Cette page est consacrée aux transcriptions de différents entretiens filmés en 2022
INTERVIEW JEAN-PIERRE SERGENT & KARINE BERTRAND, "LES ŒUVRES EROTIQUES DE JPS" | ATELIER DE BESANÇON | 28 OCTOBRE 2022 | Télécharger le PDF
Jean-Pierre Sergent & Karine Bertrand (sexologue à Besançon), échangent au sujet des œuvres érotiques de JPS. Filmé à l'atelier le 28 octobre 2022. Caméras : Lionel Georges et Christine Chatelet.
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Karine Bertrand : Bonjour Jean-Pierre.
Jean-Pierre Sergent : Bonjour Karine.
KB : Alors je suis ravie d'être là et merci pour ton invitation.
JPS : Mais je t'en prie.
KB : Donc, on va partager ce petit moment ensemble alors tu m'as invitée pour mes compétences de sexologue ?
JPS : Oui mais non seulement ça, je crois que tu apprécies beaucoup mon travail… Et donc c'était une idée d'un petit échange comme ça, un peu informel, pour discuter un peu de mon travail et de la vie en général.
KB : Alors moi, je suis ravie de pouvoir échanger sur ton travail et te donner mon avis de sexologue que je suis mais aussi sur l'angle intime (personnel) ce qui m'a beaucoup interpellée ; tu le sais : j'aime beaucoup ton travail. J'ai été très touchée par ce travail la première fois que je l'ai vu. Je suis d'autant plus ravie d'échanger avec toi. Donc, pourquoi j'ai été touchée par ce travail ?
JPS : Oui, voilà.
KB : Pour quelles raisons j'ai été touchée mon cher Jean-Pierre ?Alors déjà, c'était ce jeu de lumière ; pour moi, il y avait un jeu de lumière dans lequel j'étais invitée complètement dans une dynamique, dans du vivant. Donc déjà, il y a un premier regard, pour moi, qui ne suis pas une spécialiste de l'Art. Et je parle depuis ce que je suis. Il y avait une dynamique du vivant, quelque chose qui nous invitait dans un jeu de lumière.
Ça, c'était la première invitation et puis, quand je suis rentrée au niveau du deuxième niveau de lecture (comme on en avait parlé). Ton travail se compose de plusieurs niveaux de lectures et à la deuxième lecture que j'ai pu faire en le regardant d'un peu plus près, j'y ai vu toutes les suggestions érotiques, qui m'ont évidemment beaucoup interpelée. Et puis cette troisième lecture : il peut y en avoir beaucoup ! Cette troisième lecture, qui vient nous inviter dans les suggestions érotiques mais aussi à un moment donné, pornographique… Et je pense qu'on va le développer. Voilà ce par quoi, moi, j'ai été touché dans ton travail. Tout cet ensemble de suggestions, d'invitations. En fin de compte, on peut très bien passer à côté et ne rien voir du tout ! Et selon la personne, le moment. Et la personne, il faut aussi qu'elle se pose devant ton travail. Ça, je pense que c'est très important pour découvrir ton travail ! Les gens peuvent passer ; mais en fait, si on ne se pose pas, on ne voit pas, là où tu nous invite, dans une introspection fantasmatique au fond. Moi je le dirais comme ça.
JPS : Oui, tu parles en particulier de mon exposition au Musée des Beaux Arts de Besançon ?
KB : Alors, je parle effectivement de cette exposition et puis, de ton invitation et ma visite dans ton atelier où j'ai pu reprendre du plaisir à voir ce grand mur magnifique qui est derrière nous.
JPS : Eh bien oui, il y a beaucoup de choses que j'essaye de développer dans mon travail parce que forcément, je cherche la multiplicité des choses et la successivité ; on n'en parlera un peu plus en détail par la suite. Mais en tant qu'artiste, je dois diffuser des informations. C'est à dire que je récupère des informations ; je suis un peu un glaneur d'informations que je diffuse, comme ça, au public. Et comme tu l'as très bien dit, la plupart des gens ne comprennent pas parce que quelque part, c'est un peu trop compliqué ou trop simple ? On ne sait pas vraiment pourquoi les gens ne rentrent pas dans mon travail ? C'est vraiment un questionnement, spécialement aujourd'hui ; où je pense que, comme je le dis souvent : nous sommes entrés dans une ère un peu post-culturelle, c'est à dire que nous n'avons plus accès à une culture profonde. Quelque part, nous avons accès à une culture un peu superficielle. Mais mon travail est très profond puisqu'il parle, bien sûr, de la sexualité, de la mort, de la continuité, de l'inconscient collectif… De toutes ces choses là, que l'on pourra développer un peu par la suite.
KB : C'est vrai que pour rebondir, Jean-Pierre, c'est assez surprenant, parce que c'est très sociétal aussi, cette manière de regarder l'Art où on doit déjà voir tout de suite quelque chose. Hormis si ce sont déjà des grands peintres connus comme un Picasso ou autre où on va s'interroger parce que c'est bien de s'en interroger. Mais pour le coup, c'est comme si il fallait qu'on soit déjà invité immédiatement, c'est intéressant aussi…
JPS : Mais ce que les gens ne comprennent pas vraiment c'est que l'Art demande une initiation. C'est un peu difficile à dire, parce qu'une initiation demande une certaine culture, ça demande un certain temps… Alors, voilà…
KB : Et du coup, tu sais ce sur quoi ça me fait rebondir ? Ça me fait rebondir sur la question des préliminaires ?
JPS : Oui, éventuellement.
KB : Parce que les préliminaires, au final, c'est une initiation. On n'y va pas tout de suite, on invite et on prend le temps de regarder, savourer, de découvrir, de s'inviter dans quelque chose qui va nous inviter dans un désir plus intime. Et au fond, est-ce que ton œuvre, ça me vient comme ça : mais au fond est-ce que ton œuvre ne serait-elle pas des préliminaires ? C'est un super compliment pour moi de te dire ça.
JPS : Oui, mais on peut dire un Art préliminaire mais à la fin, il a quand même une profondeur qui est existentielle. Ça doit toucher au niveau de l'énergie profonde de l'être humain.
KB : Mais, le sexe est-ce que ce n'est pas ça ? Au fond Jean-Pierre ?
JPS : Bien évidemment ! Mais tout dépend de la culture dans laquelle on a été élevé !
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JPS : Nous abordons, maintenant cette deuxième petite partie et comme tu l'as très bien noté et les gens le voient aussi de manière évidente, je réutilise beaucoup d'images pornographiques dans mon travail. Et c'est ce que diffuse le plus notre société puisque environ 50 % des gens consultent des images pornographiques sur Internet. Donc cette pornographie est un peu rentrée dans notre inconscient collectif… C'est bien évidemment un business par ailleurs et avant tout. Mais qu'est-ce que ces images dégagent ? Et, est-ce qu'on peut trouver dans ses images, quelque part, une odeur de sainteté, comme on pourrait le dire. Parce que ce qui m'intéresse, c'est le sacré dans la sexualité. Ce n'est pas la sexualité en tant que monstration, c'est la dimension autre… C'est la dimension non pas intelligente mais la dimension cosmique. Henri Michaux disait dans son livre "Un Barbare en Asie" que les Indiens faisaient l'amour à leurs femmes comme si ils communiquaient avec Dieu. Et je pense que dans la sexualité, on oublie, bien sûr aujourd'hui, notre communication cosmique. Et tout mon travail est vraiment basé là-dessus. Donc je pars du porno, j'utilise beaucoup d'organes génitaux, des images d'orgasmes aussi, pour parler de cet ailleurs. Dans le bondage aussi, le corps est lié mais il peut entrer dans une autre dimension. C'est la force du cerveau et de l'imaginaire. On a les mêmes impulsions nerveuses dans la souffrance que l'on a dans le plaisir ; ce sont exactement les mêmes impulsions ; c'est notre libre arbitre de switcher la douleur en plaisir… Et c'est ce qui m'intéresse, c'est cette mutation, cette transformation, cette métamorphose de la douleur en plaisir ou du plaisir en douleur ou inversement et peut-être l'abandon du corps aussi pour passer au-delà du corps, voilà.
KB : Oui, j'entends bien la question du sacré, de la sublimation du plaisir et d'une jouissance très transversale. J'entends la question du plaisir-douleur. Alors là, pour le coup, la sexologue va dire : toujours si c'est cadré, désiré et joué. Parce que le sexe doit toujours être joué. Mais en attendant, j'entends bien effectivement.
JPS : Mais l'Art est un jeu !
KB : Effectivement et en fin de compte, on est toujours un peu dans des jeux limite, d'invitation ; et c'est vrai que, après la transcendance dans la jouissance, c'est pour moi un cadeau que l'on peut faire à travers le désir et le plaisir sexuel. C'est une vraie question fondamentale. Et du coup, dans ton travail ? Parce que moi, ce qui m'a interpellée aussi, tu vois, quand tu parles de la pornographie et c'est pour ça qu'il y a un côté paradoxal me semble-t'il ?
JPS : Tout à fait, oui !
KB : Parce que la pornographie, c'est ce qui est visible ! C'est ce qui fait le porno, sinon c'est de l'érotisme : l'érotisme, c'est la suggestion et la pornographie : c'est ce qu'on voit ! On voit les organes et c'est là où c'est intéressant, les différentes lectures, c'est que tu nous proposes le 'non vu' dans du 'vu', c'est-à-dire un paradoxe entre, si je vais chercher des images, je vais voir qu'il y a de la pornographie mais pour autant, si je ne vais pas la chercher, je ne la vois pas !
JPS : Oui, c'est évident.
KB : Oui mais c'est toute cette lecture à plusieurs étages au fond parce que c'est vrai que le porno, en soi, c'est ce qu'on voit.
JPS : Oui, c'est ce qu'on voit. Mais j'ai oublié, tout à l'heure, de parler du rituel aussi parce que c'est ce qui m'intéresse car nous sommes dans une société totalement déritualisée ; il n'y a plus aucuns rituels à part les Coupes du Monde de foot ou le Tour de France. Il n'y a plus vraiment de rituels, quelque part, qui nous relient à la Nature avec un grand N ; on la redéfinit un peu différemment aujourd'hui mais c'est toute cette reconnexion que je veux intégrer et provoquer par mon travail, avec les patterns etc… Et tu as raison, oui, oui.
PARTIE 3/5 | Voir la vidéo
JPS : Tu veux parler des différents niveaux de lecture ?
KB : Ah, les différents niveaux de lecture... Qu'est-ce que tu voulais dire dans la danse, entrer dans la danse érotique ?
JPS : Oui, mon travail est une invitation ; c'est ça, à entrer dans la danse, bien sûr, le travail de l'artiste c'est de jouer avec le spectateur, bien évidement car on ne peint pas pour soi tout seul ; ça n'a pas d'intérêt. Et après… il faut trouver des partenaires qui aient envie de danser la même danse que vous. Ce n'est pas si évident que ça, bien sûr.
KB : Ce n'est pas si évident, parce que pour toi, tu peins ? Parce que la peinture peut être sublimatoire en elle-même, c'est-à-dire thérapeutique, introspective, expulsive et on peut garder, au final, sa création pour soi ?
JPS : Oui ? Non mais !
KB : Tu nous invites toi à danser ? tu cherches une danseuse ?
JPS : C'est tout le public qui est invité, c'est une danse partagée, bien évidemment. Non, je ne cherche pas une danseuse. Je me rappelle toujours être allé voir une belle exposition de Yves Klein à Beaubourg, avec ses grands monochromes bleu et quand tu es devant ses œuvres, ton cerveau change de vibration. Et c'est un peu ça que j'essaye de faire : que le corps change de vibrations, change d'énergie ; puisque finalement, les gens ont complètement perdu cette énergie cosmique dont on a parlé tout à l'heure. C'est, peut-être, une vraie invitation à entrer, oui, dans la véritable danse cosmique (Vie-Sexe-Mort). Dans quelque chose d'autre, dans d'autres cultures, parce que nous sommes une somme, bien sûr, de tout ce qui nous a précédés. Et il y a tellement de cultures qui disparaissent aujourd'hui. Donc, j'ai un peu cette volonté de dire qu'à cette période là, par exemple, il y avait les Mayas qui communiquaient avec leurs Dieux en faisant des autos-sacrifices… On ne sacrifie plus rien pour le Monde aujourd'hui, pour régénérer le Monde. Nous sommes d'un égoïsme féroce et destructeur. Et nous sommes vaccinés face à la Vie. On n'entre plus dans la vie, en quelque sorte. Antonin Artaud disait une très belle phrase : "Vous êtes sortis de la vie !" et je pense que mon travail nous réinvite à rentrer dans la Vie.
