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Jean-Pierre Sergent

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Influences I - Rencontres, ruptures et révélations

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JEAN-PIERRE SERGENT / RUPTURES / RENCONTRES / INFLUENCES / RÉVÉLATIONS COSMIQUES / INITIATIONS / IMAGINAIRES MYSTIQUES


Pingouin, gouache sur contre-palqué

Le temps de la production artistique est un temps d'initiation intime, personnel, intérieur, spirituel, lent et profond.

Avant-propos : ce texte n'est pas un récit autobiographique, je n'y parle que des chocs visuels et artistiques que j'ai eus pendant mon cheminement artistique. J'ai rencontré une multitude d'artistes, d'amis et d'amies dont les noms ne sont pas cités ici, mais qui ont eu évidemment une grande influence sur moi de par leur générosité, leur gentillesse et leur amour. Cependant, je dédie ce texte à mon grand-père Maurice, qui a toujours su m'aider financièrement et affectivement, tout au long de ce parcours si difficile et parfois ingrat, je ne pense pas que j'aurais pu faire tout ce travail sans sa grande détermination et son respect pour ce que je voulais devenir : un artiste. Il me disait souvent "Tu vois Jean-Pierre c'est bien que tu sois un artiste, car chacun vient au monde avec un petit tas de bois et les artistes, quand ils quittent cette terre, leur petit tas de bois a grandi  ! "

 

ENFANCE

Mon enfance s'est bien déroulée dans une famille aimante et attentionnée. L'unique problème était que je souffrais de graves crises d'asthme qui me clouaient au lit pendant de longues semaines. Ces crises quand elles arrivaient, provoquaient chez moi beaucoup d'angoisse et de souffrances, mais ont développé ma volonté de vivre en dehors de cette souffrance asphyxiante dans des mondes plus accueillants et parfois imaginaires. J'ai alors commencé à lire beaucoup et à recopier des images du grand livre des animaux avec du papier carbone pour en reprendre le dessin en pyrogravure sur des morceaux de contreplaqué et puis finalement les peindre à la gouache. C'est approximativement le même type de procédé que j'utilise encore aujourd'hui : récupérer une image, tracer son contour sur un autre support et la colorier !


FIN DE L'ENFANCE  / 1ère RUPTURE / RENCONTRES

À l'âge de 11 ans, j'ai été placé par mes parents à l'internat pour enfants asthmatiques de Briançon, dans les Hautes-Alpes, qui était éloigné de plus de 400 km de la maison. Je ne rentrai donc dans ma famille que pendant les vacances, j'y suis resté trois années. Ce fut une première rupture avec un milieu connu et la découverte d'un autre système social avec des règles, des codes, des violences et des affinités autres que celles que je connaissais. Du jour au lendemain, j'ai été plongé dans l'anonymat de la vie en commun avec des individus venants de tous horizons sociaux et ethniques, qui avaient comme moi leur montagne de problèmes de santé et d'autres problèmes de rejets socios-familiaux insurmontables. Nous partagions ainsi notre commune angoisse de la souffrance, de la maladie, de la solitude et de l'abandon. Heureusement, j'ai pu me faire des amis et je pouvais aller voir mes correspondants le jeudi après-midi et le dimanche. De cette expérience communautaire, j'ai appris à être curieux et à respecter les différences humaines, mais surtout, l'entraide entre individus d'une communauté embarquée dans un même destin. Ce fut également la découverte des montagnes, de la majestuosité de la nature et je ramenais des pierres aux formes étranges de presque toutes mes promenades en montagne.


ÉCOLES

J'ai étudié brièvement l'architecture à Strasbourg pendant une petite année scolaire, j'ai été heureux d'y apprendre à dessiner en perspective, d'y rencontrer des architectes et d'y avoir fait quelques amis. Malgré cela je sentais profondément que l'architecture n'était pas une discipline pour moi, car elle imposait beaucoup trop de contraintes matérielles. Les deux années suivantes, j'ai étudié à l'École des Beaux-Arts de Besançon. J'y ai appris les bases de la peinture, du dessin, de la sculpture et du travail de la couleur avec mon amie Claudie. Mais en avril 1981, j'ai eu la chance de voyager en Égypte avec mon grand-père Maurice et ma soeur Marie-Paule et j'ai alors décidé de quitter cette école.


ÉGYPTE / 2ème RUPTURE / 1ère RÉVÉLATION COSMIQUE

Tombe de la reine Nefertari, EgypteLa pyramide de Oumas à Saqqara, EgypteTombe de la reine Nefertari, Egypte

