son histoire sexuelle, sa propre histoire.

MP : Sa propre histoire, oui bien sûr ! Oui évidemment !

JPS : Moi je ne veux être ni persécuteur, ni persécuté, je dis ce qui est !

MP : Mais alors quand on parle de sexualité, on parle de désir et que penses-tu de cette citation de Quignard par rapport au désir et à l'art : "L'art, lui préfère toujours le désir, l'art est le désir indestructible, le désir sans jouissance, l'appétit sans dégoût, la vie sans mort."

JPS : Oui, il a tout à fait raison, oui !

MP : Oui tu adhères à cette idée-là, c'est dans Le sexe et l'effroi, ça te parle ?

JPS : J'ai lu le livre.

MP : Ca te parle ?

JPS : Il y a un plaisir incommensurable, d'une part à faire de l'art et à jouir sexuellement, bien sûr ! Oui !

MP : Oui, et quelque part est-ce que ton art et l'expression de ton désir ?

JPS : Ben oui !

MP : Je ne te fais pas une psychanalyse !
JPS : J’aime la forme, j'aime la couleur, j'aime les images, j'aime les femmes ! Oui bien sûr !

MP : Quelque part, tu exprimes ton désir ?

JPS : Vis à vis du monde !

MP : Comme d'autres artistes l'on déjà fait ! C'est un désir qui te porte ! Quand tu te lèves le matin ?

JPS : Oui !

MP : Alors une question, une autre citation de Pascal Quignard : "Les artistes sont les meurtriers de la mort !" c'est dans Les Ombres errantes.

JPS : Oui forcément, on aime la vie !

MP : Voilà c'est ça ! En fait c'est ça !

JPS : On a une énergie vitale peut-être un peu plus !

MP : C'est magnifier la vie quoi ! Vous êtes ceux-là ! Vous êtes ces personnes !

JPS : Tous les artistes ne le sont pas.

MP : À priori, je pense que tous les artistes dignes de ce nom ?

JPS : Il y a des artistes qui n'ont aucune énergie vitale !

JPS : Non, je ne dirais pas cela. Il y a des artistes qui sont obsédés par la mort, Anselm Kiefer et Gerhard Richter sont obsédés par la mort. Ce sont leurs histoires, ils ont vécu la seconde guerre mondiale ils viennent d'Allemagne. Tu comprends ?

MP : On le voit bien, on le voit aussi avec Munch ou…

JPS : Ou Schiele, ou tous ceux-là, alors chacun a des expériences différentes. On ne peut pas dire de généralités comme ça, mais c'est vrai que moi, j'adore la vie bien sûr !

MP : Alors puisqu'on parle de sexualité, on va parler du phallus !

JPS : Oui !

MP : Le phallus en érection, est-ce que tu le considères comme un symbole de l'axis mundi ?

JPS : Ah, ah! ah, oui !

MP : Fait-il alors le lien, l'unité entre le spirituel et matériel ?

JPS : Oui bien sûr !

MP : Oui, c'est sans équivoque ?

JPS : Quand tu es allongé et que tu bandes, forcément tu rencontres l'autre, c'est un bon moyen de rencontrer l'autre, femme ou Dieu !

MP : D'accord, d'accord, et c'est encore la manifestation de cet axis mundi, il te met en lien quelque part avec les forces…

JPS : Les forces vitales, oui !

MP : Les forces du cosmos, les forces vitales.

JPS : C'est vrai, oui !

MP : Pour toi c'est important ?

JPS : D'ailleurs il y a beaucoup de Dieux qui éjaculent pour reconquérir et fertiliser l'Univers ! C'est bien oui la sexualité et sans sexualité, il n'y aurait pas de vie ! C'est la condition sine qua non !

MP : Oui absolument on est bien d'accord. Merci pour tes réponses sur cette question.


11/11 : L'AVENIR ? - Voir la vidéo

MP : On arrive au terme de l'entretien Jean-Pierre et la question portera sur l'évolution de ton travail. Dans ton œuvre on constate une grande cohérence, une unité absolument certaine dans ton travail depuis que je le connais, avec des évolutions que tu expliques bien dans tes textes, c'est très bien, j'ai trouvé que c'était parfait. Alors où est-ce que tu en es aujourd'hui après ton exposition Shakti-Yoni ? Et vers quoi ton travail pourrait-il évoluer ? Est-ce que tu as déjà une idée de cette évolution possible ?

JPS : Non, non !

MP : Non ?

JPS : Non, parce que je continue les série des Shakti-Yoni.

MP : Tu continues ?