KB : Oui, ça me fait rebondir sur le tableau que je me suis offert pour mon Noël de l'année dernière, c'est une de tes œuvres sérigraphiques que je suis très heureuse d'avoir à la maison. Et il y a dedans, pareil, tous ces différents niveaux de lectures, dont la première qui m'ait interpellée : c'est la Pachamama !
JPS : Ah oui, la Terre-Mère !
KB : C'est la Terre-Mère, il y a quelque chose de cet ordre là qui, après, nous invite aussi dans l'érotisme etc. Mais, il y avait d'abord cette invitation à la Terre-Mère.
JPS : Oui, oui, c'est une danse fusionnelle, maternelle, oui, tu as raison. C'est le Regressus ad Uterum : la rentrée dans l'utérus, bien sûr. C'est le lieu de la création. Les artistes invitent à rentrer dans leur lieu de création.
KB : Et c'est amusant, parce que quand des amis viennent à la maison, ils regardent… et à chaque fois, évidemment, je ne dis rien ; et ils ont tous des lectures complètement différentes. Donc, c'est assez sympathique parce que ça permet aussi de voir comment chacun est formaté, au fond, dans ses interrogations.
JPS : Mais on ne peut comprendre que ce que l'on connaît déjà et c'est là où le bât blesse, comme on dirait ! C'est que les gens ne comprennent pas mon travail, parce qu'ils ne connaissent pas ce dont je parle. Forcément et on a tous nos grilles de lecture, on a tous eu une éducation artistique, on a tout ça et donc, on fait avec ce qu'on a, on ne peut pas aller dans l'inconnu. C'est très, très difficile d'aller dans l'inconnu… Par exemple, si tu lis les Upanishads aujourd'hui, tu n'y comprendras rien du tout ; mais si tu lis les Upanishads et que tu as soixante ans et bien, tu trouveras ça fabuleux ! Donc c'est aussi tout un niveau de conscience et l'Art est quelque part là, pour éveiller les niveaux de conscience.
KB : Oui, je pense qu'on est bien sur l'Art qui doit éveiller les niveaux de conscience mais je pense aussi que, comme tu le disais tout à l'heure, il y a aussi un temps de lecture. C'est-à-dire que les gens ne prennent pas le temps d'observer, parce qu'il y a plein de choses qui sont nommées, qui sont lisibles aussi et qu'on interprète, chacun à sa manière et qu'il y aura différents niveaux de lectures. Il y a donc une accessibilité, quand même, me semble-t-il. C'est juste que, au fond, est-ce qu'on ne prend plus le temps de regarder ? C'est une vraie question ça !
P : Non, on ne prend plus le temps, c'est vrai, oui !
KB : De prendre le temps. J'étais au Musée de Besançon hier matin et j'y ai revu ton travail. On le voit, les gens ne s'arrêtent pas ou très peu. Ils ne s'arrêtent pas mais pas forcément uniquement devant ton travail et j'étais surprise de voir comme les gens vont visiter un musée... comme un supermarché. Alors pas tous, évidemment, je ne veux pas généraliser ; mais ça dit quelque chose d'une société aussi, ça dit quelque chose d'une époque ! Il faut prendre le temps d'être touché et bouleversé. On consomme, on consomme…
JPS : Il faudrait lire Krishnamurti, il parle de l'attention. Le seul moment où on est présent, c'est quand on est attentif. Et c'est la même chose pour connaître Dieu, entre guillemets, ou les forces cosmiques, oui. Il faut faire attention aux choses et les gens ne font plus attention parce qu'ils sont, comme tu le dis, ils sont dans la linéarité ; mais moi je suis dans la multiplicité de tous les temps donc, c'est très difficile. Et pour y accéder, il faut avoir vécu ça à un moment donné, il faut être tombé sur la tête et s'être relevé et puis dire : tiens, il y a ça qui existe et ça, ça n'existe plus, pourquoi ? Pourquoi a-t'on détruit tout le Monde ? Pourquoi a-t'on détruit autant de cultures indigènes ? Est-ce que notre culture, notre mode de vie, vaut mieux que les autres cultures que l'on a détruites ? Il faut s'en interroger bien sûr. Voilà.
PARTIE 4/5 | Voir la vidéo
JPS : Donc, on se fait un petit bonus chère Karine…
KB : Oui avec plaisir.
JPS : J'ai travaillé, pas tout cet été, parce qu'il faisait trop chaud pour bosser et que la sérigraphie utilise pas mal d'eau ; donc j'ai travaillé sur les films en été et imprimé en automne cette nouvelle série qui s'appelle "Karma-Kali, rêves érotiques & paradoxes". On a parlé tout à l'heure du paradoxe ! On est en plein dans le sujet de notre entretien et donc j'en ai imprimé sans doute plus de 200 (232) et tous sont des tirages uniques. J'ai vraiment bossé comme un fou. Je viens de finir le travail il y a à peine deux jours et j'ai pris tout ça en photo. J'ai choisi cinq sérigraphies pour te les présenter. Dans celle-là, on voit exactement ce dont on a parlé, c'est à dire : l'érotisme. C'est une femme habillée tout en lingerie avec bas résilles, portes jarretelle et bustier : c'est le caché-dévoilé dont on a un peu parlé tout à l'heure… Ainsi que le pattern que j'ai dessiné à la main sur le film, comme ça et… oui ?
KS : Alors moi, ça me fait penser à l'Orient, tu sais ces fenêtres où…
JPS : Tout à fait, les moucharabiehs, oui.
KB : Oui, où on est cachée-dévoilée, au fond, c'est ça ? La suggestion, c'est derrière cette fenêtre on voit des naissances. Pour moi, c'est une représentation très orientale du féminin derrière cette fenêtre qui est souvent très chargée et on voit souvent, comme ça, des bribes de naissance du corps.
JPS : Oui, c'est-à-dire que forcément, pour entrer dans l'orgasme, il faut (avoid) éviter toutes les structures culturelles, puisque nos cultures ne nous apprennent pas à avoir des orgasmes. La (ou les) religion révélée (qui est anti orgasmique par essence) a réprimé l'orgasme féminin (tout au long de son histoire). On voit d'ailleurs bien ce qui se passe en Iran aujourd'hui : les femmes n'ont pas le droit de montrer leurs cheveux pour ne pas 'exciter' le désir des hommes. Ou elles ne peuvent les exciter qu'à la maison. Le corps est quelque chose de très politique, le corps de la femme, en particulier, a toujours été très réprimé par beaucoup de cultures et ce, dans le monde entier et durant toute l'histoire de l'humanité.
KS : Alors nous, on fait une différence entre orgasme et jouissance…
JPS : Peut-être oui mais bon, ce n'est pas le sujet !
KS : Effectivement, en tout cas, c'est la question de jouir de son corps librement.
JPS : Dans sa totalité !
KS : Et pouvoir s'en exprimer et l'éprouver.
JPS : Voilà oui, c'est comme exciser les femmes, ce sont des pratiques terribles et inhumaines… Et donc là, il y a la structure qui éventuellement empêche le corps d'éjaculer quelque part, d'arriver à sa plénitude (enfermement versus libération et fragmentation), on peut voir et décrypter ça comme ça aussi.
KS : C'est hyper intéressant !
JPS : Tu avais un peu flashé sur cette sérigraphie et je trouvais que cette image de bondage était presque virginale quelque part. Ce qui m'intéresse dans le visage de la femme, c'est de trouver cette extase. Puisque qu'on connaît très bien tous, plus ou moins, la photo de la statue de sainte Thérèse D'Avila qui est en extase. Elle est rentrée en extase en communiquant avec Dieu. Mais on peut communiquer aussi avec son corps et entrer en extase. Vraiment l'Extase, c'est parfait, c'est bien, c'est subtile, c'est génial !
KS : Alors c'est vrai que moi, j'aime beaucoup parce qu'elle vient tout de suite avec ses couleurs… Paf ! Nous interpeller et au fond, là, pour le coup, il n'y a pas de suggestions on y est directement !
JPS : C'est vrai !
KB : C'est à dire que, peut-être, par rapport au travail qui est a derrière nous (la grande installation), c'est un travail qui vient nous happer ! On y est tout de suite ! De par les couleurs et de par la lisibilité. Donc là, il n'y a pas de suggestion ou d'invitation ou de…
JPS : Oui, c'est frontal !
KB : Oui on est prise quelque part et on est peut-être d'ailleurs un peu attachée aussi ; en tout cas, c'est cette invitation-là, que moi, je ressens…
JPS : Mais ça crée un lien direct, justement, avec le spectateur, puisque ça interpelle…
KS : Tout de suite !
JPS : En bien ou en mal car par exemple, il y a des gens travaillant au Musée des Beaux-Arts de Besançon qui ont critiqué mon travail en disant que c'était pornographique ! Alors, après, comme on l'a dit auparavant, chacun à sa culture, chacun son ouverture d'esprit plus ou moins grande… Mais oui !
KS : C'est surprenant pour cette société qui est plutôt très ouverte et un petit peu trop d'ailleurs, sur la dynamique de la pornographie…
JPS : Tout à fait, oui !
KB : Et, c'est là-dessus que tu as été interpellé, alors !
JPS : Mais nous vivons dans une société où il y n'a pratiquement aucune œuvre montrant une pénétration sexuelle dans un musée en Europe. (A part l'Annonciation à la Vierge Marie, qui est une métaphore de l'acte sexuel transsublimé). Et ça, quand on y réfléchit, c'est comme si on nous avait amputé du corps et de ses fonctions créatrices et de nos deux bras. C'est l'homme ou la femme toujours rabaissés, asexués et soumis aux dictats moraux et esthétiques. Tu en as un peu parlé lors de ta conférence d'hier : le pubis féminin n'a pratiquement jamais été montré complet, dans l'Art occidental enfin, à partir de la Grèce, très peu.
KB : Oui, très peu, oui !
JPS : Très peu, voilà et donc, d'autres cultures le montraient car c'était le lieu de la vie et de la joie !
KB : Donc je découvre au fur et à mesure, je précise…
JPS : Oui, oui, c'est le but du jeu !
KS : Parce que c'est un moment important donc je me laisse emporter et là pour le coup c'est là où je dirais que le pattern prend tout son sens dans son rapport au rituel. c'est la question du rituel que je vois. Qu'est-ce que toi tu y as mis ? Quel est ton message, tes messages ?
JPS : Non mais je n'ai pas vraiment de messages mais on a parlé du rythme tout à l'heure.
KB : Oui, le rituel, le rythme, oui.
JPS : C'est vrai que quand, je trouve un rythme, une scansion. C'est une image que j'ai récupérée, la plupart des images sont des images que je récupère. Qui ont été créées par des artistes il y a mille, deux mille ans ou trois mille ans ou deux cents ans ou que sais-je ? Je ne sais pas vraiment ? Et les patterns qu'ils ont fait m'interpellent et donc je les réutilise. Mais je ne connais pas vraiment l'état d'esprit dans lequel étaient ces artistes et la signification véritable de ces dessins. Mais de par cette transformation et réinterprétation que je fais (en copiant le tracé de la main de l'artiste qui l'a fait !) ; je peux alors rentrer à nouveau dans son énergie et dans quelque chose de spirituel. Et on peut voir aussi des fleurs comme cela. Ça vient sans doute du Mexique mais je ne me rappelle pas. Et on peut retrouver aussi ça dans les manuscrits du Moyen Âge où les gens entrent dans leur prière pour parler avec Dieu. Donc, faire de l'Art, c'est un peu un moyen de parler, pas vraiment à une entité mais à quelque chose qui nous transcende. Une tranquillité… un état de non-pensée ; presque un état zen.