Notre voyage en Égypte fut pour moi une découverte et une révélation. Tout d'abord, le fourmillement des individus dans la ville du Caire avec ses marchés et sa sensualité me firent revivre le Voyage en Orient de Nerval. Ensuite, d'être présent physiquement dans ses immenses temples et tombeaux funéraires aux bas-reliefs sculptés et ornés de couleurs vives et enveloppantes m'inspirait à penser que la peinture bourgeoise de chevalet n'avait absolument aucun intérêt. Il était ici question d'accompagner les morts dans l'au-delà, dans leur voyage risqué et périlleux de l'entre-deux mondes et l'art devait sublimer et rendre possible ce parcours initiatique. Si l'art échouait dans sa fonction, le défunt errerait pour l'éternité.
Parmi les monuments visités, la tombe de la reine Nefertari avec toutes ses fresques murales descendant vers le tombeau et déroulant son plafond étoilé majestueux, m'a plongé dans un univers merveilleux à la présence mystique accueillante et enveloppante. Le pouvoir mystique envoûtant était encore présent après des millénaires d'enfouissement. Tous ces personnages qui accompagnaient Nefertari dans son éternité étaient multiformes, syncrétiquement humains-animaux, déesses et dieux à la sensualité débordante de vie et d'émotion. L'esthétique de ce mélange d'une écriture hiéroglyphique à l'iconographie symbolique déraisonnable avec ces êtres surnaturels, toutes ces informations visuelles au contenu ésotérique, mais également enfantin, marquèrent profondément mon imaginaire. Je ne comprendrais complètement ces métamorphoses, cette fusion homme-animal que bien plus tard, lors d'expériences de transes chamaniques à New York.
La pyramide de Oumas à Saqqara m'a également impressionné par la monumentalité des plaques de granit soutenant cette pyramide, posées en triangle au plafond des salles du tombeau, ainsi que le texte du livre des morts incisé dans la roche des parois. Ce lieu était un véhicule magique pour l'éternité de l'âme. Mais la révélation vint dans un temple, peut-être était-ce Karnac ou un autre temple ? J'essayai par tous les moyens de m'éloigner du groupe d'amis de touristes avec lesquels nous visitions ces lieux pour me concentrer et essayer de ressentir l'énergie plurimillénaire de cette architecture monumentale et ainsi me retrouver seul face à ma destinée. Finalement, déambulant au travers de ces dédales de colonnes avec le Pronaos et Naos, je me suis engouffré dans une chambre de prêtre parfaitement cubique où seule la lumière rentrait par un puits de lumière carré percé au plafond. C'est au centre de cette cellule obscure sentant l'urine et l'humidité, chaude comme la matrice du monde, au milieu de l'axe de la lumière pénétrante du ciel, que je me suis senti pénétrant "L'axe du monde", pour entrer en harmonie avec le cosmos et sortir du temps linéaire... Après cette expérience révélatrice, ma décision fut prise et je ne resterais pas un jour de plus aux Beaux-Arts ! Les enjeux de l'art, de la vérité et de la vie étaient ailleurs...!


LE CORPS ANIMAL / RENCONTRES / INFLUENCES / CHEVAUX / NATURE / ABSTRACTION GÉOMÉTRIQUE / COULEUR-FORME


Je me suis donc installé en avril 1981, de façon permanente à la ferme de la Fauconnière, dans le Haut Doubs, où petit à petit j'ai créé un élevage de chevaux américains tout en commençant à me mettre à peindre pour développer ma pratique artistique. Ce mode de vie monastique, seul, pour la plupart du temps et entouré de la nature : les montagnes, les forêts, les arbres et les animaux m'ont initié aux cycles de la vie originale. Le rapport physique et le travail quotidien pour entraîner les chevaux, les nettoyer, les parer, s'occuper de faire saillir les juments, les aider à pouliner et sevrer les poulains, m'ont transmis le respect de la vie sous toutes ces formes et la compassion pour tous les êtres vivants. Mon corps et mon esprit ont changé en ce sens qu'il m'a fallu apprendre le langage de l'autre pour pouvoir communiquer, manipuler et dresser des êtres parfois coopératifs, mais aussi parfois rétifs et très violents. Il fallut apprendre la patience et l'humilité. Cette découverte du corps, dans le sang de la vie et son énergie vitale, hors de la vison culturelle traditionnelle européenne et catholique, m'a permis de découvrir une vitalité que je ne connaissais pas jusqu'alors. La force et la présence physique du corps animal libre, nu, sexué, parfois en état d'extase, sans défense autre que celle de l'instinct de survie et plongé dans un état de nature, donc acculturé, reste toujours aujourd'hui un des thèmes essentiels développé dans mon travail.

Morris Louis, Beta Lambda, 1960Mes premières peintures furent la continuation du travail d'observation figurative que j'avais commencé aux Beaux-Arts, mais je m'intéressais beaucoup aux techniques anciennes de la peinture à l'huile en réalisant moi-même tous les matériaux utiles à la préparation des peintures comme le plâtre amorphe, la colle de peau, le broyage des pigments, les supports de panneaux de bois. Cet apprentissage d'une technique pluricentenaire m'a communiqué le sens de la rigueur, de l'observation et de la patience qui me seront très utiles pour développer la suite de mon travail artistique. Mon amie de l'époque, Sophie lisait beaucoup et c'est sans doute elle qui m'avait conseillé de lire un livre de Marguerite Duras : Le Ravissement de
Lol V. Stein.
Robert Motherwell, Red Open, 1980, Acrylic and charcoal on canvasMalheureusement, je ne me souviens absolument plus du tout du sujet de ce livre contrairement au Marin de Gibraltar ou des Petits chevaux de Tarquina, mais par contre, sur la couverture de ce livre était reproduite la toile de Mark Rothko : Red, White, and Brown de 1957 et ce fut un autre choc esthétique dont je me souviens encore ! J'ai interprété ce tableau comme des champs d'énergies pures qui communiquaient et s'attiraient dans le vide d'un espace mystique : masculin, féminin et neutre, mais également comme une radiographie sensible et réelle du paysage émotionnel intérieur de l'artiste. C'était une découverte un peu comme celle de Hans Castorp regardant la radiographie de Clawdia, la femme dont il était amoureux dans La Montagne Magique de Thomas Mann...

Rauschenberg-MonogramJusqu'alors mon éducation artistique avait été assez succincte et ennuyeuse, je ne me rappelle pas n'avoir jamais été dans un musée pour y voir de l'art contemporain et aux Beaux-Arts nous apprenions principalement l'histoire de la Grèce et de l'Égypte antiques. Heureusement, mon amie Sophie puis ma deuxième amie Isabelle vivaient à Paris et j'ai donc pu découvrir à Beaubourg les quelques toiles des expressionnistes abstraits américains. J'ai également pu acheter des livres d'art monographiques concernant ces artistes : Mark Rothko, Bannett Newman, Clyfford Still, Robert Motherwell, Robert Ryman, Morris Louis, Jackson Pollock, willem de Kooning, Ad Reinhardt, Josef Albers puis plus tard Jasper Johnes, Robert Raushenberg etc. La découverte de leurs peintures m'a ouvert la voie sur une autre façon de travailler, de penser et d'appréhender la création et je dois leur rendre hommage pour le courage dont ils ont fait preuve tout au cours de leur vie et pour l'influence bénéfique qu'ils eurent sur beaucoup d'artistes. Des leçons principales tirées de l'observation attentive de leurs travaux, j'en ai décidé les choses suivantes :

Breaking the rules, Creates new rules !