JPS : Oui ! Je trouve que c'est un travail important, sur la sexualité, la sacralité, la beauté, la couleur, la transcendance, et peu importe que j'imprime sur Plexiglas ou sur papier, je pense que la thématique est la même. Donc, je pense continuer sur les petits formats avec grand plaisir !

MP : D'accord, tu estimes que ta série des Shakti-Yoni n'est pas terminée ?

JPS : Non, je ne changerai pas de titre c'est important : l'énergie féminine est importante.

MP : Mais tu ne sens pas en toi une attirance pour d'autres thèmes ? D’autres choses qui pourraient peut-être prendre la suite ?

JPS : Mais c'est la vie qui m'apporte ces choses-là !

MP : C'est toujours la même chose, oui !

JPS : Peut-être que je continuerai jusqu'à la fin de ma vie avec ça ? ou peut-être pas, je ne sais pas ? Vraiment, ce n'est pas une question qui me tarabuste énormément. Je n'ai pas d'idée, Peut-être que je travaillerai plus la vidéo, qui sait ?

MP : Ah oui d'accord !

JPS : Peut-être ? Ou peut-être pas. Tu sais, quand j'étais en France je ne pensais pas travailler sur le Plexiglas, je ne pensais pas réintégrer l'image dans mon travail en faisant de l'abstraction. Jamais j'aurais pensé… donc il y a peut-être d'autres voies qui s'ouvriront ou pas ? C'est pas angoissant pour moi !

MP : C'est pas angoissant pour toi ! Donc tu as encore un long chemin ?

JPS : Oui, j'ai un long chemin ! Mais le gros problème que j'ai, c'est en rapport à l'art contemporain, au marché de l'art contemporain qui est quand même basé uniquement sur la spéculation et sur la vente d' œuvres d'art. Et là j'ai une amie parisienne qui a écrit à un galeriste, qui a deux galeries à New York et Paris, elle lui a présenté mon travail, et ce gars a dit, mes collectionneur ont besoin d'être surpris et veulent quelque chose de neuf ! Comme si mon travail n'était pas neuf ! Donc on en arrive à ce que ce soit les collectionneurs (les acheteurs) qui dictent le marché. Et si quelqu'un t'achète, tu peux exposer, et si personne ne t'achète, tu n'exposes pas ! Ni dans les musées, ni dans les centres culturels ! Parce que tu n'es pas connu ! Et ça, c'est un grave problème. La vente de l'œuvre d'art décide de tout et c'est puissance cent maintenant, ce qui se passe aujourd'hui !

MP : Oui bien sûr.

JPS : Donc, comme j'ai très peu d'influence par rapport à ça, j'essaye au maximum de faire des entretiens vidéo, comme on le fait aujourd'hui ! Et de présenter mon travail, on filme souvent avec mon amie Christine quand je travaille et je présente mon travail le mieux que je peux, et puis voilà, on verra ! J'ai quelques pistes qui s'ouvrent du côté de Londres, de l'Australie.

MP : Quelques français comprennent !

JPS : Voilà, et bien tu fais exception ! Il y a quelques exceptions !

MP : Ou essaye de comprendre, en tout cas, on aime !

JPS : Voilà, c'est pas important de comprendre, le plus important c'est d'aimer et respecter !

MP : On est bien d'accord, c'est de ça qu'il s'agit, c'est d'aimer l'œuvre de l'artiste, en tout cas, c'est mon cas ! Et je te remercie encore pour cet entretien.

JPS : C'est moi qui te remercie vraiment !

MP : Et je te souhaite un long, très, très long chemin pour cette aventure !

JPS : Merci Michel, merci à tous ! Merci à Christine et merci à Lionel !

MP : Merci à toi !

 


LES BONUS

MP : C'est bon comme ça ?

JPS : Oui c'est bon, sauf qu'il ne faut pas regarder les caméras ! Quand tu t'adresse à moi, il faut qu'ils soient invisibles les deux !

MP : Il faut qu'ils soient invisibles !

MP : C'est un livre que j'ai acheté il y a pas longtemps, c'est L'Éloge de l'érection !

CC : Ça s'anime !

JPS : Ça s'anime un peu !

MP : Oui, tu t'animes un peu !

JPS : Parce que les gens veulent toujours que je puisse répondre à leurs questions, mais je n'ai pas toujours de réponses !

MP : Non mais c'est un entretien, je te pose des questions, tu réponds ou tu ne réponds pas !

JPS : Il faut me faire un petit massage !

MP : Vous mettrez un petit bandeau en bas !

JPS : Tu n'as pas dit le titre !

MP : Si : L'Éloge de l'érection, mais c'est plusieurs auteurs !