KB : Oui, l'état de flottement, de suspension dans le rituel.
JPS : Oui, voilà, un état zen, d'éveil. C'est presque l'état du satori, si tu veux… Voilà, ça c'est le Cerf (ou l'Élan ?). C'est une des dernières images que j'ai imprimée. Voilà, tu vois… J'avais cette image depuis longtemps et elle ne me plaisait pas beaucoup (je la trouvais trop simple), c'est un dessin préhistorique que j'ai récupéré, je ne sais plus dans quelle culture ? Ça ne me plaisait pas et donc, avant d'imprimer l'image, j'y ai ajouté des flèches sur le film. Et ce sont des flèches d'énergie. C'est à dire que l'animal dégage son énergie vers l'extérieur. Ce n'est pas vers l'intérieur. C'est la force vitale qui sort et qui rayonne par excellence !
KS : Oui, la force vitale du Cerf, oui d'accord ! Oui la puissance au-delà, au fond et c'est ça qui est intéressant… C'est l'idée de l'au-delà, on va au-delà de notre propre corps !
JPS : Oui mais on est présent dans le corps ; le corps est présent, il n'est pas abandonné !
KB : Tout à fait mais quand je dis dans l'au-delà, ça veut dire ça ne s'arrête pas à notre enveloppe charnelle ? L'énergie ?
JPS : Ça, c'est à discuter ; c'est vraiment un problème métaphysique. Mais là, le Cerf est vivant ! Car l'énergie des morts, c'est difficile d'en parler. Ça je n'en sais rien, je sais pas mais bon, peu importe ! Et là, c'est une sérigraphie très érotique aussi, j'ai trouvé que c'était bien approprié ! Tu as parlé de danse de rythme et de scansion et bien là, c'est vraiment le rythme et l'éjaculation…
KB : On n'est même plus dans l'érotisme là ?
JPS : Pourquoi ?
KB : Là, c'est suggéré bien franchement !
JPS : Oui mais c'est érotique parce que ce n'est pas pornographique : c'est de l'ART !
KB : Ah bien sûr !
JPS : Mais bon !
KB : En tous les cas c'est intéressant, au-delà du graphisme érotique, c'est aussi l'idée (la sexologue parle) de deux femmes qui jouent et qui jouissent ensemble d'une potentielle pénétration, même d'une pénétration d'ailleurs.
JPS : Et d'une éjaculation !
KB : Et d'une éjaculation, oui !
JPS : C'est un jeu, comme on l'a dit tout à l'heure ! L'Art est un jeu !
KB : Oui, c'est ça, c'est un jeu, oui ! C'est bien parce que tu joues aussi dans la question des genres, dans la question des jeux de rencontre : homme-homme, femme-femme, tu serais plus femme-femme toi ?
JPS : Non, moi, je ne peins pratiquement jamais d'images d'hommes, sauf les chamans en extases et ithyphalliques. Parce que je suis un homme, je connais, ça ne m'intéresse pas plus que cela. J'aime mieux l'étrange, l'étranger et les ailleurs… D'ailleurs toute ma vie est basée là-dessus. Je ne peux pas dire que j'ai beaucoup voyagé… Mais j'aime L'AILLEURS ! Merci Karine.
KB : Merci à toi !
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KB : Alors sur la question des patterns ?
JPS : Oui, on dit cela en anglais !
KB : Après chacun son métier mais sur la question du motif répétitif quand naïvement je t'ai demandé, je l'avoue, ce qu'était le pattern ou le motif répétitif ; et dans répétitif, tu vois, tout de suite, ça me fait penser à la danse.
JPS : Oui, la danse ou la sexualité…
KB : La danse sexuelle et la répétition de quelque chose ou pas toujours… Mais oui, sur la question du motif répétitif, sur cette danse érotique, sur cette danse suggestive ?
JPS : Oui.
KS : Qui est autant le rituel que la danse érotique au fond et la danse suggestive des corps.
JPS : Oui, il faut penser aux danses vaudou, aux danses de transe et d'extases, bien sûr, parce que, ce qui m'intéresse, c'est aussi de parler de la transe. On n'en a pas encore parlé. Mais cette répétition binaire, on peut aussi la ressentir chez les aborigènes d'Australie quand ils jouent leurs didjeridoos. Et donc, ils entrent en transe en scandant quelques paroles et puis avec ce son et ce rythme, comme cela, qui les font entrer en transe et justement, entrer dans une autre dimension géographique du cosmos (le temps du rêve). Et, comme j'ai eu la chance de faire des transes chamaniques à New York. On faisait toujours ça avec le tambour chamanique répétitif, pour entrer dans ces transes. Et c'est un peu de ça dont je veux parler. Je veux parler de ce rythme, le rythme du corps. Le corps est tellement important dans mon travail, c'est le sujet l'essentiel bien sur… Car sans le corps, il n'y a absolument rien.
KB : Effectivement la question de la répétition mais aussi de la corporalité et de l'émotionnalité. Là, moi ce que je trouve très intéressant dans ton travail, c'est qu'en fin de compte, on me parle par le ventre. Et c'est ça, moi, qui m'intéresse. C'est qu'aujourd'hui, on intellectualise aussi tellement les choses ; ou on va chercher midi à quatorze heure. Alors que d'avoir cette possibilité de pouvoir mieux écouter, au fond : une émotion, une sensation, quelque chose de ventrale, quelque chose qui vous emmène au fond… Et la danse chamanique, c'est ça ! Il n'y a pas de réflexion ! On n'est pas sur une méthodologie de pas de danse. On est sur du ventre pur, de l'émotion pure, du ailleurs et du au-delà… Et effectivement, le sexe c'est aussi cette invitation-là.
JPS : Oui, on est ailleurs et au-delà mais on est dedans !
KB : On est dedans bien sûr !
JPS : Oui, c'est ça le paradoxe bien sûr ! Je voudrais parler de ce paradoxe : on est dedans.
KB : Mais il y a du paradoxe !
JPS : Oui, mais c'est notre corps qui peut générer ces images de voyages cosmiques, bien sûr et bien évidement la sexualité est très rythmée ; forcément, sans le rythme dans la sexualité, la sexualité n'existe pas, point barre et alors c'est le silence et la mort !
KS : Effectivement sur la question de la danse et de la rencontre érotique, on a besoin de ce rythme. Si on ne parle pas la même langue corporelle, on va avoir des difficultés à se retrouver dans un moment intime en tous les cas.
JPS : Pour parler de la danse, j'étais justement à une fête allé à New York et il y avait une amie brésilienne qui dansait la samba. Il y avait un groupe de samba en live qui était là et c'était vraiment un moment fascinant ! Et c'est vrai que ça nous fait aussi entrer dans la Joie. Je voudrais aussi parler de la joie. Cette scansion des rythmes comme ça ; et les rencontres homme-femme, femme-femme ou homme-homme, nous faire rentrer dans un espace commun et fusionnel. C'est le partage… Et l'Art est aussi un partage, bien évidemment. C'est très important, oui !
KS : Oui et c'est vrai que sur la question de la présence des corps dans ton travail, moi je voulais juste redire que les corps : ils sont sublimés, fantasmés, désirés, suggérés… Bref, on est tout le temps invité comme ça, dans la lecture, quand bien même on prend, effectivement, le temps. Donc, moi, j'invite les auditeurs à aller faire un tour au Musée des Beaux-Arts de Besançon et de s'assoir sur les escaliers, au fond ! Et de prendre ce temps là, d'aller regarder un petit peu ce qui se passe. Parce que cette invitation de mosaïque et de couleurs et de dynamique de vie, si on ne s'y arrête pas, si on ne regarde pas, on a loupé (ça ne veut pas dire que ce n'est pas chouette cette mosaïque de vie !) ; mais si on ne la regarde pas, on a loupé plus des trois quarts de ton travail ; et ça c'est dommage.
JPS : On peut dire quatre-vingt-dix-neuf pour-cent de mon travail !
KB : Voilà, oui, je n'osais pas le dire !
JPS : Oui, oui, mais c'est vrai. Karine, merci beaucoup pour ce bel entretien, merci aux amis qui sont derrière les caméras : Lionel et Christine. C'était vraiment un grand plaisir d'échanger avec toi, merci à tous et à bientôt, au revoir.
INTERVIEW JEAN-PIERRE SERGENT & NICOLAS SURLAPIERRE | MUSÉE DES BEAUX ARTS & D'ARCHÉOLOGIE DE BESANÇON | 4 PARTIES | 30 JUIN 2022 | Télécharger le PDF
L'artiste échange avec Nicolas Surlapierre, Directeur du Musée, au sujet de son installation murale : "Les quatre piliers du ciel" (80 m2) au Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie de Besançon. Aux caméras : Lionel Georges et Christine Chatelet
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Nicolas Surlapierre : Jean-Pierre, je suis assez heureux que l'on reprenne ces entretiens, on n'en avait fait il y a quelques temps, il y a même assez longtemps, je dirais presque deux ans. On était dans la salle de conférence du Musée où on avait présenté une série de petites sérigraphies assez belles et érotiques. On avait eu une discussion qui avait duré une heure et demie ou deux heures, je me souviens plus. Et quelques temps après, j'avais observé les vidéos et avais trouvé, combien des éléments qui m'étaient dit, directement, m'avaient échappé. Donc, j'ai trouvé que c'était extrêmement intéressant de pouvoir repartir sur un entretien, même si ce soir, c'est à ton initiative. Alors, un entretien, c'est un des exercices les plus difficiles avec les artistes, pourquoi ? Parce que ce qui est important, ce n'est pas tellement la personne qui va poser les questions, encore que ; mais c'est de t'entendre. De t'entendre sur ce travail, sur cette grande installation au Musée des Beaux Arts et d'Archéologie, sur laquelle on va revenir, cette œuvre monumentale : "Les quatre piliers du ciel" que, je pense, l'on aperçoit bien, j'espère, derrière moi !
Dans un premier temps, ce que j'aimerais faire, c'est d'essayer de lancer cette conversation, parce que c'est aussi une conversation et c'est comme ça qu'on l'a conçue, à travers des citations, des citations que tu m'as transmises d'une façon très cadrée, très structurée et je trouve que c'est tout à fait passionnant pour rentrer ainsi dans ton univers. La première question que je vais te poser et que j'ai choisi parmi les citations dans l'exemplier que tu m'as donné ; j'ai choisis la première citation que je vais lire. C'est un proverbe Apache, il est très court et je vais te demander de réagir par rapport à ce proverbe Apache, qui m'a énormément touché et ce proverbe dit : "Je ne suis pas ici pour m'adapter à votre monde, je suis ici pour protéger le mien." J'aimerais que tu réagisses à l'une ou l'autre partie de ce proverbe Apache, de cet aphorisme, si tu veux bien, peut-être que tu expliques ce que tu entends protéger dans ta création et comment tu t'y prends ? Et par quelles images, par quelles référence, peut-être, tu installes cette protection et quel est ce type de protection ?