- Sortir de la peinture de chevalet : travailler au sol.Axis Mundi
- Ne pas s'occuper de l'histoire pesante et intimidante de l'art européen, ni de l'art pour l'art.
- Utiliser la couleur en tant qu'énergie quantifiée : remplir les surfaces  d'une couleur uniforme monochrome en un champ coloré sans dégradés, mais d'épaisseur, de texture, d'opacité et de fluidité variable ; parfois séparés en différents panneaux juxtaposés en diptyques ou polyptyques.
- Développer des variations sur un thème formel de manière sérielle et répétitive dans un même format.
- Oser exprimer tous ses sentiments, ses plaisirs et ses angoisses ; exister et jouir librement dans l'espace de la toile. Travailler à l'échelle du corps et dans un grand format, danser et combattre la surface avec des pinceaux ou des spatules, inventer une nouvelle danse rituelle.
- Travailler la verticalité pour créer un axe spirituel vertical : l'Axis Mundi, des sociétés traditionnelles et le canal au travers duquel j'ai eu cette expérience spirituelle en Egypte.
- Rechercher des nouveaux matériaux appropriés à la contemporanéité : peintures acrylique, vinylique, papier journal, carton,  micro-billes de verre, cire saponifiée, fibre de verre, etc.

J'ai donc travaillé de nombreuses années avec ces résolutions esthétiques, en créant des séries de colonnes sur le thème de l'axe vertical, et ai également beaucoup exploré des séries de monochromes. Mon travail a été présenté dans plusieurs galeries françaises à Strasbourg et à Besançon. Plusieurs fois, je suis allé rendre visite à mon frère Alain qui vivait au Canada. Lors de ces différents séjours, j'eus la chance d'y faire quelques contacts avec des galeries de Toronto, de pouvoir organiser une exposition à la galerie Yannef et d'être en contact avec une galerie importante, la galerie Moos. Lors d'un voyage avec des amis en 1991, j'avais emmener avec moi dans un carton les cinq panneaux d'une grande colonne de 2,50 x 0,50 m, et Jerry, le directeur de la galerie Moos que je connaissais déjà et à qui j'ai présenté mes panneaux alignés sur le sol de sa galerie, m'a dit : "Tu n'as qu'à l'accrocher sur le mur !" J'ai donc accroché ma colonne dans son exposition de groupe et l'y ai laissée. Jerry m'avait alors dit qu'il souhaitait travailler avec moi, mais, seulement si je venais vivre au Canada ! En rentrant en France, cette idée m'a travaillé quelque temps, puis j'ai pris ma décision et en un mois j'ai vendu mes dix-sept chevaux et je suis parti à l'aventure à Montréal en novembre 1991...!

 

AMERIQUE DU NORD / MONTRÉAL / 3ème RUPTURE / CONFLIT ABSTRACTION-FIGURATION / ASSEMBLAGES DE PLEXIGLAS

Mon arrivée à Montréal était un peu aventureuse, car je n'avais emmené avec moi que mes habits et mon matériel de peintre (pinceaux, spatules) qui tenaient dans un gros sac de voyage et un sac militaire. J'ai loué un studio au 40-60 St Laurent Boulevard, acheté du matériel pour construire mes tables de travail ainsi que quelques chaises et ustensiles de cuisine. Grâce à l'argent provenant de la vente de mes chevaux, j'ai pu investir dans tout le matériel de peinture nécessaire et je dois dire que l'année et demie travaillée là-bas a été très productive puisque je pouvais me consacrer entièrement à ma production artistique.

J'ai continué ma série des colonnes, commencées sur Isorel, mais maintenant peintes sur Plexiglas, car Jerry m'avait demandé de ne plus travailler sur Isorel, qui était acide et risquait d'abîmer la peinture. J'avais donc fait des essais en France sur plusieurs matériaux de la même épaisseur de 5 mm, comme l'aluminium, le PVC blanc, le verre, mais finalement après tous ces essais j'ai choisi le Plexiglas qui reste encore aujourd'hui mon matériau de prédilection. J'ai également continué à travailler des grands formats (2,80 x 2,80 m) sur de la bâche de camion en intégrant à la peinture acrylique beaucoup d'épaisseur et de matériaux divers comme : les filets de chantier en plastique, les micro-billes de verre, le carton, la cire, différents métaux tels que le plomb, le cuivre, l'aluminium, mais aussi la sérigraphie, les coupures de presse et des photocopies couleur d'images que je trouvais intéressantes.

Les grands formats se sont imposés d'eux-mêmes, car il y a une dimension spatiale en Amérique du Nord qui est totalement différente de celle de l'Europe. Il semble que le ciel soit plus grand, plus vaste, plus lumineux, les architectures plus larges, à ce sujet il faut regarder le film : 32 Films Courts Sur Glenn Gould, il y explique parfaitement ce sentiment d'infinitude dans le paysage.

Mes préoccupations formelles étaient principalement l'axe vertical spirituel et par la suite l'axe horizontal corporel. Car le corps, de lui-même et sans apport technologique ou prise de risques : plongée, alpinisme, ne se déplace qu'horizontalement dans les quatre directions. J'organisais également dans mes peintures une confrontation entre des surfaces aux matières lisses, transparentes, géométriques, organisées et des surfaces surchargées de matières organiques, informelles, gluantes, riches, sensuelles et chaotiques.
Mon inspiration de ces moments organiques et presque orgiaque de peintures matricielles était inspirée du contact que j'avais eu avec les chevaux, c'était le souvenir du touché des poches de délivrance que les juments expulsent après avoir pouliné. C'est une enveloppe rouge, pleine de vaisseaux sanguins, sanguinolente donc, chaude, fumante, gluante et que je donnais à manger à mes chiens qui se régalaient de la bouffer. Cette matière m'a toujours fasciné, c'était la trace et la mémoire de la création mystérieuse de la vie.