Jean-Pierre Sergent : Oui, eh bien l'Art, c'est forcément un combat. Je pense que tous les artistes le ressentent. C'est un combat contre la stupidité du Monde, contre la destruction du Monde ! On essaye de régénérer le Monde, on fait en quelque sorte, des rituels de régénération. Nous sommes vraiment comme les chamanes auparavant et nous sommes aussi en guérilla puisque, forcément, le monde matérialiste essaye de détruire toute création. Particulièrement aujourd'hui ! C'est vrai que l'on est un peu dans un état de résistance (comme on pourrait le dire !) Et ce proverbe Apache est très bien, puisqu'on est chaque jour au combat pour essayer de défendre les valeurs humanistes, les valeurs de la beauté, les valeurs de la couleur, les valeurs de la vie aussi ! Tu vois, je ne suis pas 'Pro-Life', entre guillemets mais je suis pour la Vie. Je pense qu'on le sent très fort dans mes peintures parce que j'utilise beaucoup de couleurs, beaucoup d'énergies et c'est vraiment ce combat que je voulais nommer et présenter au public. Alors après, que les gens le ressentent ou pas ça, c'est autre chose et je pense qu'il faudra sans doute un certain temps avant que les gens ressentent la force ou la puissance de mon travail. Mais bon, c'est inhérent à l'Art, ça prend toujours un certain temps…
NS : Alors, ça m'a intéressé cette citation, ce proverbe Apache, parce que je pense que c'est une des fonctions des Musées, puisque les Musées ne sont pas là simplement pour protéger des collections, protéger des personnes mais accompagner, en tout cas du personnel et des personnes mais on est là aussi pour protéger des significations et c'est pour ça que j'ai bien aimé cette citation, parce que je crois véritablement, parfois on ne sait pas véritablement, le message qui sera donné, comment on va pouvoir l'accompagner… Tant pis si il est perdu mais parfois il y a des choses qui reviennent d'une façon étrange ; mais pas forcément, si je comprends ce que tu dis, pas forcément au moment où on l'attend le plus. C'est pour ça que je trouve que cette idée de protection des significations est, je crois chez toi, un peu différente. Car c'est une protection d'un univers ou des univers d'ailleurs et tu as utilisé ce thème de chaman, qui passerait, de façon plastique, évidemment mais aussi d'une façon presque rituelle, de façon rituélique (ce n'est pas un très beau mot), à travers toi. Alors on est devant cette grande composition des "Quatre piliers du ciel" je ne vais pas poser une question très complexe. Je reviendrai après sur ce que je ressens vis-à-vis de cette grande composition, est-ce que tu peux expliquer un peu la genèse et puis comment tu as conçu cette grande composition et comment et pourquoi, voilà… Quelle est la forme que ça a pris, pourquoi ces 105 cm par 105 cm, pourquoi le carré ? Tous ces éléments et bien sûr, les motifs ; tous ces éléments qui sont constitutifs des "Quatre piliers du ciel" ?
JPS : Oui, j'ai commencé à développer ce travail sur Plexiglas de manière très organique à New York où j'ai commencé par assembler quelques petits panneaux, comme cela… et puis à la fin, dans mon atelier de Brooklyn, j'ai voulu couvrir tout le mur. Ce sont ces installations murales qui me remplissent et qui m'apaisent quelque part. Parce que, ce n'est pas que je veuille faire des grands formats pour faire des grands formats ; ce sont toujours des petites unités, que je fais au quotidien. Qui s'assemblent et qui forment ce que l'on peut appeler ce grand tout, que l'on peut appeler un univers d'artiste. Et ce qui m'intéresse aussi, c'est que ce soit complètement hétérogène. Parfois il y a des liens car, comme je reproduis les images avec le médium de la sérigraphie, je peux répéter une image plusieurs fois mais sinon il y a des choses qui n'ont absolument rien à voir les unes avec les autres et ça me crée, comme ça : une dynamique, un chaos, dans lequel je peux vivre. Mes références premières, ce sont vraiment les tombes des anciens Égyptiens, puisque finalement, c'était l'endroit où le mort pouvait survivre pour l'éternité. Donc, c'est un peu une quête de l'éternel, quelque part, en toute modestie et au quotidien. C'est toujours un travail. C'est le travail qui s'inscrit dans la durée, voilà.
NS : Et d'ailleurs, dans tes Notes, parce que tu as écrit dans plusieurs Notes et particulièrement sur la beauté où tu évoques aussi cette grande composition "Les quatre piliers du ciel". Tu as dit que tu avais attaqué, d'une certaine manière, la rationalité. Il y a quelque chose que tu attaques ! Est-ce que tu peux préciser ? Parce que j'ai trouvé que c'était une idée qui était belle, sur cette question de la rationalité ? Pourquoi je te pose cette question, parce que lorsque les visiteurs ou les visiteuses passent devant la composition, comme on a ce format carré, qui se répète… Il y a une grande stabilité, on a la symétrie de l'escalier… La disposition a l'air au contraire, extrêmement rationnelle. On sent que c'est très maîtrisé plastiquement et esthétiquement, j'allais dire. C'est très maîtrisé aussi au niveau du dispositif ; et pourtant, toi tu parles à un moment donné tu as voulu attaquer la rationalité. Qu'est-ce qu'est-ce que tu entends par cette attaque de la rationalité ?
JPS : La structure de ma peinture est rationnelle et organisée (comme un corps organique), bien sûr, puisqu'il faut la montrer, c'est architecturé ; pour la présenter dans l'architecture, bien évidemment mais en ce sens d'attaquer la rationalité, je veux dire par-là, que nous vivons dans un monde rationnel où c'est l'argent qui domine ! C'est un franc plus un franc, ou un euro plus un euro ou un dollar plus un dollar… C'est-à-dire que tout s'ajoute tout le temps, comme ça et tout le monde spirituel a disparu. Je voulais citer justement Andreï Tarkovski qui dit dans ce très beau livre que je suis en train de lire : Le Temps scellé :
"Depuis la guerre WW2, la culture s’est comme effondrée. Dans le monde entier. Et le niveau spirituel aussi. […] Il faut aujourd’hui, plus que jamais, sauvegarder tout ce qui a un lien, si ténu soit-il, avec le spirituel."
C'est-à-dire que le monde 'rationnel' (matérialiste) est toujours en combat avec le monde spirituel. Sauf que maintenant, toutes les églises ferment, cela devient des ruines. Alors, où trouver l'endroit du spirituel ? C'est un peu notre démarche d'artistes ; pas de sauver tout ça mais peut être que de sauver les derniers morceaux (les dernières bribes) de ce qui a tenu pendant des millénaires… Parce que, je me sens avoir une certaine responsabilité de m'opposer à ce monde rationnel et technologique, qui nous enferme dans la vitesse sans arrêt, qui nous bouffe le temps de vivre. Et tu vois, dans mon travail, je parle de choses immémorielles, je parle de rituels égyptiens, je parle de la sexualité qui existe depuis la nuit des temps et pour tout le monde ; pour les animaux et pour nous-mêmes ! Je parle de la sagesse du Bouddha, depuis que le Bouddha existe, cette sagesse existe. Tu vois, je veux parler de cette mémoire collective ; que l'on peut appeler l'inconscient collectif. Et je pense par exemple, que si les artistes disparaissaient ; c'est la phrase du célèbre artiste allemand qui dit : "Si l'Art disparaissait, le cerveau humain disparaitrait également ", dixit Joseph Beuys.
"L'éducation artistique est un problème dans le monde entier. Au fond de soi, chacun sait que l'homme ne peut pas vivre sans art. Sans éducation artistique l'homme dépérirait probablement après 2000 ans sans art il perdrait probablement son cerveau. On parle ici d'un art qui redonne une vie à l'homme directement depuis un espace inconnu mais que j'essaie de désigner avec le terme de 'contre-espace" et en posant la question de l'existence toute entière de l'homme : Comment l'homme vient-il au monde ? Quelles sont les forces qui le nourrissent ?"
L’art est une nourriture pour l'homme, 27 janvier 1970, Joseph Beuys
JPS : Et je pense que là, on a un rôle à jouer, quelque part, pour que le cerveau ne disparaisse pas.
NS : Ou que l'Art ne disparaisse pas !
JPS : Oui, mais l'Art est moins important que la Vie, quelque part, oui peut-être ?
NS : Alors, c'est intéressant ce que tu dis parce que je m'étais jamais posé la question, on sent cette part de spiritualité dans ton travail ou en tous les cas, d'intérêt, pour ce que je pourrais appeler le savoir spirituel ou Du Spirituel Dans l'Art (Kandinsky) pour reprendre le titre d'un ouvrage célèbre. Mais je ne l'associais pas forcément à un lieu, qui soit une église ou un temple. Je pensais que ça pouvait être aussi bien dans une colline sacrée et finalement, je me dis que : comment est-ce que toi, tu te considères par rapport à un paysage, à l'extérieur ? Parce que, je te croise de temps en temps, au Musée Courbet d'Ornans où tu découvres Courbet, qui est aussi un grand paysagiste et peut-être un des grands paysagiste du 19e. Quel est ton rapport à la Nature ? Et est-ce que c'est possible que tu nous expliques cette relation entre spiritualité et finalement observation, j'allais dire du motif, du paysage… Parce que, c'est ce qui est intéressant dans un entretien. Il y a des choses que l'on a balayées et puis là, subitement, il y a une idée qui surgit… Et selon moi, cette idée qui surgit, c'est précisément la différence entre l'intérieur et l'extérieur. Et là, je parle vraiment très architecturalement du terme. Tu as parlé d'Églises et donc là on est dans un Musée. Mais parce que pour moi, le spirituel peut être dans une combe, dans un paysage grandiose ou même pas d'ailleurs. On peut s'exprimer très très fortement, parfois on ne sait pas tellement, pas bien ; la façon dont le spirituel peut s'exprimer. Est-ce que l'extérieur a une importance, est-ce que les paysages, les ambiances, est-ce que ça a une importance pour toi ? Ou est-ce que finalement ton rapport sera plutôt à travers des vestiges, des traces ; ou grâce à ta connaissance de l'Art Contemporain bien sûr ? Des vestiges, des traces et finalement quelque chose d'assez patrimonial au répertoire ?
JPS : C'est une très bonne question. Ce qui me fascine c'est l'Art, bien évidemment car c'est là où le sacré reste et perdure… Et moi, je n'ai pas fait de formation bouddhiste ; mais quand je vais faire du canoë dans la Nature, je ressens quand même… Premièrement, je ressens un espace neutre. C'est-à-dire que la nature n'en a rien à foutre de nous et quelque part, tu peux te cogner la tête sur un rocher pendant des heures ; et le rocher ne te parlera pas plus, si tu veux ! Et c'est très important, cette neutralité… Parce que nous sommes très prétentieux (les Hommes) et nous pensons que nous avons une importance. Mais nous n'avons pas beaucoup d'importance. Notre seule importance, c'est de définir quelque chose de sacré et de le définir ensemble et forcément, maintenant que l'Art se vend à des prix exorbitants, si une peinture se vend à 2 ou 3 millions d'Euros, ça devient un objet sacré en quelque sorte. Et c'est l'argent qui sacralise les choses. Mais auparavant, les œuvres où les personnes avaient une sacralité propre et étaient intégrées dans une communauté au travers de rituels communs. Et, j'ai la nette impression que nos rituels ont, en grande partie, disparus. Et on se retrouve un peu seul. Donc, ça revient peut-être encore une fois car c'est peut-être le rôle des artistes de rassembler et de créer le lien entre tout le monde. Mais c'est un peu prétentieux mais bon, peut-être que devant une toile de Pollock on peut ressentir cette énergie cosmique ou cette énergie sexuelle qu'il a voulu dépeindre ? Ce qui est important, c'est que le public puisse ressentir une énergie. La spiritualité, c'est ça ! C'est de sentir une énergie qui nous dépasse, qui est transcendantale quelque part.
NS : Et donc, j'aimerai bien t'entendre, non pas pour conclure ; mais moi quand je suis devant "Les quatre piliers du ciel", je vois quelque chose d'assez structuré d'assez stable, une composition assez stable et pourtant il y a quelque chose qui malgré les mandalas, malgré certains motifs de lotus, malgré certains motifs que l'on retrouve dans ton Panthéon et qu'on commence à bien connaître et qui sont presque des attributs formels, on a l'impression qu'il n'y a pas de centre ? Et c'est ça qui me perturbe mais dans le bon sens du terme ; dans le sens qui m'intéresse ! Je dis perturbé pour ne pas dire intéressé, le terme est un peu plus banal, qui me perturbe. On a l'impression que l'on ne sait pas dans ces "Quatre piliers du ciel", alors que ça devrait être structurant. Ça devrait être quatre piliers qui, d'une certaine manière construisent notre rapport à l'Art, ou peut-être même créer des repères ? Alors que là, au contraire, on a l'impression qu'on glisse constamment, que l'on ne peut jamais se concentrer dans l'image ; tout en étant et c'est ça que j'apprécie… C'est à dire qu'il y a cet aspect, je veux pas dire c'est un 'en même temps', mais c'est un peu ça, on ne peut pas totalement se concentrer dans l'image et pourtant : il y a cet effet ! Par une répétition de certains motifs que l'on pourrait appeler le 'pattern', c'est presque pas, par érudition, c'est plus dans le sens américain. Je trouve que le terme est plus juste que le 'motif décoratif qui se répète', comme une psalmodie, presque comme dans un rapport hypnotique. Donc, il y a quelque chose de la concentration. Et je ne sais pas si c'est vraiment une question mais en tous les cas ; je trouve vraiment certains aspects, pour résumer d'une façon un peu grossière, le mandala ou la forme du mandala ou la forme du lotus. C'est-à-dire quelque chose qui va vers la concentration et vers un point très, très précis… Et justement, j'ai l'impression que dans cette composition et ça, je trouve que c'est assez beau, qu'on est presque dans un monde d'avant la découverte que la Terre soit ronde. C'est à dire où il n'y a pas de bords et qu'on est dans un monde qui est hors bords. Et justement, comme on est dans un monde qui serait hors bords, on se dit que si on s'approche trop de la limite de l'œuvre ; peut-être qu'on peut tomber. Et c'est le motif, d'une certaine manière, qu'on essaye de retrouver et parfois les liens aussi. Qu'on retrouve… Les corps, les sangles qui nous permettent de nous remonter à la surface de l'image ou en tout cas, de rester sur le bord du monde que tu nous proposes. Car tu proposes effectivement, je ne sais pas si tu proposes une cosmogonie mais en tout cas, très certainement, tu proposes un monde. Voilà, comment moi, en tous les cas, je parle de cette installation, ce dispositif m'intéresse tout particulièrement. Et j'avais une question toute simple : est-ce que selon toi, c'est immobile ? Est-ce que tes compositions sont immobiles ou est-ce qu'au contraire, tu y vois du mouvement ? Parce que je n'arrive pas à trancher, c'est pour ça que je te pose la question.
JPS : Oui c'est une très belle question, je veux parler de l'infini, bien évidemment (des mouvements perpétuels) ! C'est-à-dire qu'il n'y a pas de centre, tu as tout à fait saisi ça. Il n'y a aucun centre, c'est une coalition, un conglomérat d'informations ; de même que dans les transes chamaniques. C'est-à-dire que tout glisse, tout fusionne et les temps se mélangent, bien évidemment. Il n'y a pas de temps T ; il y a des temps T ! Il y a 'en même temps' : l'Afrique, il y a la Sibérie… Tout se mélange véritablement, c'est ce que l'on pourrait appeler comme le melting-pot new-yorkais. Tout se mélange et je trouve c'est très important parce que ça crée une dynamique autre. Tu as très bien pu pointer ça : je sors du temps linéaire, oui, c'est exactement ça.
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NS : Alors peut-être, pour aller plus avant, au-delà des "Quatre piliers du ciel", on pourrait, maintenant, essayer d'avancer ou de réfléchir sur ce que tu as appelé dans des notes que tu m'avais transmises : "Art libérateur et Art salvateur". Je crois que c'est ça, avec aussi la part de salvateur et libérateur pour l'artiste et aussi pour le public, parce que le public ne met pas la libération ou la salvation, si je puis dire, au même endroit. Tu avais plusieurs citations, tu m'avais proposé une citation de James Joyce, il y a une belle citation de À rebours, de Huysmans et puis, tu m'avais mis quelques notes, notamment de ton journal de New York, de tes Notes de New York et puis, j'aime bien parce que c'est très court mais à mon avis ça mériterait justement d'être développé et c'est peut-être l'objet de cette entretien. Et tu dis dans ces Notes de NY : "La beauté naît de la confusion." J'aimerais bien que tu reviennes un peu dessus, sur peut-être ce thème de confusion ou en tous les cas, de sa relation à la beauté ?
JPS : Oui on avait parlé la dernière fois de trébucher, je ne sais pas si tu t'en rappelles dans notre entretien ?
NS : J'avais oublié le terme mais il est très beau effectivement ! Un jour il faudra arrêter de trébucher mais dans ce cas là, on sera mort !
JPS : Oui, mais c'est sûr que la vie ce sont toujours des hasards, de coïncidences et des trébuchements. Jai saisi cette petite phrase à New York parce qu'il y a tellement d'informations dans cette ville-monde. Aujourd'hui, on est bouleversé par et dans l'information sans arrêt et dans cette confusion, c'est comme si il y surnageait une espèce d'iceberg de beauté quelque part. Bon, peut-être que la beauté existe au-delà de toutes ces horreurs ; et la vie est quand même d'une puissance et d'une beauté incroyables. Quand on va dans la nature et qu'elle est intouchée, elle nous émeut à chaque fois. Et quand on est devant des animaux, c'est pareil, il y a cette énergie vitale, encore une fois, quand elle n'est pas abîmée. Et c'est cette beauté que je sens également chez tous les peuples premiers, avant qu'ils aient été exterminés comme des chiens. Alors cette beauté là… Et cette confusion, parce qu'on ne peut malheureusement pas nommer la beauté, c'est vrai. Et puis, c'est tellement infini, j'en ai parlé auparavant, c'est au-delà de nous. C'est quelque chose qui nous émeut, qui émeut du nourrisson jusqu'au vieillard qui entend un chant d'oiseau et qui sourit !
NS : Oui, ce qui peut être retenu : c'est la multitude d'informations et que peut-être, la beauté cite ou sort de cette multitude ; où on ne voit plus rien, ce qu'on appelle d'ailleurs sur Internet : le 'bruit' en fait. Ce brouhaha même insensé. Il en sort un peu des arrêts sur image quasiment et pour sortir de cette confusion, de ces centaines, dizaines, milliers, milliards d'informations qui, d'une certaine manière, nous empêchent peut-être de regarder, nous empêche de nous arrêter et tout ça, c'est un peu banal, ce sont des poncifs mais quand même. Je suis frappé de voir, que on confond finalement… La communication, l'information et finalement le savoir véritablement, même pas le savoir qui est la connaissance, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Donc, ce qui peut être intéressant, c'est qu'on repère dans tous ces savoirs, parce qu'à la fois dans tes œuvres il y a une multitude d'images et ainsi, il y a une multitude de références et des références de l'époque contemporaine ou des époques les plus éloignées et peut-être même pariétales, à l'Art Pariétal. Et justement, par un système assez étrange de citations, tu arrives à créer une cohérence et à les isoler pour, justement, rompre avec cette confusion. Même si, la confusion chez toi, à mon avis, ce n'est pas non plus qu'un défaut. Ce n'est pas toi qui es confus.
JPS : Bien sûr, oui.
NS : Mais la confusion amène, certainement, une énergie et de cette confusion naît une énergie, parce que c'est un aspect, pour l'instant, qu'on n'a pas encore évoqué, au-delà des images et au-delà pratiquement de la finesse de l'image, par la technique de la sérigraphie, du caractère aussi très bien réalisé. C'est parfait au niveau de la réalisation, il y a une grande technicité. Il y a de l'énergie, il y a une confusion mais qui est mise en ordre. C'était comme si tu voulais essayer de mettre de l'ordre dans le chaos et comment je m'y prends pour mettre un peu d'ordre dans le chaos ? Et donc, c'est pour ça que j'aime bien cette citation, qui met en relation beauté et confusion qui, parfois, s'opposent et qui parfois, au contraire, se valorisent l'une, l'autre comme si ; les couturiers disent parfois "comme si ça habillait la forme". Habiller la forme parce que sinon, elle serait non pas nue, mais elle serait indistincte. Donc, on a cette sortie de l'indistinction. Et dans l'exemplier que tu m'as transmis, je vais citer, j'ai choisi peut-être deux citations. Je t'ai dit que je t'en parlais d'une mais finalement, je crois que je vais en parler de deux, tant pis. La première, je vais la lire entièrement et j'aimerais t'entendre sur cette citation, elle est extraite de Manières d'être vivant de Baptiste Morizot qui dit ceci :
"Danser dans les cordes, pour esquiver le dualisme de l’animalité comme bestialité inférieure et comme pureté supérieure. Pour ouvrir un espace encore inexploré : celui des mondes à inventer une fois qu’on est passé de l’autre côté. Les entrevoir, les donner à voir, grande respiration." Manières d'être vivant, Baptiste Morizot
JPS : Oui ! Et bien c'est exactement ce que je fais dans mon travail et tu l'as dit tout à l'heure. C'est à dire qu'en mélangeant toutes ces énergies et tout ce chaos ; je revendique ce terme de travailler dans le chaos et pour accéder, justement, à une énergie supérieure. Et là, je vais parler un peu du Tantrisme, parce que c'est assez peu connu… Je vais tâcher de retrouver le passage :
"Le tantrisme embrassait l'existence dans sa totalité, avait conscience de l'univers entier situé au cœur de la personne humaine. Toutes les pensées, tous les actes, y compris l’énergie sexuelle, étaient canalisés en vue du développement spirituel..." Le Léopard des neiges, Peter Matthiessen
Parce que dans le tantra, il n'y peut-être pas besoin de citer quelque chose ; mais dans le tantra, ils travaillent avec la 'merde', entre guillemets, ils travaillent avec la sexualité, ils travaillent avec tout ça… Ils mélangent et assimilent tout ça ; pour accéder à la spiritualité. C'est un peu ce que je fais dans mon travail : je travaille beaucoup avec la pornographie, qui est la vraie merde ultime de la société car le business pornographique c'est aussi gros que le business de l'armement ! C'est un truc énorme ! Ici, dans cette exposition, il y a très peu d'images pornographiques mais une grande partie de mon travail utilise les images pornographiques et donc ça peu interroger le public aussi ; parce que la sexualité, on n'en parle très peu dans l'Art. Un peu plus dans l'Art Contemporain mais on en parlait très peu auparavant. tu vois ! Et tout ça, ça booste de tous les côtés, il faut que j'aille aux limites du Monde (ce dont on a un peu parlé tout à l'heure.) Pour bouger un peu les choses. Parce que, c'est vrai que je m'ennuie un peu… enfin, l'Art Occidental m'ennuie un peu. Je suis là un peu pour booster, pour bouger les lignes…
NS : Pourquoi ? Qu'est-ce qui t'ennuie quand tu vas voir une expo ou dans l'Art Occidental ? Qu'est-ce que tu trouve ennuyeux ? Ce n'est pas une question de plaire mais finalement, toi, tu ne vibres pas ou tu ne ressens pas grand-chose ; même si bien fait, bien produit parce qu'il y'a beaucoup de très grands artistes ?
JPS : Eh bien justement, parce que ça reste dans les cordes. J'aime les gens qui transgressent. Pollock, il a transgressé. Après, tu peux aussi ressentir une transgression chez Giotto ou dans l'Art Pariétal. Mais je le ne la ressens pas ou peu, dans la peinture… À part, par exemple chez Vermeer, où lui, il transgresse car il arrive dans un espace infini (divin), C'est à dire qu'il nous donne à voir un espace infini ; il y a une dimension infinie. Les couleurs sont justes… C'est DING ! C'est quelque chose qui existe comme ça, de lui-même et tu rentres dans un autre monde quelque part. C'est la porte vers un autre monde. De même que quand tu atteins l'éveil du satori au Japon : BOUM ! Tu ne comprenais pas le Monde et d'un seul coup, tu le comprends ! Et donc, si c'est une peinture qui me décrit juste un paysage ou un truc du commun… Moi, ça ne me suffit pas ! Mais bon on est heureusement chacun différent devant l'Art, bien sûr !
NS : Et dans cette citation ? C'est dit comme un dualisme par Baptiste Morizot ? Cette dualité ? Parce que ça c'est présent, pas forcément que dans les "Quatre piliers du ciel" mais dans nombres de tes sérigraphies : cette question de l'animalité et de la bestialité. Moi, j'aime bien le fait qu'il fasse, d'une certaine manière, la différence entre l'animal et puis la bestialité. Est-ce que toi, tu la ressens ? Est-ce que tu la comprends ? Et est-ce que tu sais la définir ?