Plus intellectuellement, dans la série the "Heaven's doors" j'ai développé assez librement l'idée de Jung sur les quatre stades de l'animus : 1 - Le sportif, 2 - Le romantique ou l'homme de guerre, 3 - Le politique, 4 - Le sage. Cette classification énumérée comme cela est un peu simpliste, comparée aux 7 niveaux de conscience des hindous, mais j'aimais à réfléchir sur cette interrogation : comment développer mon éveil à la conscience du monde ? J'ai également continué à travailler sur les interrogations à propos des concepts, les idées et les aprioris concernant l'opposition entre l'abstraction et la figuration. Je laissais transparaître timidement au travers des surfaces lisses quelques bribes d'informations journalistiques et quelques textes sur les bords extérieurs de mes grandes toiles alors que l'intérieur n'était que des champs colorés monochromes.
Painting Montreal, 2,80 x 2,80 mUn jour j'ai terminé cette grande toile Noir, Rouge, Bleu et Jaune, je suis allé me promener en ville, j'ai arrêté de peindre pendant quinze jours (ce qui est très inhabituel pour moi), j'ai passé beaucoup de temps à regarder la toile, à bouger autour et puis un jour j'ai décidé que l'abstraction était pour moi une voie sans issue où je ne pourrais, comme beaucoup d'autres artistes m'ayant précédé, que m'enfermer dans un système et n'y faire que des variations sur un thème et un format.
J'ai donc décidé de réintégrer des images figuratives dans mon processus de production et ma toile suivante fut pleine de vie, de femmes et de textes. Cette décision radicale peut s'expliquer pour différentes raisons, mais la principale est le choc culturel de vivre dans une culture artistique beaucoup plus tolérante et ouverte que le petit milieu culturel français totalement verrouillé, coincé et catégorique qui plaçait l'abstraction au-dessus de la figuration et qui aujourd'hui considère que la peinture est obsolète, morte et inutile.
La deuxième raison est que je me retrouvais sans trop de repères affectifs ou géographiques pour construire mon identité, autre que celle d'être un artiste, puisque je connaissais peu de monde à Montréal, excepté mon frère qui venait me visiter de temps à autre. Malgré cela, cette crise identitaire et artistique m'a poussé à retrouver qui j'étais vraiment au travers des images ou textes que je choisissais d'utiliser, je ne faisais plus de l'art pour l'art, mais mes peintures devinrent alors le miroir de l'être que j'étais ou que je voulais devenir.

Pour travailler les images récupérées dans la presse ou les photos de nature que je prenais, je les photocopiais en noir et blanc ou en couleur sur du papier non acide, au rez-de-chaussée dans la boutique de mon propriétaire et je passais des heures à les retravailler avec du liquide blanc correcteur. Puis un jour en passant devant une petite boutique au coin de la rue Duluth, où ils imprimaient des T-shirts, je leur ai demandé s'ils pouvaient me prêter un vieil écran sérigraphique pour essayer d'imprimer une image (l'Odalisque d'Ingres) : mon aventure de reproducteur d'images sérigraphiques a commencé ainsi. J'ai ensuite acheté mes propres écrans et j'ai trouvé un endroit pour faire réaliser les films positifs (Halftone avec des points pour traduire les nuances de gris) nécessaires pour insoler les cadres enduits d'émulsion photographique.

J'ai alors commencé à imprimer sur tous les supports possibles, en particulier sur des bandes métalliques que je collais ensuite sur mes toiles ou des panneaux de bois. J'ai également imprimé à l'arrière de quelques chutes de Plexiglas de 17,5 x 35 cm et j'ai beaucoup aimé le résultat de l'intensité de la couleur. Cette nouvelle technique lui donnait une profondeur, une vivacité et une luminescence incroyables ! Par la suite, j'ai acheté d'autres plaques de Plexiglas de ce format standard pour sérigraphier les images au dos et finir par peindre le fond de l'image par un monochrome. Puis j'ai commencé de façon ludique, à assembler ces modules sur le mur en lignes horizontales ou verticales, en carrés, en rectangles ou dans des formats aléatoires, le jeu des Plexiglas pouvait commencer ! Ce support contemporain Plastique, nouveau matériau industriel froid, répond également à la fonction d'être à la fois le support et la super-peau de la peinture qu'il protège par son épaisseur de 3 mm, vitrifiant et mémorisant ainsi le geste peint dans son immédiateté.

À une époque où la peinture était tellement décriée, c'était peut-être un moyen de dire sa fragilité et son éternelle beauté. C'était également les années du sida et les rapports sexuels se devaient d'être protégés, il y avait donc toujours cette nouvelle mince barrière de latex entre les corps qui désiraient s'aimer, comme il y a dans mon travail cette mince barrière, cette brillance réflective entre la surface peinte et le spectateur, qui provoque parfois une certaine interrogation, dont voici ma réponse : "Être et Peinture fragiles ne pas toucher, merci !"

L'exposition prévue à la galerie Moos de Toronto ne s'est malheureusement pas faite, car la galerie semblait avoir des difficultés financières. Malgré cela j'ai pu exposer à la galerie Riverin-Arlogos chez Pierre Riverin au lieu dit du Lac d'Argent. Mais New York n'étant pas loin de Montréal, nous y avons passé quelques jours avec mon frère Alain, durant lesquels nous avons déambulé dans les rues de Manhattan et fait quelques contacts. J'y suis retourné une autre fois trois semaines chez un ami artiste qui avait loué un loft à China Town. Durant ce séjour j'ai eu la chance de rencontrer plusieurs galeristes, dont M. Leo Castelli, le grand marchand d'art contemporain, qui a beaucoup apprécié mon travail et m'a dit de le contacter quand je serais installé à New York afin qu'il me présente à Annina Nosei, une de ses amies galeriste qui avait découvert Jean-Michel Basquiat. De retour à Montréal, ma décision était prise, il fallait que je déménage à New York pour continuer ma carrière artistique.