JPS : Non ! Je n'ai vraiment réfléchit à la question. À propos des animaux, j'ai vécu pendant dix ans dans une ferme avec des chevaux donc la sexualité animale, je sais ce que c'est ! L'énergie, la vitalité du corps brut, je sais ce que c'est. La fécondation des juments, je sais ce que c'est. Zola en parlait très bien dans la Terre. C'est une énergie incroyable mais de là à nommer et différencier bestialité ou animalité ? Bon, ce sont des termes un peu techniques, si tu veux. Non, je ne verrai pas vraiment de différences. Il faudrait lire Georges Bataille (L'Érotisme) à ce sujet là, oui.
NS : Oui, je suis persuadé que, justement, en t'entendant, notamment, répondre à la précédente question ou réagir à la citation : "danser dans les cordes", je suis persuadé que la bestialité, ce n'est pas qu'elle a quelque chose de supérieur mais justement, elle sort des cordes. Contrairement à… enfin, pour moi. Parce que, si je devais faire une différence avec l'animalité, je serai plutôt dans l'expression extrême de l'animalité plutôt dans le rituel, tandis que la bestialité, c'est justement d'échapper à ce rituel. Enfin, moi, je sens une différence et je sens que cette différence est importante. Et notamment, elle est importante pas tellement pour savoir quelle est la définition exacte de la bête et de l'animal ? Qu'elle en serait la différence fondamentale ? Mais plus exactement, parce que nous, c'est notre rôle, d'Historien d'Art, de Conservateur-(trice) de Musée, d'essayer de comprendre, pour protéger les significations et pour les protéger, il faut déjà les trouver. Et donc dans les motifs et notamment dans les motifs des animaux… notamment je crois que tu m'avais montré et je m'étais pas mal arrêté sur une représentation, pourtant très simple : une sérigraphie d'un Cerf !
JPS : Oui, voilà, le Cerf ithyphallique chamanique !
NS : Et ce Cerf, pour moi, quand tu m'as montré cette sérigraphie ; d'ailleurs, j'en avais regardé plusieurs et j'étais revenu constamment à cette image…
JPS : C'est vrai, oui !
NS : On n'était pas dans la représentation de l'animalité, comme on peut la voir dans "L'Hallali du cerf", de Courbet qui est conservé au Musée des Beaux Arts et d'Archéologie de Besançon ; mais on était vraiment, dans la bestialité. Parce que le rapport à la représentation est, selon moi, lié à un rituel. Peut-être même à un rituel priapique ou presque sexuel. Et donc, il enfreint la simple représentation de l'animal. Et donc, dans ce rituel, selon moi, il rentre dans la bestialité. Et je trouve que c'est quelque chose qui est beau, la bestialité ; parce que c'est un peu comme avant, quand les Dieux et les Déesses grecs envoyaient des sors sur les mortels et les demi-dieux ou les demi-déesses. C'est à dire qu'on échappe au contrôle. Et à mon avis, dans la bestialité, on échappe au contrôle. Ce qui ne veut pas dire que, dans l'animalité, il n'y ait pas une force incroyable. Et notamment, comme tu l'as souligné, puisque tu l'as observé dans ta vie personnelle… Il n'y ait pas une force incroyable dans l'animal, en lui-même et notamment dans la sexualité ou dans ce qu'on peut imaginer de la sexualité animale. Donc, je trouve que c'est une belle nuance, qui mériterait d'être approfondie, d'être presque réfléchie, d'une certaine manière. Et puis là, j'espère que c'est pas par surprise mais j'avais oublié que tu citais un cinéaste qui peut paraître aux antipodes de ton esthétique, c'est Visconti. Tu cites Luchino Visconti dans une citation où il réfléchit, en gros, sur l'aspect de la décadence. Qu'est-ce que la décadence ? Et aussi, finalement, dans son cinéma, c'est une longue réflexion. Et c'est pour ça qu'il s'entend si bien, pas en tant qu'ami mais avec Thomas Mann. Qu'il se sent si proche de Thomas Mann et d'une certaine manière de son livre Mort à Venise. C'est parce que justement, Thomas Mann a compris, ce que c'était que la décadence. Et ce que j'aime bien, alors, j'espère que tu pourras faire un lien avec cette citation que tu m'as donnée et que tu y as réfléchi ?
JPS : Oui bien sûr !
NS : Ce que j'aime bien, c'est ce qu'il dit, à propos de ce qu'est la décadence, pour lui ; ce qui l'intéresse en tout cas dans la décadence, ce n'est peut-être pas la définition de la décadence ; il dit : "C'est l'examen d'une société malade" :
"On m'a souvent traité de décadent. J'ai de la décadence une opinion très favorable, comme l'avait par exemple Thomas Mann. Je suis imbu de cette décadence. Ce qui m'a toujours intéressé, c'est l'examen d'une société malade." Luchino Visconti
Pourquoi tu as choisis parmi des dizaines de citations et que tu es un très grand lecteur. D'ailleurs, c'est toujours un plaisir de venir à l'atelier parce que j'aime regarder ta bibliothèque. On voit que tu lis véritablement, d'ailleurs tes livres sont annotés ! Il y a des signets ; les livres sont vécu… Pourquoi as-tu, parmi ces centaines de citations, tu as retenu, finalement, on pourrait dire : l'examen de cette société malade ?
JPS : Parce que je le vis quotidiennement, bien sûr. On sent bien que la société est malade ; au-delà des très beaux films de Visconti, qui sont à tomber par terre, bien sûr, c'est magnifique. Mais je reviens sur la situation de l'animal et puis, je reviendrai à Visconti tout de suite. Dans son livre Lascaux ou la naissance de l'Art, Georges Bataille disait que "L'animal est comme l'être humain, seulement plus saint." (proverbe Apache). Ça veut tout dire si tu veux ! C'est à dire qu'il est en contact avec Dieu avec la Nature : IL EST EN CONTACT. Je referme la parenthèse et je reviens sur Visconti et puis Thomas Mann… Forcément, je ne sais pas l'histoire de Visconti mais ils ont sans doute vécu tous les deux, une ou deux guerres mondiales… Les gens et les artistes qui ont vécu cela ; comment et quoi créer après cela ? c'est terrible ! Il y'a beaucoup d'artistes qui ont refusé de créer. Eux, ont décidé de parler de cette bourgeoisie ou aristocratie… et plus tard, Pasolini que j'adore aussi, a montré, très bien la disparition de la spiritualité au travers des nouveaux modes de vie de la bourgeoisie, des industriels, des modes de productions… Et tout ce qui a détruit le monde, qui a détruit les animaux, qui a détruit le bois, les forêts, les rivières. Et, il nous faut prendre conscience de ça. Voilà, je pense qu'il y a des cinéastes qui en ont pris conscience et qui ont pu, peut-être plus à une certaine époque, dans les années soixante-dix, quatre-vingt, où, je pense que l'Art, était beaucoup plus politique qu'aujourd'hui. À part Terrence Malick, qui fait des films magnifiques. Mais bon, on a plus la puissance de feu des gens comme Godard ou même Fellini, donc c'est un peu triste. C'est vrai que les préoccupations de ces années là, après la seconde guerre mondiale, disparaissent un peu. On le voit, l'Art Contemporain n'a pas les mêmes préoccupations. Et dans ce monde du spectacle, j'en reviens à la décadence, forcément, si il y a 50 % de gens qui regardent de la pornographie sur Internet, on peut appeler ça de la décadence ; ou pas ! Mais il semble quand même, qu'il y a quelque chose qui nous manque globalement. Il y a un manque énorme. Est-ce que ce manque est spirituel ? Est-ce que ce manque est affectif ? Est-ce que ce manque est que sais-je ? Je ne sais pas ? Mais forcément dans le passé, les gens étaient un peu plus complets et connectés auparavant. Ils allaient à l'Église. Les Mayas faisaient leurs rituels aux Fleurs, au Sel et au Soleil. Ils ne vivaient pas ce grand vide existentiel dont Sartre a très bien parlé. Donc, ce vide existentiel (et métaphysique) comment le remplir à nouveau ? Et je pense que l'Art est une des réponses et solutions possibles.
NS : Bon, donc on pourrait penser à une forme de misère, comme on a parlé de misère érotique ou ?
JPS : Tout à fait, oui.
NS : Parce que là, ce n'est pas forcément une misère économique, effectivement, chez Visconti, c'est la très haute bourgeoisie; voire même, dans Louis II, Ludwig, Le crépuscule des Dieux, la haute aristocratie ! Et on pourrait parler de la différence entre la pauvreté et la misère…
JPS : Oui et tu vois dans Théorème de Pasolini, les gens riches sont tous miséreux et indigents.
NS : Misérables, oui.
JPS : Misérables, mise à part la 'bonne' qui monte sur son toit à la fin et qui rencontre Jésus. Pasolini disait à l'époque qu'il n'y avait que les pauvres qui parlaient encore à Dieu. Mais maintenant, même les 'ouvriers' votent pour le Front National ! Donc ils ne parlent plus tellement à Dieu ! On est quand même FUCKED UP ! Je ne sais pas, à moins d'aller vivre dans un Couvent, on est mal barré je crois. Enfin, la solution n'est peut-être pas d'aller parler à Dieu ; mais de respecter quelque chose : le VIVANT, oui !
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Nicolas Surlapierre : Alors, cette partie, on va peut-être l'orienter ou sinon la concentrer sur des termes aussi. C'est toujours par les termes qu'on entre très bien, bien sûr en regardant tes œuvres et qu'on y rentre d'une façon poétique, presque d'une façon de réflexion ; j'allais dire presque méditative dans ton œuvre. Et, j'aimerais bien lire cette citation, parce qu'à mon avis, il y a des termes sur lesquels il serait bon de revenir ou, en tout cas de t'entendre. Cette citation elle est extraite de Polir la lune et labourer les nuages de Maître Dôgen Zenji. Je vais la lire et je vais te donner bien évidement la parole, sur selon toi, quels sont les termes qui sont les plus importants de cette citation. Et moi je te dirai, selon moi, quels sont les termes les plus importants dans la citation mais à mon avis, ils seront peut-être les mêmes. Ce n'est pas choisir les termes pour choisir les thèmes mais c'est bien sûr choisir les termes, en fonction de ton œuvre. Peut-être, dans un autre contexte, tu ne serais pas artiste ou tu ferais autre chose… On ne retiendrait pas les mêmes termes. Donc je cite :
"Mais, pour comprendre clairement cela, vous devez avoir dépassé l’illusion du passé, du présent et du futur. L’Éveil, c’est transcender l’Eveil ; aller jusqu’au fond de l’illusion, c’est transcender l’illusion et parvenir au grand Eveil. De toutes façons, vous êtes cernés soit par l’Eveil, soit par l’illusion." Polir la lune et labourer les nuages, Maître Dôgen Zenji
JPS : Oui j'ai choisi cette citation, parce qu'elle parle de la vie ! De toute manière, quoi qu'on fasse, on est baisé… Alors, que l'on soit en éveil ou pas ; et souvent les grands maîtres spirituels le disent, quoi que vous fassiez, c'est le chemin qui est important. Moi, j'ai la grande chance, le grand bonheur et le privilège d'être artiste. Et je sais combien j'en suis redevable à ma famille, qui m'a permis de continuer ce travail… Et c'est ça ; peu importe la dénomination que l'on utilise. Et je voulais parler justement, après… je cite, c'est dans mes Notes de Besançon (2021) aussi ; je voulais citer ça :
"La māyā hindou dans mes peintures : est-ce que je peins une réalité des choses, une version épique et dionysiaque de l'aventure humaine ou justement la māyā : cette grande illusion mystico-cosmique ? De toute manière, comme il est dit dans cette phrase : vous êtes cernés… alors peut-être, peu importe vraiment le sens profond de la réalisation."
Parce que souvent, je me pose la question, quand je suis seul dans mon atelier devant mes grandes installations murales : qu'est-ce que je peins vraiment ? Est-ce que je peins ? Oui ? Est-ce que je suis un hindou et que je peins l'illusion ? Non mais, c'est possible, oui… Peut-être, qui sait ? Parce que nous, les artistes, on peint quelque chose qui n'existe pas. On peint quelque chose de fictionnel et pourquoi je peins cette fiction, moi, alors que d'autres artistes peignent autre chose ? Ils peignent des tournesols ou peu importe. C'est un choix d'aller dans l'imaginaire, peut-être ; et peut-être que cet imaginaire a plus de force que la réalité ? C'est ce que j'espère en tout cas.