AMÉRIQUE DU NORD / NEW YORK / 4ème RUPTURE / RENCONTRES / PAINTING-SCULPTURE / PLEXIGLAS GAMES

Mon arrivée à New York fut un peu tonitruante, puisque j'étais arrivé à Montréal avec seulement 2 sacs en soute et j'arrivais à New York avec un petit camion surchargé d'œuvres d'art et qui penchait fortement au départ de mon atelier dû au poids des œuvres sur Plexiglas et de tous les métaux que j'avais utilisés : ils durent changer pour un camion plus grand ! Je me suis installé à Brooklyn, à DUMBO (Down Under the Manhattan Bridge Overpass) plus exactement dans un building au 155 Water Street, juste en dessous du pont de Manhattan, où il y vivait toute une communauté d'artistes et qui géographiquement était très pratique, car c'était seulement à quelques arrêts de métro du centre-ville SOHO là où toutes les galeries étaient situées à cette époque.

Les premiers mois furent un peu difficiles, car mon anglais était très rudimentaire, mais j'écoutais sans cesse la radio et je sortais dans les vernissages et parties afin de rencontrer le plus de monde possible, ce qui était très facile à NY. Vivre dans un lieu squatté par des artistes intéressants et déterminés, dont les rêves et les difficultés étaient similaires aux miens, me réconfortait et je me sentais moins isolé qu'a Montréal, c'était une compétition salutaire.

Les premiers travaux réalisés à l'atelier furent les Painting-Sculpture. Il se trouve que l'atelier jouxtait l'Est River, et je m'y promenais fréquemment en regardant le paysage de Manhattan avec ces myriades de buildings impressionnants; au bord de l'eau, je récupérais humblement des déchets apportés par la rivière : des bois flottés, des caisses, des portes de frigo, j'ai commencé à les peindre a y intégrer des animaux en plastique et à y apposer des sérigraphies.

J'allais fréquemment au Métropolitain Museum (le MET), et étais toujours très influencé par les totems Asmats de la Nouvelle-Guinée de la collection Rockefeller. Ils avaient une force, une puissance et une présence vitale que j'ai rarement vues ailleurs. Ils représentaient la continuité génétique dans toute sa splendeur et sa violence : c'était un Axis Mudi des générations empilées les unes au-dessus des autres : ancêtre mythique, grand-père, père ou mère, et au sommet du totem vertical, jaillissait à l'horizontale, la nouvelle génération, le bébé, comme au bout d'une éjaculation sexuelle dans une dentelle cosmique ! Ce concentré d'informations humaines, sociales, génétiques, sexuelles, mythologiques et culturelles m'est apparu comme la quintessence sublime de ce que le message de l'art pouvait être et apporter aux groupes auxquels l'artiste appartenait.


Les Asmats

totems Asmats de la Nouvelle GuinéeAsmats de la Nouvelle Guinéetotems Asmats de la Nouvelle Guinée

Une fois, je discutais devant ces Bisj Poles avec une amie et lui avais dit : - "Tu vois, il y a sans doute aujourd'hui plus de 200 000 artistes dans New York et aucun d'eux n'est vraiment capable de réaliser une œuvre aussi forte !" Depuis cette rencontre incongrue avec l'art des Asmats, ma préoccupation principale a été de faire une œuvre qui puisse développer une telle puissance et avoir un tel impact sur l'imaginaire, l'affect et l'intelligence de mes contemporains.

Il était un peu paradoxal d'aller à New York pour découvrir l'Art Premier, mais c'est exactement ce qui s'est passé. Il me fallait donc travailler avec ce qui était caché, enfoui, méprisé, refoulé, tabou ou oublié dans nos codes sociaux actuels : la transmission du savoir, les mémoires historiques, culturelles et génétiques, les rituels des sociétés pré-industrielles, le rapport du corps à la mort, à la sexualité et au sacré. Mais pour atteindre ce but, je n'appartenais à aucune tribu qui put m'initier à ces rites, je n'avais que ma curiosité et les innombrables musées où voir des artefacts rituels des civilisations disparues de l'Amérique du Nord et du Sud, d'Afrique et d'Australie, mais j'ai également beaucoup lu de livres ethnographiques, etc.

Pour atteindre mon but de créer un art puissant, fallait-il devenir cannibale comme les amis Asmats ou perpétrer des sacrifices humains comme les Mayas et les Aztèques ? La réponse me vient beaucoup plus tard avec la découverte de l'art mexicain et des transes chamaniques. Il me semblait maintenant certain que l'art occidental avait fait fausse route et n'était devenu qu'une réflexion dérivative des tempi esthétiques et philosophiques imposés par les grands maîtres de la peinture occidentale, comme  l'idée que l'homme était au centre du monde puisque Dieu n'était plus nulle part ! Et ce malgré le travail d'importants artistes comme Le Caravage, Gauguin, Picasso (Les Demoiselles d'Avignon ont aussi ce pouvoir transcendant) ou Frida Kahlo, Pollock, Basquiat, également aussi les œuvres comme la Target with Plaster Casts de Jasper Johns et les montages de Raushenberg et de Beuys, ainsi que les écrits d'André Breton, de Michaux ou d'Artaud ; il faut avouer que la production d'art moderne et contemporain est restée très ennuyeuse !

J'ai donc commencé à ne travailler uniquement que sur des plaques de Plexiglas de 17,5 x 35 cm et 35 x 35 cm de 3 mm d'épaisseur, sur lesquelles j'ai sérigraphié toutes les images que je récoltais dans la presse du Sunday New York Times pour les photos d'actualités et les photos d'artefacts qui m'interpellaient dans les musées. J'ai alors commencé à assembler ces plaques à l'intérieur d'un format extérieur carré invariable de 1,05 m de côté en jouant avec des espaces vides où le mur apparaissait, comme un silence ou un point de respiration. Ces unités pouvaient s'assembler de manière interchangeable pour former des installations murales de grande dimension, par exemple dans mon atelier de DUMBO, cela faisait 3,15 m de hauteur par 6,30 m de longueur.