NS : Oui, ce que l'on ressent, aussi très bien, lorsque l'on regarde tes grandes compositions, tes dispositifs ; c'est justement cette façon d'abolir les frontières par les motifs, déjà, d'abolir les frontières entre passé, présent et futur. C'est peut-être aussi, d'ailleurs ce qui t'irrite ou t'indiffère dans l'Art Contemporain ? Ce n'est pas toujours aussi simple que ça !
JPS : Exactement, oui, cela sort du temps linéaire !
NS : Ça sort du temps… Finalement tu ne te dis pas, je vais mettre telle ou telle image ; il y a quelques images qui sont très datées, notamment les images pornographiques, on voit bien de quelle esthétique elles viennent, presque de quelle période. Mais finalement, bien malin qui pourrait dire dans quel moment chronologique de la représentation on se retrouve. C'est cette absence de moment chronologique qui est particulièrement intriguant, à mon sens. Alors moi, si je devais revenir sur cette citation, même si je ne suis pas là pour parler de moi mais je suis là pour parler de cette citation par rapport à ton travail. Bien sûr, donc tu l'as compris : le passé, le présent, le futur ; cette distinction n'est pas une bonne distinction, véritablement. C'est ce qu'on comprend. C'est peut-être même l'illusion donc, j'aime bien cette idée ! Mais j'aime bien cette idée de deux choses : j'aime bien l'idée d'éveil, Je trouve que c'est une belle idée. Évidemment, parce que l'éveil, ce n'est pas à toi que je vais apprendre cela ; c'est aussi l'éveil spirituel.
JPS : Bien sûr !
NS : Et c'est l'éveil aussi, c'est un peu démodé aujourd'hui, comme expression mais pour ma génération, c'était l'éveil amoureux, l'éveil à la sexualité, l'éveil au désir… C'est quelque chose qu'on apprend d'une façon étrange, d'ailleurs, que l'on ne comprend pas complètement, même si on a eu des parents post-soixante-huitards qui se sont fait un plaisir d'expliquer tout ça ! Mais l'éveil, c'est quelque chose que j'aime beaucoup ; justement, parce qu'on peut l'écrire de différentes façons et puis ce que j'aime beaucoup dans cette citation et que j'aurais aimé comprendre ; c'est : "Vous êtes cernés." Donc là, ça voudrait dire, c'est presque un terme de guérilla ou de guerre ou de quelque chose qui peut être violent, qui peut être religieux aussi. On peut être cerné par des puissances, parfois occultes et c'est ça que je trouve intéressant et finalement, quand on prend les mots, un à un, de cette citation, on a des clés pour entrer aussi dans l'image. C'est-à-dire, qu'on pourrait très bien imaginer que, dans ce dispositif sans centre véritable, il y a quand même des cibles, il y a quand même des indications. Il y a quand même des choses qui sont visées et ça, je trouve que c'est absolument nouveau. Je n'avais pas pensé à ça… J'étais persuadé que c'était quelque chose de complètement centripète ; et en réalité, par moment, il y a une puissance centrifuge, parce qu'on ne peut pas échapper, d'une certaine manière, je ne sais pas à quoi on ne peut pas échapper ? Mais il y'a quelque chose à quoi on ne peut pas échapper. Donc, ce sont tous ces éléments qui, d'une certaine manière, sont organisés, dans ces grands dispositifs… À commencer par les "Quatre piliers du ciel".
JPS : Alors, tu penses que ma peinture entoure, cerne et englobe les gens ?
NS : Alors, ça dépend du dispositif. Quand il est simplement mural, un peu moins mais par le procédé hypnotique : il emmène quelque part, donc ça, c'est une première chose mais, là particulièrement dans les escaliers, un moment donné : imaginons si on avait un quatrième mur ! On serait vraiment complètement entourés ; et ça serait beau d'essayer ! On serait vraiment pris dedans, on serait cerné aussi… Je vais prendre une image qui est assez idiote et je m'en excuse. C'est un peu comme lorsqu'on est dans un piège en forêt, pour le gibier et qu'il tombe dedans. Il n'a plus alors d'endroit pour s'accrocher. Donc, il doit trouver des points d'accroche. On pourrait très bien s'imaginer que les images qui sont derrière nous, il faut une hyper-concentration, il faut s'arrêter ; réfléchir et trouver les points d'accroches. Bien sûr, au début, moi je regarde l'installation, d'un seul tenant, sans essayer d'isoler les motifs mais à un moment donné, pour pouvoir circuler dedans, pour pouvoir me déplacer ; j'ai besoin de trouver ces points d'accroches. C'est cette idée d'être cerné. Alors, le terme est un peu violent ; d'une certaine manière et à partir du moment où on a trouvé ces points d'accroche, d'une certaine manière, on accède, à ce qu'on pourrait appeler, de différentes manières d'ailleurs, à l'éveil ! Dans l'éveil, on est conscient que ce qu'on voit peut nous apporter quelque chose ou en tout cas, soit un dépaysement ou un intérêt pour quelque chose auquel on n'avait jamais prêté attention, finalement et donc, une position. Et c'est toujours ce qui marche plutôt très bien dans tes installations, dans tes dispositifs : c'est de perdre ses repères mais à un moment donné, on est rattrapé par quelque chose, justement, pour ne pas être complètement perdu. Et c'est aussi pour ça que ce n'est pas un Art désespéré. On ne sent pas quelque chose désespéré !
JPS : C'est vrai, oui !
NS : D'ailleurs en préparant cet entretien, tu m'as parlé du rire ; on ne parle pas assez du rire dans l'Art Contemporain et dans l'Art tout court. Alors, je ne sais pas s'il y a de l'humour mais il y a certainement une forme de rire et il y a aussi une forme de distance par rapport aux images qui sont données à voir. Et peut-être que, dans les sujets que nous avons abordés, il semble y avoir beaucoup de gravité mais il a quand même aussi peut-être dans l'Art Contemporain, cet espèce de rire ou, je ne sais pas si c'est du rire mais certainement, il y a la présence de l'humour. Et cette présence de l'humour, elle est, d'une certaine manière, exemplifiée, pour toi, dans la citation que tu as choisie d'Octavio Paz. Tu as choisis une citation de lui que je vais lire. Alors, Octavio Paz, justement, qui savait parfaitement mêler les grandes mythologies principalement, les mythologies précolombiennes et puis. qu'il mêlait dans une forme de textes soit poétiques, soit de proses mais avec du quotidien. Avec les gestes du quotidien, avec la vie quotidienne, avec des prises de positions quotidiennes. Et c'est aussi tout à fait singulier comment, la part de magie, la cosmogonie ; comment l'héritage même d'un passé un peu mythifier d'ailleurs, de l'Art précolombien, peut continuer à survivre dans les gestes les plus simples et dans certains mots qu'il utilisait. Mais là, je vais plutôt te faire réagir à cette citation et à cette question peut-être de l'humour ou en tous les cas, ce que permet, l'humour comme chemin d'accès. Donc je cite : Octavio Paz dans ce titre : Conjonctions et disjonctions, il dit :
"Ni le phallus ni le cul n'ont le sens de l'humour. […] Mais les éjaculations violentes du phallus, les convulsions de la vulve et les explosions du cul effacent le sourire de notre visage. Nos principes sont ébranlés par la secousse d’un tremblement psychique aussi puissant que les tremblements de terre. Secoués par la violence de nos sensations et de nos imaginations, nous passons du sérieux à l’éclat de rire."
JPS : Oui, eh bien, c'est un peu ce que je fais et aimerais faire dans mes peintures. C'est-à-dire que souvent à New York les gens rigolaient devant mes peintures parce que les seuls textes que j'utilise ce sont des textes obscènes et trash : FUCK ME, FILL MY ASS ! Tous des trucs comme ça… Des conneries, des insanités en quelque sorte ! Bon, ici au Musée, on en voit peu parce qu'on avait un peu filtré les images…
NS : On a été très sage !
JPS : Les informations… Mais c'est pour créer un choc esthétique et une réaction du public, pour que les gens s'esclaffent et perdent pied ! Parce que justement, c'est ce que Octavio Paz dit très bien dans ce paragraphe, c'est que, au moment où l'on rit, on perd le contrôle de toute chose et on entre alors dans une autre réalité. Comme dans la sexualité d'ailleurs, dont Bataille (dans L'Érotisme) parle très bien. C'est à dire que, quand une femme Bourgeoise et très bien habillée fait l'amour, dans l'acte sexuel, elle rentre dans l'animalité et devient comme une chienne. C'est un peu ce rapport à l'animalité dont on a parlé tout à l'heure ! C'est vrai que mon travail revendique une animalité. Dans sa plus grande splendeur, dans sa dimension presque infinie et cosmique, oui ! Voilà, c'est ça, réintégrer le Monde et réintégrer la Vie, oui, oui ! Et Octavio Paz, j'ai lu… Je ne peux pas dire que j'ai lu toute son œuvre, parce qu'il a beaucoup écrit mais j'ai beaucoup aimé le livre La Critique de la Pyramide où il parle des cultures d'Amérique Latine et il a aussi un très beau livre sur l'Inde, Lueurs de l'Inde donc, il faudrait le relire et y réfléchir. Ici, il parle aussi dans le même livre que l'on a cité, c'est un petit chapitre que je vais lire, ça s'appelle :
"Ève et prajnâpâramitâ
Les oppositions entre le tantrisme et le protestantisme sont du type lumière et ombre, chaleur et froid, blanc et noir. Tous deux sont aux prises avec le conflit insoluble entre le corps et l’esprit (vacuité pour le bouddhiste) et tous deux le résolvent par une exagération." Conjonctions et disjonctions, Octavio Paz
JPS : De même que dans ma peinture, car mon travail c'est un travail exagéré, je vais au-delà de ce qu'on peut imaginer. Ce n'est pas dans le grotesque comme Félicien Rops, James Ensor ou d'autres artistes de ce genre… Mais je veux, en quelque sorte, exagérer la Vie, bien sûr ! Pour lui rendre hommage !
NS : Donc tu n'es pas, parce que je n'ai jamais pensé qu'il y avait de la caricature chez toi, même si parfois tu prends des images qui sont caricaturales, parce que ce sont des extraits, en fait, d'une sorte de misère érotique ou de manque d'imagination, sur lesquelles tu retravailles et sur lesquelles tu mets des filtres ; des filtres d'images, des filtres de croyances, des filtres de rituels et c'est vrai qu'en regardant tes œuvres, c'est étonnant ce que tu racontes là : qu'à New York, on rit devant tes œuvres, alors qu'ici ; je ne dis pas qu'on pleure, on ne pleure pas du tout. Mais on voit plutôt ça avec beaucoup de sérieux !
JPS : Oui, oui, le rapport à l'Art est totalement différent.
NS : Complètement différent ! Et c'est intéressant aussi, ce que tu dis sur ce que finalement le rire provoquerait la perte de contrôle : enfin, le sur-moi serait balayé par le rire.
JPS : Oui : BOUM ! À coup de bazooka !