J'étais retourné voir Leo Castelli pour lui montrer mon nouveau travail et pour qu'il me présente à son amie galeriste. Il l'a appelée longuement au téléphone en lui parlant en italien et elle lui a dit que je pouvais aller la voir de suite. J'ai beaucoup remercié Léo et suis passé la voir, malheureusement elle m'a orienté vers sa directrice de galerie qui était française et qui m'a très mal reçu et sans aucun égard. J'ai cependant gardé un très bon contact avec M. Castelli et j'ai continué à aller le voir  ou bien je lui téléphonais pour lui donner des nouvelles ou bien si j'avais besoin de son avis sur des démarches à faire. Jamais je n'oublierai sa grande classe, sa gentillesse, son humour et sa compassion pour les artistes.

En 1995, j'ai déménagé mon atelier à Chelsea, au 214 West 29th street, pour vivre avec mon amie Olga. Nous avons rénové un espace industriel en loft, c'était bien de vivre au coeur de Manhattan, mais malheureusement, les propriétaires nous ont virés avec perte et fracas au bout de six mois, car nous vivions illégalement dans un espace commercial, alors que l'agent immobilier nous avait garanti que c'était légal ! J'ai travaillé un peu dans cet atelier sur des modules de plus grand format, mais entre les rénovations et ces soucis de déménagement je n'avais pas l'esprit libre. J'ai finalement trouvé un espace et nous avons déménagé à Long Island City (quartier du Queens) au  27-26 Jackson Avenue. Il a fallu à nouveau transformer  ce nouvel atelier qui était originellement un espace de bureau en loft avec une salle de bain et une petite cuisine, l'atelier fini était grand et spacieux. J'y ai travaillé pour une exposition au consulat français en 1997 puis pour les œuvres de Suspended Time exposées à l'Alliance française de New York en 1998. J'ai alors décidé d'agrandir mes formats d'impression pour utiliser un format d'image unique de 1,05 x 1,05 m. Il se trouve que j'avais travaillé pendant plus d'une année à l'atelier de Drexel Press comme sérigraphe professionnel et que je maîtrisais maintenant parfaitement la technique sérigraphique. Dans cet atelier de LIC, j'y ai réalisé les séries suivantes : Amana, et Le Rêve de l'homme emprisonné avant de commencer ma grande saga épique des Mayan Diaries.

 

AMÉRIQUE CENTRALE / MEXIQUE / RENCONTRES / 2ème RÉVÉLATION COSMIQUE / MAYAN DIARY

"Comme un homme, au milieu d'un songe, dévoré par la soif, et qui cherche à boire, et qui ne trouve pas l'eau qui pourrait éteindre le feu de ses os..." Lucrèce, De La Nature.


Cette phrase d'exergue de Lucrèce correspond parfaitement à mon sentiment de soif de connaissance et de désir de vivre inextinguible et je l'ai placée là, juste avant mon aventure mexicaine, qui est peut-être une des seules expériences qui ait pu apaiser cette soif.

Pour les Européens ou les Occidentaux "civilisés", athées ou croyants, humanistes et existentialistes de surcroît, les peuples Aztèques et Mayas sont souvent considérés comme des peuples aux civilisations archaïques, lointaines, sanguinaires et sacrificatoires, presque aussi barbares que les Huns. Heureusement, grâce aux nombreux voyages successifs au Mexique et au Guatemala, avec mon amie Olga, qui elle-même est d'origine latino-américaine, nous avons pu découvrir une partie de ces cultures. Elles m'ont conquis et enveloppé de grâce, de poésie, de couleur et ont réveillé une formidable énergie vitale qui sommeillait en moi.

Mexico : Museo Nacional de Antropología

Ce fut bien sûr le premier grand choc esthétique que cette énorme architecture moderne abritant une multitude de sculptures de pierre monumentales à la réalité particulière et envoûtante de par leurs symboliques animale, végétale, polythéiste, à la présence audacieuse et expressionniste, presque archaïque au sens généreux, innocent, universel et premier du terme. La grande statue de Coatlicue, la femme à la robe de serpents, la Déesse fertilisatrice de la terre, mère des Dieux des Aztèques, qui enfanta la lune, les étoiles et Huitzilopochtli, le Dieu du soleil et de la guerre. Coatlicue cette statue d'andésite monolithe à la présence massive, effrayante : sa tête est un crâne de mort, son corps à la poitrine pendante est ceinturé à la taille d'une robe de serpents enchevêtrés pendant jusqu'aux genoux et ses pieds sont terminés par des griffes de rapace ! Ce sont les pieds d'une Déesse chthonienne, que rien : ni le temps, ni les prières des hommes ne pourront détourner de sa force brutale. C'est la symbolique première des Déesses "païennes" créatrices du ciel et de la terre, des animaux et des hommes et dispensatrices du plaisir et de la souffrance au travers des cycles organiques vitaux universels et immuables. Une autre sculpture de Coatlicue rectangulaire à l'aspect encore plus terrifiant et monumental : elle arborait une tête janus de serpent crotale, sur son collier étaient accrochées des mains découpées en alternance avec des coeurs de victimes humaines, avec en son centre, à l'endroit du nombrilSculpture Maya, un crâne de mort et toujours ces nœuds de serpents vivants noués autour de sa taille ! Les Aztèques n'avaient définitivement pas peur de leur imaginaire et travaillaient avec courage leur inconscient collectif comme nous, nous construisons aujourd'hui des automobiles ! J'ai tout de suite aimé cette esthétique solaire, authentique, urgente et tangible. Mais, mon rapport aux cultures premières n'est pas une curiosité malsaine et colonisatrice, je ne cherche pas chez celles-ci quelque chose que je n'aurais pas, mais plutôt quelque chose que j'avais et que le progrès, la rationalité, la culture livresque, la religion, l'athéisme, les courants philosophiques, la peur de soi et parfois la science dans son aveuglement empirique et destructeur de cultures, m'ont caché et volé. C'est comme un souvenir, un rêve d'expériences vécues, il y a longtemps, dans différentes cultures et différents endroits. Comme le raconte encore Hans Castorp, après avoir rencontré dans sa transe, les Hommes du soleil : - "On ne rêve pas seulement avec sa propre âme, mais on rêve de façon anonyme et commune, encore qu'à sa propre manière. La grande âme dont tu n'es qu'une parcelle rêve à travers toi, à ta manière, de choses qu'en secret elle rêve toujours de nouveau - de sa jeunesse, de son espérance, de son bonheur, de sa paix.. et de sa scène sanglante."
Je me sens donc en harmonie totale avec cette déesse effrayante Coatlicue et avec la poésie des Mayas et des Aztèques, qui, tous les vingt jours organisaient des offrandes aux Dieux, parfois au dieu des Fleurs, de la Pluie, du Soleil ou de la Lune et qui tous les cinquante-deux ans célébraient la fête du Feu nouveau d'Xiuhmolpilli. Au travers de ces rituels, je cherche les images et les symboles avec lesquels je me sens en résonance, comme un musicien fou cherchant un instrument magique qui lui permettrait de créer sa plus grande symphonie... D'autres œuvres étaient également merveilleuses, bien sûr la grande roue du calendrier Aztèque dont un énorme soleil en était l'œil et le centre, mais également des morceaux de murales provenant des sites Mayas de Cacaxtla et Bonampak. Ces murales de fresques aux couleurs primaires vives montraient des scènes mythologiques, presque surréalistes, peintes sur un fond monochrome bleu ciel turquoise d'une pureté abyssale, toujours entourées de végétations luxuriantes et d'animaux féroces. Comme si leur monde était clos, fini et à la dimension de leurs Dieux démiurges pour qu'ils réconcilient et régénèrent le monde ! Les poteries étaient également de facture très libre aux couleurs plus subtiles dans les rouges, les roses et les violets, et dont le trait jaillissait comme en transe, les textes hiéroglyphiques se mélangeant intimement avec ces dessins, souvent de manière fluide un peu comme dans nos bandes dessinées actuelles.

Oaxaca : Monte Alban & Mitla

Bas relief, Monte Alban MexiqueBas relief, Monte Alban, MexiqueBas relief Monte Alban


- Monte Alban est un site archéologique aux vastes ruines de tombeaux et de temples cérémoniaux de la culture Zapotèque sur le plateau surplombant la ville de Oaxaca. Les grands monolithes calcaires des "Danzantes" aux figures incisées violemment par des burins de pierre dure par ces artistes Olmec et Zoptéques, ont la présence expressionniste des portraits de Soutine ou De Kooning, montrant des êtres humains dans la déformation de la souffrance et à l'instant de la mort. On ne sait pas s'ils illustraient des malades ou des prisonniers sacrifiés. Le plateau de Monte Alban a sa magie propre, un peu venté, un peu désuet, un lieu de rencontre paisible entre le ciel et la terre.

Mitla, Mexique

- Mitla, le lieu des morts en langue nahuatl est un site de culture Mixtèque, comprenant un ensemble de tombes et de palais aux parements muraux ornementaux en briques travaillées comme de la dentelle de manière géométrique oblique et dont les dessins pourraient symboliser le Serpent à Plumes.

 


Chichen Itza, MexiqueYucatán : Chichen Itzá & Uxmal

La pyramide calendaire de Kukulkán (Le serpent à Plume), au socle carré, abritanten son sein le trône du jaguar aux yeux de jade et déroulant dans ses axes diagonaux les quatre Serpents à Plumes cosmiques, orientés astralement de façon à ce que l'ombre de ces serpents y descende aux équinoxes. C'est sans doute un des lieux les plus puissants cosmiquement avec sans doute Abou Simbel et Stonehenge.




-  La pyramide d'Uxmal est également magique et fascinante, son architecture de base ovale semble plus organique et moins formellement structurée, comme une fourmilière géante construite par le travail et les intelligences successives des différentes populations Maya qui se sont succédé pour achever ce monument. Elle porte bien son nom de Pyramide du Magicien, car au sommet, il est vrai que j'ai eu à nouveau ce sentiment d'appartenance cosmique, un peu moins fortement qu'en Égypte, mais j'ai cependant ressenti cet axe du monde qui nous relie tous de la terre au cosmos et qui est vraiment comme le fil conducteur de l'âme humaine.

 

 
Guatemala, Antigua, Chichicastenango

Lors de ce voyage, ce fut la découverte d'univers colorés incroyables. En particulier, les processions de la semana santa à Antigua avec les fidèles des églises promenant leurs statues de Saints d'une église à l'autre sur des rues recouvertes et embellies de parterre de pétales de fleurs et de sciure de bois teintée, aux dessins traditionnels et aux scènes bibliques d'une beauté complexe et époustouflante. Cet art éphémère impose une grande leçon de sagesse sur l'impermanence des choses un peu comme les mandalas réalisés par les moines Tibétains et les dessins de sable des indiens Navajos. 