NS : C'est peut-être pour ça que Freud s'est tant intéressé aux jeux de mots, bien sûr aux lapsus et puis souvent aux contrepèteries qui peuvent amener le rire et ça, c'est un aspect que je n'avais pas saisi dans ton travail. Cette violence aussi du rire, cette secousse, qui finalement t'empêche de faire tout autre chose que de rire. C'est-à-dire qu'à l'endroit du rire, tu ne peux faire que ça. Tu ne peux faire que de rire, parce que c'est absolument effroyable d'être saisit d'un fou rire et souvent dans des situations qui nécessiteraient le plus grand sérieux. Donc, c'est ça que je pense mais c'est [..]peut-être que le rire, c'est tout ce qu'il nous reste des violences sacrées ou de certains mythes qui reprendraient ainsi… Ou de l'animalité, comme tu l'as dit, plus que de la bestialité ; qui reviendrait ainsi à la surface et montrant que finalement et parfois, ça peut être bon, je ne sais pas dans quel sens mais d'être dissipé ! D'avoir une forme de dissipation. Et ce qu'on retrouve aussi chez Octavio Paz, c'est cette relation qu'il fait constamment entre… moins le temps d'ailleurs, c'est moins le temps qui l'intéresse, que l'espace. C'est la question que le seul moyen ; et ce qu'on retrouve, d'ailleurs dans "Les quatre piliers du ciel" et dans nombreuses de tes compositions… Le seul moyen de vaincre cette chaîne temporelle entre : présent, passé et avenir, c'est justement le déplacement dans l'espace. non pas dans l'espace linéaire ou peut-être ? Mais surtout, une conception spatiale de l'image. L'image, elle n'a pas un fond, c'est ça qui est intéressant parce que, presque tout se passe à travers les filtres. Il y a quelques filtres et à travers ces quelques filtres, ça crée cet espace et cette compréhension très fine de l'image, qui mène à ces croyances, à ces répertoires. Ce qu'on pourrait appeler, une esthétique métaphysique dans un sens réactualisé et non pas dans un sens dramatique. C'est-à-dire que c'est peut-être ce qui change, c'est que là, au contraire, on aurait une esthétique métaphysique qui enfin aurait de l'humour ! Une forme d'humour et une forme de distance.
JPS : Oui
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JPS : Donc, dans cette dernière partie, je voulais présenter quelques dessins d'enfants que j'ai trouvés sur Twitter, qui sont vraiment magnifiques ; là, c'est une petite gamine de sept ans le compte de Twitter c'est : Earthly Education, je vais le lire en anglais puisque c'est écrit en anglais : "Chère 2045, je ne pense pas que nous allons survivre. Si jamais vous lisez cette histoire, je veux juste vous dire que je suis désolée ! Je vais essayer de prendre soin de la Terre !"
Et bien bon, vous avez tous compris et je ferai une traduction sous-titrée. Mais on sent que cette petite gamine a honte de ce qui est en train de se passer à notre Mère Terre, comme le disent si bien les amérindiens. Elle se sent responsable et elle ne pense pas qu'elle vivra jusqu'en 2045, ce qui n'est pas si loin que ça, puisqu'elle a sept ans et qu'elle pense qu'elle ne vivra pas jusqu'à trente ans. Et donc Je voulais lui rendre hommage, parce que finalement, l'Art existe ; mais, ce ne sont pas forcément les artistes qui font de l'Art uniquement, ce sont aussi les enfants de sept ans. On a créé maintenant ces structures : Musées, Galeries, Centres d'Art contemporains, Écoles d'Art etc. où seuls les artistes peuvent créer et montrer de l'Art. Mais aujourd'hui, il y a beaucoup d'artistes qui ne créent plus d'Art mais qui font juste du business ! Voilà… Et puis ça c'est un dessin de Dasha, qui est dans le métro de Kharkiv.
NS : En Ukraine.
JPS : En Ukraine et donc, elle a dessiné sa situation dans le métro, que l'on a tous vu à la télé. Ils vivent dans le métro ; il y a les bombes qui leurs tombent dessus… Et là, il y a ces deux drapeaux ukrainiens et on la voit ici, toute petite jouer avec son petit frère ?
NS : Oui, c'est son frère car à mon avis, elle est là ; elle observe dans le métro.
JPS : Oui, tu as raison, c'est son frère et il y a une tente et des sacs de couchages… Et quelle bien triste réalité aujourd'hui, de retourner encore une fois dans une guerre en Europe. Donc bravo à elle et peut-être que si elle peut survivre (espérons le !), elle deviendra une artiste importante au XXIe siècle, voilà.
NS : Ensuite tu avais choisi celle-là aussi, qui est très belle, oui, justement !
JPS : Cette photo, je la montrerai bien sûr dans la vidéo, elle montre exactement à quoi sert l'Art ; c'est-à-dire, on sait pas si c'est une photo qui a été mise en scène ou pas ? Donc, c'est un petit gamin des rues en Inde qui a laissé ses petites savates en dehors du dessin. Et ça, ça représente le Sacré. C'est à dire, que la personne qui a créé ce dessin, à la craie, a créé cet espace clos, inclusif où le gamin se sent bien et où il peut dormir tranquille et dans lequel il est protégé. Et c'est cette fonction protectrice et matricielle de l'Art qu'il nous faut un peu retrouver. Ce petit dessin est magnifique, c'est comme une espèce de Père Noël ou de grand-mère. C'est un personnage qui l'accueille et dans lequel il peut dormir tranquillement sans faire de cauchemar. Et puis donc, tu voulais en venir à la dernière partie ?
NS : Oui, je voulais en venir à la dernière partie que tu as intitulé… déjà, j'aimerais bien que tu réagisses à deux choses, déjà au titre de cette partie que tu as intitulé : "Vaincre la mort ou la pensée paradoxale", pourquoi ce titre ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Aussi t'entendre ; tu avais mis trois citations, enfin deux plus des Notes et j'avais retenu une citation d'Alexandra David-Néel qui dit ceci dans Mystiques et magiciens du Tibet : "Ces moines ci ne vaincront pas la mort, parce qu’ils croient à la mort." Qu'est-ce que ça signifie pour toi ? Quelle est la résonance que cette citation produit ? Comment tu peux la mettre en relation, parce qu'on est là pour parler de ta production de ton Art, de tes œuvres. Comment tu peux la mettre en relation avec ta création ?
JPS : Oui… Dans mon travail c'est toujours : construction-destruction ! Et la Vie c'est aussi : construction-destruction, construction-destruction à l'infini ! Et au-delà de ça, l'Homme a toujours eu besoin de croire à quelque chose. Justement les moines qui n'arrivent pas à vaincre la mort ; c'est qu'ils croyaient en la mort ! C'est qu'ils la voyaient de trop près et par exemple ; on en a parlé auparavant, dans les rituels tantriques, des fois, ils vont même jusqu'à manger les morts, la chair des morts… Pour justement se dépasser, dépasser leurs conditions de mortel. Comment faire ce déplacement ? Cette translation ? Je pense que le langage et la pensée sont des barrières à entrer dans l'Ailleurs. Car dans cet Ailleurs il n'y a plus de nomination, bien évidement. Puisque certains moines nomment la Mort, ils ne peuvent plus la dépasser. Et moi je rajoute à la suite de la citation : "Il en est de même pour l'Art : pour vaincre l'Art, il ne faut jamais, oui, ne plus jamais, jamais, croire en lui !" Notes de Besançon 2022. Parce que c'est vrai que nous autres, artistes, quand on est formé un peu dans les Écoles des Beaux-Arts etc., on croit à l'Art, on croit à Matisse et tous ces grands artistes là. Mais quelque part, il faut les enculer, il faut sortir des schémas de pensée établis, sinon on ne peut rien faire ! C'est vital ! Et c'est quelque chose de très violent que d'être artiste. Il faut vraiment dépasser tous ces cadres là, parce que sinon on peint des fleurs ! On ne sort pas du cadre établit encore une fois. Je m'impose cette violence et je pense que, quelque part, les gens rencontrent cette violence dans mon travail et c'est sans doute ça qui les dérangent. Parce que je pousse les choses un peu loin… Non mais c'est vrai qu'il faut que je pousse les barrières ; bien sûr ! Je transgresse, IL FAUT QUE JE TRANSGRESSE !
NS : Je n'entends pas la citation tout à fait de la même manière, parce que pour moi quand Alexandra David-Néel dit : "Ces moines ci ne vaincront pas la mort, parce qu’ils croient à la mort.", j'ajouterai qu'en réalité, ces moines ne se battent plus, à mon avis ; ce qu'elle dit aussi et c'est ça qui peut être très beau, c'est qu'il n'y a pas de combat. À partir du moment où tu crois à la mort, en fait moi, j'entends l'acceptation.
JPS : Oui, peut-être, oui !
NS : Dans cette citation, Il y a une forme d'acceptation et justement, qui serait très proche de ce qu'on a nommé tout à l'heure : l'éveil et d'accepter comme ça… La finitude ; où je ne sais pas si ils pensent que la vie finit avec la mort, probablement pas, pour les mystiques et les magiciens du Tibet mais certainement, il y a cette idée d'acceptation. C'est étonnant, parce que moi, je ne lis pas dans cette citation de la révolte mais au contraire, une très grande sagesse de ne pas vouloir se battre…
JPS : Ah oui, d'être soumis au karma ?
NS : Non, ce n'est pas une question de soumission, c'est au contraire bien plus fort que ça. Parce que justement, il n'y a pas de soumission. Ce n'est pas parce que tu acceptes que tu es soumis, au contraire. C'est comme ces grands mouvements de Reines, parce que je pense à Bérénice : elle sait qu'il ne l'aime pas assez pour que Titus renonce tout simplement à l'Empire Romain. Et simplement, le fait de savoir et de dire à l'autre que l'on sait ; c'est d'une force inouïe !
JPS : Oui, je comprends, oui !
NS : À partir du moment où l'autre sait, que l'on sait, si je puis dire, sans faire de jeux infinis sur les mots… C'est ça qui est fort ! Et donc, on peut tout accepter parce qu'on a la conscience, on fait ça en conscience. Et c'est ça, c'est-à-dire qu'ils acceptent la mort ; aussi parce que peut-être ils croient à la réincarnation ; dans les religions tibétaines, hindouistes et bouddhiste… voilà, donc ce sont ces cycles là (Vie-Mort) et je trouve ça assez altier comme idée, de pouvoir défier d'une certaine manière, la mort, justement par l'impassibilité. C'est cette impassibilité que je sens, dans la citation d'Alexandra David-Néel. Et, est-ce que toi, tu es intéressé par les représentations, ce qui n'est pas tout à fait la même chose que d'être intéressé par la mort. Alors tu es intéressé par le Cosmic, par le Sacré, les représentations de la sexualité etc. J'allais dire de l'Art Pariétal quasiment jusqu'aux images diffusées sur Internet… Est-ce que toi, cette question de la mort, représentée par l'image ; est-ce qu'elle intéresse ? Est-ce que tu y réfléchis ? Lorsque tu mets de côté cette œuvre de Gustave Doré, justement, qui pourrait être une représentation de l'après vie. Qu'est-ce que tu peux nous en dire parce que je crois que toi, dans ta vie personnelle, tu as frôlé l'après vie et que tu as eu cette expérience ?
JPS : Oui, tout à fait, je suis tombé sur cette peinture, enfin, cette belle gravure de Gustave Doré qui représente exactement, ce qu'on vit quand on fait une expérience de mort imminente. C'est-à-dire que ce sont des cercles concentriques (un vortex d'énergie nous aspire) avec lesquels on rentre dans le Tunnel de Lumière et après on arrive dans et au centre de la Lumière. Donc, on se dissout ainsi dans la Lumière. Gustave Doré a très bien illustré ça, il dit que ce sont des anges (qui emmènent l'âme du mort) ; mais moi j'ai vu toutes les âmes des morts quittant la Terre et qui rentraient comme ça, dans ce Vortex énergie. Et je dois dire que c'est assez impressionnant. Bon après, ça se discute. Certains scientifiques disent que c'est le cerveau qui envoie ces images pour désangoisser le mort au moment du décès (avec des molécules chimiques du style DMT diméthyltryptamine). Moi, je pense que ça existe vraiment. Bon, puisque je l'ai vécu, je pense que ça existe. Après y a-t-il quelque chose dans la lumière ou pas ? Où se dissout-on ? Quel est le voyage de l'âme après ça ? Est-ce que l'âme voyage ? Est-ce qu'elle disparaît complètement ? Jean-Claude Carrière, que j'aimais beaucoup, disait qu'il pensait qu'il n'y avait Rien après la mort. Mais peut-être que cet instant où l'on rentre dans la lumière, c'est quand même un moment fantastique. J'ai souvent utilisé cette expérience spirituelle et j'en fais des dessins que j'utilise parfois dans mon travail. Et bien sûr que le mysticisme m'intéresse aussi beaucoup mais ça demande une discipline que je n'ai pas. Par contre, j'ai la discipline pour être artiste et je crée tous les jours que je peux !
NS : Merci !
JPS : Merci beaucoup Nicolas, c'était très sympathique, merci beaucoup à tous.