Le marché de Chichicastenango, le centre des échanges commerciaux des Mayas Quiché, a été un bain de foule dans la couleur, les rituels, la joie de vivre et l'échange. Les stands étaient surabondamment chargés de masques peints, de poteries et de couvertures et d'artefacts pré-colombiens. Ces masques étaient fabriqués pour les touristes, mais quelques-uns avaient été utilisés et portés lors de danses et de rituels de fertilisation ou de rites initiatiques pour accueillir l'individu et le faire passer d'un état à l'autre, dans sa métamorphose en son être vrai et profond, son guide animal comme El Tigre ! Il existe donc encore aujourd'hui des êtres humains s'habillant de façon traditionnelle et socialement codée qui gardent toujours leurs rituels propres, plurimillénaire et polythéistes, et qui portent des vêtements aux couleurs vives aux harmonies colorées qui auraient fait pâlir Matisse d'envie !
Toutes ses rencontres esthétiques, humaines, géographiques, faites lors de ces nombreux voyages me donnèrent de la matière à travailler mon imaginaire et, en hommage à ces cultures méso-américaines, j'ai décidé de travailler dans mon atelier de LIC, à une nouvelle série de peinture sur Plexiglas que j'intitulai : Uxmal - New York a Mayan Diary !


AILLEURS / TRANSES CHAMANIQUES / 5ème RUPTURE / 3ème RÉVÉLATION COSMIQUE

- "Earth is the region of the fleeting moment." Ayocuan, poète Nàhuatl.
- L’artiste comme le chaman sont les médiums de la vie dont rationnellement nous ne percevons que 10%, le reste est du domaine de l’invisible et de l’esprit, enfoui sous l’eau comme la masse invisible des icebergs. Notes de NY.

 

Masque El Tigre, MexiqueMuniaca, Culture Zapotec, Oaxaca, MexiqueMasque Mexique, TascoMuniaca, Culture Zapotec, Oaxaca, Mexique

 

J'avais ramené dans mon atelier quelques pièces d'art mexicaines : 2 poteries, des ciseaux de pierre, de nombreux masques et des tuniques de femmes Mayas de la région de Panjachel, mais aussi beaucoup de photos en noir et blanc qui me permirent de créer de nouvelles images à imprimer. L'image principale utilisée au début était l'image du dieu Maya du maïs, Wak-Chan-Ahaw, qui annuellement recrée l'univers et fertilise le monde. Il est habillé ou déshabillé par deux déesses nues, qui dans leurs gestes d'offrande, le ressuscite à la vie. Cette scène de la mythologie Maya, au contenu sensuel et érotique évident, se déroule sous l'eau, dans la mer primordiale, et a donc un très fort rapport à l'inconscient. Au cours du working progress, de nombreuses autres images se sont ajoutées à ce dieu Maya libidineux et petit à petit au cours des années suivantes, mon travail s'est enrichi d'un contenu érotique de plus en plus présent.

Transe chamanique

J'étais allé un soir à un vernissage à Soho avec mes amis Miguel, architecte et Johnes, directeur de galerie, qui m'a présenté à sa cousine par alliance Glenda, nous avons mangé ensemble et lors de ce dîner, Glenda m'a dit qu'elle était psychothérapeute et qu'elle soignait ses patients grâce aux transes hypnotiques chamaniques ! Voilà enfin un moyen de connaissance susceptible de vérifier les récits de voyages extra-corporels des chamans de toutes les parties du monde et de rencontrer le Serpent Cosmique des Mayas ou la White Bufalo Woman des Sioux, sans aller faire des voyages périlleux dans la jungle amazonienne, boire de l'Ayahuasca, prendre du Peyotl ou faire des journées de jeûne au-dessus d'une montagne sacrée ! Mes séances d'hypnose étaient longues et laborieuses, mais très bénéfiques pour mon développement personnel. Après de longs mois à revenir sur les souffrances, blessures et ruptures de mon passé, un jour, enfin Glendadécida avec sa musique et ses battements de tambour rituel, de me faire entrer en transe, ce fut mon premier voyage chamanique.

Transe chamanique, Beauty is energy, 2002- "J’étais dans une forêt Sibérienne, c’était l’hiver et tout était blanc. La neige, les arbres (des bouleaux), le ciel, mon animal spirit était une Ours. J’aimais toucher l’écorce sensuelle et lisse des bouleaux. Mon corps étant horizontal, il s’alourdit terriblement, jusqu’à peser près d’une tonne, et je m’enfonçais dans la terre rouge et sanguine. Un tigre jaillit alors, il m’agrippa et me fit descendre de plus en plus profondément dans le centre de la terre, tout en jouant avec moi, il me faisait tourner de ses pattes et griffes de tigre, et il me faisait peur. Il était blanc et noir, et c’était une tigresse. Elle me guida  dans un village de huttes Africaines, mais le village était désert, tout le monde était mort ou parti. Nous redescendions ensemble dans un vortex d’énergie vers le centre de la terre où l’énergie était lourde comme le plomb, innommable. Un moment donné nous finîmes de jouer et nous nous unissâmes, et je n’avais plus peur. L’énergie était atomique et je ressortis de la terre par un volcan, mais le tigre est toujours avec moi, blanc et noir au regard perçant."

Il y eut quelques autres transes, mais le propos de ce texte étant de montrer mes influences, je puis dire que cette expérience fut sans doute une expérience majeure car, les énergies, les couleurs, les symboles, les métamorphoses corporelles, l'ubiquité géographique, la dimension cosmico-spirituelle et transcendante ne se retrouve nulle part ailleurs, sauf peut-être lors du passage de la mort ou dans certains rêves initiatiques et dans ce que les bouddhistes éprouvent dans l'expérience du Satori ? Il est difficile d'analyser ce que sont vraiment ces transes, mais comme le dit si bien Henri Michaux dans l'Infini Turbulent, après avoir expérimenté des transes sous mescaline : "J'AI VU LES MILLIERS DE DIEUX ... - Comme j'étais comblé, je ne cherchais pas plus loin... - 

Transe chamanique

J'aurais été fou de me livrer à des investigations, et ainsi de me détacher. Cette fois j'adhérais. On me demande : - "Mais enfin était-ce une vision ou bien une hallucination ? Ou une apparition ? " - C'est arrivé, c'est tout."
Un grand merci à mon amie Glenda pour m'avoir initié aux chants de la Terre et des chamans !